Au delà de l’affichage des pôles de compétitivité comme une nouvelle politique nationale pour lutter contre les délocalisations industrielles, cette approche prétend apporter une réponse efficace au vrai problème d’une liaison construite dès les territoires entre laboratoires recherche fondamentale – université recherche et développement – production. Aujourd’hui cette liaison en France est en crise profonde, mais le type de réponse apportée vise avant tout à concentrer sur le territoireles moyens humains, technologiques, matériels et financiers au service de la rentabilité financière des grands groupes et non pour le développement de toutes les capacités humaines sur les territoires en coopération.
Outre que ces pôles de compétitivité ne sont ni totalement nouveaux, ni inspirés par l’intérêt national ; ils ne seront pas non plus efficaces pour lutter contre les délocalisations.
Selon la définition donnée par le CIAT qui s’est réuni le 14 septembre 2004, un pôle de compétitivité résulte de la combinaison, sur un même territoire, de trois ingrédients (entreprises + centres de formation + unités de recherche) et de trois facteurs décisifs (partenariat + innovation + visibilité internationale).
Certains de ces pôles auront une dominante technologique, les fonctions recherche et développement y prédomineront, tandis que les autres seront à dominante industrielle. Ces derniers étant structurés par la densité du tissu productif et de commercialisation.
Cependant les traits communs à tous les pôles de compétitivité seront l’innovation et la visibilité internationale. Cet «outil de développement industriel des territoires» est présenté comme le dispositif d’une nouvelle stratégie nationale dont l’objectif est de lutter efficacement contre les délocalisations.
En effet, «malgré de nombreux rapports récents (2) qui témoignent d’une industrie consistante et compétitive en ce début de siècle(3)», force est de constater que l’industrie Française subit des mutations importantes et continues depuis trente ans. Les délocalisations sont un phénomène plus récent qui connaît une accélération depuis les dix dernières années sous la poussée de la mondialisation des échanges et de la concurrence internationale, puis de la pression des capitaux sur les coûts au détriment de l’emploi et de la création de richesses locales. Ainsi, ce sont en Ile de France 5 000 emplois industriels perdus en moyenne par trimestre, soit 50 000 en deux ans et demi ! Or l’industrie représente 85 % des exportations françaises. Cet enjeu majeur semble être pris en compte dans le rapportdu CIAT qui motive son projet de pôle de compétitivité par «le caractère structurant de l’industrie française et son effet d’entraînement sur l’ensemble de l’économie nationale».
Au-delà des intentions, une réalité s’impose
Cette politique nationale présentée aux médias comme une initiative gouvernementale propre à lutter contre les délocalisations, est en fait un dispositif de la politique communautaire qui «répond aux objectifs de compétitivité fixés par les sommets européens de Lisbonne et Göteberg».
L’ articulation de ces pôles notamment avec le Programme Cadre de recherche et développement et la politique Régionale Européenne sera systématiquement recherchée. Ainsi, quelles marges de manœuvres peut avoir le Gouvernement Français dans une logique européenne qui se fonde sur «le respect du principe d’une économie de marché où la concurrence est libre et non faussée (4) c’est à dire hautement compétitive» ?
C’est en effet au cœur même de cette réflexion qu’il faut rechercher la cohérence du dispositif. Or, nous allons le voir, l’ensemble des outils financiers et institutionnels, affectés à cette nouvelle disposition, concourent à poursuivre une politique d’Aménagement du Territoire constante quel que soit le gouvernement, fondée sur la concentration des richesses et des moyens autour d’activités à forte valeur ajoutée sur des territoire rendus attractifs au détriment de leur périphérie. Cette conception de l’aménagement et du développement économique qui aiguise la concurrence entre territoires, en créant des zones de pauvreté, accentue la fracture sociale et économique. C’est dans ces termes que des actions avaient été menées dès 1990 à l’occasion des Commission de Concertation mises en place dans le cadre de la Révision du SDAU. (5)
Pour rappeler rapidement l'histoire de la genèse des «pôles de croissance», dont les pôles de compétitivité sont, par hypothèse, une déclinaison, il faut se situer dans la période d'après la seconde guerre mondiale. L'économiste François Perroux oppose à la théorie du profit maximum, celle d'une répartition des fruits de la croissance (il parle déjà du rôle du pouvoir dans l'économie et de la constitution d'une Europe économique). Il élabore un concept où dit-il «l'économie est l'aménagement en vue de l'avantage de chacun et de tous». Le géographe JeanFrançois Gravier théorise sur «Paris et le désert français», et l'urbaniste Philippe Aydalot (théorie de la localisation spatiale du développement), sous l'impulsion du Général de Gaulle en 1950, créera le modèle du pôle de croissance.
Il se trouve que leurs effets pervers ont été décrits (6) «polariser le développement dans un espace délimité (…) contribue à créer des espaces marginalisés autour du pôle de développement…».
