Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’enjeu du financement de la protection sociale dans la bataille contre le coût du capital et pour une nouvelle régulation systémique

Le financement de la protection sociale est au cœur des batailles contre le coût du capital et pour une autre régulation systémique centrée sur le développement des  salaires, des dépenses sociales et des services publics. Le système de protection sociale constitue un élément clé des mécanismes de régulation du système économique après la Seconde Guerre mondiale. Mais il entre en crise  en relation avec la crise du système économique dès le début des années 70. Tandis que les réformes libérales se précipitent après l’explosion de la crise financière et économique de 2008. Les politiques d’austérité en France et dans l’Union européenne, en visant la réduction des dépenses publiques et sociales ainsi que la réduction des prélèvements sociaux, tendent à nourrir les prélèvements financiers du capital et à compromettre le rôle régulateur du système de protection sociale. Cela participe à l’aggravation de la crise systémique. D’où l’urgence de réformes de progrès et d’efficacité du système de protection sociale, avec un nouveau financement et la nécessité de contribuer à de nouveaux mécanismes de régulation tendant à mettre en cause les gâchis du coût du capital  et à promouvoir une nouvelle expansion sociale.

 

Le système de protection sociale français conçu en 1945 a constitué un des mécanismes clés de la régulation du système économique dans la phase d’essor de 1945 à 1967

Le système de protection sociale (SPS) constitue une réponse historique originale aux difficultés de la longue phase dépressive et à la crise systémique de l’entre-deux-guerres. Il contribue notamment à contrecarrer les excès de la suraccumulation du capital par de nouveaux mécanismes de dévalorisation structurelle du capital. Il marque la sortie de la phase B d’un cycle long de Kondratieff, phase qui s’étend pendant l’entre-deux-guerres, et l’entrée dans une phase A de croissance d’un nouveau cycle après la deuxième guerre mondiale, phase qui durera jusqu’à 1967. Cette tentative de réponse aux processus cumulatifs de déséquilibres repose sur l’invention des nouveaux mécanismes de régulation qui ont permis la phase d’essor de 1945 à 1967.

Le SPS tend en effet à contrecarrer les processus cumulatifs de déséquilibres sociaux et économiques. Il vise à couvrir les coûts sociaux liés au type de progression de la productivité du travail. Cette couverture des déséquilibres sociaux et des coûts sociaux de la croissance est une nécessité, en amont et au cœur même du procès de travail. Elle contribue à la reproduction du système économique, à partir de nouveaux mécanismes de régulation.

Le système de protection sociale constitue une tentative de réponse à la « dynamique des besoins sociaux ». Il participe à la reproduction de la force de travail, en la maintenant en « bon état de marche » et en accroissant sa capacité productive de valeur ajoutée. Les conditions de la croissance d’après-guerre (nouvelles technologies, intensification du travail, production de masse) impliqueront une prise en compte de nouveaux besoins sociaux : qualification, santé, prévention et réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le SPS contribue à un meilleur entretien de la force de travail et une meilleure couverture des besoins sociaux. Il tend ainsi à la progression de la productivité du travail total : une partie du coût de la reproduction de la force de travail a dû être assurée grâce à un financement public socialisé. Si le salaire constitue la forme marchande de la reproduction de la force de travail, les transferts sociaux participent à cette reproduction en dehors du salaire. Mais comme le salaire n’est plus la forme unique de reproduction de la force de travail, les excès des économies relatives sur le travail vivant, sur les salaires (corrélativement au gonflement du capital matériel et financier, autrement dit du « travail passé ») sont, partiellement et provisoirement, compensés par le développement des transferts sociaux.

Le système de protection sociale tend à articuler relance de la productivité du travail et des débouchés intérieurs. Il contribue à la fois à la dynamique de gains de productivité du travail et à l’élargissement des débouchés intérieurs des entreprises, par une vaste solvabilisation de la demande grâce aux transferts sociaux. Il tend à la fois à la relance de la consommation et à la relance de la production. Il articule la sphère de la distribution et la sphère de la production, il élargit la consommation privée et collective, stimule les débouchés des entreprises, donc l’incitation à investir, l’emploi et la production. La promotion du travail vivant devient ainsi moteur du progrès économique et permet des liaisons intimes entre l’extension des prestations et le développement d’un autre type de progression de la productivité du travail. Les prestations participent à un autre type de développement économique et social. Le financement du système de protection sociale repose sur des cotisations assises sur les salaires versés dans les entreprises, mais permettant en même temps de financer les solidarités, telles notamment les prestations familiales.

