Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Présidentielle : le programme de Marine Le Pen

Les vociférations de Marine Le Pen et du Front national contre le « mondialisme », notamment lors du meeting du 5 février à Lyon de présentation de 144 engagements, visent essentiellement à voler au secours d’un système. C’est bien ce système pourtant, le système capitaliste, aujourd’hui financiarisé et mondialisé qui est responsable du chômage, de la mal vie, de l’affaiblissement de la France en Europe et dans le monde. Pas les immigrés, pas les musulmans. En raison même de cette responsabilité on peut affirmer que l’on ne pourra sortir de la crise actuelle que si l’on met en œuvre des mesures permettant de se désengager d’un tel système. Ce que le FN et sa dirigeante se gardent bien de proposer. Comme le montre l’analyse de ses principaux thèmes de campagne dans le domaine économique et social.

Le capitalisme n’existe pas, vive Trump !

Pour eux, le capitalisme n’existe pas, pas plus que sa crise, ou le défi des nouvelles technologies. Tout cela disparaît derrière l’anonymat d’une formule passe-partout : « le mondialisme économique et financier » et son pendant, « le mondialisme islamiste » qui menaceraient tout autant « l’identité française ». C’est ainsi que Marie Le Pen, à Lyon, dénonce cette « alliance puissante entre la promotion de la mondialisation sauvage d’un côté et l’inaction coupable, voulue même, face à l’immigration incontrôlée et sa conséquence directe, l’installation du fondamentalisme islamiste. »

La suprématie du dollar dans les relations internationales ? Il n’en est jamais question. Le rôle de Wall Street et des banques américaines, de la banque centrale des États-Unis au sein des marchés financiers ? Pas question de l’évoquer. On comprend qu’elle puisse saluer Trump et les « loups de Wall-Street » dont il s’entoure après qu’il ait promis de les combattre ! Marine Le Pen et le FN tentent de cultiver l’art du trompe-l’œil et du faux-semblant !

Sécurité sociale : les bricolos.

On le voit particulièrement avec les propositions du FN concernant la sécurité sociale. Pour « la garantir pour tous les Français ainsi que tous les risques pris en charge par l’assurance maladie » (engagement n° 65), pour « maintenir au maximum » le système hospitalier public de proximité (n°68), « créer un cinquième risque de Sécurité sociale consacré à la dépendance » (n°69), il faut pouvoir dégager plusieurs dizaines de milliards d’euros de ressources supplémentaires.

Pour satisfaire l’ensemble des besoins de santé de la population et pas seulement des Français, en allant au-delà des objectifs minimalistes et en repoussant les propositions discriminatoires du FN, il faudrait engager une réforme radicale de l’ensemble système de protection sociale et de son financement. Il s’agit d’instituer un type de prélèvements sociaux sur les richesses créées à l’entreprise qui incite à la création d’emplois utiles et dissuade les prélèvements financiers. Plus d’emplois, plus de richesses nouvelles, des économies sur le coût du capital (sur les dividendes, les frais et intérêts financiers, les rémunérations des grands dirigeants), c’est plus de cotisations pour la sécurité sociale.

Plutôt que de s’engager en faveur d’une telle réforme, plutôt que de s’attaquer au capital et à la finance, le FN propose aux Français un petit bricolage, à la fois honteux et ridicule. Il fait de la suppression de l’Aide médicale de l’État (AME), prestation destinée à prendre en charge les dépenses médicales des étrangers en situation irrégulière sur le territoire français, la pierre angulaire de son dispositif. « Nos prestations sociales, parce qu’elles sont distribuées à ceux qui viennent du monde entier, sont en passe de ruiner nos systèmes sociaux au détriment de nos compatriotes en difficulté », déclare Marie Le Pen dans son discours de Lyon du 5 février.

Les dépenses occasionnées par l’AME se chiffrent entre 800 et un milliard d’euros. Le FN ajoute à cette « économie » quelques mesures administratives mais, au total, de façon évidente cela ne fait pas le poids pour répondre aux besoins et c’est de plus inhumain et dangereux. Le FN s’en prend aux étrangers mais pas touche aux groupes du CAC 40, pas touche à la finance ! Pour être la « candidate du peuple », comme elle l’affirme, contre la « droite et la gauche du fric », il faudrait que Marine Le Pen aille chercher le « fric » où il est : dans les groupes, les multinationales, les banques et compagnies d’assurance, les fonds d’investissement, dans la finance !

