Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Crise de l’élevage et adaptation de l’agriculture française au changement climatique

Ayant fait irruption au cœur de l’actualité estivale, la crise de l’élevage français est d’abord la conséquence d’une rémunération insuffisante par des prix agricoles. Ces prix bas résultent de la dérégulation de la production dans le cadre d’une concurrence mondialisée où la compétitivité se gagne sur fond de dumping social et environnemental. Cette crise révèle surtout la fragilité d’un type d’agriculture gourmand en capitaux, trop dépendant des achats d’engrais et d’aliments du bétail,  oublieux des bonnes pratiques agro-économiques que promeuvent depuis plus de trente quelques fermes pionnières. Nous montrons comment fonctionne l’une d’entre-elles dans la seconde partie de cet article.

Alors que Paris accueille en décembre la conférence mondiale sur le climat dite COP 21, l’année 2015 aura été marquée par un été sec venant aggraver une crise de l’élevage dont la cause essentielle est une sous rémunération du travail des paysans. Cette crise nous montre que la production agricole doit changer ses pratiques pour s’adapter au réchauffement climatique. Les périodes de canicule sur fond de sécheresse estivale nous  alertent sur la nécessité d’avoir une agriculture à la fois moins gourmande en énergie, moins émettrice  de gaz à effet de serre, plus résiliente face aux aléas climatiques mais néanmoins suffisamment productive pour nourrir la population française tout en continuant d’exporter des vins et spiritueux, des produits laitiers et carnés de qualité, des céréales à commencer par le blé.

Le cadre pour la mise en place de cette agriculture résiliente ne peut pas être le marché mondialisé dérégulé  et spéculatif qui ruine les paysans via la chute des cours chaque fois que l’offre mondiale excède la demande solvable. La crise de cette  année 2015 en France nous montre aussi que la mondialisation des marchés agricoles est la méthode la plus inadéquate  pour que l’agriculture réduise ses émissions de gaz à effet de serre. Dès la fin de l’été  2014, les prix payés aux éleveurs pour la viande porcine, la viande bovine et le lait de vache ont connu une érosion résultant d’une offre légèrement plus abondante que la demande. Alors que le marché russe permettait précédemment d’exporter des surplus de produits laitiers, de viande bovine et des pièces de viande porcine  peu valorisées en France, il a suffit que ce marché se ferme du fait de l’embargo décidé en août 2014 pour que les effets la concurrence intra-européenne ruinent  des milliers d’éleveurs en France.

La concentration est un vecteur de pollutions

Plus grave encore, ce type de crise conduit souvent des porteurs de projets agricoles spéculatifs à chercher des réponses dans la concentration de la production et la recherche d’économies d’échelle qui augmentent les émissions de gaz à effet de serre. Le projet de l’industriel du bâtiment Michel Ramery venu investir dans la production laitière sur ce qui est devenu la ferme des 1000 vaches en est une illustration. Dans les fermes de ce type, les vaches ne vont plus au pré. Elles sont nourries à l’auge d’une alimentation plus granivore qu’herbivore  puisque l’essentiel de la ration est composé de maïs ensilage avec les épis et la tige, à quoi s’ajoutent les tourteaux de soja importés du continent américain. Pour nourrir 1.000 vaches et plus de 500 génisses, il faut transporter des fourrages sur de longues distances. Le bilan carbone de ce transport d’aliments du bétail est désastreux et loin d’être compensé par la collecte d’un gros volume de lait sur un même site. Plus grave encore, une bonne partie du maïs ensilage apporté à la ferme des 1.000 vaches ne transite plus par la panse des vaches. Il est versé quotidiennement la fosse à lisier pour stimuler la méthanisation des effluents  d’élevage.

