Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Table ronde sur les 50 ans d‘ Économie et Politique

Des moments marquants de son histoire… aux défis du présent et de l’avenir

Économie et Politique a cinquante ans. Ses 1250 rédacteurs réguliers ou occasionnels ont fait de la revue d’économie marxiste l’une des plus ancrées dans le paysage éditorial économique et politique de ces cinquante dernières années.

Les invités à notre table ronde pour évoquer cette aventure ont été et sont des acteurs de premier plan, d’anciens rédacteurs en chef comme Paul Boccara ou Denis Recoquillon et l’actuel rédacteur en chef Alain Morin ou encore Jean Magniadas, économiste et syndicaliste, rédacteur depuis 1955 et Francette Lazard, membre de la direction de la section économique de 1964 à 1969 et de la direction du PCF de 1969 à 2000.

Cette table ronde a traité trois thèmes : le premier concerne le rôle original de la revue dans la société française avec une évocation critique de son apport aux luttes sociales et d’idées.

Le second revient sur la période où Économie et Politique a développé l’analyse

théorique du capitalisme monopoliste d’Etat et la bataille sur le contenu du programme commun de gouvernement de 1972 et ses enjeux.

Le troisième revient sur la période de l’analyse de la crise du CME et les innovations sur les critères du gestion et l’utilisation de l’argent jusqu’à la sécurité d’emploi ou de formation et tous les thèmes développés dans la dernière période.

Ce dossier vise aussi à préparer une rencontre nationale pour les 50 ans d’Économie et Politique, le 26 janvier 2005, avec la participation de collaborateurs des diverses générations et de Marie-George Buffet. Cette manifestation sera l’occasion de prolonger les réflexions de la table ronde.

INNOVER POUR COMPRENDRE LA REALITE ET AGIR

Jean Magniadas

J’ai appr écié très positivement la créat ion d'Economie et Politique. Lors de sa créat ion les médias diffusant de l' économ ie éta ient relat ivement rares. C’était, à l'évidence une initiative audacieuse Dans les années qui vont suivre la diffusion de l'idéologie économ ique des classes dominantes va s'am plifier. Nous étions bien à l'avant-garde, au sens str ict de cette

express ion. Pour les syndicalistes , elle réponda it à des besoins qui n'étaient pas pris en com pte par les publications syndicales. La novation est évidente

Economie et Politique était cependant pénétrée par la vulgate mar xiste propre au PCF. Son « best seller »: La France et les trusts, avec des mono graph ies fondées sur des liaisons financ ières, incontesta blement le montr e bien. Il demeura it enfermé dans une explication réduc trice du capitalisme.

L'app or t essent iel, c’est la jonct ion éta blie constam ment entr e l'économ ie et la politique Elle restera sa contr ibution et sa fonct ion essent ielle, éloignée de l’académisme, et cherchant à s’ancr er dans le réel. Ce sera un élément de sa pérennité, comme on le verra bien avec la dispar ition de la gauc hisante revue Critique de l’Economie qui préten dait occu per le même créneau .

Denis Recoquillon

Je décou vre Economie et Politique en 1968, une époque où est posée la quest ion d’un « détour théor ique » par le mar xisme pour com prendre et trans former la société. H. Marcuse ,

H. Lefebvre, L. Althusser c’est une ouver tur e pass ionnante pour les étu diants dont le bagage culturel est très éclectique, et plutôt léger. Mais pour ceux qui privilégient la jonc-

tion avec le mou vement ouvrier, ça n’ouvre pas les por tes de l’entr eprise, ça ne pénètr e pas au cœur du mou vement économ ique de l’époque, ça n’explique pas les trans format ions formidables du capitalisme qui nourr issent les as pirat ions et les frustrat ions , les révoltes et la soif d’agir de ma générat ion. Un des attra its d’Économie et Politique, ce qui fait son originalité profonde, c'est son caractèr e à la fois pédagogique et fon damenta l, son lien aux luttes syndicales, son rappor t au Parti commun iste. Ni L’exploitation capitaliste d’A. Barjonet , ni le Manuel soviétique de Nikitine, ni aucun ouvrage aca démique sur Marx n’offre cela.

Dans les années 70, les thèses de P. Boccara sont au cœur des débats sur le capitalisme et la revue s’impose comme « la » référence , res pectée voire pillée, dans les milieux universitaires de gauc he. Elle ser t auss i de « langage commun » avec les syndicalistes d’entr eprise, une dimens ion qui va prendre un nou vel élan dans les années 80, autour des apports théor iques et des expériences d’inter vention dans les gest ions avec de nou veaux critèr es.

L’originalité d’Économie et Politique s'est alors profondément renou velée, avec un effor t de dépassement critique et pratique de la straté gie et du contenu du Programme commun de la gauc he. Contr e l'état isme, la vision techn iciste et centra lisée de la planification, la revue a por té une avancée théor ique, un effor t pédagogique, l’expérimentat ion de nouvelles pratiques autogestionna ires : sur le tra vail et les choix techno logiques avec les conse ils d'ate lier ; sur la gestion économ ique et financ ière des entr eprises , des collect ivités terr itoriales, des fonds sociaux ou de l’Etat avec les nouveaux critèr es d’efficacité sociale. Une démar che qui s’est enrichie dans les années 90 avec les batailles pour une autr e utilisation de l’argent et pour une sécur ité d’emploi ou de format ion. Pour moi, au delà des contra dictions et des affrontements qui ont mar qué ces éta pes, laissant beaucou p de ceux qui ont fait la revue sur le bord de la route , l’app or t d’Economie et Politique est cons idéra ble.

Paul Boccara

Revue mar xiste , lien entr e économ ie et politique : deux carac téristiques de l'originalité de la revue. Mais ce la n ' a p as été s imp le et linéa ire. Il y avait des contra dictions, des luttes et de la passion dans cette aventur e.

Au dépar t en 1954, il y avait une trad i t ion d ' ana lyses em piriq ues solides avec d’excellents stat isticiens

comme Vanoli, mais des repères théor iques limités : les monopo les, les trusts , l’opp osition salaires/ profits, et même une prégnance d’idées dogmatiques en contra diction avec la qualité des tra vaux empiriques.

Auss i, il y a eu une crise de la revue, le dépar t de nom breux collaborateurs en 1959, quan d je suis arr ivé. Le directeur exclu, le rédacteur en chef démissionné . Ça a été d’abord le choc du 20e congrès du PCUS en 56, contr e cer taines des idées antér ieur es de la vulgate mar xiste-léniniste, par exemple l'idée que la crise de structur e cont inuait depuis les années 30 et même que la croissance cont inuait à baisser alors que l'on était en p l e ine cr oissance . P our ne p as p ar t i r, il fallait com prendre. Et cela a nécess ité le retour à Marx pour le développer, pour moi et d’autr es, et pour cer tains un retour à Lénine.

Il y avait eu ensu ite le choc de 1958, l'arr ivée de De Gaulle au pouvoir, la per te d'un million de voix du PCF, le débat sur la significat ion de « pouvoir gaulliste », etc. La conjonct ion de ces deux chocs a fait une déflagration.

Le retour à Marx et au « Capital » : c’est l’insistance sur la renta bilité , le rappor t pr ofit sur ca pital, p our com prendre l’évolution, avec le livre III du « Capital », et pas seulement le rappor t « profit-salaire » du livre I. Cela sera la résurr ect ion de la pointe extrême de l’analyse cac hée dans le « Capital », de la suraccumu lation et son nou veau développement dans l’explication des ph énomènes et des grands zigzags des taux de profit, au lieu de la baisse linéaire du taux de profit alors que les profits monta ient . Mais il y a eu des rés istances et des opp ositions cons idéra bles.

Cependant la dominante , dans Economie et Politique, c'est l'effor t de novation et la fécon dité théor ique, malgré toutes les limites , avec d’autr es tra vaux empiriques. On senta it qu'il y avait de la nouveauté dans cette revue, que l'on soit pour ou contr e.

Malgré une grande liber té de discuss ion il ne faut pas sous-est imer les opp ositions à côté des engouements . C’était la prégnance du modè le état iste de l’URSS et des régimes qui se réclamaient du socialisme qui persistait. On pouvait s'en écar ter un petit peu, mais pas trop pour la plupar t.

L’idée qui dominait alors était celle du gradua lisme à par tir de notr e situat ion nationale pour aller vers un modè le de ce type. Cela, au lieu d'un dépassement de la soup lesse du capitalisme par une créat ivité pour une autr e construct ion. Dépasser, c'est essent iellement faire mieux que la force du capitalisme et ce n'est pas, comme cer tains le croient encor e aujour d'hui, seulement du gradua lisme. D'ailleurs , il y avait, avec une spéc ialisation des auteurs , comme une schizophr énie entr e les ar ticles sur les pays dits socialistes et ceux sur la France et le capitalisme.

En outr e, il y avait la press ion diffuse de l'idéologie structura liste de l’époque de Lévi-Strauss , Lacan ou Althusser .

