Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Rentrée sociale : Quatre questions à Jean-Christophe Le Duigou

Jean Christophe Le Duigou, secrétaire de la CGT dans un interview à Econom ie et politique s’exprime sur les grandes questions de la rentrée :

Emploi : « On n’atten d pas seulement des syndicats qu’ils dénoncent une situation insupportable. Nous avons à proposer des axes d’inter venti ons , des objecti fs de bataille afin de constr uire des solutions »

Financement de la protection sociale : « La priorité est …pour la CGT la réforme du mod e de calcul de la contr ibu tion des entre prises »

Convergences de luttes : « la pure criti que divi se alors que le débat sur le s propositions et le contenu des réformes à entre pren dre aident à clarifier et à unir »

Initiatives de rentrée : « Nous nous to urnon s résolument ver s le s salariés pour examiner les conditions de l’acti on (les objecti fs, les moyen s, le calendrier) et continuer à poser le pro blème de l’unité qui est inconto urnable ».

Econom ie & Politique : On const ate une dégradation de la conjoncture et de l'emploi en France et en Europ e. Quelle est l'app réc iation de la CGT ? Face à ces difficultés, quelle s mesures conjoncturelle s et str ucturelle s précon isez-vous pour y faire face ?

La situat ion de l’emploi se dégrade profondément avec des consé quences sociales dramat iques. Dans de nom breux secteurs industr iels (métau x, électr onique, textile, mécanique …) c’est l’emploi ouvrier qui est mass ivement touché . Mais le recul frappe auss i les ser vices , le commer ce, la fonct ion publique … Quelles que soient les manipulations stat istiques le chômage s’accr oît désorma is régulièrement depuis 2002. Plus démonstrat if encor e est l’évolution de l’emploi. L’em ploi tota l comme l’emploi dans le secteur privé n’avait cessé d’augmenter depuis 1993, lentement jus qu’en 1996, plus nettement après. Il a plafonné en 20012002. Désorma is il recule. La France s’est mise à détru ire plus d’emplois qu’elle n’en créa it !

Les entr eprise se sont lancées depuis un an les unes après les autr es dans des programmes de restructurat ion et de recherche de com pétitivité qui ont eu pour consé quence de rédu ire les effect ifs des grands groupes mais auss i, ce qui est moins visible, de peser sur les sous-traitants et fourn isseurs . La consommat ion des ména ges qui jusqu’à là soutena it a minima la croissance s’est à son tour ralentie. Le taux d’épargne a atte int un sommet de 17,3% alors que le taux d’utilisation des capacités productives dans l’industr ie plafonne à 82%.

Dans ce conte xte inquiétant le gouvernement a pris de mauvaises décisions qui ont amplifié l’effet du ralentissement conjonctur el sur l’emploi : les aides publiques ne sont plus con ditionnées par des critèr es d’em ploi ; la protect ion contr e les licenc iements a été rédu ite ; le tra itement social du chômage a été amputé … La « nou velle éta pe de la politique de l’emploi » annoncée à l’automne 2002 se révèle un fiasco pour lequel on deman de aux salariés de régler l’addition.

Ce constat acca blant est cependant insuffisant . Si l’emploi est au plus mal, c’est pour des raisons structur elles. La mau vaise con jonctur e ne d oit p as nous cac h er les problèmes de fond qui n’ont pas été tra ités depuis 20 ans et qui nous écrasent aujour d’hui. Le taux d’activité des hommes baisse de 10 points en deux décenn ies. Celui des femmes n’augmente que de 5 points . Au tota l, comme nom bre de pays européens , nous nous situons à un niveau structur ellement bas. D’apr ès nos propres est imations c’est 22% de la population qui est aujour d’hui écar tée de l’accès à un véritab le emploi. Cela représente environ 5 millions de personnes : femmes , jeunes , salariés âgés, ouvriers et personne ls des ser vices précar isés sont parmi les plus touchés .