En Allemagne, l’essor pris par la méthanisation dans les fermes laitières a conduit à doubler les superficies semées de maïs pour l’ensilage. Dit autrement, la moitié de ce maïs peut servir  à nourrir les vaches, l’autre moitié pouvant être utilisée pour stimuler la production de gaz méthane  que l’on transforme ensuite en électricité. Un rapport du Sénat rendu public en juin 2015 donne les chiffres suivants : « En Basse-Saxe, 400.000 hectares sont utilisés pour le bio-gaz, soit l’équivalent  de 4.000 exploitation de 100 hectares, sont dédiés au maïs de méthanisation » (1). Or si le maïs capte du carbone durant sa courte phase de développement végétatif, les semis sont précédés de labours dont la pratique libère beaucoup de gaz à effet de serre via la mise à nu des sols et la consommation de carburants. A cela s’ajoutent les apports d’engrais dont la production est gourmande en énergie tandis que l’épandage libère beaucoup d’ammoniac. Mais, comme l’électricité ainsi produite est subventionnée par le contribuable allemand via sa facture d’électricité, la méthanisation des effluents d’élevage mélangés au maïs ensilage est une opération rentable. Et comme la vente de lait et d’électricité entrent l’une comme l’autre dans le bilan de l’exploitation laitière, les fermes allemandes qui ont opté pour la méthanisation sont de plus en plus compétitives.

Dit autrement, la transformation de l’herbe en lait est devenue moins rentable en Allemagne que la transformation du maïs et du soja en lait quand la méthanisation permet de faire baisser le prix de revient de chaque litre de lait tandis que son bilan carbone ne cesse d’augmenter. Quand ils ont les moyens d’investir dans la méthanisation, les éleveurs sont alors tentés de le faire. Ce qui accentue la fuite en avant dans la surproduction laitière redevenue possible  après 35 ans de régulation par les quotas. En Allemagne, ce processus de fuite en avant dans une production laitière au bilan carbone très élevé s’accompagne aussi d’une sensible augmentation du prix des terres à maïs. Les auteurs du rapport du Sénat s’étant rendus en Basse-Saxe écrivent à ce propos : « Le matin de la visite des sénateurs, l’exploitant avait procédé à une acquisition à 58.000€ l’hectare»(1). Voilà qui met les terres à maïs au prix des terres plantés de vignes pour des vins de qualité. Une telle inflation du prix des terres finira par remettre en cause la rentabilité de la production laitière en Allemagne.

La spécialisation fragilise l’élevage en France

Tout comme le lait, la viande bovine est de plus en plus mal payée aux éleveurs français. Il existe en France de types d’élevage bovin. Contrairement aux vaches laitières, les vaches allaitantes ne produisent pas de lait pour le marché. Elles allaitent le veau qu’elles font naître chaque année, d’où ce nom d’allaitantes dont les veaux deviennent des « broutards » au bout de quelques mois. Ce sont des races lourdes et bien conformées, sélectionnées pour dégager un gros rendement de viande par animal. Il suffit de voir les charolaises, les limousines, les blondes d’Aquitaine et autres Salers ou rouges des prés chaque année au Salon de l’agriculture pour s’en rendre compte. Elles étaient beaucoup moins nombreuses que les vaches laitières voilà 30 ans au moment de la mise en place des quotas laitiers. Elles sont 4, 2 millions de mères en France aujourd’hui contre 3,7 millions pour les laitières. Le nombre de laitières a diminué, car la sélection génétique, poussée à l’extrême, les a rendues plus performantes avec, toutefois, une fragilité sanitaire accrue.

Du coup, ne pouvant produire plus de lait que ne donnait leur quota, beaucoup d’éleveurs français ont mis en place un troupeau de vaches allaitantes en plus des laitières et continué d’intensifier la production en semant plus de maïs pour l’ensilage et en important plus de soja pour compléter l’alimentation du troupeau en protéines végétales. Certains éleveurs, souhaitant échapper à la corvée de la traite des vaches deux fois par jour, on abandonné la production laitière pour ne garder qu’un troupeau de bovins allaitant avec moins d’astreintes. Cette conversion a été favorisée par la prime à la vache allaitante versée par le budget européen  dans le but de maintenir l’élevage à l’herbe dans les zones difficiles tout en faisant profiter l’élevage allaitant sur tout le territoire.