Elle va peser de façon conser vatr ice contr e notr e analyse qui va devenir l'analyse systém ique de la régulation à par tir de la renta bilité, de la suraccumu lation et de la dévalorisation du ca pital pour com pren dre le capitalisme monopo liste d’Etat et son essor. Une analyse de type structura liste insiste sur les rappor ts , par exemple salaires-profits, capitaliste-salariés, propriétémonopo le, mais néglige la régulation, le régulateur de la renta bilité et sa relation avec un type de techno logie. Un système , c'est une structur e, une opérat ion techn ique et une régulation et pas seulement des structur es. Et il ne suffit pas au nom de Marx d’y ajouter les forces productives. D’où l’enjeu pour la trans format ion sociale de faire émer ger d'autr es règles et régulateurs et pas seulement de changer la propriété afin de réuss ir un dépassement .

Tout cela rejoint les luttes histor iques au tournant vers la crise systémique de 1967-74 et notr e contr ibution décisive à la première vague de montée de propositions trans formatr ices en France à ce moment , avec les enjeux du programme commun de 1972.

Mais ensu ite avec le reflux des luttes et les difficultés de la crise du capitalisme monopo liste d’Etat se poursuit l'effor t sur les nou veaux critèr es de gest ion ou sur une autr e utilisation de l'argent .

Malgré tous les échecs, il y a eu des app or ts et des résu ltats , même s'ils ont été récupérés ou déformés . En dépit des régress ions , il y a eu rés istances et auss i avancées sociales. Dans une période où nous vivons encor e, mar quée par des effon drements et par un cer tain « déconstruct ivisme » à l’opp osé du structura lisme , avec des critiques sans propositions, les apports construct ifs d'Economie et Politique pour rés ister et pour proposer doivent êtr e soulignés.

Francette Lazard

Je suis d'accor d avec Paul pour d i r e q ue l a d om inante sur ces cinquante ans , c'est l'effor t de novat ion avec , en même temps , d es contra dictions cons idéra bles et dont beaucou p demeur ent : je pense à l’ar ticulation entr e économ ie et politique, à cet « et » si com plexe où se cristallisent tant de contra dictions .

Si on regarde les cinquante ans d'Economie et Politique, on constate qu’en France , il n'y a rien d'équivalent, c'est absolument remar quable. Aucune publication ne peut dans la durée se prévaloir d'une telle capacité d'ana lyse, d'invest igation, de mise en évidence de contra dictions et de pr opositions sur la quest ion majeure de toute l'époque : la com préhension des évolutions du capitalisme et le dess in de voies pour aller au-delà. Si l'on pense aux idées dominantes d’une décenn ie à l’autr e (1), on mesur e dans la durée l’originalité et la qualité de l'app or t de la revue : réflexion critique, volonté et ambition de novation révolutionnaire, rappor t aux luttes et aux grands enjeux sociaux et politiques . Elle y constru it son autor ité dans la durée (2), d'autant plus remar quable que ces cinquante ans ne sont pas n'impor te les quels !

On a changé d'ère histor ique durant ces cinquante ans… On est passé du capitalisme de l'ère industr ielle à celui de l'ère informat ionne lle, balbutiante encor e, mais qui bouleverse déjà tout . Pour les révolutionna ires que nous sommes , mesur ons le défi ! Il a fallu durant ce demi-siècle se dégager non seulement de la vulgate sta linienne du mar xisme-léninisme, mais plus fondamenta lement encor e de toutes les conce ptions état istes (social-démocrates ou léninistes ) qui ont prévalu dans le mouvement ouvrier issu de la révolution industr ielle. Ce changement d'ère, majeur, s’opère alors même qu’échoue la première grande tentat ive histor ique de ruptur e avec le capitalisme.

Ce fût un demi-siècle charnière, dans le tumu lte et l’incer titude de fin de cycles histor iques de très longue durée . Or, pendant ces cinquante ans, Economie et Politique a tracé sa route avec ce fil con ducteur que résume si bien le beau titre du livre-mémo ire d’Henri Jour dain : « com prendre pour accom plir ». J'ai eu la chance de par ticiper à cette aventur e au moment où sa démar che s’est déployée. Il s’agissait de constru ire un collectif divers mais soudé par une ambition de conna issances et de théor isations répondant aux besoins de l’élaborat ion politique commun iste . Tout simplement ! On imagine la force de la motivation … L’impu lsion donnée par Henr i Jour dain éta it d’autant plus remar qua ble qu’elle liait d’un même élan l’audace dans l'ambition et la modest ie res ponsa ble vis à vis du collectif commu niste dont la sect ion économ ique était par tie prenante . Cela m'app ara issa it comme aller de soi. Je perço is mieux maintenant la fécon dité et l’originalité de cette appr oche. Que de discuss ions pour se dégager de la « vulgate » et de l’empirisme ! Au plus for t des affrontements Althusser/ Garau dy, nous cherchions non pas un « retour » à Mar x, mais l’appr opriation d’un Mar x décou vreur », pour mieux décou vrir le réel tel qu'il était devenu, pour aller plus loin. La façon dont W. Rochet sût encoura ger cette démar che, en l’enca dr ant pour la ren dre poss ible, est remar qua ble, si l’on son ge au mouvement commun iste et au PCF d’alors . La mémo ire vivante est parfois plus fidèle que la lettr e des textes : je me sou viens plus for tement des encoura gements que des prudences … Les uns et les autr es rendent bien com pte des con ditions dans les quelles les novations avaient à se frayer un chemin, sans ruptur es (3) ! L’encoura gement à l’inno vation donné par Waldeck Rochet, la qualité du sout ien app or té par Henri Jour dain à la créat ivité théor ique de Paul, à tra vers le bouillonnement d’une mob ilisat ion collect ive intense , vont permettr e la montée en puissance d’une aventur e intellectue lle et politique qui s’identifie à celle d’Economie et Politique dans les turbu lences du tiers de siècle à venir. La contra diction entr e « créat ivité à encoura ger» et « principes théor iques à préser ver» ne pouvait êtr e dépassée , en fait, sans dépassement de la conce ption même d’un par ti commun iste histor iquement fon dé sur les principes du « mar xisme léninisme ». Par delà la con damnat ion du stalinisme acquise seulement dans les années 70, bien d’autr es novations allaient s’avérer nécessa ires pour que la relation entr e économ ie et politique puisse êtr e pensée dans une dynamique nouvelle. Comment conce voir les relations entr e conna issances , théor ies et élaborat ions politiques, pour faire prévaloir des contenus trans formateurs nou veaux ? Il y a là une quest ion histor ique majeure, qui demeur e en chantier. L’idée d'une théor isation officielle le mar xisme-léninismea été dépassée au début des années 80. Et dans les années 90, celle-même d’un système théor ique préconstru it (« socialisme scientifique », mar x « isme ») au bénéfice d’une référence plus ouver te à la créat ivité issue de Marx, en tra vail fécon d avec tout ce qui se fait de neuf dans la société.

Toutes ces déconstruct ions success ives libéra ient les poss ibles, mais dans un conte xte d’échecs et d’affaiblissements politiques majeurs . Elles n’app or taient pas par elles-mêmes une construct ion neuve, dépassant le léninisme, tra vaillant ce « et » d’économ ie et politique dans une approche inédite de la fonct ion théorique et de la fonct ion politique. C’est une quest ion com plètement ouverte pour ces débuts de 21ème siècle : comment ar ticuler créat ivité sociale, créat ivité des luttes , créat ivité théor ique dans le cham p de l'économie et créat ivité dans le champ de la construct ion politique elle-même ?

Paul Boccara

Le problème a été de développer le mar xisme pour com prendre la réalité en mouvement , en liaison avec les luttes et pour des pers pectives nou velles. Dans mes ar ticles de 1961, juste avant l'arr ivée d'Henri Jour dain, dont le rôle d’encoura gement à la novation a été remarquable, repris dans le livre « Sur la mise en mouvement du Capital », je partais de l'idée d'un retour à Marx pour le cont inuer, de reprendre son œuvre en insistant sur son évolution inac hevée sur des quest ions des plus fondamenta les (4). Sous l'égide de la revue, la Conférence internat ionale de Choisy-le-Roi en 1966 sur le Capitalisme monopo liste d’Etat a exprimé des novations conce ptuelles, une émanc ipation du dogmatism et une indépendance de pensée qui, au-delà de l’enthous iasme de beaucou p, a entra îné les résistances du conser vatisme, des incom pr éhens ions et cer taines prises de distance auxquelles j’ai été imméd iatement sens ible pour ma part. Mais ce type de réact ion persiste aujour d’hui en bonne par tie, même si nous avons la poss ibilité de mieux expliciter publiquement les opp ositions .

Jean Magniadas

Sur l’impact des thèses sur le C.M.E, il faut auss i prendre en com pte les réact ions internat ionales. Pourquoi ? Dans le mou vement commun iste pers istait bien des incom préhensions. Ainsi, invité à l'Inst itut de l’Economie Mondiale à Moscou , y développant les thèses frança ises sur ce sujet, j'ai pu constater com bien cela était com plètement étran ger à la pensée des par ticipants . Pour tant , la Conférence sur le capitaliste monopoliste d'Etat avait été innovante et ses tra vaux influencer ont les tra vaux d'économ istes de nom bre de par tis commun istes . Il est vrai que lors que l'on est novateur, on est souvent incom pris, au moins pendant un temps . Le conce pt m’est apparu comme permettant un grand progrès dans l’analyse du capitalisme et il a structuré les tra vaux de la sect ion économ ique. Faute de renou vellement théor ique, on avait du mal à avancer et nous avions des besoins. Ainsi, à l'époque, nous avions décidé à cinq ou six de relire le capital. Peu de textes avaient été tradu its et nous ne dispos ions que de manue ls très scolast iques . Celui de Baby; dont les idées avaient impré gnées nom bre de camara des, s’intér essant à l’économie politique, qui se retr ouvaient à la sect ion écono mique comme à Economie et Politique que l’on ne peut sépar er. Il y avait des débats de haut niveau . Par exemple, ceux du Comité de Rédaction qui se tena it à l'Humanité, moments intér essants que je n'aura is pas voulu rater.