Le système de protection sociale contribue à contrecarrer la suraccumulation du capital, à travers les dépenses et son type de financement, par des formes nouvelles de dévalorisation structurelle. Il constitue une contre-tendance à la baisse du taux de profit, puisqu’il élargit les profits réalisés et le développement des richesses produites à partir d’une force de travail mieux formée, reposée, mieux logée, bénéficiant de meilleures conditions de travail et de vie, donc plus motivée et plus dynamique. Au bout du compte, ce financement public de la reproduction de la force de travail par un prélèvement d’une partie de la valeur ajoutée créée, permet lui-même le développement de la capacité productive de valeur ajoutée des salariés.

Il organise des mécanismes de dévalorisations structurelles originales pour contrecarrer les excès de suraccumulation du capital. Les nouveaux mécanismes de régulation et les transformations de structures après la Seconde Guerre mondiale, grâce à l’extension du secteur public, ont permis de compenser les excès de suraccumulation du capital matériel et financier par des dévalorisations structurelles originales, dans la mesure où le financement public ne participait pas à la course à la valorisation du capital.

L’entrée dans une nouvelle crise systémique, l’articulation entre la crise du système économique et la crise du système de protection sociale, l’usure des mécanismes de régulation

De la montée des contradictions aux facteurs de la crise de structure et à l’entrée dans une nouvelle crise systémique

On assiste à la montée des contradictions dès le milieu des années 1960 ainsi qu’à l’entrée au début des années 1970 dans une nouvelle crise systémique et dans une nouvelle phase de difficultés du cycle long.

Le système de protection sociale ne constitue pas une solution obligatoire, ni éternelle aux contradictions du capitalisme, notamment à la montée de la suraccumulation du capital, en lien avec les économies excessives sur le travail vivant. Il est aussi le produit d’un rapport de forces, politique et social, par nature évolutif. La protection sociale se transforme historiquement en fonction des problèmes concrets à résoudre et des modifications du rapport de forces, entre acteurs économiques, politiques et sociaux.

Le système de protection sociale est contradictoire. D’un côté, il concourt à émanciper partiellement la protection sociale des limites du salaire mais, d’un autre côté, en organisant la reproduction du système économique, il participe à la reproduction des rapports sociaux qui le caractérisent. Il contribue donc à perpétuer le rapport salarial capitaliste, même s’il fournit un type nouveau de contre-tendance. Il ne peut pourtant pas s’opposer totalement et de manière irréversible à la reprise d’un type biaisé de progression de la productivité du travail et à la tendance au gonflement du capital matériel et financier en raison des économies relatives sur le travail vivant.

La croissance de la dépense sociale doit être relativisée. En effet, elle vise à contrebalancer les économies excessives sur les salaires. Elle doit faire face à l’usure de la force de travail, liée à l’intensification du travail. Elle tend de plus en plus à réparer plutôt qu’à promouvoir le travail vivant. Pour une part, cette croissance est aussi la résultante de la montée des inégalités et des coûts sociaux.

Les facteurs de la crise de structure

Ceux-ci sont discernables dès la fin des années soixante. Ils annoncent le déclenchement d’une nouvelle longue phase de difficultés, phase B d’un cycle Kondratieff, qui s’ouvre à partir de 1967 et s’accélère en 1973. Dès la fin des années 1960, on peut discerner un accroissement du rapport capital/produit, ou gonflement de la composition organique du capital. Tandis que le capital constant est accumulé dans les machines, des économies massives sont réalisées sur le travail vivant afin de relever le taux de plus-value. En résultent une nouvelle intensification du travail, une dégradation des conditions de travail et une augmentation des accidents et des maladies professionnelles, une montée du chômage et un tassement de la progression de la productivité du travail. Ces facteurs entretiennent la crise de suraccumulation du capital et les mécanismes de régulation ne suffisent plus à contrecarrer les excès de la suraccumulation du capital. On assiste alors à la montée des déséquilibres cumulatifs qui caractérisent une nouvelle crise systémique.