Pouvoir d’Achat, temps de travail : l’arnaque.

Autre disposition qui éclaire l’engagement de Marine Le Pen et du FN en faveur du capital. Ils proposent d’instaurer une « Prime de Pouvoir d’Achat (PPA) à destination des bas revenus et des petites retraites (pour les revenus jusqu’à 1 500 euros par mois), financée par une Contribution Sociale sur les importations de 3 % ». Il est pourtant évident que les importateurs vont répercuter le coût de cette taxe sur les acheteurs de leurs produits et donc aussi sur les bénéficiaires de la PPA. C’est dire que ce sont les travailleurs et pas les employeurs qui vont financer de leur poche cette prétendue prime. Sacrée mesure de justice sociale !

Le patronat de son côté ne va pas gâcher l’opportunité que lui offre le PPA : ce que l’État donne d’une main aux « bas revenus et aux petites retraites », il va tout faire pour le reprendre à l’entreprise et au niveau de la Sécurité sociale en bloquant, voire en baissant les salaires et les pensions.

Derrière le nuage de fumée, l’engagement anti-salarial et antisocial de Marine Le Pen est réel. Ainsi, en juillet 2016, dans « Valeurs actuelles », elle assure n’avoir « jamais proposé une augmentation du Smic ». Et elle n’est plus sûre de rétablir la retraite à 60 ans : elle précise en effet que si « récupérer les dépenses exorbitantes de l’immigration, de la fraude sociale, de la décentralisation anarchique » ne suffit pas à « accorder un départ à 60 ans [pour] quarante ans de cotisations, alors nous nous tournerons vers les Français en leur disant la vérité », lance-t-elle, persuadée que « les Français accepteront les sacrifices qu’on leur demandera ».

Dans ses 144 engagements, MLP propose de « maintenir la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures » avant d’ajouter aussitôt, en totale contradiction, qu’elle autorisera « l’allongement du temps de travail » malgré tout, mais « exclusivement au niveau des branches professionnelles et à la condition d’une compensation salariale intégrale ». Bien avant la loi El Khomry, elle était d’ailleurs pour « autoriser la négociation (à la fois) par branche et par entreprise » de la durée du travail et en juillet 2016, elle déclarait sur BFM TV : « Les 35 heures ont été une erreur majeure ». A la suite de Sarkozy, elle est toujours favorable au rétablissement du système d’heures supplémentaires défiscalisées.

Ainsi, les objectifs sociaux affichés sont-ils mensongers. On peut par exemple se demander quelles coupes sont dissimulées derrière cette formule volontiers floue : « maintenir au maximum » le système hospitalier public de proximité ?

Une nouvelle baisse de la fiscalité et des cotisations patronales

MLP envisage de réduire à nouveau les cotisations et la fiscalité payées par les TPE-PME et de pérenniser un CICE qui profite surtout aux banques et aux grandes entreprises. Une nouvelle fois, elle ne conditionne pas les aides publiques à des critères de développement social et écologique. De plus, elle se garde bien de dire comment sera compensé le manque à gagner. Cela annonce-t-il de nouveaux prélèvements sur les familles populaires ou une baisse des dépenses publiques et sociales ? MLP se prononce par ailleurs en faveur du maintien de la CSG.

Le FN et MLP ont la culture du flou qui cache de gros loups. Ils proposent ainsi de « remettre de l’ordre dans nos finances publiques par la fin des mauvaises dépenses publiques (notamment celles liées à l’immigration et à l’Union européenne) ». En dehors du caractère fallacieux de cette affirmation, celle-ci laisse entendre qu’il y aurait d’autres « mauvaises dépenses publiques », lesquelles ?