L’ass imilation progress ive de la théor ie du capitaliste monopo liste d'Etat a eu beaucou p de retom bées positives. Il est domma ge que le livre de Paul sur le mouvement du capital n'ait pas été ass imilé davanta ge car il réponda it bien aux débats et aux quest ions théoriques alors en quest ion. (dialectique, structura lisme etc .).

Alain Morin

Dans ces c in q uante années , notamment dans les dernières, les exigences de créat ivité sociale et leur ar ticulation aux créat ivité théor iques sont impor tantes . Mais pour que cette créat ivité sociale ne soit pas paralysée, il y a besoin des contr ibutions de la revue pour la favoriser. Nous sommes dans une période de déconstruct ion théor ique et auss i

dans une période de for tes press ions idéologiques avec des idées dominantes très for tes comme on le voit aujour d'hui. Cela pèse car il n'y a pas de spontané ité dans le développ ement des luttes . On voit d'ailleurs les difficultés auxquelles elles ont été confrontées dans la dernière période: sur la quest ion des retra ites ou des privatisations. C'est un déficit impor tant dans le domaine des propositions qui a affaibli les mouvements sociaux et les a paralysé. Il y a donc une place et un rôle pour Economie et Politique dans le développement de toutes les créat ivités théor iques comme sociales.

Denis Recoquillon

A propos de ce débat sur novation, conser vatisme et politique. J'ai d’abord vécu mon rappor t à Economie et Politique de l'extér ieur du PCF et ensu ite de l'intér ieur. De l'extér ieur, à Bordeau x, comme « économ iste en herbe », élève et ass istant du professeur J. Peyréga à qui la revue n’a jamais fait la place qu’il méritait, je voyais la revue comme celle d’une école mar xiste novatrice mais rigour euse , liée à une force politique critiquable mais incontourna ble pour des révolutionna ires un peu sérieux. Le Par ti commun iste n’a pas seulement instru menta lisé ou freiné la recherche. Son pouvoir d’attrac tion dans la société a auss i renforcé la légitimité de la revue et la notor iété des tra vaux qu’elle publiait. De ce point de vue, son affaiblissement actue l est un handicap pour Economie et Politique.

N’ayons pas la religion des textes ! Le mouvement de créat ivité finit toujours par l’emporter sur la frilosité qui se niche dans les thèses des congrès. Le frein à l’innovation sur le terra in économ ique et politique est venu d’abord des difficultés d’expérimentat ion des pratiques nou velles sur des cont inents où les militants commu nistes étaient absents . Et auss i, c’est vrai, d’une trad ition mar xiste plus riche sur la conna issance du tra vail que sur celle du capital. Pour expérimenter l’inter vention dans les gest ions d’entr eprise, les ouvriers ont plutôt invest i le terra in de l’ate lier ou du bureau, nourrissant plus les thèses sur la « crise du tra vail » que la critique du type de productivité lié au but de renta bilité financ ière dans l’entr eprise. Quant aux commun istes cadres d’entr eprise, ils éta ient très majoritairement ingénieurs ou techn iciens , privilégiant la quest ion des choix techno logiques par rappor t aux enjeux de financement .

Pour invest ir politiquement la chasse gardée du capital, c’est un handicap sociologique et cultur el qu’il ne faut pas négliger. Il impose un effor t de format ion théor ique et d’expérimentat ion dans les luttes , du social jusqu’au cœur économ ique et financ ier du capitalisme . A l’opp osé d’une réduct ion plate de la politique à un débat d’idées sur les valeurs .

Jean Magniadas

Tous les protagonistes de la Conférence sur le capitalisme monopo liste d'Etat n'avaient pas entièrement les mêmes les appr éciations. Cer tains, très minoritaires, à la dialectique des rappor ts Etat/ monopo le, opposaient l'idée d'une fusion.

Paul Boccara

Le conser vatisme c'est com plexe. D'un côté , cela plonge dans la société existante et dans tout le par ti. D'un autr e côté , ce sont des opp ositions , des incompréhensions, des déformat ions . Ce n'est donc pas un simple frein. Il n’y avait pas qu’Henri Claude qui s’opposait à la suraccumu lation du capital, mais jus qu'en 1971 au moment du Traité sur le Capitalisme monopo liste d'État, Philipp e Herzog ou Jean-Pierr e Delilez auss i. On m'a deman dé de modifier sur ce point leurs chapitres qui ne se référaient qu’à la baisse du taux de profit. Mais d’autr e côté , le Traité a refusé mon analyse des cycles longs, minoré la crise du CME et le besoin d'une autr e régulation. D’où la censur e du chapitre premier que j’avais rédigé, sa réécr itur e et mon exclusion (passée inaperçue , mais explicite à la page 2) de l’équipe qui officiellement a réd igé la version finale, tand is que l'ouvrage me sera souvent attr ibué.

Cependant, si on pouvait déformer la théor ie dans le par ti, en même temps , le par ti donna it un grand retentissement et une autor ité cons idéra ble à cette théor ie, en se référant à elle comme grande force sociale et politique. Cette référence était redouta ble pour tous .

Francette Lazard

Sur conser vatisme, politique et déformat ion: la réalité est plus com plexe que le com bat de toujours entr e novation et conser vation. C'est là qu'inter vient le rôle charnière du politique, dans sa singularité. Il n’est pas

« validé » par une théor ie qui le fonde et il n’a pas à « valider » une théor ie, à en organiser le branc hement sur l'expérience sociale, en un « mécan isme unique » politique/t héorie. Le politique, dans une pers pective de dépassement du capitalisme, s’élabore avec tous ceux qui s’assoc ient pour constru ire un par ti capable d’y œuvrer, avec tous ceux qui y tra vaillent , dans la diversité de leurs trajecto ires et de leurs visées : Les idées, les actions, les projets se nourr issent des expériences et des propositions novatr ices , se mettent en tens ions , en débats , avancent dans la mise en mou vement des poss ibles, le res pect des uns et des autr es ne se séparant pas de l’affirmat ion de soi. Il y a une élaborat ion spéc ifique du politique au point de jonct ion des poss ibles, dans la dynamique des divers ités collectivement assumées .

Paul Boccara

Je ne suis pas tout à fait d'accor d. Il y a toujours une contra diction entr e la théor ie et la politique et il n'y a jamais de fusion. Une doctr ine peut just ifier une politique, mais la théor ie c'est autr e chose. La théor ie c'est avant tout com pren dre et expliquer le mou vement d’une réalité objective. Et il y a des implications éventuelles pour des propositions d'action sur le réel.

La politique a une série d'autr es déterm inations, mais il y a une dialectique avec les idées et des contra dictions qui ne sont pas qu’entr e conser vatisme et novation, mais où ces deux termes sont la dominante . En effet, l’élaborat ion théor ique c'est une nou velle explication. Et si du nou veau surgit auss i de la pratique sociale les dirigeants politiques sont , en généra l du moins, positionnés sur les anciennes idées. C'est auss i la conc lusion de la "Théorie généra le" de Keynes. Il ajoute que les idées nou velles un jour prévaudront. En fait, cela n'est pas sûr. Et il ne s’agit pas de simples applications de la théor ie, les luttes pratiques apportent auss i à la théor ie. Ces opp ositions existent également dans les sciences . Ainsi dans le numér o spéc ial d’Economie et Politique, au cœur des évènements de mai-juin 1968, sur Marx, je citais un histor ien des sciences sur la Relativité rappe lant que des théor iciens s’étaient élevés jusqu’à la fin de leur vie contr e la théor ie de la relativité, mais que la nouvelle générat ion s'éta it élevée dans une autr e atmosphèr e.

 

DU CAPITALISME MONOPOLISTE D’ETAT A SA CRISE ET AUX ENJEUX DU PROGRAMME COMMUN

Francette Lazard

Dans la période qui commence à la fin des années soixante pour aller jusque vers 1977, j’ai une impr ess ion for te de cohérence qui s'est avérée en porte-à-faux avec les défis de l’époque et les nouvelles élaborat ions qu’ils a pp elaient . La straté gie d u pr ogramme commun semb lait en phase avec les théor isations sur le CME. J'ai le souvenir des cours dans les écoles centra les du PCF où l'on metta it en évidence le rôle de l’Etat dans le mécan isme de « suraccumu lation/ dévalorisation » et celui du programme commun , rompant avec ce mécanisme par ses nat iona lisat ions et sa planificat ion, permettant des avancées démocrat iques , en « ant icham bre »du socialisme. La co hérence du projet, la dynamique de l’union amena it à la sect ion économ ique une multitude de collaborat ions nouvelles. L’état isme de la démar che a cer tainement favorisé son instrumenta lisat ion politique : on se sou vient des péripéties du « chiffrage », de la com ptabilisation du nom bre précis de filiales à nationa liser pour franch ir un « seu il » de changement …

Economie et Politique a pour tant joué en ces années un rôle majeur dans la perception de la nouveauté de la crise qui s'amorça it, en éclairant ses racines structu relles profondes en cycle long, et donc le contr e-sens des mesur es d'austér ité. Mais avec l'inadéquation de la stratégie du programme commun à la réalité profonde des dépassements nécessa ires, nous sommes déjà à la période d'après.

