Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Hamon, Mélenchon : des programmes d’inspiration voisine, les mêmes insuffisances

Les deux candidats de gauche ont en commun de proposer de gros montants de dépenses publiques ou sociales supplémentaires.

Jean-Luc Mélenchon a chiffré un programme comportant « une hausse de la dépense publique de 173 milliards d’euros couplée à un plan d’investissement de 100 milliards d’euros sur cinq ans ». Il n’indique pas de quelle façon les 100 milliards d’investissements (dont la moitié pour la transition écologique) seront financés, si ce n’est pour remarquer que la Banque centrale européenne pourrait le faire. Pour ce qui est des dépenses publiques, leur financement reposerait sur les deux piliers classiques des programmes socialistes.

Jean-Luc Mélenchon : la grande tradition des politiques social-démocrates se réclamant plus ou moins abusivement de Keynes

Le premier pilier consisterait en de nouveaux prélèvements obligatoires (qui passeraient de 45 à 49,1 % du PIB) : alourdissement de la fiscalité sur les hauts revenus et sur le patrimoine (« taxe grand luxe », renforcement de l’ISF et des droits de succession…), suppression de niches fiscales et de l’évasion fiscale…

Le deuxième pilier serait l’augmentation des rentrées fiscales et sociales résultant d’un « choc d’activité », l’accélération de la croissance engendrée par la relance de la demande déclenchée par l’accroissement des dépenses budgétaires. Jean-Luc Mélenchon en attend la création de 3 millions d’emplois et le retour du taux de chômage à 6,2 %. Son équipe se plaît à se réclamer du « keynésianisme » pour faire comprendre que cette stratégie ne vise pas à dépasser l’économie du capitalisme mais à corriger l’incapacité du marché à dégager spontanément un équilibre entre l’offre et la demande. La pensée de Keynes était toutefois autrement profonde : elle attachait une importance cruciale au comportement des chefs d’entreprises et à la comparaison entre les taux d’intérêt et ce que le maître de Cambridge appelait l’« efficacité du capital » (une forme d’expression du taux de profit).

Ce n’est absolument pas le cas de Jean-Luc Mélenchon. Son choix, affirmé lors de plusieurs prises de position, est de laisser aux chefs d’entreprise la responsabilité de leurs stratégies de gestion et de financement. La baisse du taux de l’impôt sur les sociétés de 33 % à 25 % qu’il préconise au nom du soutien des patrons de PME peut être comprise comme un signal dans ce sens. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon croit qu’il suffirait de plafonner à 20 l’échelle des rémunérations pour dégager les ressources nécessaires à l’augmentation du SMIC et des bas salaires : un simple changement dans la répartition des richesses au sein des entreprises, laissant intactes la façon de produire les richesses et le pouvoir dans l’entreprise.

L’expérience a pourtant montré qu’il y a une grande naïveté à croire qu’en l’absence de nouveaux pouvoirs des salariés pour opposer à la rentabilité capitaliste des critères d’efficacité sociale, l’augmentation des dépenses publiques et les grands projets spatiaux, maritimes, agricoles, écologiques produiront spontanément les emplois et les richesses nécessaires pour atteindre les objectifs sociaux d’un programme de gauche.

Cette faiblesse fondamentale des programmes social-démocrates se double, dans le cas de Jean-Luc Mélenchon, d’une grande faiblesse de l’analyse macroéconomique. Son usage du « multiplicateur keynésien » s’applique à une économie fermée, comme si la France n’était pas plongée dans une économie mondiale où une relance de la demande dans un pays donné peut parfaitement stimuler la production dans les pays concurrents, et où une proportion considérable de nos productions intègrent des produits importés. Elle ignore l’obstacle majeur, en l’absence d’une autre politique monétaire de la BCE, que peut constituer la pression à la hausse des taux d’intérêt qui commence à se manifester sous l’impulsion de la politique monétaire américaine et sous l’effet du début de reprise conjoncturelle de l’activité et de l’inflation qui se dessine en Europe.

En résumé, même teinté de radicalité dans son expression, le programme de la « France insoumise » s’en tient à une conception très datée de ce que peut être une politique de gauche – cette conception même qui a conduit à l’échec les expériences gouvernementales de 1981, de 1997 et de 2012.

Avec le « revenu universel d’existence » de Benoît Hamon, le retour du « socialisme utopique [i] » ?

