C’est après 18 mois d’une « presque concertation » que le gouvernement devrait adopter le cadre d’une réforme systémique des retraites. Les annonces du commissaire à la réforme prévues initialement avant le 14 juillet ont eu quelques difficultés à être rendues publiques dans les temps. Des débats internes à la majorité gouvernementale de droite LR/LREM ont eu du mal a être tranchés. Certains exigent une nouvelle réforme paramétrique classique pour récupérer au plus vite dans le budget de l’État les financements des pensions. Beaucoup appelant alors à durcir dès le prochain PLFSS la future réforme, en allongeant d’ores et déjà l’âge de départ à la retraite à 64 ans, en réduisant le bénéfice des droits non contributifs,… Là où J.-P. Delevoye et d’autres, appuyés par certaines organisations syndicales, prônent de laisser faire la réforme systémique qui réduira par construction, en un peu plus de temps mais sans risques politiques apparents pensent-ils, la part de la richesse produite consacrée à la rémunération des pensions.
Si ce débat en apparence technique et d’experts peut donner le sentiment d’approches différentes à droite, l’illusion fait long feu lorsqu’on analyse les deux types de propositions. Si chacun en France a déjà pu faire l’expérience amère des réformes paramétriques, qui ont reculé l’âge légal de départ en retraite ou l’âge du bénéfice d’une retraite à taux plein, réduit le montant des pensions de base et le pouvoir d’achat des pensions, durci les conditions d’octroi des droits non contributifs, le fondement de la réforme systémique proposée par J.-P. Delevoye au gouvernement travaille une amplification des régressions et une volonté de reconfigurer notre système de retraite solidaire et par répartition, pour lui substituer un principe contractuel tourné vers la capitalisation.
Clairement, la réforme déposée sur le bureau de Matignon par J.-P. Delevoye affirme la conception de classe d’un système de retraite au service du capital. à l’instar de la logique qui affecte tous nos services publics, elle amplifie la réorientation de la dépense publique et sociale vers la rémunération du capital. Il ne s’agit plus de répondre aux besoins de la population, mais bien d’assurer que la richesse produite soit, autant que faire se peut, consacrée à la rémunération du capital. La réponse collective aux besoins sociaux ne doit pas peser sur la croissance des profits, quitte à réduire le niveau de cette réponse et refonder sa nature. La part de la richesse produite consacrée au financement des retraites doit donc être cantonnée à un niveau qui ne gênera pas cette croissance. Et pour cela, il faut se débarrasser du modèle actuel et se doter d’outils institutionnels qui assureront une limitation pérenne du niveau des pensions.
C’est ce que fait la réforme systémique proposée par le gouvernement. En posant comme hypothèse de construction du système que la part du PIB consacrée aux retraites ne devra plus dépasser 14 % (il est de 13,8 % aujourd’hui), et cela malgré la hausse du nombre de retraités à venir qui fait dire au Conseil d’orientation des retraites qu’à périmètre de prestations constant il faudrait y consacrer 16 % de PIB en 2050, la réforme proposée entérine sciemment une réduction du niveau des pensions par tête et l’obligation pour les retraités (présents ou futurs) de recourir à d’autres formes de revenus pour compenser le manque. Elle met ainsi fin par construction à toute référence à un âge légal de départ à la retraite, à toute durée de cotisation requise pour un départ à taux plein, au principe de solidarité intergénérationnelle et interprofessionnelle, et même au principe de répartition. Quel que soit le format qui sera adopté (retraite par points, dont la valeur varie en fonction des besoins d’équilibre financier du système ; retraite par comptes notionnels dont le modèle est la rente viagère), c’est bien une réforme systémique qui est visée dont l’objectif est de mettre à bas les grands principes de 1945.
Cette réforme fait bien évidemment écho à toutes les attaques contre nos services publics locaux et nationaux, comme à toutes les attaques contre la Sécurité sociale et l’Assurance chômage. Elle constitue une nouvelle atteinte, profonde et grave, contre notre modèle social, et tout particulièrement ses dimensions progressistes. Néanmoins, l’ampleur de cette attaque oblige à lever le niveau de la riposte. Le retour au passé, fut-il celui du CNR, n’y suffira pas. Il y a besoin d’inventer un nouveau système des retraites (et de Sécurité sociale) pour notre temps, qui réponde aux conditions économiques, sociales, sociétales et démographiques d’aujourd’hui en prolongeant l’esprit et les valeurs des créateurs de la Sécurité sociale de 1945.
SOMMAIRE
- Réforme des retraites. Contre le projet de démolition Macro-Delevoye, imposer une nouvelle innovation sociale et démocratique par Frédéric Boccara
- Une nouvelle étape dans la destruction du modèle social français et la construction d'un modèle utlra-libéral- , par Catherine Mill
- Cadrage général de la bataille pour les retraites, par Frédéric Boccara
- Réforme Macron des retraites : éléments de décryptage par Frédéric Rauch
- Réforme Macron : une réforme qui vient de loin par Gisèle Cailloux
le 02 August 2019
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