Jean Magniadas

Nos idées ont donné un fondement sérieux aux nationalisat ions notamment , sujet qui concentra it les affrontements avec la droite, mais auss i à l’intér ieur de la gauc he. Pour avoir par ticipé à quelques discuss ions , y com pris avec d'autr es organisations syndicales que la CGT, en arr ière fond, nous nous appuyons sur la théor ie du capitaliste monopo liste d'Etat pour l’éten due du champ mais auss i pour le renforcement du contenu . Ce fut également un élément d'attract ion pour de nouvelles par ticipations à la sect ion économ ique. Les fonct ionnaires qui viennent alors ont eu un rôle intér essant et impor tant , mais ils sont très keynésiens ou d'impré gnation keynésienne . Beaucou p d’entr e eux intégreront l’analyse du C.M.E. probablement pas tous . L’'impré gnation du moment a été si for te qu'elle n'est pas totalement perdue aujour d'hui. C'est dire la force de la théor ie, sa ca pacité d'entra înement . L'impasse du programme commun n'est pas imputab le à la théor ie du CME. Son échec est plutôt à rechercher du côté politique. Ce n'est pas parce qu'il y avait des mesur es du programme commun qui pouvait trouver ins piration dans cette théor ie, que celui-ci n'a pas donnée ce que l'on en atten dait, mais tient à d’autr es causes .

Paul Boccara

Il y a eu une cohérence sur laquelle vous insiste z encor e et qui a été une force. Mais il y a eu auss i des inco hérences impor tantes et de graves déformations .

Le capitalisme monopo liste d’Etat c'éta it une notion qu'avait mis en avant Lénine et qui était revenue après le 20e congrès parce que Staline l'avait mise sous le boisseau . Il y avait une descr iption somma ire d’après l’économ ie de guerr e de 1914-1918, mais il n'y avait pas d ' explicat ion théor ique chez Lénine, ni apr ès lui d’ailleurs . L’abs ence d’analyse du CME réagissa it sur une vision noire du capitalisme, sans voir les contra dictions réelles. Par exemple, on sous-est imait la croissance . Il y avait auss i l'idée que la paupérisation s’aggravait. Cer tes , face à la croissance d’après guerr e, il fallait montr er ce qui n'allait pas, qu'il y avait exploitation et intens ificat ion du tra vail accrues . Mais il y a eu une exagérat ion unilatéra le sur la paupérisation. De même , pour l'évolution de la classe ouvrière avec l’accent mis unilatéra lement sur la montée des OS non qualifiés. Dès 1961 je réagissais contr e cela et je m'amusais, par exemple, à écrire que la classe ouvrière « s'enrichit » de nouvelles couc hes qualifiées . Il y avait en face, au contra ire, toutes les illusions social-démocrates , comme quoi les nationalisations étaient déjà un morceau de socialisme.

La nou velle théor ie allait montr er comment le recul de l'exigence de renta bilité, voire sa non exigence , avec les nationalisations, représenta it une « dévalorisation structur elle du capital » (au sens de réduct ion de la valorisation des capitaux, c’est-à-dire de l’augmenta tion de leur valeur par la valeur du profit), qui permet tait de relever le taux de profit pour les monopo les privés. De même que tous les financements publics, cela ser vait à la fois à relancer la croissance , une moder nisation techn ique et sociale, un cer tain développ ement de la population et, en même temps , cela visait fondamenta lement à relever le taux de profit des capitaux privés dans l’ensem ble du système . Donc, cela cont inuait à développer l'exploitation, l'intens ificat ion du tra vail et les gâchis de l'accumu lation du capital privé, jus qu'à aller vers une nou velle suraccumu lation dura ble comme dans l’entr e deux guerr es. D’où l’analyse du début de la « crise du CME » dès la fin de 1967.

L’enjeu politique, c’était des propositions pour faire autr e chose que fondamenta lement relever la renta bilité avec tous ses maux sociaux. C’est le besoin de ce que j'ai appelé à l’époque : une nouvelle logique de la croissance , express ion reprise dans le Programme commun de 1972, qui anticipe ce qui va devenir les nou veaux critèr es de gest ion.

Cela renvoie au problème de la nouvelle suraccumu lation dura ble de la crise du CME. Il fallait une autr e dévalorisation structur elle avec d’autr es inst itut ions . Pas p our relever la renta bilité , mais désorma is p our commencer à sor tir de sa domination sur l’ensem ble du système . Bien sûr, il y avait la proposition de l’extens ion des nationa lisations , pour lesquelles j'ai mené la bata ille avec d'autr es. Et nous avons gagné : en ce sens qu’elles ont été faites. Même si on en est revenu depuis, avec les privatisations mais pas tota lement . Cependant même l’idée d'un seu il minimum de nationa lisat ions visait à permettr e une nouvelle logique de la croissance : au lieu d'augmenter l'accumu lation, économ iser sur les capitau x, sur les moyens matér iels, en développ ant au contra ire les dépenses pour les êtr es humains et leurs capacités, en liaison avec l’automat ion (dont l’analyse faite en 1961 sera développée en 1983 avec celle de la révolution informat ionne lle). C’était le problème d'une « nouvelle régulation », au-delà du problème de nouvelles structur es (5).

Cependant, des déformat ions structura listes de l'analyse sont inter venues dans un sens conser vateur. La déformat ion de type structura liste , c’est l’insistance sur l’Etat et le secteur public dans le CME, et non sur leurs rappor ts avec le recul d'exigence de la renta bilité dans le secteur public pour relever la renta bilité des capitaux monopo listes privés, c'est-à-dire la dévalorisation structur elle du capital. Par consé quent , pour sor tir de ce système , on insistait dans le parti commun iste sur un Etat démocrat isé et sur de nouvelles nationa lisat ions contr e les monopo les privés et non sur une nouvelle dévalorisation structur elle du capital bien plus rad icale. On n’insistait pas sur des trans format ions bien plus profon des de por tée révolutionna ire contr e la domination du capital, avec des inter ventions pour une tout autr e gest ion ne recherchant pas la renta bilité de façon prédominante dans le système d'ensem ble. De même pour le PS (sur lequel pesait « l’hégémon ie » de l'ana lyse du CME, selon Hugues Por telli dans son ouvrage sur le PS de Mitterrand) l'accent était mis sur le contrô le de l’Etat et sa démocrat isation.

Ainsi la direction du PCF dans son bras de fer avec le PS en 1977, s’est braqué sur le nom bre d'éta blissements à nationaliser au lieu de développer la bata ille sur une autr e logique économ ique et sociale. Quan d je disais au Comité centra l que le plus impor tant n'éta it pas le nom bre d'éta blissements , mais une autr e gest ion pour une nouvelle logique de la croissance , Georges Marchais me réponda it qu’au contra ire la gest ion n’était qu’une quest ion techn ique.

Une autr e vision réductr ice et un flottement ont concerné l’analyse de la généra lisat ion du salariat. Dans la direction du PCF, on a en définitive opp osé au « bloc histor ique » de Garau dy, tendant à noyer les différences et le besoin d’agir pour les plus exploités comme pour les plus qualifiés, la mise en avant unilatéra le des ouvriers, en tendant ainsi à abandonner les autr es salariés à l'influence du PS, alors qu’avec d'autr es je voulais lutter contr e ces deux dérives.

1977, c’est auss i l’année de la nouvelle formu le d’Economie et Politique avec son ambivalence : une formu le plus légère pour êtr e plus populaire, mais auss i la réduc tion de la place de la théor ie indépen dante . D'où d'ailleurs la rép lique, avec la créat ion d’Issues, Cahiers de recherches d'Economie et Politique, en 1978.

Jean Magniadas

Le changement de formu le a été mal été vécu par un cer tain nom bre des collaborateurs les plus anciens de la revue. Certains l’ont analysé comme une inter vention arbitraire de la direction commun iste et ils l’ont vécu douloureusement .. Un participant très actif, très militant de la revue, très com pétent notamment sur les quest ions eur opéennes me l’a écrit à la suite de mon ar ticle sur l’anniversa ire de la revue publié dans le dernier numér o. J’éta is personne llement attac hé à l’ancienne formu le qui se prêtait d’avanta ge à des étu des approfondies. Les arguments d’élargissement du lectorat invoqués en faveur de la nou velle formu le ne m’ont pas paru dénué de fondements en regard à la situat ion politique de la période. Je les ai acce pté d’autant plus qu’ultérieur ement la parut ion d’Issues est venue répondr e à la préoccupation de trouver un suppor t pour des analyses plus appr ofondies.