Par contraste, les propositions de Benoît Hamon peuvent sembler plus originales et plus en prise avec les réalités du XXIe siècle. Leur point de départ est la constatation de la persistance d’un chômage de masse lié à ce qu’il appelle la révolution numérique, et que les politiques traditionnelles, axées sur la relance de la demande s’avèrent incapables de résorber. D’où sa proposition d’accepter la raréfaction du travail » comme un fait, en instaurant un « « revenu universel d’existence qui, à terme, s’élèverait à 750 euros par mois pour chaque habitant de l’Hexagone.

Pour financer ce nouveau système, il faudrait trouver 585 milliards d’euros à distribuer chaque année, près du tiers du PIB. Les défenseurs de cette proposition expliquent bien sûr qu’elle se substituerait à d’autres revenus actuellement distribués : allocations chômage, prestations familiales, RSA et autres minima sociaux… Pour le reste, le financement reposerait sur la suppression de l’évasion fiscale, sur celle des différentes niches et exonérations dont bénéficient les entreprises comme le CICE, et sur une augmentation de l’ISF et de l’impôt sur le revenu qui, dans la logique du revenu universel, devrait être individualisé et prélevé à la source. Il serait également rendu plus progressif pour faire payer aux plus riches le revenu supplémentaire qui serait distribué aux pauvres. Les promoteurs du revenu universel insistent en effet sur l’idée qu’il ne fait que changer la répartition des richesses créées par l’économie nationale. Enfin, une « taxation des robots » permettrait, en substance, de redistribuer aux ménages pauvres les gains de productivité apportés par les nouvelles technologies.

Destinée à montrer que la proposition est réaliste, cette affirmation conduit en réalité à en douter. Le revenu universel, conçu pour déconnecter le revenu de l’emploi, laisse en réalité entier le problème de la lutte contre le chômage, dès lors qu’un revenu mensuel de 750 euros est insuffisant pour vivre décemment. Il faudrait que les détenteurs du pouvoir économique – dirigeants des entreprises et des banques, détenteurs et gestionnaires des portefeuilles placés sur les marchés financiers – acceptent d’utiliser leur argent à investir et à embaucher dans un contexte où le temps de travail serait réduit, et où la société se fixerait pour perspective la fin du travail.

Le programme de Benoît Hamon prend en compte dans une certaine mesure la nécessité de changer la gestion ou la « gouvernance » des entreprises. Il prévoit d’encourager la syndicalisation des salariés (au moyen d’un « chèque syndical » qui, à l’expérience, ne favorise pas nécessairement l’indépendance de l’action syndicale vis-à-vis des stratégies patronales), la présence d’un tiers des salariés dans les conseils d’administration, un droit de veto du comité d’entreprise sur les grands choix stratégiques dans les entreprises de plus de 2 000 salariés (mais, pas plus que chez Jean-Luc Mélenchon, sans le pouvoir de faire prendre en compte et de faire financer par les banques des propositions alternatives), et une « modulation de l’impôt sur les sociétés en fonction de la part des bénéfices réinvestis » pour faire baisser le coût du capital (sans obligation que ces investissements répondent à des critères précis en matière d’efficacité économique, sociale et environnementale). Conscient sans doute des limites de ces propositions, il se contente donc, dans un premier temps, de prévoir une augmentation de 10 % du RSA et son versement automatique à tous les ayants droits, et le versement d’un revenu d’existence aux jeunes de 18 à 25 ans quel que soit le niveau de ressources – pour un coût total d’environ 40 milliards d’euros. Cette proposition ne se distingue guère de ce qui figure dans d’autres programmes (par exemple, Jean-Luc Mélenchon propose une extension du RSA à l’ensemble des jeunes adultes et une allocation d’autonomie de 800 euros par mois pour les jeunes sous conditions de ressources). L’extension d’un revenu d’existence à l’ensemble de la population est renvoyée à une étape ultérieure, qui serait ouverte par une « grande conférence citoyenne ».

