Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Jean Gadrey et le revenu de base (Fiche)

Jean Gadrey, pour sa part, reste très dubitatif sur le revenu de base. Sur son b log de Mediapart, il s’interroge sur le soutien de nombreux médias et personnalités de gauche : Politis, Alain Caillé et une bonne partie des « Gorziens », des Maussiens, des Verts, de Nouvelle Donne, d’Utopia, certains au PG, etc. Ce revenu de base porte des noms multiples : d’existence, inconditionnel, universel, garanti, etc.

Pour éclaircir cette question, Il renvoie notamment à l’entretien, entre Baptiste Mylondo et Jean-Marie Harribey : « Revenu inconditionnel : quand je joue à la belote avec mes voisins, est-ce que je crée de la valeur ? ».

Il s’interroge sur la tribune de Libération du 12 novembre 2015 intitulée : « Pour un revenu universel inconditionnel ? », signée par des gens de tous bords. Mais il relève que cinq des huit signataires (sept hommes et une femme) se rattachent clairement à la pensée libérale, ou très libérale, au sens économique du terme. C’est le cas pour le think tank Générations libres, présidé par Gaspard Koenig ancienne « plume » de Christine Lagarde puis employé par la BERD. Les membres du CA et les experts de ce think tank sont aussi bien libéraux. Parmi eux : Augustin Landier (Toulouse School of Economics, il avait créé en 2007 un hedge fund aux états-Unis), François Ewald (un proche de Denis Kessler), Jean-Paul Betbeze, et Marc de Basquiat, signataire de la tribune de Libé, avocat connu du revenu de base dans sa variante minimale : le RSA pour tous.

Parmi les autres signataires : le président de la fédération des auto-entrepreneurs, mais aussi Lionel Stoleru (Polytechnique, Crédit Lyonnais puis proche conseiller de Giscard, puis proche des socialistes, puis soutien de Sarkozy en 2007…) ; Jean-Marc Daniel, X aussi, économiste libéral médiatique adorateur de la concurrence, épinglé par Denis Clerc dans la revue L’économie politique d’avril2015. Il est également partisan de la flat tax, impôt à taux unique entre la solution « simple » de la flat tax et la solution « simple » du revenu de base identique pour tous, il y a sans doute un lien et un mode de pensée, comme le suggère à juste titre Jean Gadrey.

Cette tribune de Libé commence par dénoncer la « complexité, la lourdeur et le coût de la protection sociale en France », avec son « empilement » de dispositifs d’aides ciblées, souvent sous conditions (une « Inquisition publique » !), pour argumenter en faveur d’un « flat basic income », revenu de base universel et inconditionnel. De façon simpliste et pseudo radicale, on va dans cette tribune jusqu’à déclarer : « Plutôt que de cibler des individus pour traiter inégalement la pauvreté, ciblons la pauvreté en traitant également tous les individus. »

C’est une remise en cause du principe de « l’action positive » : faire plus pour ceux qui en ont le plus besoin. C’est une déclaration de refus du « ciblage » or ce ciblage, selon Jean Gadrey, peut être efficace dans la mise en relation des protections collectives et des besoins. C’est la mise en exergue « d’un égalitarisme formel laissant les riches en paix. » Certes cette mise en relation moyens/besoins est « complexe », et d’autant plus que la société est plus inégalitaire. La critique des « millefeuilles » administratifs est bien connue, parfois fondée, mais, déclare Jean Gadrey, on ne règlera ni la crise climatique avec un prix unique du carbone, ni la justice fiscale avec une flat tax, ni la justice sociale avec un « flat basic income », comme le proposent Marc de Basquiat/auto-entrepreneurs ou « Générations libres », etc.

Les trois autres signataires de la tribune de Libération ne se revendiquent certes pas du libéralisme économique. Ce sont Caroline Guibet Lafaye, philosophe de la justice sociale, ainsi qu’Alain Caillé et Patrick Valentin (responsable du projet Territoires zéro chômeur longue durée d’ATD-Quart monde). Est-ce parce que les propositions au demeurant très vagues de ce texte leur conviennent ? D’autant que les postulats de cette tribune font référence pêle-mêle aux idées de Lionel Stoleru, d’Eric Woerth, des Verts, de la motion C du PS ou de Rifkin.

