Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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I – Chômage massif : une logique en cause

1 - Le constat

Les chiffres pour l’année 2015 confirment une nouvelle hausse du chômage

Les mesures annoncées  par le gouvernement en janvier 2016, si elles auront  probablement un « effet statistique », ne sont pas de nature à résoudre les causes conjoncturelles et structurelles du sous-emploi. Depuis l’élection de François Hollande la courbe du chômage ne s’est pas inversée, malgré les cadeaux successifs au Medef.

Bilan 2015 : pour s’en tenir à la catégorie A, pour la France métropolitaine, le chômage s’est une nouvelle fois accru de 15 800 personnes soit +0,4 % en décembre. En un an, ce sont 90 000 chômeurs de plus, soit +2,6 %, en trois an et demi la progression est de 745 000 chômeurs.  

Si l’on étend le bilan en intégrant les catégories B et C (ceux qui ont connu une  faible activité le mois précédent), il est plus négatif encore. La hausse atteint nationalement +0,6 % sur un mois et 5 % sur un an. Soit 5,476 millions de personnes en métropole, dont 3,591 millions pour la seule catégorie A.

Phénomène plus préoccupant encore, sur ces 5,476 millions de personnes, 2,47 millions sont au chômage depuis plus de un an. Ce chômage de longue durée ne cesse de progresser. Il est d’ailleurs symptomatique de la situation française avec un chômage de masse durable : le taux de chômage dépasse cette année 10 % de la population active, et depuis 1983 il n’est jamais descendu en dessous de 7  % de la population active, avec 7 années à plus de 9  % et 4 années à plus de 10  % dont 2015.

Les jeunes et le chômage

23,4 % des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage. Les diplômes sont une protection contre le chômage. Ainsi le taux de chômage cinq ans après l’entrée dans la vie active est de 11,2 % pour les bac+3 à bac+5 , 12,2 % pour bac+2 , 21,9 % pour le bac. Par contre au niveau CAP, BEP CAP ce taux est de 27,9 % et il culmine à 53 % de chômage pour les personnes dépourvues de diplômes.

La situation des femmes

Bien plus important que celui des hommes il y a encore quelques années, les taux de chômage des femmes et des hommes tendent aujourd’hui à être du même niveau. Pour autant cela masque des inégalités persistantes face à l’emploi. Ainsi sur le taux d’emploi des femmes, l’écart entre femmes et hommes persiste : le taux d’emploi des femmes de 15 à 64 ans est de 60,2 % contre 68,1 % pour les hommes.

Par ailleurs la progression du taux d’emploi féminin s’est faite essentiellement par la croissance des emplois à temps partiel. Ainsi l’écart des taux d’emploi devient plus important si on prend en considération le taux d’emploi en équivalent temps complet : de 66,2 % pour les hommes, ce taux est de moins de 55 % pour les femmes.

2 - Qu’est-ce qui est en cause ?

L’anxiété qui monte sur la planète financière révèle, comme l’avait annoncé le PCF, que la crise n’est pas finie et que c’est la logique fondamentale du capitalisme – l’obsession de la rentabilité du capital – qui est profondément en cause.

La financiarisation de l’économie, depuis le début des années quatre-vingt, a changé la façon de produire des richesses

Sous la pression des actionnaires et des marchés qui peuvent priver instantanément de financement une grande entreprise ou un État, les grands groupes et les banques ont imposé des restructurations destructrices d’emplois, l’extension de la précarité, les délocalisations, la mise en coupe réglée des sous-traitants, le démantèlement des services publics.

Cela a permis de faire monter la part des profits dans les richesses créées, au détriment des salaires, mais en réduisant les débouchés (la demande) et en affaiblissant la capacité des économies développées à créer efficacement des richesses (l’offre). Pour toujours plus de profits, les technologies informationnelles, très économes en travail, servent surtout à supprimer des emplois, d’où un énorme chômage pesant sur les taux de salaire et la demande, accentuant concurrence et délocalisations. L’argent généré part en intérêts et dividendes, en spéculation et placements financiers. L’orientation des crédits bancaires vers les opérations financières alimente la spéculation et conduit à des krachs planétaires de plus en plus violents.