Le pipeau du protectionnisme

MLP prône « la mise en place d’un protectionnisme intelligent » et d’une taxation des importations. Tout donne à penser que si la France, sortie de l’Union européenne, s’engage dans cette voie, les autres pays qui commercent avec elle en feront tout autant. Or, notre pays est un grand exportateur de biens et de services, bien plus, par exemple, que les États-Unis, proportionnellement. Les exportations françaises représentent 27 % du PIB, contre seulement 14 % pour celles de nos amis américains.

Par ailleurs les grands groupes français ont considérablement délocalisé leur production. Les ventes des filiales installées à l’étranger des groupes français s’élèvent à 1 400 milliards d’euros (69 % du PIB), soit près de quatre fois plus que leurs exportations depuis la France !

Selon une étude de l’Insee[1], les sociétés qui délocalisent sont le plus souvent exportatrices ou déjà présentes à l’étranger par le biais de filiales. Presque toutes appartiennent à un groupe et délocalisent en majorité au sein de ce dernier. L’étude relève notamment que la propension à délocaliser augmente avec la taille de la société et que la destination privilégiée des délocalisations est l’Union européenne des quinze (UE15), suivie de l’Afrique et des nouveaux États membres de l’Union, puis de la Chine et de l’Inde. C’est à cela qu’il faut s’attaquer !

Qui donc a rendu la balance commerciale automobile française déficitaire depuis 2008 ? Renault et Peugeot bien plus que Volkswagen. Qui importe les produits textiles et d’habillement bon marché de Chine, du sud-est asiatique ? Ce sont les groupes français et européens de l’habillement, et les géants de la distribution, Carrefour, Auchan, Leclerc.

En vérité, c’est en amont qu’il faut intervenir, au niveau des entreprises, en promouvant la formation, les qualifications, l’innovation, la recherche, la maîtrise et le développement des nouvelles technologies, de l’investissement, en réduisant le coût du capital. Ce n’est pas en mettant des barrières de tous côtés tout en laissant les grands groupes capitalistes gérer les entreprises comme ils l’entendent, avec pour seul objectif celui de faire le maximum de fric que l’on y parviendra. L’établissement de droits et de pouvoirs nouveaux des salariés et des populations à l’entreprise est la condition première pour permettre un rééquilibrage de nos échanges extérieurs, un développement de l’emploi et de la production efficaces à l’intérieur.

Nouvelles technologies

Dans ses 144 engagements, MLP multiplie en ce domaine les propositions : « Assurer la protection des secteurs stratégiques et porteurs », « Créer un fonds souverain », un « secrétariat d’État dédié aux mutations économiques », « Promouvoir les secteurs stratégiques de la recherche et de l’innovation, en augmentant la déductibilité fiscale des dons », « Augmenter de 30 % le budget public de la recherche (pour le porter à 1 % du PIB ».

Dans ces engagements il y a aussi celui de « faire de la France une terre d’innovation », notamment grâce au Crédit d’Impôt Recherche alors que l’absence de conditionnement de celui-ci explique son peu d’efficacité. Dans toutes les activités (industrie, recherche, formation, …), la question des critères d’attribution des aides publiques aux entreprises est décisive.

Les banques, le crédit, les grands oubliés de Marine Le Pen

L’incapacité du FN et de Marie Le Pen à garantir un financement crédible de leurs promesses sociales tient au fait que pour eux l’État est au centre de tout. « Nous voulons un État fort », dit Marie Le Pen, mais son État, c’est plutôt un État « fort en gueule », sans véritable moyens, seulement capable d’exclure et de discriminer. Comment répondre au besoin de logements sociaux, comment permettre à chacun de disposer d’un bon emploi ? Il suffirait d’écarter les immigrés et de revenir au franc ? La « monnaie nationale » et la « priorité nationale » à l’embauche, au logement et même à l’inscription dans une équipe de foot seraient les potions magiques. Une fois de plus on écarte les autres, les autres peuples, les autres habitants, les autres travailleurs. La coopération, la solidarité, le FN ne connaît pas.