La CGT enten d ouvrir ce vaste chantier. Il ne s’agit pas de baisser les bras dans les actions contr e les licenc iements et les suppr ess ions d’emplois injust ifiées qui s’accumu lent en cet automne , mais de tra vailler à un ca dre d’act ion permettant de rassemb ler tous les salariés dans la bata ille pour un nouveau plein-emploi. On n’atten d pas seulement des syndicats qu’ils dénoncent une situat ion insu pportable. Nous avons à proposer des axes d’inter ventions, des objectifs de bataille afin de constru ire des solutions aux problèmes que rencontr ent les tra vailleurs . Nous sommes atten dus sur ce terra in alors que tout a été fait pour entr eten ir le fatalisme . La solidarité doit se reconstru ire autour de l’objectif de l’accès au tra vail et à l’emploi. Les recettes d’hier ne marchent pas. Les discours ne changent rien. Nous avons besoin de bata illes audacieuses et de réformes profondes.

L’industr ie et les ser vices à la production ne sont pas con damnés à dispara ître des terr itoires. On voit avec l’affaire Comilog à Boulogne le désastr e que cela représente rait. Nous réuss irons à mainten ir et développer une activité productive en Europe qu’en dégageant de nouvelles sour ces d’efficac ité. Tout le monde ne fera pas dema in de la recherche ou des hautes techno logies. En revanc he produire exigera de meilleur es qualificat ions , une recherche efficace , une nou velle organisation du tra vail, des finance ments adaptés, la construct ion de solidarités européennes , la redéfinition des droits et des responsa bilités des salariés qu’ils tra vaillent dans le privé comme dans le public, face aux directions et aux actionna ires.

Cette bata ille va de pair avec celle d’une « nouvelle sécurité sociale profess ionne lle » telle que l’a avancée Bernar d Thibault.

E&P : Comm e pour la retr aite, le gouvernement enten d s' a ppu yer su r le défici t impor t ant de l' assu r ance maladie pour engager la réforme de cette branche de la sécurité so ci ale. Quelle alter native la CGT avance-telle , not amment sur le financement , pour améliorer la qu alité de la couver ture sociale de la population face aux nouveaux besoins ?

Je ne pose pas le problème tout à fait en ces termes . Le déficit de l’assurance maladie n’est pas une créat ion gouvernementa le. Là, comme pour l’emploi, nous nous heur tons à un problème structur el qui est aggravé par la conjonctur e. La croissance des dépendances médicales est en tendance de 5% par an. Nous avions d’ailleurs avancé cette hypothèse , dans « Economie et Politique » au milieu des années 80 ! Elle s’est globalement vérifiée. Les beso ins, leur meilleur e cou ver tur e, les projets techno logiques expliquent cette tendance qui se confirme quels que soient les plans success ifs d’économ ie appliqués.

La croissance économ ique a été tendanc iellement bien inférieur e à ce chiffre. C’est donc logiquement que les dépenses de santé ont vu leur par t s’accr oître dans le PIB. L’ass iette des contr ibutions qui, quelle que soit la place prise par la CSG, demeur e pour l’essent iel les salaires a beaucou p moins augmenté . D’où ce problème structur el de financement . Mais je sout iens que malgré des dégradations insu pp or tab les, notr e système collect if de santé demeur e l’un des plus performants .

Il y a quatr e quest ions auxquelles il faut cependant d’urgence répondr e si l’on veut éviter la main basse des intérêts privés sur le système de santé . La Santé est tout à la fois essent ielle dans la réponse aux besoins sociaux et décisif en tant que secteur économ ique et d’act ivités d’avenir. Il est nécessa ire tout d’abord de s’atte ler à la définition d’une politique de santé publique. Il y a car ence en ce domaine comme l’ont montré les récentes catastr ophes : sang contam iné, SIDA, décès des personnes âgées cet été… Une politique de santé c’est l’express ion des besoins et des priorités mais auss i la con dition d’une évaluation de l’efficacité du système collect if. C’est en un mot la charpente sur laquelle pourr ont ensu ite s’app uyer les autr es politiques : l’act ivité méd icale, la prévention, l’éducat ion sanitaire, l’accue il des anciens, le tra itement des handicaps…

Il faut ensu ite des out ils de régulation. Dès 1995 la CGT avait dit que régulation com ptable et régulation médicale avaient tout à tour fait faillite. Il faut une régulation sociale qui suppose là auss i de mettr e de la démocrat ie dans les inst itut ions . Etatisation et privatisation guettent comme les dimens ions com plémenta ires d’une remise en cause

du système . Nous ne nous y réso lvons pas. Il faut sans doute discuter de la gouvernance des inst itutions médicales et de santé . Il faut sur tout démocrat iser l’élaborat ion annue lle de la loi de financement de la Sécur ité sociale. Pour quoi pas lui appliquer les principes d’une rée lle démocrat ie par ticipative ?

