L’affaire des « Panama papers » a révélé une fois de plus le jeu de rôle bien huilé des milieux patronaux et gouvernementaux. Mais elle a aussi mis au jour le besoin de penser autrement l’utilisation de l’argent des entreprises, c’est-à-dire l’argent produit par le travail des hommes.
La fraude fiscale est un fait avéré depuis bien longtemps. C’est même le sport favori de nombreux contribuables depuis que l’impôt existe. Le contrôle fiscal et les procédures de contrôle avaient permis en France, entre la fin des années soixante et le milieu des années quatre-vingt, de juguler d’une façon assez efficace cette pratique.
Mais quelque chose a profondément changé au cours des trois dernières décennies. C’est en particulier le fait que les procédés pour échapper à l’impôt ont été en quelque sorte légalisés par les États eux-mêmes, voire même négociés comme par exemple la gestion des transferts de bénéfices, ou le « détournement » des sommes accordées au titre du crédit impôt recherche. Et cela sans parler des diverses baisses de fiscalité accordées aux entreprises (impôt sur les sociétés, suppression de la taxe professionnelle) qui continuent encore aujourd’hui avec la suppression engagée de la C3S1. C’est ainsi que les entreprises, singulièrement les grandes, disposent d’un surplus de liquidités qu’elles s’empressent de faire fructifier soit pour leur propre compte en vue d’opérations spéculatives soit pour celui de leurs actionnaires. C’est l’ensemble de ces opérations que recoupent les diplomatiques dénominations d’optimisation et d’évasion fiscales.
Comment dès lors s’étonner de la recherche de pistes d’atterrissages défiscalisées pour cet argent ? Comment s’étonner que les banques, pleinement engagées dans la gestion de cet argent et qui elles-mêmes bénéficient des largesses de la législation, ne cherchent pas le moyen de faire fructifier ces sommes colossales en allant explorer des terrains vierges de toutes obligations fiscales et de tout contrôle ? Ce serait un comble que d’un côté on leur offre les conditions les plus favorables pour échapper à l’impôt et que de l’autre, une fois cet argent libéralisé, on s’empresse de dresser de nouvelles barrières fiscales ! Comme par hasard le montant des capitaux européens qui se retrouveraient en « panama papers » serait de 1 000 milliards d’euros, exactement le montant évalué de l’évasion fiscale en Europe…
Face à l’actualité, il est certes nécessaire de connaître les bénéficiaires des « Panama papiers » afin de pouvoir soumettre l’argent qu’ils ont nomadisé par des procédés d’évasion face à l’impôt de leur pays de résidence. Mais l’impôt ne permettra pas de récupérer la maîtrise de l’ensemble des sommes ainsi évadées. Et les montants restants une fois l’impôt défalqué représenteront encore des milliards. Des milliards qui auront échappé à toute utilisation sociale, à tout contrôle populaire des citoyens et des salariés. Et pourtant, ces milliards ont pour origine la création de richesses par l’intervention du travail humain.
Cette réalité nous impose de voir les choses bien différemment de ce que nous les voyions il y a encore trente ans, et elle exige, si nous voulons vraiment réorienter utilement l’utilisation du produit de la richesse créée, de passer à une étape supérieure en activant deux leviers de façon coordonnée et symétrique. D’une part, le levier de la fiscalité, en réformant profondément la fiscalité des entreprises sur la base de critères d’efficacité sociale et environnementale de leurs investissements au moyen d’une modulation incitative des prélèvements fiscaux mis à leur charge. De l’autre, le levier du crédit et de la création monétaire, au moyen d’une réforme de la politique des banques et du crédit pour en faire un véritable soutien à l’activité, pour en faire un outil efficace d’impulsion d’un nouveau développement économique et social posant, dans un même mouvement, la relance d’une production industrielle nouvelle et un développement massif des services publics. Mais le plein effet de ces politiques ne pourra être atteint qu’à la condition d’en placer la conduite et le suivi sous le contrôle des citoyens et des salariés, dotés de droits d’intervention et de décision dans la gestion de leurs entreprises, de leurs services et de leurs administrations. Cela pourrait, entre autres, se traduire par des droits des salariés pour mobiliser l’administration fiscale en vue d’interventions préventives ou curatives. Se borner à ne vouloir reprendre par l’impôt tel qu’il fonctionne aujourd’hui, c’est-à-dire finalement que quelques miettes de l’argent évadé, revient sous couvert de beaux effets d’annonce au nom de la justice fiscale, à laisser intacts les fondements du système capitaliste actuel. Et finalement à encourager le Medef et le marché à redoubler leurs pressions pour obtenir de nouveaux moyens leur permettant de répondre toujours mieux à leurs exigences de rentabilité dans un contexte de crise profonde allant en s’aggravant et dont on peut redouter les pires manifestations dans les mois à venir. zzz
1. C3S : contribution sociale de solidarité des sociétés.
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