L’un des points les plus noirs de la liaison entr e théor ie en économ ie et action politique est cer tainement le peu de sout ien politique, d’impu lsion app or té par le PCF aux propositions sur de nou veau x critèr es de gestion. L’avancée était pour tant novatrice et présenta it l’intérêt , majeur à mes yeux, de donner à l’auto gest ion un contenu permettant d’entr er concrètement dans la voie d’un véritab le dépassement du capitalisme. Alors que le P.S. et la CFDT essa yaient déjà d’en faire une impasse , com prenant asse z bien le potent iel de mob ilisat ion que la notion aura it pu com por ter avec un tel contenu alors qu’ils enten daient cont inuer à lui donner des contours volonta irement brumeu x. Ultérieurement , elle sera dévoyée par le patr onat et récupérée par le réformisme avec les très insuffisantes lois Auroux et par le mana gement patronal qui allait largement se déployer sur ce terra in avec la direction par ticipative par objectifs.

Paul Boccara

En 1978, c’est le début des nou veau x critèr es de gest ion et en 1980 nous mettons en avant l'auto gestion. Mais il n'y a pas du tout de grandes bata ille sur ces quest ions. D'ailleurs l'accent mis sur l'éten due des nationalisations et sur le rôle de l'Etat au détr iment des exigences d'une autr e gest ion, c’est dans les années 1977-78 et jus qu’en 1981. Par parent hèse, en 1977, en quelques mois paraissent quatr e livres chez Maspero de diverses tendances gauc histes pour critiquer ma théor ie du CME. En 1978, Althusser va parler dans Le Monde d'une théor ie « fabriquée sur l'ordre de notr e direction », « vers ion frança ise », « adornée de cons idérations boccar iennes sur la sur accumu lation-dévalorisation du capital », de la « théor ie soviétique » !

Cependant, les obst acles aux app or ts de la revue ne concernent pas seulement les oppositions aux novations et les déformat ions. Ce sont également les insuffisances de novations elles-mêmes . Et c’est sur tout la situat ion histor ique et son immatur ité, comme on va le voir avec la formidable offens ive du capital financ ier mond ialisé et le reflux des luttes dans la crise systém ique.

DES NOUVEAUX CRITERES DE GESTION A LA SECURITE D’EMPLOI OU DE FORMATION

Paul Boccara

Face aux défis de la nou velle situat ion histor ique et aux insuffisances de la novation de nos propositions , vont donc inter venir les nou veaux critèr es de gest ion des entr eprises. C’était une très grande ambition dans un domaine non touché par Marx et avec un écar t radical par rappor t à l’Union soviétique. Les économ ies de moyens matér iels et le développement des hommes , qui éta ient quelque chose d’encor e trop généra l dans la « nouvelle logique de la croissance », sont forma lisés et concrét isés pour les inter ventions des tra vailleurs dans les entr eprises , nat iona lisées ou non , avec d'autr es critèr es que ceux de la renta bilité, d’autr es régulateurs concr ets . Notr e école de la régulation systémique va d’ailleurs critiquer l’école parisienne d’anciens commun istes et d’autr es qui ne voyaient que les règles et les struc tur es (c'éta it encor e d u structura lisme) et négligeaient le rég u l a t e u r glo b a l d u taux de profit et les critèr es de gest i o n d e l'entr eprise, une école de la régulation sans régulateurs …

Les cr itèr es nou v eau x d e gest ion visent , a v ec les nouvelles techno l o gies , à économiser les capitaux matér iels et financ iers (C) pour une même valeur ajoutée produite(VA) en élevant « l’efficacité du capital » (VA/C). Et en relation il s’agissait d’élever « la valeur ajoutée dispon ible » (VAD, les salaires et prélèvements) pour les tra vailleurs et la population, leurs con ditions , la qualification, etc , c’est-à-dire « l’efficacité sociale ». Cela a été un gros tra vail avec des élus syndicaux des CE, des exper ts com ptables, etc , mais auss i de for tes opp ositions . Avec ces critèr es, il y a auss i la nou velle ass iette des cotisations sociales. Celle-ci a commencé à devenir populaire seulement avec la bata ille d’Economie et Politique sur les retra ites en 2003, mais elle date de 1977 dans la revue.

Dans l'ar ticle de 1981, écrit depuis le jour où Franço is Mitterrand a été élu, je me réfère à ces critèr es de gest ion ou à ceux de la protect ion sociale, et je critique essent iellement l’ensem ble des idées de Jacques Delors pour proposer une tout autr e politique économ ique. J'avais difficilement obtenu la poss ibilité de le publier à con dition de ne pas ment ionner Jacques Delors dans mes citat ions de ce qu’il disait. Ce qui n'a pas facilité la bata ille.

Parce qu’on était dans l’équipe gouvernementa le, on a fait profil bas. D’où tous les freins contr e cette bata ille sur une autr e politique économ ique et de nou veaux critèr es de gest ion. Il y a pour tant déjà les idées d’une autr e utilisation de l'argent , de la monna ie et du cré dit pour s’émanc iper de la croissance financ ièr e, des marchés financ iers et du dollar, dès juillet 1981. Une cou ver tur e d’Economie et Politique en 1984 titre sur « un nouveau cré dit sélectif ». Cela va devenir par la suite les luttes contr e « l'argent pour l'argent » et pour une autr e utilisation de l’argent . En même temps , c’était la bata ille pour une autr e construct ion européenne , notam ment au plan monéta ire dès 1981.

Les press ions de la croissance financ ière vont, en effet, peser sur la politique frança ise comme sur la politique mond iale. Contr e la monna ie unique eur opéenne pour les mar chés financ iers et contr e la domination du dollar nous allons proposer une monna ie commune pour un autr e cré dit. Ce fut une bata ille où j'ai été longtemps très isolé. Ces thèses étaient dans Economie et Politique, mais la direction et la majorité du par ti ne suivaient pas. Ils éta ient contr e la monna ie unique, mais refusa ient la monna ie commune . On a fini par acce pté du bout des lèvres une monna ie commune , mais lors que la bata ille était pratiquement finie. Nous ne lâchons pas cependant l'analyse de la crise du CME et de ses phases , en liaison avec celle de l’accumu lation financ ière.

La théor ie de la révolution informat ionne lle va rayonner sur l’ensem ble à par tir de 1983, en bouleversant les analyses sur l’automat ion menées depuis 1961.

Désorma is, il y aura it une maturat ion techno logique permettant effect ivement de dépasser la régulation capitaliste , un dépassement possible, pas fatal ni prédéterm iné. La révolution informat ionne lle, montr ons-nous ,exige le p ar ta ge d es o p érat ions et d es coûts d e recherche, parce qu’une recherche peut-êtr e utilisée par tout contra irement à une mach ine qui est ici ou là. C'est donc la base d'une société de par tage ou commu niste . On p ar le d’ailleurs aujour d’h ui d e « biens communs de l’human ité » sur les quels je tra vaille.

Mais avec la crise rad icale du capitalisme et sous domination de la renta bilité, le par tage des coûts de recherche se tradu it par l’expans ion des multinationales privées par tageant à l’éc helle mond iale. Cela, pour se battr e entr e elles, mettr e en concurr ence les salariés, en relançant le chômage et la précar ité, avec la mond ialisation capitaliste. Les privatisations à dimensions multinationales et les press ions du marché financier mond ialisé n’ont pas seulement atta qué les secteurs publics des pays capitalistes développés, mais auss i ceux des pays en voie de développement . Évidemment , l’état isme se réclamant du socialisme en URSS va êtr e le plus touché et finalement s’effon drer, en relation avec ses anta gonismes internes et les pr ess ions externes .

Mais aupara vant l’opp osition aux nou veaux critèr es de gestion chez nous s’appuie sur le dogmatisme état iste et même la prégnance du modè le soviétique. Il va y avoir auss i toute la culture industr ialiste des ingénieurs et des techn iciens qui ne conna issent pas la gest ion, ni la finance . Ou encor e, au nom même des nouveaux aux critères de gestion, on va déformer la novation avec des usines à gaz industr ialistes , qui vont les discréd iter éventue llement avec une image technocrat ique et une inefficacité.

Les critèr es de gest ion ont été for tement com battus . Après les avoir finalement forme llement adoptés dans des textes de Congrès du PCF, on a été jus qu'à vouloir les suppr imer com plètement ,

puis ils ont été délaissés , même si Economie et Politique peut les relancer aujour d’hui avec la Sécur ité d'emploi ou de formation.

Francette Lazard

Je me pose la quest ion de l’explicitation de la success ion des avancées mises en avant d’une période à l’autr e : CME et crise du CME, nouveaux critères de gest ion, révolution informationne lle, sécur ité d'emploi de format ion. Nous avons collectivement toujours bien du mal à expliciter les tenants et aboutissants d 'une évolution! On cesse de parler d’une not ion, on met le projecteur sur une autr e , on cu l t ive l’ar t d es formu les définitives …et succes sives ! Je par tage ce que tu dis sur ce qui a « plombé » l’idée de nou veaux critèr es de gest ion : cette avancée majeur e, mais encor e immature a été déformée , perçue comme techn iciste et discréd itée dans la dérive de notr e par ticipation au gouvernement . Mais on a cessé d’en parler – sauf à la marge d’un textesans éclairer les raisons du cheminement du projecteur vers la sécur ité/ emploi/format ion. La remar que – qui vaut pour les textes du PCF en généra l ! – a pour moi une portée plus globale qui rejoint la réflexion sur la conce ption du par ti et de la construct ion commune d’une élaborat ion politique dans la transpar ence des tenants et aboutissants comme des divers ités .