En troisième lieu il faut développer un nouveau type de prévention visant à freiner la médicalisat ion des problèmes sociaux et sociétau x. Nous le vivons concrètement à par tir du tra vail et de l’entr eprise où l’on voit au fil du temps les problèmes de con ditions d’emploi et de tra vail se trans former en problèmes médicaux et en arrêts de maladie. Les França is sont les personnes qui consomment le plus d’antianxiolitiques . Mais nous sommes auss i le pays où la productivité du tra vail est la plus for te après les Etats-Unis. N’y a-t-il pas un lien ? N’est-ce pas un problème à tra iter ? Enfin il y a la quest ion du financement qui est capitale. Comment peut-on assur er des ressour ces en croissance ? Nous n’écar tons pas bien sûr le beso in d’augmenter le taux des contr ibutions à con dition que cela corr esponde à une couverture en amé liorat ion des besoins. La priorité est cependant pour la CGT la réforme du mode de calcul de la contr ibution des entr eprises. Nous est imons indispensab le de mainten ir un large financement des politiques de santé à par tir des entr eprises : ces dernières sont en effet largement bénéficiaires de ces dépenses ; un financement à par tir de la production est plus efficace . Nous proposons de tenir com pte de l’évolution de la valeur ajoutée et des salaires de manière à ne pas pénaliser l’effor t de créat ion d’emploi et d’améliorat ion des rémunérat ions .

E&P : L' accumu l a tion et l a dive r s ité des conflits sociaux ne sont-il pas révé lateurs d'un malaise profond de la société française ? Face aux tent ative s de divi sions comm ent favoriser le s convergence s de lutte s néce ssaires sur des alter native s de progrès ? Un projet d’ensemble n’est-il pas néce ss aire ?

La société frança ise souffre en profondeur. Les consé q uences d’une s ituat ion économ iq ue d égradée , les exigences excess ives de renta bilité que portent depuis des années les mar chés financ iers créent une situat ion très difficile. Les salariés vivent l’exposition aux risques de tous ordres sans réelles pers pectives d’avenir. Les secteurs les plus fragiles sont littéra lement écrasés , d’autr es décrochent. Seuls les plus favorisés voient dans les évolutions quelque chose de favora ble.

Il faut mesur er cette situat ion, toucher du doigt les divisions et les clivages profonds qui ont été ainsi engendrés avant de pouvoir s’atta quer à la construct ion d’un projet. Se projeter dans l’avenir est un luxe quan d on ne sait pas vraiment de quoi sera fait le jour suivant ! Cette situat ion n’implique-t-elle pas de réfléchir à notr e conce ption de la trans format ion sociale ? Résultera-t-elle de l’application d’un projet pré-élaboré ? J’en doute , sinon à renvoyer à bien plus tar d les solutions qui sont urgentes . En un mot n’estce pas dans la pratique qu’il faut aujour d’hui appor ter des réponses fondamenta les. Cela permettra ensu ite d’amplifier le débat sur le projet en construct ion, pour revenir enfin à la démar che concrète .

L’attente d’un projet ne peut en aucune manière paralyser l’inter vention syndicale qui doit se développer. Bien qu’ils ne soient pas dépolitisés les salariés ne sont pas d’abord préoccu pés par le débat politique. Ils ont vécu 25 ans d’alternance , avec les changements success ifs de majorités et de gouvernements . Ils ne sont pas aujourd’hui convaincus que c’est d’abord à ce niveau que résident les solutions. Ils l’ont clairement dit le 21 avril 2002. Nous ne sommes pas, loin s’en faut , sor tis de cette crise.

Le mouvement revendicatif, s’il ne peut pas tout faire, doit contr ibuer à clarifier quelques quest ions . Il faut en effet com battr e le fata lisme et dépasser l’opposition public/ privé et les clivages caté goriels qui font beaucou p de mal. Oui ou non, reprend-on l’idée « d’émanc ipation du tra vail » ? Ce n’est pas une interr ogation théor ique. Trans former le travail, l’enrichir par la format ion, promou voir des mob ilités positives, rédu ire la press ion du chômage, c’est se distinguer de la logique de « fin du tra vail », comme de l’approche libéra le. C’est auss i redonner espoir aux millions de salariés aujour d’hui menacés .