Ce que nous propose le Gouvernement Raffarin, c’est en fait de créer de véritables «aspirateurs à délocalisations» vers des pôles géographiquement définis et labellisés pour y recevoir l’ensemble des aides qui en feront des quasi zones franches très hautement technologiques, ou très hautement industrielles et commerciales.
Ces pôles de compétitivité semblent être la touche finale à l’œuvre de recomposition spatiale (7) et économique de la France, immergeant les territoires dans la guerre économique mondiale. Dans la construction de ces pôles, les populations locales, qu’il s’agisse des habitants, des citoyens contribuables, des salariés ou des élus, sont ignorées par le projet qui n’y fait pas la moindre allusion. (8)
Le dispositif financier d’accompagnement des pôles de compétitivité
Le financement de la mesure se décompose ainsi :
360 à 370 millions d’Euros sur 3 ans, provenant de l’Etat, soit 25 à 30 % du Fonds d’intervention des ministères concernés.
380 à 390 millions d’Euros sur 3 ans provenant de la CDC, de l’ANVAR , de la BDPME et de SOFARIS (Fonds de garantie).
En outre ces «pôles géographiquement définis et labellisés bénéficieront sur tout ou partie de leur territoire d’unefranchise fiscale sous forme d’exonération d’impôt sur les sociétés dans la limite des plafonds autorisés par l’UE et d’un allègement de charges sociales à concurrence des rémunérations servies aux effectifs affectés à l’effort de R et D.»
Ces avantages fiscaux et sociaux seront abondés par «des subventions accordées, si elles le souhaitent par les collectivités territoriales, particulièrement les Régions, ainsi que les fonds structurels européens dans la limite des plafonds communautaires». Des mesures d’accompagnement et d’animation spécifiques ont été prévues à hauteur de 8 millions d’euros Le CIAT affecte en outre 1 million d’euros au développement des usages des technologies numériques et à leur appropriations par les PME. «La CDC quant à elle, soutiendra en fonds propres les projets de développement du très haut débit dans les pôles de compétitivité». Enfin un système de veille est créé. Un budget annuel de 2 millions d’euros lui est consacré.
Le détail des mesures d’accompagnement de ce dispositif, fait état d’un appui à l’immobilier d’entreprise et aux logements intermédiaires. C’est le programme de la CDC consacré à hauteur de 550 millions d’euros à la politique de mutation urbaine et territoriale qui devra «mobiliser les concours appropriés» pour répondre aux besoins générés par les pôles.
Enfin «pour développer le financement en fonds propres des entreprises innovantes, le CIAT demande à la CDC, d’accorder une priorité aux projets de pôles de compétitivité dans le cadre de son programme en faveur des PME, doté d’une enveloppe de 450 MÄ sur les 3 prochaines années».
L’ensemble de ces mesures de financement est prévu par redéploiement des moyens existants. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a voulu s’assurer de la bonne santé des collectivités locales en demandant une étude à Dexia Crédit Local. Cet organisme conclut à un léger tassement de la croissance des investissements, ainsi qu’à une légère tendance à recourir à l’endettement. Mais c’est pour relever aussitôt la très bonne santé de l’épargne des collectivités locales (31 Milliards d’Euros) ; épargne qu’elles utilisent pour leurs investissements.
Quels sont les objectifs visés par les pôles de compétitivité ?
Ce n’est pas la lutte contre les délocalisations, car on l’a vu, celles-ci devraient augmenter à l’intérieur de la France. (11) Ce projet est finalement la reconnaissance du besoin impérieux de développer les nouvelles technologies ainsi que les fonctions recherche et développement.
Il montre aussi qu’aucun projet ne peut se concevoir sans l’implication de tous les acteurs du développement, encore faudrait-il que la finalité de celui-ci soit au service des populations. Or, comment abonder dans le sens du projet, alors qu’il est porteur de la mort annoncée de milliers d’emplois, et d’une explosion de la concurrence interrégionale par raréfaction des moyens destinés à leur développement ?
Les «heureux élus» ne seront pas nombreux. Le CIAT prévoit un appel à projet sur 3 ans qui devrait voir en tout 15 projets labellisés. On cite déjà Grenoble (microélectronique), Toulouse (aéronautique), Sophia-Antipolis, Limoges (céramiques) ou encore Saclay. D’autres territoires pourraient être concernés: le Grand Est pour l’industrie automobile… (12).
«La labellisation d’une première liste de projets arrêtée au printemps 2005, donnera à la Datar et à la Direction Générale des Entreprises l’occasion de proposer les conditions de la poursuite du travail interministériel et de la reconduction éventuelle de l’appel à projet.» (13)
Cette formulation ne laisse-t-elle pas entrevoir la fin prématurée d’espoirs nés d’un effet d’annonce ?