Une nouvelle crise systémique

Le système de protection sociale plonge de plein fouet dans la crise systémique ouverte à la fin des années 1960. La crise systémique se caractérise notamment par une tendance au déséquilibre financier du système de protection sociale. La croissance des dépenses sociales tend pour une part à tenter de réparer les dégâts sociaux de la crise plutôt qu’à promouvoir le travail vivant. En outre, la croissance de la dépense sociale a de plus en plus de difficultés à colmater les effets de la crise, la montée du chômage et des inégalités sociales. L’équilibre financier du système se trouve compromis en raison de « l’effet de ciseaux », c’est-à-dire le décrochage entre les recettes, limitées par les économies sur les salaires et le travail vivant, et les dépenses sociales, obligées de s’étendre pour couvrir les coûts sociaux de la crise et les besoins nouveaux. Le déficit culmine lors de la récession de 1993, pour atteindre annuellement jusqu’à 1996 plus de 7,5 milliards d’euros. Après une accalmie en 2002, il repart à la hausse avec 10 milliards d’euros en 2003. Il explose avec la crise financière économique et sociale à partir de 2008 atteignant plus de 20 milliards d’euros en 2009 et 24 milliards en 2010. Des mesures d’austérité drastiques portent sur le freinage des dépenses publiques et sociales et conduisent à un ralentissement de la croissance et à une remontée du chômage, aussi le déficit se monte à 12,5 milliards en 2013, 15, 4 milliards en 2014, avec le déficit du FSV.

La compression des recettes de la protection sociale est due à l’enfoncement dans le chômage, et la déflation salariale. En réalité, les plans de réforme de la protection sociale visant à réduire les déficits vont les creuser, car le chômage et la déflation salariale se situent au cœur des déficits : 100 000 chômeurs représentent 2 milliards d’euros en moins pour le régime général de la Sécurité sociale. De même, les économies sur la masse salariale compriment fortement les recettes : 1 % de masse salariale en moins par rapport à ce qu’elle aurait pu être, cela représente 2 milliards d’euros en moins de cotisations totales (ouvrières et patronales) pour le régime général.

Les transformations du système de protection sociale dans la crise systémique : des dépenses sociales nouvelles pour colmater les coûts sociaux de la crise mais contredites par un remodelage du financement

a. Les transformations des dépenses sociales pour colmater la montée des coûts sociaux de la crise

D’un côté, on assiste à un accroissement des dépenses sociales. Dans la phase d’essor de 1949 à 1967, les dépenses sociales s’élèvent de 12 % à 17,5 % du PIB, ;cette hausse, en définitive modérée, correspond à la montée en charge du système : retraites, santé, famille. Mais avec la phase de difficultés qui démarre en 1967, les dépenses sociales atteignent 25,3 % du PIB en 1981, autour de 30 % actuellement, en dépit des tentatives de maîtrise comptable qui pourtant limitent la réponse aux besoins sociaux. La crise systémique engendre à la fois un accroissement des dépenses sociales, afin d’encadrer la montée des coûts sociaux, et une contraction des ressources liée au chômage. Cela se traduit par une crise profonde du financement.

Les dépenses de protection sociale doivent faire face aux nouveaux besoins. En premier lieu les besoins nés des tendances démographiques que sont l’augmentation de l’espérance de vie et la nécessité d’assurer le renouvellement des générations. En second lieu les besoins de régulation du système économique et social : tenter de maintenir la productivité du travail, faire face à l’intensification du travail comme aux exigences de la révolution informationnelle. Cependant, les politiques sociales vont tendre de plus en plus à colmater les déséquilibres économiques et sociaux, notamment le chômage et la précarité.