Est-on d’accor d avec la pers pective de construct ion de solidarités for tes en Europe et à l’échelon mond ial ? Ce qui suppose des inst itut ions, des régulations et pas seulement la dénonc iation de ce qui existe. En tout cas en tant que syndicalistes nous avons à assumer nos responsa bilités au cœur des firmes multinationales dont il est trop peu question dans le débat public.

Enfin sommes nous d’accor d sur le fait que les processus de trans format ion doivent demeur er sous la responsa bilité des salariés et des citoyens eux-mêmes sans s’en remettr e à une « nouvelle avant-garde éclairée » ? La CGT pose for tement la quest ion de la démocrat ie sociale. Cette revendication est curieusement peu relayée au plan politique. Elle est pour tant essent ielle.

J’en reviens à un constat essent iel : la pure critique divise alors que le débat sur les propositions et le contenu des réformes à entr epren dre aident à clarifier et à unir. Au printem ps, comme en cette rentrée la CGT s’efforce de faire des propositions. Cette préoccu pation est au cœur de notr e démar che revendicative.

E&P : La majorité gouver nement ale et le Medef ont présenté le vote de la loi sur le s retr aites comm e une vict oire sur le mou vement social l'enc our ageant à poursuivre dans le même sens ses réformes. Quelle est votr e appréciation et quels sont le s propositions et le s initiative s que vous pro posez pour la rentrée ?

Je vois sur tout un gouvernement aux prises avec beaucou p de contra dictions . Il a tellement gagné sur le doss ier des retra ites qu’il doit reculer sur tous les autr es ! Il parle de concer tat ion. Nous ne sommes bien sûr pas dupes de la man œ uvre. Le gou vernement ne change pas pour le moment d’objectif. Il a dû provisoirement reculer sur le statut d’EDF-GDF. Il a repris une par ticipation significative dans Alstom pour em pêc her le dépôt de bilan. Il a dû amor cer un sens ible ajustement sur l’éducat ion ; la réforme de la santé est différée … je n’allongerai pas la liste . Il est clair que le passa ge en force sur le doss ier des retra ites , alors que le mouvement revendicatif demeura it for t, laisse des traces .

C’est à nous d’appr écier cette situat ion pour déterm iner notr e démar che d’action. Marc Blondel ne voit pas de véritab le mob ilisat ion, Sud entr etien le pess imisme et parle « d’échec du mou vement du printem ps » ! La CFDT doit renforcer sa critique vis à vis du gouvernement . L’em ploi s’impose comme quest ion majeur e alors que la crise des finances publiques s’amplifie. Nous nous tournons réso lument vers les salariés pour discuter de toutes ces quest ions, examiner les con ditions de l’act ion (les object ifs, les moyens, le calendrier) et cont inuer à poser le problème de l’unité qui est incontourna ble.

Les rendez-vous sont multiples : les retra ites com plémenta ires ; la négociation sur la format ion profess ionne lle ; celles sur « l’accom pagnement des restructurat ions » ; le projet de loi de finances , le futur projet de loi de financement de la sécur ité sociale. Mais nous ne voulons pas subir un calendrier qui nous est imposé .

Le 9 septembr e nous nous sommes adressés à des centa ines de milliers de salariés du privé pour les informer du contenu des négociations AGIRC-ARRCO et leur proposer des actions. Le 4 octo bre se tiendra à Rome une manifestation européenne sur les revendications sociales (retra ites, emploi, droits des salariés) à l’occas ion du Sommet des chefs d’Etat. Pour le 8 octo bre se multiplient des décisions d’actions d’entr eprises et de branc hes à l’occas ion d’une réun ion ministér ielle sur l’emploi. Cette journée peut-elle devenir un véritable rendez-vous revendicatif de la rentrée ? Si les salariés le souha itent la CGT est prête à amplifier la mob ilisat ion.

Les trois sema ines qui viennent vont êtr e essent ielles pour déterm iner démocrat iquement la straté gie revendicative en cet automne . Mais l’att itude du gouvernement et du Medef, leurs choix, seront auss i déterm inants pour la suite des événements .

 

Rentrée sociale : Quatre questions à Jean-Christophe Le Duigou

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