Les capitalistes répondent par la baisse du « coût du travail » en allégeant les « charges sociales » patronales, aux dépens du financement mutualisé de la protection sociale. Cela accentue l’insuffisance des revenus du travail et de remplacement, l’insuffisance des qualifications, la précarité et la pauvreté.

Il faut changer de logique

Avec les nouvelles technologies, très économes en moyens (travail direct et travail indirect contenu dans les équipements), si on ne développe pas la demande, on fait du chômage. Il faut donc dépenser de façon telle que croissent ensemble demande et efficacité productive. Les dépenses de services publics (éducation, santé, recherche, environnement...) présentent cette double qualité. C’est dire s’il faut les augmenter avec de nombreux emplois publics formés et bien payés, au lieu du « pacte de stabilité ».

Mais pour financer, il faut accroître la production de richesses réelles nouvelles. Cela exige de sécuriser l’emploi et la formation, dans l’industrie comme dans les services qui lui sont, aujourd’hui, tous liés.

Pour réaliser tout cela, on ne peut pas compter sur le patronat et sur les marchés financiers. Il faut de nouvelles institutions, à l’appui des rapports de force créés par les mobilisations sociales et politiques.

L’exemple de la Grèce montre que pour atteindre de nouveaux objectifs sociaux, il ne suffit pas d’élire un gouvernement décidé à combattre l’austérité. Il faut la conquête par les travailleurs, les citoyens, de nouveaux pouvoirs sur toutes les décisions – dans les entreprises et les banques – qui portent sur l’utilisation de l’argent.

Cela exige de nouveaux rapports entre banques et entreprises, avec un nouveau crédit pour les investissements : à l’opposé du consensus actuel pour baisser les « charges sociales » patronales (166 milliards d’euros en 2014), on baisserait les charges financières du crédit et les dividendes (258 milliards d’euros).

3 - Leurs prétendues solutions conduisent vers le pire

Pour faire face à la crise, le capital a joué la finance contre les capacités humaines

Face aux difficultés récurrentes de rentabilisation des capitaux suraccumulés débutées à la fin des années 1960, les capitalistes ont cherché des solutions. Les grandes entreprises se sont multi-nationalisées et ont transformé leur base technologique de production. Utilisant les énormes potentiels de gains de productivité de la révolution informationnelle pour accroître leurs profits, elles ont, en outre, poussé le développement des marchés financiers sous la tutelle desquels les États ont placé le crédit des banques et la monnaie.

Cela s’est traduit par l’explosion du chômage, une mise en concurrence ravageuse de tous les salariés et une gigantesque enflure financière, tandis que les débouchés des productions devenaient de plus en plus insuffisants.

Guerre économique et prélèvements financiers du capital sur les entreprises (intérêts et dividendes) n’ont cessé de prendre de l’ampleur, incitant les actionnaires à exiger que soient sans cesse réduites les dépenses nouvelles de développement créatrices d’emplois, de salaires et de qualifications. Chômage, précarisation de l’emploi et pressions sur les salaires ont redoublé, renforçant les cercles vicieux de la crise.

La crise financière de 2007-2008 a renforcé ces antagonismes, et les politiques menées par les pouvoirs publics aussi

Plutôt que de chercher à réduire la prédation financière sur les gestions d’entreprise en luttant contre le coût du capital (intérêts et dividendes), les politiques publiques ont cherché à baisser encore plus les coûts salariaux et sociaux des entreprises (le coût du travail), et à faire financer par l’argent public le manque à gagner croissant qui en résulte pour la Sécurité sociale.