Les banques, le crédit peuvent pourtant être des outils décisifs de financement de la croissance, de l’emploi, de la recherche, de la formation et pas seulement des dépenses de l’État, surtout pas celles visant à militariser le pays, montrer ses muscles et construire des prisons. MLP propose que dans le cadre d’une restauration de la « souveraineté française »,  l’on sorte de notre dépendance aux marchés financiers en « autorisant le financement direct du Trésor par la Banque de France ». Mais si c’est pour permettre de relancer la course aux armements en doublant le budget de la Défense d’ici la fin du quinquennat ou de mettre une partie de la jeunesse en prison, ce sera contre-productif.

Pour rééquilibrer la puissance allemande, permettre des rattrapages, faire face à l’hégémonisme états-unien, à celui du dollar, pour changer le système monétaire international au profit de toute l’humanité, le recours à l’échelon européen, à la BCE, à sa formidable capacité de création monétaire, à son pouvoir d’influence sur les banques afin qu’elles proposent aux entreprises un crédit conditionné à la création de richesses, d’emplois, au développement de la formation et de la recherche sera, dans les conditions actuelles, bien plus efficace

La sortie de l’euro ne figure pas explicitement dans les 144 engagements, mais elle est en filigrane. Là encore, c’est une façon de dédouaner les grands groupes européens, les marchés financiers de Francfort, Londres et Paris. Si l’Europe et les européens vont mal ce serait la faute de la monnaie unique mais pas de son utilisation exclusive en faveur de la finance et des multinationales. Bayer, BNP Paribas, Volkswagen, Amazon, Sanofi, Axa, Procter & Gamble, Peugeot, Exxon Deutsche Bank, … peuvent exploiter et spéculer à leur gré mais en francs.

La création monétaire est aujourd’hui au service des marchés financiers, des spéculateurs et des multinationales, accaparée par l’oligarchie et il ne suffit pas que la banque centrale finance le budget de l’État pour que cela cesse.

Des salariés, des travailleurs sans pouvoir à l’entreprise et dans le pays

La démocratie ne se réduit pas aux référendums surtout quand c’est le FN qui pose les questions. Ce dernier fait semblant d’être attentif aux droits du patronat des PME mais n’en propose aucun aux salariés au sein de l’entreprise. Abroger la loi travail ne suffit pas pour rééquilibrer les pouvoirs entre les détenteurs de capitaux, leurs employés et les populations.

Face au capital et aux groupes du CAC 40, il y a besoin de sécuriser tous les travailleurs, de leur permettre d’opposer des alternatives aux plans sociaux, aux délocalisations, d’intervenir sur l’utilisation de l’argent, les investissements, les process de production. Les sécuriser c’est aussi faire du CDI la norme d’embauche,  c’est assurer des emplois pour les jeunes, mettre fin aux discriminations de sexe ou d’origine. C’est surtout d’éradiquer le chômage, permettre à chaque salarié de disposer d’un emploi correct ou une formation qualifiante avec maintien du revenu.

Nulle part l’on trouve dans le programme du FN ou dans les déclarations de MLP de propositions permettant de donner du pouvoir aux salariés, aux simples gens. Tout au contraire, dans ses 144 engagements, elle reprend la revendication patronale d’une réduction du « nombre des obligations administratives liées au seuil social de 50 salariés » et d’une fusion « des institutions représentatives du personnel entre 50 et 300 salariés …en une structure unique », ce qui aboutirait à réduire la capacité d’intervention des élus des salariés.

Elle ne propose (discours de Fréjus du 18 septembre 2016) qu’une seule chose : prolonger l’association capital-travail et que les salariés « soient associés en capital » avec leurs patrons Il n’est pas question pour nos trublions d’extrême droite de s’attaquer aux privilèges de la grande bourgeoisie sur la gestion des entreprises, des institutions, sur celle de l’argent. Pas touche !

Enfin, quand il y a lutte des classes, le Front national ne se trompe jamais de camp. Lors de la lutte contre la loi El Khomry, MLP s’en est pris à la CGT et FO. De la même façon qu’en juin 2014 elle a dénoncé les organisations syndicales de cheminots lors de la grève du rail. Depuis toujours il a choisi son camp.

 

 

 



[1]« Chaînes d’activité mondiales : Des délocalisations d’abord vers l’Union européenne », Insee Première n°1 451, juin 2013.

 

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