Certes, grâce à cette prime à la vache, la déprise agricole a été évitée dans des zones d’élevages aux terres inconvertibles en cultures faute de rendements céréaliers suffisants. Mais, en augmentant le nombre de mères, cette prime a mis sur le marché beaucoup de veaux souvent vendus à 10 mois à des engraisseurs italiens, espagnols et grecs. Longtemps les prix furent corrects, ce qui est moins le cas aujourd’hui. Les engraisseurs italiens s’approvisionnent davantage en Pologne achètent moins de « broutards » français. Les grecs n’ont plus guère les moyens d’acheter.

Pour expliquer les bas prix payés aujourd’hui aux éleveurs pour la viande bovine, on pointe souvent du doigt les abatteurs et les grandes surfaces qui feraient tous fortune sur les dos des éleveurs. Il est vrai que la part des éleveurs dans le prix final d’un kilo de viande a diminué de 31 centimes en 2014 par rapport à 2013 tandis que celle des abatteurs augmentait de 8 centimes et celle des distributeurs de 28 centimes. Mais on sait que les abattoirs n’ont que de faibles marges, pressés qu’ils sont par les distributeurs. Ces derniers font de la viande un produit d’appel avec de nombreuses promotions mise en exergue par des campagnes publicitaires coûteuses, souvent financées par leurs fournisseurs, afin d’accroître par ce biais la fréquentation des grandes surfaces. Cette politique de l’offre favorise aussi le gaspillage dès lors que l’on remplit les linéaires de viandes préemballées dont des quantités importantes iront à la poubelle pour cause de dépassement de la date limite de vente. On estime  que 4 à 7% des viandes fraîches sont ainsi retiré chaque jour des rayons. Au point que les distributeurs affirment que le rayon viande ne dégage pas de marge nette. Ce qui est difficile à vérifier.  

Il existe enfin une régression de la consommation de viande rouge en quantité comme en qualité. La quantité diminue régulièrement depuis plusieurs années. La qualité diminue aussi alors que notre troupeau allaitant est théoriquement en mesure de favoriser la montée en gamme. La viande la moins chère à l’achat pour les distributeurs provient des vaches laitières de réforme dont la durée de vie n’est que de cinq ans en moyenne. Ces vaches sont surtout transformées en viande hachée pour différentes préparations avec plus ou moins de gras selon le prix que le consommateur veut mettre quand il est devant le linéaire de viande fraîche ou surgelée. Or, 48% des viandes bovines vendues en grande surfaces sont des viandes hachées pour  être grillées,  poêlées, ou pour différentes préparations. A poids égal, les viandes en tranches issues d’animaux de qualité affichent des prix dissuasifs aux yeux de nombreux consommateurs dont le pouvoir d’achat tend à se restreindre au fil des ans.

Voilà pourquoi la qualité a du mal à trouver sa place dans les endroits où la majorité des ménages achètent plus de 70% de la viande bovine pour la restauration à domicile. Du coup, l’élevage spécialisé en mono-production dans les races à viande devient une activité risquée. Surtout quand l’éleveur n’a pas su mettre en place une production fourragère qui lui donne un maximum d’autonomie pour nourrir son bétail à moindre coût. Or la prime à la vache a poussé des éleveurs à augmenter le nombre de tête pour percevoir plus d’aides européennes. Ce qui les a conduits parallèlement à acheter plus de céréales et de protéines végétales pour nourrir le bétail. La prime à la vache n’a pas non plus favorisé l’engraissement en France tant que d’autres pays achetaient des « broutards » à des prix suffisamment rémunérateurs.

Alors  que des éleveurs du Massif Central  tentent de trouver une issue en mettant en place un atelier collectif d’engraissement de 1.000 taurillons dans la Creuse sur les modèle de l’étable des 1.000 vaches dans la Somme, on peut penser que conduire un troupeau de moutons et un troupeau de bovins sur une même ferme serait une approche économique plus pertinente dans les prochaines années. Tout simplement parce que la France importe plus d’un agneau sur deux pour sa consommation tandis que l’élevage ovin recule dans le monde au profit de la production de lait de vache.