En même temps, d’un autre côté, on assiste à une tentative pour ramener le rythme de croissance des dépenses sociales à celui du PIB. Un fort ralentissement de la progression des dépenses sociales intervient à partir de 1983, tandis que le plan Juppé (1995-1996) institutionnalise ce principe. Cette politique de maîtrise comptable est annoncée comme incontournable en raison du type de construction européenne adopté, notamment l’obligation de maintenir le déficit public et social à 3 % du PIB et le stock de la dette à 60 % du PIB.

b. Les transformations du financement: fiscalisation contre cotisations. L’argument fallacieux d’un coût du travail prétendu trop élevé

On assiste aussi à des transformations du financement. C’est d’abord la baisse de la part relative des cotisations dans le financement. Cela résulte en premier lieu de l’insuffisance de la croissance de la masse salariale. Et cela surtout en raison des conséquences des politiques économiques menées depuis 1983 ainsi que des gestions d’entreprises. La part des revenus du travail dans la valeur ajoutée a très fortement baissé en France de 1983 à 2003, pratiquement de 12 points, 58 % en 2002 contre 70 % en 1983 dans les comptes des entreprises privées.

L’argument fallacieux d’un coût du travail prétendu trop élevé

On tente ainsi de justifier le refus d’augmenter les cotisations, puis leur réduction au nom de la défense de l’emploi. Les cotisations, et tout particulièrement les cotisations d’employeurs, sont présentées comme une charge à réduire au nom de la compétitivité, alors qu’elles constituent un élément de la rémunération globale des salariés nécessaire à la reproduction, en dynamique, de la force de travail. Ainsi, la part relative des cotisations passe-t-elle de 78,3 % en 1990 à 73,6 % en 1997, puis chute à 66,3 % en 1998 pour rester ensuite sous cette barre des deux tiers.

La montée de la fiscalisation contre le principe des cotisations sociales

C’est aussi la croissance considérable de la part du financement étatique et de la fiscalisation du financement de la protection sociale, depuis la création de la CSG depuis 1991. Le financement étatique dépasse 30 % à partir de 1998. Au sein des cotisations on organise la régression de la part relative des cotisations d’employeurs et l’augmentation de la participation des salariés et des ménages. La régression de la part relative des cotisations d’employeurs a été contrebalancée par l’accroissement de celle des cotisations de salariés jusqu’à 1998. Depuis 1998 on assiste à une tendance au transfert des cotisations salariales sur les impôts des ménages via la CSG. La part relative des cotisations d’employeurs dans le financement total reste, certes, la plus importante, mais elle a régressé massivement, de près de 14 points de 1968 à 2000, en passant de 58,4 % à seulement 44,6 %. Le taux de croissance annuel moyen des cotisations patronales en valeur absolue est négatif depuis 1993 (-0,8 %), en raison de la montée des exonérations qui prétendent inciter à l’emploi. Celles-ci connaissent une croissance exponentielle : 7,6 milliards d’euros en 1995, 20 milliards d’euros en 2003, près de 30 milliards en 2008, 35 milliards en 2014.

Pour notre part nous avançons le principe des cotisations contre la fiscalisation

Le président de la République, François Hollande, le gouvernement de Manuel Valls ainsi que la ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine, cherchent à accélérer le processus de fiscalisation croissante de la protection sociale.

Sous prétexte de « moins taxer le travail », on tend en fait à organiser la réduction des « charges » sociales patronales, et à institutionnaliser la réduction du coût du travail et de la part des salaires dans la valeur ajoutée. En même temps, cette fiscalisation conduit à une étatisation du financement de la Sécurité sociale.

Celle-ci affaiblit le principe de la gestion paritaire des organismes sociaux. Cela tend à renforcer la politique de réduction des dépenses et prélèvements sociaux, imposée par les forces libérales afin de servir plus directement les exigences de rentabilité financière immédiate.

Le débat : cotisation sociale ou CSG

La question centrale est l’assiette du financement. La nature de ce financement définit la nature du modèle de protection sociale et le choix de civilisation qu’il induit. Soit il relève de la fiscalisation, soit il est ancré sur la cotisation sociale.

Dans ce débat, les partisans de la CSG avancent plusieurs arguments pour justifier le développement de la CSG pour financer la Sécurité sociale.

1. La CSG serait plus juste car elle ferait participer tous les revenus et elle est plus efficace car son rendement est plus puissant.