376,3 milliards d’euros cumulés d’exonérations de cotisations sociales patronales ont été financés par le budget public depuis 1991. Au moins 176 milliards d’euros d’exonérations sociales et fiscales annuelles sont prises en charge par l’État à la place des entreprises. Il faut encore leur ajouter le CICE – 41 milliards d’exonérations fiscales et sociales en plein régime à l’horizon 2017, financés par une baisse de 50 milliards d’euros de la dépense publique et sociale…

Sous couvert de révolution technologique et numérique, les politiques publiques veulent désormais aller plus loin. Dans l’entreprise, avec la réforme du Code du travail qui consacre l’inversion de la hiérarchie des normes, elles veulent renforcer le pouvoir patronal sur les relations d’emploi et de travail. Et hors de l’entreprise, avec la réforme de l’indemnisation du chômage et du compte personnel de formation, elles contribuent à renforcer la flexibilité sans sécurité du marché du travail où le salarié devient garant de sa propre « employabilité ».

Ces choix de politique publique sont en échec, en France comme en Europe

Depuis 2012, les gouvernements Hollande se sont enfermés dans cette logique de réduction des coûts des entreprises sans succès.

Avec 745 000 chômeurs de plus en 3 ans et demi, la courbe du chômage ne s’est pas inversée malgré les cadeaux successifs au Medef. Et la croissance ne repart pas, alors même que la BCE injecte depuis 2013 des sommes colossales dans l’économie, que le prix du brut de pétrole et les taux d’intérêt sont au plus bas.

En revanche, la vie quotidienne des Français s’est détériorée très concrètement. La qualité des services publics se dégrade fortement. L’espérance de vie à la naissance des Français diminue. Et pour la première fois depuis longtemps les jeunes anticipent que l’avenir sera plus difficile que celui de leurs parents.

4 - L’emploi et le travail au cœur de la bataille idéologique en France et en Europe

L’emploi au cœur de la bataille idéologique

Les idées reçues de nos concitoyen-ne-s sur l’emploi et le travail sont nombreuses, reflet d’une incessante campagne idéologique que mènent les tenants des logiques libérales. L’objectif est simple : justifier la remise en cause des protections et des acquis notamment liés aux avancées progressistes depuis le CNR. 

La course à l’augmentation du taux de profit et à la rentabilité financière conduit le capital à chercher des ressources dans la concurrence entre salarié-e-s et entre territoires, dans la pression sur les salaires, le temps et les conditions de travail, dans le travail gratuit des citoyen-ne-s même avec notamment la révolution numérique.

Florilège des idées reçues

  • Le travail est un « coût » qu’il faut réduire :

« Le travail est un coût/ce sont les patrons qui créent l’emploi et prennent les risques/ On est en concurrence avec le monde. » Au nom de ces idées, les gouvernements successifs multiplient les exonérations de cotisations sociales et bloquent les salaires pour rapprocher nos salaires des pays à « bas coûts », cassent les protections et le Code du travail, comme avec la loi El Khomri, sous prétexte que cela faciliterait les embauches. Ces méthodes sont en cours, en France comme partout dans le monde depuis des décennies, sans résultat sur la pauvreté comme sur la courbe du chômage. Et au contraire, les dividendes explosent ainsi que les inégalités (le rapport annuel d’Oxfam sur les inégalités révèle que le patrimoine des 1 % des plus riches du monde dépasse désormais celui de 99 % de la population. 62 personnes ont autant d’argent que 3,5 milliards d’individus ). Le débat sur le « coût du travail » tente de masquer une vraie question, celle du coût du capital qui pèse de plus en plus sur l’économie réelle. Si le travail a un coût, c’est surtout lui qui crée la richesse…

  • Les chômeurs sont des assistés :

« Quand on veut trouver du travail on le peut/C’est parce que la main-d’œuvre n’est pas adaptée aux besoins du marché qu’il y a du chômage ». Le chômage serait donc une responsabilité individuelle ? Au nom de ces idées reçues, on réduit le temps et le montant des allocations chômage pour « favoriser le retour à l’emploi ». Sans aucun effet puisque le chômage monte qu’à cela ne tienne, prochain projet du patronat et du gouvernement : la dégressivité des allocations chômage. Mais qui licencie si ce n’est le patronat ? Qui choisit de délocaliser là où les salaires sont plus faibles ? Qui continue à exploser ses profits d’année en année ? L’irresponsabilité n’est pas du côté des salarié-e-s ou des sans-emploi mais du Medef et du gouvernement Valls/Hollande qui choisit de s’y soumettre.