Le porc français victime du dumping allemand

En France, la crise que traversent les éleveurs de porcs est accentuée par le développement de cette production en Allemagne. Comme dans le lait, la méthanisation des effluents d’élevage augmente la rentabilité des porcheries allemandes dès lors que l’électricité ainsi produite est très bien payée Outre-Rhin dans la cadre de l’abandon de la filière nucléaire. Mais l’avantage déterminant de l’élevage porcin allemand provient du fait que les abattoirs de ce pays ont massivement recours à des travailleurs détachés nettement moins bien payés que les travailleurs allemands devenus minoritaires dans ces secteurs de production. En 2013 on comptait dans les abattoirs allemands quelques 7.000 travailleurs roumains, bulgares et hongrois payés moins de 5€ de l’heure. A tel point que beaucoup d’éleveurs de porcs des Pays-Bas et du Danemark ont commencé par faire abattre leurs porcs charcutiers en Allemagne voilà déjà quelques années. Puis ils se sont spécialisés sur le segment de la maternité, faisant surtout naître des porcelets qu’ils vendent à des éleveurs allemands au moment du sevrage. Face à cette concurrence menée sur fond de dumping social et environnemental, les éleveurs bretons, qui produisent environ 55% des porcs charcutiers français, ont des coûts de production plus élevés que leurs concurrents allemands. Ces derniers sont aussi plus proches des grands bassins de consommation européens, voire français pour certaines de nos régions. De même, les grands élevages espagnols sont aussi plus proches de certains bassins de consommations comme des salaisons de nos zones de montagne que les producteurs bretons. Enfin, les entreprises de salaison, confrontées à la pression des distributeurs, abusent des importations de viande porcine à transformer afin de maintenir la pression sur le prix du kilo de carcasse en France. Voilà pourquoi  la crise porcine risque aujourd’hui de mettre en faillite des centaines d’éleveurs français. Ce n’est plus une crise cyclique mais la crise d’un modèle fondé sur les gros élevages nécessitant des investissements énormes en bâtiments sans la moindre garantie d’avoir des prix susceptibles de couvrir des coûts de production.

Les porcheries industrielles sont gourmandes en capitaux fixes à la rentabilité incertaine. Elles sont dépendantes des aliments du bétail importés dont les prix sont soumis aux fluctuations des cours mondiaux des céréales et du soja. Elles sont encombrées d’effluents d’élevage qu’il faut traiter à grands frais dans des stations d’épuration faute de superficies suffisantes chez l’éleveur pour recycler le lisier. Pour toutes ces raisons, les porcheries industrielles sont aussi fortement émettrices de gaz à effet de serre en plus des nuisances olfactives. Voilà donc un contre modèle au moment où la réduction du bilan carbone de chaque activité économique doit devenir une préoccupation constante.

Pour que l’agroécologie ne reste pas une lettre morte

Il ne peut y avoir d’agriculture durable ni de réduction du bilan carbone de cette activité nourricière sans renouer avec les bonnes pratiques agronomiques. La mise en concurrence de tous les paysans européens a progressivement conduit à une spécialisation outrancière des exploitations agricoles dont la conséquence la plus néfaste a vite abouti à  tourner le dos aux bonnes pratiques agronomiques. Toutes les terres agricoles ont besoin de fertilisants naturels qui apportent au sol de la matière organique. Ces apports ont disparu dans les plaines céréalières qui ont supprimé l’élevage pour ne produire que des céréales et quelques autres végétaux. Inversement, les élevages spécialisés, acheteurs de grandes quantités d’aliment du bétail, n’ont pas assez de terre pour recycler leurs effluents d’élevage sans polluer. Pour que le fumier et le compost deviennent ou redeviennent progressivement les fertilisants de base des terres agricoles il faudra donc renouer avec la polyculture et l’élevage sur un maximum d’exploitations.