2. Les prestations de Sécurité sociale seraient « universelles » depuis la CMU. Leur financement relèverait donc de la solidarité nationale, et donc de l’impôt comme la CSG.

3. Assises sur les salaires, les cotisations sociales pèseraient sur le coût du travail et la compétitivité des entreprises. Le basculement de la cotisation vers l’impôt (CSG) permettrait alors d’améliorer la compétitivité et de lutter contre le chômage.

En réalité, aucun des arguments avancé ne tient :

1. La CSG est foncièrement injuste et inefficace. Prélevée sur les revenus des ménages, elle repose à hauteur de 88 % sur les seuls revenus du travail ou de remplacement (salariés et retraités). Les revenus financiers et du patrimoine n’y contribuent que pour 11 %. Elle ne taxe donc pas le capital mais les revenus du travail des ménages. Prélevée sur les revenus et non sur la richesse produite dans l’entreprise, elle est déconnectée du lieu de création des richesses.

2. Les prestations de sécurité sociale ne sont pas simplement « universelles ». Elles relèvent aussi d’une solidarité professionnelle liée au travail. Le fait de cotiser ouvre droit à ces prestations. Tous les cotisants y ayant droit indépendamment du niveau de leur contribution.

C’est la solidarité des travailleurs entre eux et c’est l’esprit des fondateurs de la Sécurité sociale : « chacun contribue selon ses moyens pour recevoir selon ses besoins ». À la solidarité des travailleurs entre eux, la fiscalisation substitue une solidarité étatique qui dépouille les salariés de leur pouvoir de détermination au profit du Parlement. À l’attribution sans conditions à chaque cotisant, selon ses besoins, de cette part de la richesse produite, elle substitue des allocations tributaires des arbitrages budgétaires de l’État conditionnées par ses objectifs de redistribution sociale des revenus. Les cotisations sociales ne peuvent donc être remplacées sans conséquences par la CSG.

La CSG est devenue une forme nouvelle de prélèvement obligatoire en France. Portant sur les revenus du travail, elle constitue une sorte de prélèvement à la source par les URSAFF et touche aussi les revenus exonérés des ménages (contrairement aux impôts sur les revenus). Non contributive, elle n’ouvre pas droit à prestations, contrairement à la cotisation sociale, et est donc comptabilisée comme un impôt.