Tout en annonçant, parallèlement au projet de revenu d’existence, un plan d’investissement de 1 000 milliards d’euros pour la transition énergétique, Benoît Hamon ne soulève pas la question de la responsabilité des banques dans le financement des investissements qui seraient nécessaires pour rendre possible une transformation sociale ambitieuse. Faute de fonder la recherche d’objectifs sociaux sur la conquête de pouvoirs sur l’utilisation de l’argent, il se contente, comme Jean-Luc Mélenchon, d’un programme de redistribution des richesses là où, non seulement l’urgence écologique mais, plus généralement, la crise d’efficacité du capitalisme mondialisé et financiarisé, appellent à développer une autre façon de créer les richesses.

On a pu montrer ailleurs comment la proposition communiste d’une sécurisation de l’emploi et de la formation peut aider la gauche à dépasser cette faiblesse commune des principaux programmes en présence à gauche.

Prendre le pouvoir sur l’argent : des luttes et des propositions pour rassembler la gauche et le monde du travail

On peut faire la même démonstration à propos de l’Europe. Ce chapitre a été expressément désigné par Jean-Luc Mélenchon comme l’un de ceux sur lesquels aucune conciliation n’est possible entre son programme et celui de Benoît Hamon.

De fait, tout semble opposer le « plan B » du premier qui consisterait à abandonner l’euro et donc, de jure et de facto, l’Union européenne, et les propositions d’inspiration fédéraliste que formule le second, comme la création d’un Parlement de la zone euro ou la mutualisation des dettes publiques. Pourtant, les stratégies budgétaires préconisées par les deux candidats se ressemblent. Benoît Hamon se propose d’agir pour un moratoire sur l’application du Pacte de stabilité et du TSCG, « jusqu’à l’approbation d’un pacte de stabilité réformé » excluant les dépenses d’investissement du calcul du déficit, tandis que Jean-Luc Mélenchon prévoit de s’en affranchir en début de législature, pour revenir à un déficit de 2,5 % en 2022. Tous deux préconisent des mesures d’annulation des dettes publiques.

Tous deux butent sur la même difficulté face à laquelle François Hollande, déjà, avait aussitôt cédé : la nécessité de convaincre 26 ou 27 partenaires, et en premier lieu l’Allemagne, du bien-fondé de ces choix politiques. Dans l’état actuel des opinions européennes et des rapports de forces sociaux et politiques, faire d’une telle négociation le préalable à toute action pour changer les règles de l’Union économique et monétaire conduit inévitablement Jean-Luc Mélenchon à son « plan B » – l’aventure d’une sortie de l’euro, et Benoît Hamon à se heurter au mur du dogmatisme allemand et de la dictature des marchés financiers. Y a-t-il un moyen de dépasser ce constat d’impuissance ? Nous le pensons.

Ce moyen consiste, comme en matière d’emplois, de salaires et de financement des services publics, à mener des luttes pour conquérir des pouvoirs sur l’utilisation de l’argent. En l’occurrence, il s’agirait d’obliger les banques et la Banque centrale européenne à financer des projets concrets répondant à des objectifs précis en matière sociale (emploi, formation, salaires…), économique (création de valeur ajoutée dans les territoires) et écologique (économies d’énergie et de matières premières). La proposition d’un Fonds de développement économique, social et environnemental européen financé par la BCE serait un outil pour permettre à ces luttes d’aboutir dans le cadre même des traités existants [ii]. Au-delà des solutions immédiates que ces mobilisations peuvent apporter aux problèmes de financement des investissements publics et privés [iii], leur multiplication et leur convergence avec l’appui des nombreuses forces qui, en Europe, combattent les politiques d’austérité, seraient le plus court chemin pour rassembler une majorité des 400 millions d’Européens autour d’un projet de refondation de la construction européenne, avec de nouveaux traités.

Ce serait là une base possible pour réaliser l’unité du mouvement populaire et des forces de gauches face à la droite et à l’extrême-droite, et pour leur résister efficacement si par malheur elles parvenaient au pouvoir à l’issue des prochaines consultations électorales.



[i]Voir le dossier consacré à ce sujet dans le numéro 744-745 ((juillet-août 2016) d’Économie et politique, Revenu de base ? Mauvaise réponse à une vraie question.

[ii]Cette proposition est décrite en détail dans une note accessible sur le site d’Économie et politique http://www.economie-politique.org/92873

[iii]Voir dans ce numéro l’article consacré à l’adoption par le Conseil de Paris d’un vœu inspiré de cette proposition, sur la proposition du conseiller de Paris communiste Jean-Noël Aqua.

 

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