En faisant voter par le Parlement une Loi d’Avenir avec l’objectif de produire mieux avec moins d’intrants chimiques, Stéphane Le Foll affichait l’ambition de faire prendre ce virage à l’agriculture française. Depuis, les choses vont depuis de mal en pis dans la mesure où la crise de l’ancien modèle s’exacerbe tandis que les pays concurrents de la France en Europe ne sont pas dans cette démarche. Chez nous, le monde paysan, dans son immense majorité, est trop empêtré dans ses soucis quotidiens et trop prisonnier d’un mode de fonctionnement piloté globalement par des intervenants de l’amont et de l’aval pour s’engager dans cette révolution copernicienne qu’il est urgent de mettre en route. Dans le cadre de la préparation de la Loi d’Avenir, des colloques et des réunions plus discrètes au ministère de l’Agriculture avaient pourtant permis au ministre et à ses collaborateurs de prendre connaissance de systèmes économiques performants car autonomes dans leur fonctionnement et économes en intrants.

Le GAEC ursule un exemple de bonne harmonie entre les productions végétales et animales

Situé à Saint-Mars-des-Prés près de Chantonnay en Vendée, le GAEC Ursule fait partie de ces fermes qui ont fait la démonstration que la terre peut être très productive sans engrais chimiques et sans ces molécules connues sous le nom générique de pesticides. Un GAEC est un Groupement agricole d’exploitation en commun comprenant au moins deux associés. Le GAEC vendéen, à qui ses créateurs ont donné le nom d’une vache prolifique nommée Ursule lors de sa création en 1983, compte aujourd’hui quatre associés pour 270 hectares. Il emploi en plus  deux salariés et trois apprentis.

Proche d’une retraite que sa femme vient de prendre voilà deux ans, Jacques Morineau fait partie de cette aventure depuis le début. Ses actuels associés sont trois jeunes à peine trentenaires. Il s’agit de sa fille, son gendre et un ami du jeune couple ; les trois jeunes s‘étant connus durant leur formation en lycée agricole. Toute la production du GAEC est en agriculture biologique. La ferme élève de la volaille labellisée (poulets et pintades) dont une petite partie est commercialisée en vente directe. Elle vend aussi directement  12.000 litres d’huile de colza par an. Le lait des 105 vaches est vendu dans une filière bio au prix de 440€ les 1.000 litres contre un prix moyen de 305€ pour le lait conventionnel actuellement. La ferme vend aussi du blé bio payé 420€ la tonne, un prix deux fois plus élevé que celui du blé conventionnel. Elle vend enfin des protéines végétales pour des élevages bios qui ne sont pas autonomes pour l’alimentation du bétail.

Nourrir les vaches laitières et les volailles sans pratiquement rien acheter à la coopérative a toujours été le choix de Jacques Morineau et des ses associés d’hier comme d’aujourd’hui. Au GAEC Ursule on sème un mélange de plusieurs variétés de blé sur certaines parcelles afin de mieux lutter contre les maladies des plantes et contre certains parasites. Sur d’autres parcelles, on mélange du blé avec de la féverole ou avec du lupin afin que ces deux légumineuses apportent au blé l’azote de l’air qu’elles fixent sur leurs racines. Du coup, le blé du GAEC Ursule affiche un taux de protéines proche de 13% alors que celui des plaines de la Beauce atteint péniblement les 11% en dépit de gros apports d’engrais azotés. La différence provient de l’azote naturel des légumineuses en plus de la matière organique provenant du fumier de fiente de volaille et de bouse de vache transformé en compost. Il faut parfois semer le blé et les légumineuses à quelques semaines d’intervalle afin de les récolter le même jour à la moissonneuse batteuse. Ensuite, la trieuse à grilles sépare le blé des légumineuses. Quand le blé est semé seul, son rendement est proche de celui du blé conventionnel de la région dopé aux engrais azotés. Des céréales fourragères comme l’orge et le triticale sont semées avec une où deux légumineuses qui peuvent être du pois protéagineux et de la féverole afin d’apporter de l’azote à la culture et d’avoir ensuite un  aliment du bétail riche en protéines.

Ici, les vaches laitières mangent surtout de l’herbe !