Pour notre part, nous défendons le principe des cotisations sociales. Nous sommes favorables à un financement lié à l’entreprise, lieu où les salariés créent les richesses et la croissance. Nous tenons à réaffirmer le principe de la cotisation sociale en fonction des salaires versés, son lien à l’entreprise. Les cotisations sociales sont une prise sur la valeur ajoutée, une partie de la VA qui ne va pas au profit. Le principe de la cotisation sociale est un principe moderne et révolutionnaire. Chacun cotise en fonction de sa capacité contributive et peut recevoir des prestations et des soins en fonction de ses besoins. Les cotisations calculées en fonction des salaires versés sont prélevées sur la valeur ajoutée créée par les salariés. Elles servent à financer des prestations qui permettent de développer leur capacité contributive. Les cotisations sont ainsi enracinées et source de dynamique économique, ce qui donne les moyens de financer la protection sociale. Cette articulation du financement de la protection sociale à la production de richesses par les salariés constitue une très grande force. Au contraire, nous sommes opposés à la fuite en avant dans la fiscalisation de la protection sociale (CSG, CRDS), car il s’agit fondamentalement d’organiser la réduction des « charges » sociales notamment patronales, d’institutionnaliser la réduction du coût du travail et de la part des salaires dans la valeur ajoutée. En même temps, cette fiscalisation conduit à l’abaissement des gestions dites paritaires, ainsi qu’à une étatisation qui vise le rationnement des dépenses sociales. La CSG ne repose que sur les ménages (et pour 88 % sur les salariés et les retraités), les revenus financiers des ménages ne contribuent que pour 11 %. Il est donc faux de dire que la CSG est plus juste et qu’elle ferait participer tous les revenus. En outre, elle ne repose qu’en aval sur les revenus des ménages, n’est pas articulée au lieu de la production des richesses, elle reste donc limitée. Le principe « à recettes limitées, dépenses limitées » joue à plein. Cela constitue un puissant moyen de pression pour réduire les dépenses sociales. La CSG est une réponse détachée de l’entreprise, c’est un impôt décidé par l’État, alors que la cotisation est une réponse socialisée. Le choix des modes de financement à partir des cotisations, c’est le choix d’un partage des richesses produites en faveur des salariés, et d’une action à la racine sur la façon de produire les richesses en accroissant la part de salaires et des fonds sociaux. Le choix du financement correspond à un choix de société. Le choix de la cotisation, c’est le choix de la solidarité, de la responsabilité sociale des entreprises, le choix d’une Sécurité sociale gérée par les assurés sociaux. Au contraire, pour nous, la CSG, la fiscalisation, c’est le choix de l’étatisation pour servir en fait plus directement les intérêts immédiats du capital et freiner les dépenses sociales. Nous voulons sortir de ces cercles vicieux qui organisent le tarissement des recettes de la protection sociale. Nous combattons la théorie dominante qui présente le financement de la protection sociale, tout particulièrement les cotisations sociales, comme un boulet handicapant l’emploi, en prétendant que cela élève de façon excessive le coût du travail. Cette théorie avance aussi que le financement de la protection sociale, à partir des cotisations sociales, constituerait un frein à la croissance et à la compétitivité des entreprises. Il convient de montrer, au contraire, que le financement de la protection sociale, notamment les cotisations sociales, constitue un facteur de développement des ressources humaines, un moteur pour un autre type de progression de la productivité du travail, un autre type de croissance. Cependant, le type de croissance actuel comprime les dépenses publiques et sociales, fait exploser le chômage qui gangrène les rentrées de cotisations. C’est le type de politique économique et de gestion des entreprises qui réduit la part des salaires dans la valeur ajoutée, tandis que les exonérations exponentielles de cotisations patronales sur les « bas salaires » (30 milliards d’euros en 2008) privent la Sécurité sociale de ressources et tendent à tirer tous les salaires vers le bas. Les propositions du gouvernement actuel de réforme du financement de la protection sociale ont un temps été focalisées sur la TVA sociale, dont les effets dramatiques sont à prévoir sur le pouvoir d’achat des ménages et, à terme, sur la croissance et l’emploi. L’explosion de la crise financière et des déficits, comme les centaines de milliards d’euros dilapidés dans le soutien de banques et des entreprises, tandis que les licenciements et le chômage ont repris leur course exponentielle, obligent le gouvernement à la prudence. Les plans de redressement restent en réserve. D’autres propositions, comme celle du Parti socialiste de fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG (en rendant du coup cette dernière progressive) en avançant que cela serait moins injustes que la TVA « sociale », se fondent aussi sur l’idée que le financement de la protection sociale doit peser essentiellement sur les ménages et qu’il s’agirait d’accélérer encore le désengagement des entreprises. Il faut au contraire relever la part des salaires dans la valeur ajoutée et accroître le taux et la masse des cotisations patronales.

La TVA dite sociale: une fiscalisation qui épargne beaucoup ceux qui peuvent épargner beaucoup et charge les ménages modestes et moyens

La « TVA-sociale » vise la réduction du coût du travail au bénéfice des entreprises. Sous sa forme Sarkozy-Fillon, les prélèvements fiscaux pesant sur la consommation des ménages auraient été alourdis de milliards d’euros et les cotisations sociales patronales allégées d’autant. Utilisant toutes leurs ressources pour la consommation, les ménages pauvres auraient été les grands perdants. Autre objectif, elle aurait permis de rompre avec notre tradition historique de financement de la politique familiale par les entreprises et de répondre ainsi à une vieille revendication du patronat. Au final, cette « TVA-sociale » aurait exercé des effets récessifs sur le pouvoir d’achat des ménages comme sur la croissance et l’emploi, affaiblissant ainsi encore plus les recettes liées à la cotisation sociale.

Annulée après l’arrivée de François Hollande au pouvoir, les projets de financement de la Sécurité sociale n’en sont pourtant pas plus rassurants. Les décisions gouvernementales suite au rapport Gallois visent à augmenter la TVA. Ces augmentations serviront à compenser les crédits d’impôt, nouveaux cadeaux au patronat et perte de pouvoir d’achat pour les ménages.