Le principal postulat serait le suivant : « SI DEMAIN CHACUN EST AUTO-ENTREPRENEUR, multi-actif, indépendant… le revenu universel deviendra la clé de voûte du système social, garantissant LA SATISFACTION MINIMALE DES BESOINS PRIMAIRES. »

La généralisation de l’auto-entrepreneuriat n’est pourtant évidemment pas une solution souhaitable. On ne risque pas de démarchandiser le monde pour préserver des biens communs vitaux sur cette base. Et avec le revenu de base comme chez Marc de Basquiat, on ne risque pas non plus de permettre à chacun de vivre décemment vu le montant annoncé, au niveau du RSA actuel pour les adultes, soit la moitié du seuil de pauvreté pour une personne seule… Il est vrai que le texte n’ambitionne que la satisfaction MINIMALE des BESOINS PRIMAIRES, comme l’a souligné Bruno Tardieu. Gadrey pour sa part refuse la hiérarchie des besoins « à la Maslow », la trouve méprisante et excluante pour les personnes en situation de pauvreté.

Parmi les autres projets de revenu de base : Jean Gadrey épingle quelques perles du « Mouvement français pour le revenu de base » sur son blog de Mediapart :

« De façon imagée, on peut dire qu’on va progressivement distribuer “le salaire des robots”, en réalité l’héritage du capital social collectif. Le niveau du revenu d’existence augmentera donc naturellement avec le développement de la société. »

« Quel que soit le niveau de l’activité économique, le travail, comme on le constate déjà aujourd’hui, deviendra de plus en plus intermittent, voire précaire. »

« Le revenu inconditionnel est un dû de la collectivité à chacun de ses membres. Cela étant, rien n’interdit de l’assortir d’un service civique. »

Le revenu de base est « une somme relativement modique croissant avec l’augmentation du PIB ». « Lorsque dans un avenir plus ou moins proche on aura diminué de moitié le nombre d’heures de travail… »

« Le revenu inconditionnel ne répond pas en soi au problème du chômage… Il ne dispense pas chacun de chercher à travailler pour améliorer son train de vie. De même, il ne dispense pas la société de favoriser l’emploi par une judicieuse réduction de la durée du travail allant de pair avec une croissance économique mieux maîtrisée. »

Jean Gadrey considère que cette vision est très « croissanciste ». Il critique aussi le thème de la poursuite de gains de productivité formidables, réduisant massivement le travail utile et nécessaire sous l’effet de la robotisation générale, à l’exception de quelques secteurs « relationnels ». Jean Gadrey s’élève ainsi contre les arguments du style « on peut créer des millions d’emplois utiles dans une perspective durable » ou « Le mythe de la robotisation détruisant des emplois par millions ». Il critique Jérémy Rifkin et ceux qui font une impasse totale sur les gros besoins de travail et d’emploi d’une transition écologique et sociale à la hauteur du défi, en complément de la nécessaire reprise de la RTT « tout au long de la vie ».

Jean Gadrey conclut qu’on ne peut guère être convaincu par le revenu de base même si celui-ci a des partisans divers : B. Mylondo, S. Jourdan, J. Zin, M. Cholet, certaines associations de chômeurs, Utopia, Nouvelle Donne… Car, selon lui, on pourrait aussi défendre un revenu de base dans une perspective qui ne serait pas celle de la fin du travail entraînée par la robotisation générale, ni la fin du salariat au bénéfice de l’auto-entrepreneuriat, ni le précariat, ni la poursuite dans la voie de la croissance et des gains de productivité. Pourquoi, souligne-t-il, mettre dans le même sac, comme dans la même tribune récente de Libération… des propositions et des visions de la société aussi radicalement opposées, de Milton Friedman à André Gorz ; n’est-ce pas contreproductif ?

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