Depuis vingt ans – 1984 – la quest ion de la conce ption même du par ti commun iste est for tement posée . Elle sous-tend directement ma relation contra dictoire avec l’équipe de la sect ion économ ique.

J’ai trouvé alors dans la créat ivité théor ique de Paul, qui cimenta it celle d’Economie et Politique et d’Issues, un apport essent iel à la com préhension des défis profonds de l’ère du passa ge du capitalisme de la révolution industr ielle à celui des prémices de la révolution informationne lle (6). C’éta it pour moi un fil con ducteur décisif, dans la com préhens ion des raisons les plus essent ielles de l’implosion du système bureaucrat ico-état ique soviétique comme dans la montée de nouvelles exigences de civilisat ion au cœur de la crise systémique du capitalisme . Au paroxysme de l’hégémon isme libéra l, ce fil con ducteur incitait à beaucou p d’ambition dans une contestat ion du capitalisme nourr ie du défi commun iste d’un plein développement des capacités humaines, d’un nou veau type histor ique d’efficacité sociale (7).

Donc, app or t pour moi décisif. Et en même temps , contra diction ! Dans ce conte xte de difficultés commu nistes extrêmes , les plus libres débats s’imposa ient entr e chercheurs et politiques pour cerner et discerner , dans la confusion même des idées et des pers pectives, les pistes du tra vail en commun qui favorise l’échange construct if. Je me suis heur tée après 1984 à de lour ds blocages, mais sans rencontr er, et c’est le moins que l’on puisse dire! beaucou p d’app ui de la par t de la sect ion économ ique pour inventer un style de débats ouver ts, rigoureux mais res pectueu x de la diversité des démar ches…

Ce qui me con duit à ins ister encor e sur l’impor tance de l’innovation nécessa ire en mat ière de conce ption et d’élaborat ion du politique, dans une période où son rôle est tant contesté .

Paul Boccara

Cela n ' a p as été d e façon simpliste la sect ion économ ique, Economie et Politique et un appareil du par ti qui s’opposent . Le conser vatisme de l’app areil de direction est lié au conser vatisme dans l'ensemb le du par ti et dans l'ensem ble de la société. Et Economie et Politique n’a pas été exempte d’insuffisances bien sûr.

Mais les chercheurs d'Économie et Politique sont auss i des politiques. D'un côté , ils veulent refuser l'instrumenta lisat ion et le simplisme pour le maximum d’ouver tur e aux différents points de vue. D'un autr e côté , ils doivent entr er parfois dans des bata illes avec des affrontements pour des choix politiques cruc iaux alternat ifs.

Contr e la révolution informat ionne lle, il a eu une bataille très dure et déclarée . On lui opp osait la « révolution scientifique et techn ique », notion soviétique, technocrat ique et scient iste . Il y a eu auss i des réduct ions et des déformat ions . Ainsi Jean Lojkine éta it pour la révolution informat ionne lle mais pouvait négliger « le par tage », son cœur révolutionna ire par rappor t au marché et par rappor t au capita lisme . Et cela n' est pas fini : souvent les aspects les plus importants comme ceux concernant la format ion ou l'accès aux données sont ignorés .

La quest ion des insuffisances de nos avancées a auss i jouée . La techn icité des critères de gestion a été un obst acle, tout comme leur lien insuffisant avec les beso ins soc iaux. De ce point de vue, la sécur ité d'emploi ou de format ion représente un progrès. Dans les critèr es de gest ion, la Vad, concernent les dépenses d'emploi ou de format ion. Et nous cont inuons à élaborer ces critèr es.

De même, pour ma part, je ne lâche pas le capitalisme monopo liste d’État et sa crise qui pers iste , avec la mond ialisation hyperlibéra le, sauf que je l'appelle « capitalisme monopo liste d’Etat social », en insistant sur la protect ion sociale.

Il y a auss i au-delà des nou velles gest ions des entr eprises, tous les besoins nouveaux sur les ser vices socialisés aux personnes : école, santé , logement social, recherche et cultur e... Ce sont des champs que nous voulons explorer dans Economie et Politique. Je voudrais en par ticulier avancer sur la par ticipation créat ive des usagers à ces inst itut ions .

Il y a auss i la construct ion d'un autr e monde : même si nous tra itons d’une monna ie commune mond iale, d’un autr e Fonds monéta ire internat iona l, il reste beaucou p d'insuffisances . Le problème de la construct ion d'un autr e monde va monter dans la prochaine période. D’ailleurs , nous ass istons sans doute depuis 1995 à la montée d'une nou velle vague de luttes et de propositions pour la trans format ion sociale, avec « la matura tion » de la crise systém ique mond ialisée . Mais le problème c'est de pouvoir tirer les leçons du passé , parce que nous avons encor e des refoulements et des déformat ions , avec des bata illes comme par exemple celle que nous vivons sur la quest ion des Fonds régionaux pour l’emploi et la format ion.

Francette Lazard

Il y a une créat ivité que tu as assumée et por tée. Mais il y a, auss i, besoin de créat ivité politique sur la conce ption du parti, dans la diversité et le commun . Cela est absolument essent iel.

Paul Boccara

Il y a besoin de créat ivité sur tout , et pour cela d’ouver tur e entr e les créat ivités . La créat ivité a sou vent été monopo lisée, scissionnée , refoulée, instrumenta lisée. Il faut élargir son accès . Mais en même temps , le propre de la créat ivité, c'est d'êtr e d’abord isolée et d’avoir des oppositions. Cela ne veut pas dire qu'il faut disqua lifier ceux qui discutent , car ils peuvent pousser à des dépassements . Cela ne veut pas dire non plus qu'il faut encoura ger et dédouaner les fermetur es ou les dérives qui empêchent les progrès avec des domaines réser vés. Il ne faut pas s’illusionner sur une seule améliorat ion de l'organisation du par ti. Cela renvoie à tous les défis de remise en cause pour de nou veaux repères dans l’act ion. Il s’agit d’avancer vers une société de créat ivité et d'inter -créat ivité. Mais il faut voir com bien l’opp osition aux novations pers iste.

Déjà la sécur ité d'emploi ou de formation a été prise comme une potiche dont on ne se ser vait pas et enterrée dans la dernière cam pagne des présidentielles. Encor e au jour d’h ui nous sommes confrontés pour la SEF au problème de l’utilisat ion et du va-et-vient avec les luttes dans les entr eprises et les interventions des commun istes . Pour Economie et Politique, la conférence nationale sur la sécur ité d’emploi ou de format ion peut êtr e rappr ochée de la conférence de Choisy en 1966. Mais elle a été plus ouver te et maintenant il faut organiser tous les va-et -vient . D’ailleurs on peut retr ouver les déformat ions et le conser vatisme. C’est le cas par exemple avec le Fonds régional pour l’em ploi et la format ion qui vise à développ er un nou veau cré dit dans les régions avec une prise en charge par des fonds publics de tout ou par tie des taux d’intérêt . Si le principe de cette proposition a été gagné, il y a des oppositions notamment dans le parti socialiste ainsi que des incom préhensions éventue lles parmi les commun istes . Il ne s’agit pas d'utiliser ces Fonds régionaux pour faire les mêmes choses que la droite, c'est-àdire donner des fonds aux entr eprises sans du tout changer leur type de gest ion avec un nou veau type de rappor ts entr e les banques et les entr eprises. Il faut voir auss i que l’inst itution de tels Fonds ne const ituera it que des portes d’entrée pour des trans format ions beaucou p plus vastes sur le cré dit jus qu’aux plans national et eur opéen.

On rencontr e les tendances à rédu ire la sécur isation de l'emploi-format ion à des amé liorat ions des droits et statuts des salariés pouvant prêter à un recul de l’ambition trans formatr ice. Il s’agit d’ar ticuler de nouveaux droits et pouvoirs à la mise en cause du statut des entr eprises pour avancer vers une éra dication progressive du chômage, un dépassement de la régulation par le chôma ge, par des construct ions inst itut ionne lles hardies, l'avancée d'autr es gestions et pouvoirs dans les entr eprises et les régions , d’autr es financements et cré dits, une autr e construct ion eur opéenne .

La quest ion de « l’ant hroponom ie » est très peu venue dans Economie et Politique . C’est une faiblesse que de se limiter à l’économ ie et à la politique. Il peut y avoir un as pect réducteur , avec ce qu’on appelle « l’écono micisme » ou encor e « le politisme » . En relation avec le système de la reproduction matér ielle de l'économ ie, il y a auss i le système de la régénérat ion sociale et de l’anthr oponom ie ainsi que les valeurs , les formes sociales d’une civilisat ion. Nous avons commencé à avancer dans Economie et Politique sur ces quest ions à par tir de la bata ille sur les retraites. Nous avons dit « sécur isation et promot ion de tous les moments de la vie », de la naissance jusqu'à la mor t, donc de la vie humaine, sans se limiter à l’économ ie et à la politique, mais auss i sans les ignor er. Cela renvoie par ticulièrement aux questions du féminisme.