C’est une façon de faire peser le financement de la protection sociale davantage sur les ménages que sur les entreprises, de renforcer l’étatisation de la Sécurité sociale et la soumission de son budget aux arbitrages de l’État. TVA surnommée fort à propos « antisociale » et CSG constituent deux faces d’une même pièce fiscale.

Les politiques d’austérité contre les dépenses sociales et les salaires aggravent la crise du système de protection sociale et compromettent son rôle régulateur

Les réformes libérales présentées comme le seul moyen de s’adapter à la crise pèsent de plus en plus sur la protection sociale et contribuent à l’aggravation de la crise systémique. Elles aggravent au final la tendance au déséquilibre financier. La tentative de réduction des déficits à partir de la restriction des prestations comme la montée des prélèvements et de la participation personnelle des ménages conduisent en réalité à alimenter les déficits eux-mêmes, en compromettant le rôle régulateur du système de protection sociale dans l’économie. En effet, en comprimant le pouvoir d’achat des ménages à partir de prélèvements plus importants et de prestations minorées, ces plans dépriment la consommation privée et collective, donc les débouchés intérieurs des entreprises, ils mettent en cause l’incitation à investir dans la production et nourrissent la reprise du chômage. La recherche d’une flexibilité à la baisse des salaires, la dérégulation du marché du travail et la réduction des dépenses sociales tendent à freiner la progression de la productivité du travail total. Tout ceci concourt à limiter la croissance réelle, encourage son faible contenu en emploi et en salaires et tend à priver le système de protection sociale de ressources, en engendrant une nouvelle montée des déficits. La crise d’efficacité du financement de la protection sociale, liée au chômage et aux économies sur les salaires, est donc aggravée par le type de restructuration entrepris.

Ainsi la crise du système de protection sociale et les conséquences des réformes engagées participent-elles à la crise des mécanismes de régulation du système économique et social d’ensemble.

Des pistes alternatives de réforme, en rupture avec les projets de démantèlement du modèle social français et de construction d’un modèle libéral sont indispensables. Un nouveau modèle de progrès et d’efficacité sociale afin de contribuer à de nouveaux mécanismes de régulation visant une issue de progrès à la phase de difficultés en cours est à construire.

Contre la mise en cause du modèle social français et la marche vers un modèle libéral, contre les attaques destructrices contre le coût du travail et les cotisations sociales, s’attaquer au coût du capital et construire un nouveau modèle d’expansion des dépenses sociales et des services publics

Face à l’accumulation et à l’accélération des réformes régressives de Sarkozy à Hollande et à la crise profonde d’efficacité et de financement du système de protection sociale, des réformes alternatives de progrès et d’efficacité sont indispensables. Toutes les forces vives du pays, comme en 1945-1946, doivent faire preuve de créativité pour faire monter des alternatives au néolibéralisme et pour sortir de la crise systémique en cours, où s’articulent la crise du système économique et la crise du système de protection sociale. La solution n’est pas dans la réduction des dépenses publiques et sociales et des prélèvements publics et sociaux obligatoires.

Concernant le système de santé, elle ne peut consister dans une réduction des dépenses de santé solidaires, qui favoriserait l’éclatement entre assistance et assurance. Une véritable régulation médicalisée devrait partir d’une évaluation des besoins de santé au plus près du terrain. Elle appelle la concertation et la contribution des acteurs pour la construction de procédures de régulation aboutissant à un système de santé réellement solidaire, préventif, favorisant l’accès précoce aux soins, coordonné, et efficace avec un meilleur suivi du malade et de meilleurs résultats de santé.

Les dépenses sociales de santé, de retraite, pour la politique familiale, etc., devraient être étendues et réorientées. Loin de représenter un boulet pour l’économie, elles pourraient contribuer à une issue de progrès à la phase de difficultés du cycle long en cours et amorcer une nouvelle phase d’essor, en anticipant de nouveaux mécanismes de régulation. Nous proposons une refonte dynamique et efficace socialement du financement du système de protection sociale.

