La constitution de la Ve République, reprenant un des principes républicains de base, stipule une égalité des citoyens devant l’impôt. Et si celui-ci est progressif, il est calculé sur la globalité du revenu annuel, quelles qu’en soient les sources. La décision de saisie fiscale à la source salariale risque de poser de gros problèmes à tous ceux et à toutes celles qui pratiquent des activités à multiples sources de revenu, en particulier les artistes.
a population de peintres et de sculpteurs n’a pas beaucoup changé depuis un siècle et demi. Elle était estimée à environ cinquante mille au temps des impressionnistes. Dans cette occupation, regroupée aujourd’hui sous le vocable commode et très difficile à cerner « d’Arts plastiques », la différence entre amateurs et professionnels n’est pas très nette. On peut considérer comme professionnels ceux et celles qui y consacrent leur vie, obéissant en quelque sorte à quelque chose comme une vocation. En tout cas, le fisc considère comme professionnel tout citoyen qui vend une œuvre signée de lui. À ce titre, Toulouse Lautrec ne serait pas professionnel, lui qui n’a jamais vendu un tableau puisqu’il n’en avait pas besoin. Sa mère, son unique héritière, ayant eu le bon esprit de faire don de la presque totalité de l’œuvre à la ville d’Albi, cette presque totalité est visible au Musée de la ville, à côté de la cathédrale de briques. Van Gogh serait dans le même cas puisque son frère Théo (qui était tout de même marchand de tableaux) était destinataire de presque tout ce qu’il faisait et lui versait une pension mensuelle égale à une sorte de SMIC d’artiste calculé par Vincent lui-même en fonction de ses besoins (couleurs, toiles, café, alcool…), mais qui ne constituait pas un acte de commerce.
Les impressionnistes trouvaient le prix de 200 F, usuel sur le marché de l’époque (environ 120 000 euros), très petit en comparaison des valeurs attribuées de leur vivant aux peintres académiques comme Rosa Bonheur et Meissonnier. C’est pourtant la spéculation sur les œuvres impressionnistes qui appauvrit les créateurs aujourd’hui, sauf exceptions. Si les prix atteignent des sommets, en particulier aux enchères publiques outre-Atlantique, cela crée une échelle des prix des œuvres qui décrédibilise les prix des générations vivantes aux yeux du marché ! Le prix de revient de l’activité de création est assez élevé pour mettre les œuvres hors de portée des salariés, mais il est trop petit pour ne pas supporter le dédain des spéculateurs. Et les pouvoirs publics ne se portent acquéreurs que lorsque les prix ont fait du bruit, encore que la cécité de l’État ait eu pour résultat que, de son vivant, Picasso n’ait connu aucun achat public français ni aucune commande.
Certes, l’affolement du marché (?) de l’art est un stigmate de la suraccumulation. Si des tableaux atteignent ces prix-là, c’est parce que, quelque part, il y a d’énormes sommes qui ne trouvent pas à s’investir à des taux intéressants sur les marchés financiers ou dans l’activité de production. Il vaut mieux avoir un Cézanne ou un Picasso que de l’argent. Certes, cette hiérarchie par les prix trouble inéluctablement l’appréciation de la valeur civilisatrice des œuvres, gangstérise l’histoire de l’art, met éventuellement dans un grand désordre la transmission des savoirs en matière de rapports des populations avec ceux qui les expriment.
La classe capitaliste s’est reconnue comme classe en accompagnant l’art en train de se faire en Europe. Mais en France, après la Révolution, depuis qu’elle a conquis le pouvoir politique et l’État, la bourgeoisie, à quelques exceptions près, n’a cessé de combattre les mouvements d’Avant-Garde, quitte à reconnaître ses erreurs avec une spéculation à tout va sur ce qu’elle avait tenté d’étrangler.
Dans cette situation de rapports de classes, les artistes ont inventé une parade au xxe siècle, avec un surcroît de travail, en pratiquant une activité annexe appelée « second métier » dont le salaire finance leur activité artistique, éventuellement déficitaire.
La saisie à la source sur le salaire ou la retraite ponctionne directement la trésorerie de l’art en train de se faire. C’est un instrument nouveau de contrôle de la création par une forme d’État qui n’a jamais aimé l’éveil du peuple dans l’art, éveil contagieux d’autres éveils et de désirs d’émancipation.
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