Denis Recoquillon

Au début des années 80 on est face au besoin de renou vellement théor ique et straté gique, alors que beaucou p de collaborateurs de premier plan de la revue, hauts fonct ionna ires et universitaires notamment , n’ont pas digéré la bagarre sur « l’actua lisation du Programme commun » et la ruptur e de l’Union de la Gauc he. Le débat sur l’auto gest ion qui a été ouver t au 23eme Congrès, en 1979, va cependant ouvrir la voie au dévelo pp ement d e tra vau x q ui susc itent l’intérêt d e nouveaux acteurs , notamment parmi les militants d’entreprise. Entr e la vers ion « basiste » des Conse ils d’ateliers menant la bataille sur les coûts , chers à J-C. Poulain, l’approche inst itut ionne lle de F. Damette et J. Scheibling et sur tout les tra vaux de P. Boccara sur les nouveaux critèr es, l’auto gest ion obtient droit de cité et devient même un des chantiers les plus fécon dés de la revue. Pour P. Herzog, qui doit assur er la difficile synthèse entr e la por tée fondamenta le des tra vaux de Paul, la deman de de format ion et d’aide à l’inter vention des militants d’entr eprise, les comman des de la direction du parti pour élaborer et « chiffrer » les propositions de G. Marchais à l’élect ion présidentielle de 1981 etc ,… la tâche n’est pas simple !

C’est alors principalement en direction des entr eprises qu’Economie et Politique va se développer, avec des gains de diffusion très impor tants . La coo pérat ion entr e la comm ission économ ique et le secteur « activité à l’entr eprise » dirigé par J. Colpin puis par J-C. Gayssot va se renforcer autour de la revue. Les débats sont vifs autour de nom breuses quest ions comme celle de la natur e de la révolution des forces productives : « scientifique et techno logique » pour R. Le Guen et la revue des ICT, Avancées, ou « informat ionne lle » pour Paul et Economie et Politique.

Mais, pour en revenir à la quest ion des rappor ts avec le politique, la quest ion de l’instrumenta lisation des inte llectue ls est com plexe. Personne n’est naïf, ni ceux qui veulent « avoir l’oreille du Prince » pour faire passer leurs idées contr e celles des autr es, ni le Prince luimême .

Dans les années 80 Economie et Politique a été for tement sollicitée pour accom pagner le développement de l'act ivité politique en direct ion des entr eprises. Son apport a susc ité le renou vellement d’une forme de militant isme autour de la revue. Malheur eusement , ce qui était proprement révolutionna ire dans cette cultur e de l’inter vention, pour d’autr es objectifs sociaux avec de nou veaux critèr es de gest ion, a été com pris par beaucou p comme une simple contr ibution à notr e par ticipation gouvernementa le. L’élan a cont inué quelques années après le dépar t des ministres commun istes , en 1984, mais le sout ien de G. Marchais a d’autant plus rapidement décliné qu’à par tir de la fin des années 1980, le Par ti a progress ivement abandonné le terra in de l’entreprise à la CGT.

Les années qui suivent sont mar quées par une crise profonde qui a cons idéra blement affaibli les collaborations à la rédact ion et l’audience de la revue. Elles ont cependant fait progresser, à par tir du tournant de 1995, des propositions nouvelles pour une autr e utilisation de l’argent des profits, des fonds publics et sociaux, et du cré dit, qui seront au cœur de la première cam pagne pr ésident ielle de R. Hue. Ces avancées permettent aujour d’hui de prolonger la problémat ique des critèr es de gest ion de manière non techn iciste, en posant la quest ion de la res ponsa bilité sociale et terr itor iale des entr eprises et en proposant des fonds régionau x pour la format ion et pour l'emploi contr e les déloca lisat ions. Tout comme l’inno vation essent ielle que const itue la proposition d’une Sécur ité d’emploi ou de format ion, elles montr ent qu’Economie et Politique reste une référence pour ceux qui cherchent des réponses à la hauteur des enjeux de notr e époque.

Paul Boccara

Au-delà des quest ions de personnes , il y a un balancement , à l'intér ieur de la revue et dans son utilisat ion, entr e les effor ts pour les inter ventions dans les gestions des entr eprises, ar ticulé à une toute autr e construc tion politique, nationale et eur opéenne , y com pris le cré dit, ou au contra ire la pers istance d'une vision état iste et d ' une trans format ion unilatéra lement programmat ique et par le sommet , dont on n’est pas encor e sor ti.

Le syndicalisme et les entr eprises, cela a toujours été un grand problème pour Economie et Politique et la sect ion économ ique. Cela passa it par un appor t décisif pour nous et auss i pour notr e rayonnement efficace , avec des enjeux pour le par ti. Ainsi pour cer tains, il fallait limiter notr e ambition dans ce domaine. Il y a toujours eu le besoin d'aller aux entr eprises, avec parfois des encoura gements , mais auss i des effor ts pour nous mettr e à l'écar t. A cer tains moments nous avons pensénPhilipp e Herzog et moi que l'on voulait nous empêcher d’aller aux entr eprises. Avec les syndicats auss i nous avons eu des relations contra dictoires, même si la par ticipation de militants d’entr eprises à nos tra vaux a été fondamenta le. La grande force d'Economie et Politique et de la section cela a été la variété des participants dans l’effor t d'unification théor ique et politique. J’ai beaucou p appris de cette divers ité.

Sur la fin de période, quan d nous avons commencé à avancer sur la sécur ité d'emploi ou de format ion, l'écar t par rappor t au tra vail politique vers les entr eprises a caractér isé le par ti lui-même dans son ensem ble. Mais nous avons maintenant un début de remontée de la revue en direction des luttes dans les entr eprises. Dans les syndicats il y a eu des opp ositions à la sécur ité d'emploi ou de format ion, car l’on préférait parler de plein emploi, un peu comme dans le parti d‘ailleurs . Mais aujour d’hui dans la CGT on parle de « sécur ité sociale profess ionne lle ». En même le PS se réclame de cette sécur ité sociale profess ionne lle ! D’où les défis cons idéra bles concernant son contenu et le besoin de coo pérat ions avec le mou vement syndical pour des élaborations con vergentes et non divergentes .

Avec la critique de l'argent pour l'argent et la réclamation d’une autr e utilisation de l’argent , il y a eu une petite remontée électora le du par ti lors des présidentielles de 1995. Pierr e Blotin, en reprenant l'idée de sécur ité d'emploi ou de format ion, a contr ibué à accélérer le passa ge de l'idée dans un texte de con grès. Mais, cela est resté sur le papier.

Et sur tout il y a eu ensu ite la série de capitulations devant le PS sur les quest ions du chômage et de la précar ité.

Économie et Politique, malgré les difficultés a cont inué la bata ille sur le contrô le des fonds publics, mais avec énormément de freinage contr e la loi sur ce contrô le. Elle a amené la bata ille contr e le PARE avec des contr epropositions en faveur des chômeurs , nous avons fait alliance avec leurs assoc iations, les syndicats et depuis le PCF jusqu’à la LCR et la gauc he du par ti socialiste , en passant par les Verts et le MDC. Mais il y a eu la capitulation de Lionel Jos pin sur le PARE et le fait que la direction du par ti n'a pas voulu mener la bagarr e après. De même nous avons mené la bata ille des amen dements commun istes sur les licenc iements à la loi de modern isation sociale. Mais les luttes sur leur utilisation n’ont pas du tout été développées. Alors que la direction du par ti ne s'est pas battue pour la SEF et l’a même lâc hée aux dern ièr es pr és ident ielles , nous avons contr ibué à une vive lutte pour la Conférence nationale sur la SEF, tand is que des commun istes ont aller jus qu’à l’élaborat ion d’un texte alternat if au congrès. Nous avons maintenant un effor t de retour aux entr eprises sur cette quest ion. Nous pourr ions auss i avoir des actions très nou velles sur les ser vices socialisés aux personnes comme l’école ou la santé . Nous avons auss i une avancée sur un autr e rôle des régions . Mais tout cela reste insu ffisant et encor e précaire, avec de trop petits moyens.