Les combats contre les réformes régressives de notre modèle social : retraites, politique familiale, système de santé, indemnisation du chômage… révèlent le besoin de constructions alternatives en rupture avec la logique libérale. Une réforme de fond du financement permettrait de prendre en compte les besoins sociaux (retraite, santé, famille, emploi) qui ont émergé dans la crise, afin d’amorcer un processus de sortie de crise.

Les axes essentiels de cette réforme consisteraient :

1. Dans la création d’une cotisation additionnelle pour financer la protection sociale sur les revenus financiers des entreprises et des banques (dividendes et intérêts), qui échappent aux prélèvements sociaux. On peut ainsi envisager d’appliquer à ces revenus financiers qui dépassent 319 milliards d’euros en 2012, le taux de cotisation patronale sur les salaires, ce qui rapporterait en tout 70 milliards de ressources supplémentaires pour le régime général de la Sécurité sociale.

2. Dans la refonte du système de calcul des cotisations patronales. Actuellement le système repose sur les entreprises qui embauchent et valorisent les ressources humaines et, à l’inverse, déresponsabilise les entreprises qui licencient et fuient dans la croissance financière. Aussi proposons nous de tenir compte du rapport masse salariale/valeur ajoutée en visant son relèvement. Les entreprises où ce ratio est bas se verraient appliquer un taux de cotisation plus élevé. Au contraire, les entreprises qui contribuent à la croissance réelle par l’emploi, les salaires et la formation, bénéficieraient de taux de cotisation moindres, mais le développement de l’emploi, des salaires et de la formation serait source de rentrées de cotisations. L’objectif est de dégager de nouveaux moyens de financement branchés sur l’accroissement de l’emploi, des salaires et de la formation.

Ceci pourrait impliquer des crédits nouveaux à partir de prêts bonifiés (à taux nul ou négatif) aux entreprises, d’autant plus qu’elles participeraient à la croissance réelle, à l’investissement productif, centrés sur l’emploi et de la formation. Ceci se ferait d’une part au niveau régional, à travers des Fonds régionaux pour l’emploi et la formation. Cela impliquerait aussi le niveau européen, en exigeant une montée des luttes et propositions concertées nouvelles des forces progressistes. Pour sortir de cette nouvelle phase explosive de la crise systémique, il faut sortir les peuples des cures drastiques d’austérité que les forces libérales leur imposent face à l’explosion des endettements et de la spéculation. On pourrait notamment proposer un Fonds européen de développement social, visant le développement social et des services publics. Cela impliquerait notamment des actions fortes pour que la BCE sorte des dogmes monétaristes, il s’agirait aussi de rompre avec les diktats du Pacte de stabilité, ainsi que du Pacte de compétitivité germano-français en cours qui prétend réduire le coût du travail ainsi que les dépenses publiques et sociales de façon drastique. Il convient au contraire de viser un pacte de nouvelle croissance par le développement social et des services publics.

Une refonte de progrès du système de protection sociale est une nécessité vitale pour sortir de la crise en cours, notamment pour répondre aux nouveaux besoins de santé, aux exigences d’une politique familiale moderne, d’un financement dynamique des retraites ; de l’autonomie des personnes âgées, etc. Des constructions institutionnelles nouvelles pourraient concerner un nouveau Système de sécurité d’emploi ou de formation. Celui-ci viserait à assurer à chacune et à chacun une sécurité et une continuité de revenus et de droits sociaux relevés. Cela impliquerait de nouveaux droits sociaux et pouvoirs des salariés, des acteurs sociaux, des associations, des usagers et de toutes les populations. La promotion de la formation tout au long de la vie, la sécurisation et le développement de l’emploi, des salaires, pourraient concourir à dégager de nouvelles ressources pour la Sécurité sociale, tout en visant une nouvelle avancée de civilisation.

Références bibliographiques

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‒ Mills, Catherine, Économie de la protection sociale. Quel avenir pour la protection sociale. Crise et recherches de régulation nouvelle des systèmes de protection sociale, Sirey, 1994.

‒ Rasselet Gilles (dir), Les transformations du capitalisme contemporain, L’Harmattan, 2007. 

 

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THEORIES DE LA REGULATION ET SURACCUMULATION - DEVALORISATION DU CAPITAL

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