La ferme compte 110 hectares de prairies naturelles ou temporaires que les vaches laitières pâturent de jour comme de nuit, hormis les mois d’hiver. Sylvain Vergnaud, responsable de l’atelier lait, mélange dans ses prairies de la luzerne et plusieurs variétés de trèfle avec du dactyle, de la fétuque et du sainfoin. Quand la terre sèche comme cette année, l’enracinement profond de la luzerne et du sainfoin permet encore d’avoir de l’herbe tandis que le dactyle et les trèfles sont plus productifs par temps plus humide. Dans les deux cas, les légumineuses que sont les trèfles et la luzerne nourrissent les graminées en azote et les vaches en protéines végétales, ce qui limite aussi les apports complémentaires de tourteaux de colza ou d’autres mélanges  produits sur la ferme. Il a été démontré depuis plus de 30 ans que le plus bas prix de revient du litre de lait s’obtient de cette manière. Pour autant, un système fourrager donnant une meilleure place à l’herbe pour nourrir des ruminants herbivores peine à s’imposer dans la plupart des exploitations laitières en France !

Le GAEC Ursule cultive aussi du sorgho ainsi que du maïs destiné à l’ensilage sur une trentaine d’hectares. Il s’agit ici de disposer d’un complément d’aliments énergétiques en hiver. Mais il a délaissé les variétés hybrides et stériles pour cultiver des variétés pouvant être semées après avoir été produites sur la ferme. Selon Jacques Morineau, ces « populations » de maïs résistent mieux à la sécheresse que les variétés hybrides qui ne sont productives qu’à condition d’être bien irriguées. Or l’irrigation n’est pas possible au GAEC Ursule ce qui constitue un sérieux handicap certaines années. Pouvoir disposer de 100 millimètres d’eau par deux ou trois tour d’arrosage pour des variétés de maïs et de sorgho peut gourmandes en eau serait un atout selon Jacques Morineau.

Jusqu’à présent, le troupeau de laitières est composé de vaches blanches et noires de race Prim’ Holstein. En charge du troupeau, le premier associé de Jacques Morineau nourrissait une prévention contre la Montbéliarde. Sylvain Vergnaud, lui, souhaite introduire la Jersiaise, une vache peu corpulente, ne produisant pas plus de 5.000 litres par lactation, mais un lait beaucoup plus riche avec un taux protéique très élevé et donc recherché pour la production fromagère. Parallèlement, le jeune éleveur commence à tester la cuisson des protéines végétales avant de les servir aux vaches. Car le rendement laitier est ainsi meilleur avec moins de tourteaux consommés. A l’issue de nombreux tests, Sylvain Vergnaud estime que forcer sur la ration de soja pour rendre plus productive chaque laitière augmente le prix de revient de chaque litre de lait au lieu de le réduire. Dit autrement, la même vache à 5.000 litres par lactation peut s’avérer plus rentable qu’en produisant 10.000 litres dès lors que cette performance s’obtient en lui bourrant la panse avec des tourteaux.

Après avoir observé sur plusieurs années le rôle des haies mais aussi l’évolution très positive d’une prairie naturelle plantée de peupliers qui feront bientôt du bois d’œuvre, les associés du GAEC Ursule pensent désormais pouvoir généraliser l’agroforesterie dans les prairies naturelles. Quand l’été est chaud, l’herbe  pousse mieux à l’ombre des arbres et les vaches apprécient ces deux atouts réunis. Depuis un quart de siècle, tous les essais d’agroforesterie suivis par l’Institut national de recherche agronomique (INRA) ont montré que cette pratique va devenir un atout majeur pour rendre le pays plus résilient dans un siècle de plus en plus chaud.  

S’agissant du GAEC Ursule, la conclusion pourrait la parodie d’une chanson d’Alain Baschung, tant il est vrai que cette « petite entreprise ne connait pas la crise », du fait de son autonomie en fourrages et en fertilisants qui permettra aussi d’amortir les conséquences du réchauffement climatique. zzz

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(*) Journaliste et auteur. Dernier ouvrage paru : L’Ecologie  peut encore sauver l’économie, une coédition de Pascal Galodé et l’Humanité, mai 2015, 312 pages, 22€

(1) Rapport d’information  N° 556, Sénat, session ordinaire de 2014-2015

                

 

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