Alain Morin

Je pense qu'il il y a une grande cont inuité dans l’histoire de la revue. Beaucou p d'éléments qui ont été élaborés dans le passé restent des éléments au cœur de notr e inter vention. Mais, il y a auss i des changements . Aujour d’hui du fait qu'il y a cette maturation de la crise le terra in est beaucou p plus favora ble pour des expérimentat ions sociales. Cela permet de « défocaliser » le débat sur ce que l'on a appelé tout à l’heur e l'oreille du prince. Ces dernières années , nous avons fait des expérimenta tions concrètes de nos idées dans la vie. Il y a eu toute la bataille sur le contrô le des fon ds publics et c’est sans doute une err eur de ne pas avoir riposté plus for t quan d la droite a abrogé la loi sur le contrô le des fonds publics. Les élections régionales ont montré à quel point cette idée avait avancé dans les consc iences . De Arlette Laguiller à Ségolène Royale, et même la dr oite , tout le monde a d û prendre des engagements sur cette question. La bata ille d’Economie et Politique et du réseau national pour le contrô le des fonds publics attr ibués aux entr eprises

l’avait rendue incontourna ble. Les bata illes pour faire rentr er dans la vie des propositions commun istes visant une res ponsa bilisation des entr eprises ont permis de faire la jonct ion entr e les salariés dans les entr eprises qui ont cherché à utiliser cette loi pour leurs objectifs tout en rejoignant les préoccu pations des élus pour leur terr itoire et pour une efficacité des fonds publics. Cela a permis de faire monter cette res ponsa bilisation sociale et terr itor iale des entr eprises. On a eu la même chose avec la loi de modern isation sociale où l'on a pu faire converger les bata illes des élus de terra in, soucieux de l’emploi dans leur bass in d’emploi et des organisations syndicales contr e les licenc iements en leur donnant de nouveaux pouvoirs (mo rato ires et prise en com pte de contr e propositions alternat ives aux plans sociaux). La bata ille pour les Fonds régionau x va dans le même sens . Economie et Politique doit pousser ce volet expérimentat ion où l'on met en mou vement des élus, des syndicalistes et des res ponsa bles politiques avec une con frontat ion sur les expériences et les obst acles pour faire rentr er dans la vie des novations. La revue doit por ter cette façon de faire de la politique aujour d'hui en s’app uyant sur l’expérimentat ion.

 

Francette Lazard

On devrait aller vers un bouillonnement d'expérimentat ion de toute sor te. Plus il y en aura , plus on se confrontera et mieux cela sera . Mon point de désaccor d, c'est la conce ption du parti comme lieu de branc hement direct des luttes sociales et de la théor ie. Je pense qu'il y a une spéc ificité de l'expérimentat ion directement politique qui ne se rédu it pas à l'expérimentat ion dans les entr eprises et avec les salariés sur les quest ions d'ordre économ ique et social. Il y a une spéc ificité de l'expérimentat ion politique qui n’est pas une quest ion de forme , mais de fond.Je pense que nous n'avons pas discuté de ce que nous appelons le politique et que cela manque dans notr e discuss ion.

 

Jean Magniadas

La maturat ion de la crise pose des exigences et des urgences et cela pousse du côté de l'expérimentat ion. On rejoint le politique et l’économ ique, mais en même temps , je crois qu'il y a un besoin pour Economie et Politique d'êtr e plus polémique parce que les enjeux vont monter dans la maturat ion de la crise. Je suis frappé par les titres qui fleur issent sur les journau x à propos de la France qui plonge et de l'autr e côté l'idée qu'il faudrait êtr e fier d'êtr e frança is. Dans les deux cas cela débouc he sur le nationalisme. Le rappor t Camdessus est sur les mêmes thèmes . Sarkozy à l’UMP, son comman ditaire, en a fait, dit–il, son livre de chevet. Il y a donc besoin de polémiquer de manière plus offens ive.

Il faut auss i faire attent ion au fait que nous sommes en recul sur les idées de classe dans le syndicalisme , avec le risque d'une ruptur e de générat ions, les dernières ne sont plus celles qui sont abonnées à Economie et Politique. Le mouvement syndical dans son ensem ble est en tra in de vivre une pleine trans format ion. Dans la maturation des crises le mouvement syndical se trans forme toujours . Ce n'est pas moi qui défendrais la « courr oie de transm ission », par contr e, je pense qu'il y a un grand travail de diffusion de nos idées à faire auprès des syndicalistes et dans l’entr eprise.

 

Paul Boccara

Oui il faut êtr e plus polémique et voir le potent iel que nous avons dans les con ditions de la maturat ion mond iale de la crise systém ique, mais pour des initiatives construct ives, du local au nationa l, à l’eur opéen et au mond ial. En France , à l’hégémon ie cultur elle que nous avions sur les quest ions du CME, corr espond celle qui est en tra in de monter dans le mouvement social et politique sur la SEF, la sécur ité d'emploi ou de format ion. Pouvons-nous tirer les leçons du passé pour qu'elle ne soit pas déformée , contournée et retournée elle auss i ?

Il s’agirait notamment de développer les luttes sur cette construct ion sociale audacieuse au niveau eur opéen. Déjà la formu le de « sécur isation des parcours profess ionne ls » est reprise dans toute la gauc he et jus qu’à la droite, mais pour quel contenu ? Pour la droite c’est pour just ifier une plus grande précar ité parce qu’avec les facilités des licenc iements et la flexibilité on fera it plus d’emplois ! D’où l’impor tance de la bata ille polémique sur les contenus mais en liaison avec les luttes dans les entr eprises, les régions et à tous les niveaux politiques jus qu’aux plans national et eur opéen . On peut arr iver à des majorités sur des formu les, mais le contenu des trans format ions effectives est l’enjeu d’une polémique construct ive en relation avec des idées précises et des luttes nou velles sur le terra in. Dans ces luttes peuvent monter l’efficacité et la rad icalité des propositions novatrices, gradue lles et révolutionnaires, pour une nouvelle construct ion sociale et politique rassemb leuse dont l’exigence grand it.

 

  1. Dans les années 60, la convergence du capitalisme d’État avec le « socialisme » ; ou, dans les années 70, l’explication de la crise par le prix du pétrole ; ou encore, dans les années 80, la déferlante libérale. [FL]

  2. Jusqu’à frôler les 10000 abonnés, pour une publication austère de haute tenue théorique…[FL]

  3. Ainsi, à l'occasion d'une journée d'étude lançant le programme de travail de la section économique en octobre 1965, Henri Jourdain avance, à propos du thème « classes sociales et travail productif », l'idée que les mutations à l’œuvre avec les progrès technologiques introduisent une relation nouvelle entre techniciens et ouvriers au cœur même du travail productif et donc de la classe ouvrière. Waldeck Rochet, qui suit la conférence et valide explicitement le programme de travail, évoque, dans ses conclusions, les rapports de la classe ouvrière et des couches moyennes salariées, techniciens et employés, en termes « d'alliance ». De même, à la conférence de Choisy-le-Roi, Paul Boccara propose de travailler à la compréhension des ressorts profonds de la dynamique contradictoire du capitalisme monopoliste d'Etat. Waldeck Rochet, qui conclut, encourage la démarche d’ensemble de la conférence tout en prenant soin, en évoquant les propos de Paul Boccara, de rappeler que le CME est déjà défini dans le texte de la rencontre internationale des partis communistes de 1960… et il cite cette définition. On retrouve, dans la session du CC qui se tient à Argenteuil en mars 1966, cette même tension dans la volonté d’assumer l’innovation, que l’on encourage et les principes constituants des partis communistes, que l’on respecte. C’est ainsi que le CC d’Argenteuil invite à l’audace, dans une pleine autonomie respectée, tous ceux qui cherchent à explorer nature et culture dans la diversité de leurs recherches, mais précise « en ce qui concerne les sciences sociales comme la philosophie et l’économie, les problèmes se posent de manière différente en raison du rapport direct de ces sciences avec la politique ».[FL]

  4. Voir pour une rétrospective de l'ensemble de mes travaux : "mon rapport à Marx : le continuer et le dépasser" in Marx contemporain, présentation par Renaud Fabre et Arnaud Spire, Editions Syllepse. Paris 2003. [PB]

  5. J'ai généralisé, en effet, le processus de la suraccumulation-dévalorisation en régulation dans un article de 1971. Le concept de régulation va être récupéré par d’anciens communistes comme Aglietta, dans une école de régulation très différente de la nôtre. Selon nous, une autre régulation, non dominée par la rentabilité pouvait viser à économiser les moyens matériels et à développer les dépenses pour les êtres humains en liaison avec les nouvelles technologies. Il s’agissait donc de passer à un tout un nouveau système et non seulement à de nouvelles structures, mais aussi à une nouvelle régulation et de nouvelles règles pour de nouvelles opérations. [PB]

  6. Dans les années 60, la convergence du capitalisme d’État avec le

  7. « socialisme » ; ou, dans les années 70, l’explication de la crise par le prix du pétrole ; ou encore, dans les années 80, la déferlante libérale. [FL]

  8. Jusqu’à frôler les 10000 abonnés, pour une publication austère de haute tenue théorique…[FL]

  9. Dans plusieurs initiatives marquantes, cette relation de travail commun a été fortement stimulante, enrichissante : je pense au colloque sur l’autogestion en 1980, à la rencontre internationale à l’occasion du centenaire de Marx, aux débats sur « le travail » avec Société française en 1983, aux séminaires sur le matérialisme, aux débats sur l’anthroponomie etc. Je pense tout particulièrement à un colloque organisé à la faculté d’Orsay pour appréhender le « cœur mutant » de l’époque, la révolution informationnelle, notion âprement contestée par les tenants d’une révolution scientifique et technique. Et aussi à nombre de « Mardis » dont l’un, mémorable, sur « Le marché autrement, est-ce possible ? » avec Paul devant près de 1000 participants etc. [FL]

  10. Les tentatives de P. Bourdieu, après le mouvement de 1995, de branchement direct du mouvement social et de la théorie, dans l’effacement de la singularité du politique sont indicatives de l’importance de ce débat pour toute la société. [FL]