  • Le secteur public est un fardeau :

« Les fonctionnaires ne créent pas de richesse et/ou ce sont des fainéants/ Il faut alléger le mammouth qu’est le service public. Les fonctionnaires sont privilégiés, il faut aligner leurs avantages sur ceux du privé. Les dépenses publiques sont une charge. » Une charge les dépenses publiques et les salarié-e-s qui y contribuent ? Une charge l’école, la santé, la police, la justice, notre mairie ? C’est le discours de ceux qui voudraient bien en faire un marché pour grossir leurs profits. Pas celui de ceux et celles qui en bénéficient. Imaginez les moments durs comme les catastrophes naturelles ou les attentats  sans services publics ? Au contraire, il faudrait améliorer le service public, financement et fonctionnement, augmenter le nombre de secteurs couverts ; cela créerait des emplois utiles pour répondre aux besoins des citoyen-ne-s.

  • La vie d’un entrepreneur plus dure que celle d’un salarié.

 "Quand on est entrepreneur, on prend des risques » Emmanuel Macron. « Le travail, c’est précaire comme l’amour. » Laurence Parisot. Être administrateur d’une entreprise du CAC40 n’est pas particulièrement précaire : une petite centaine de personnes trustent l’essentiel des pouvoirs dans les Conseils d’administration,. Le gouvernement Valls/Hollande, après celui de Fillon/Sarkozy, a fait pleuvoir les aides, les avantages, les cadeaux. Rien que le CICE, c’est 40 milliards versés sans contrepartie. De l’autre côté, ce sont les protections et le Code du travail en miettes, les vies précarisées. En fait, ce sont les salarié-e-s qui sont indispensables pour faire marcher l’entreprise ; ils savent ce qui serait bon pour la faire avancer et si on leur donnait des droits sur les orientations stratégiques, elle s’en portrait mieux.

  • La flexibilité favorise la création d’emploi.

« C’est parce que la main-d’œuvre n’est pas adaptée aux besoins du marché qu’il y a du chômage. Il y aura toujours du chômage. » Le chômage et la précarité sont utiles aux patrons pour faire pression sur les salariés, pour que ceux-ci travaillent plus avec moins de droits et moins de salaires. Et loin du discours dominant, la précarité explose. Ainsi en 2013, 86% des recrutements étaient de CDD d’une durée moyenne de... 10 jours. Cet explosion de la précarité n’améliore en rien la situation de l’emploi. Le chômage, la précarité, c’est un gaspillage de vies et de richesses, pour le pays et les autres. Parce que le monde et les technologies évoluent, que les progrès de productivité sont énormes, il est plus que jamais moderne de poser la question de la réduction du temps de travail. Il est possible de mettre en place une sécurité d’emploi et de formation où chacun-e alterne les périodes d’emplois et de formations, sans chômage et sans perte de revenus.

  • Face aux contraintes économiques, le politique ne peut pas grand-chose.

« L’économie guide le monde/la politique ne peut plus grand-chose?. » On nous présente l’économie comme si c’était un phénomène naturel avec les mêmes mots que les catastrophes météorologiques. En fait, ce sont les politiques qui ont décidé de se soumettre aux puissances financières et de ses relais, la Commission européenne, la Banque centrale… Quand en 1981 la 5e semaine de congés payés a été votée, quand les 35h, même avec ses insuffisances, a été appliquée, l’économie ne s’est pas écroulée. Au contraire. C’est un choix si le gouvernement Hollande/Valls écoute plus Gattaz et les quelques patrons du CAC40 plutôt que les 500 000 citoyens qui ne veulent pas de la loi El Khomri qui casse le code du travail. Et si la volonté populaire reprenait le dessus ?

 

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