Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Fiscalité : mettre en débat une fiscalité de justice et d'efficacité sociale

Le projet de Loi de Finances présenté par Nicolas Sarkozy au nom du gouvernement est porteur de graves glissements.

le projet de loi de finances 2005 est en effet frappé du sceau de l’injust ice fiscale et de l’inefficacité sociale.

Malgré une augmentat ion poudre aux yeux de 4% de la prime à l’emploi (1) représentat ive par ailleurs d’une forme d’impôt négatif dont on ne peut par tager l’économ ie généra le, la réforme des droits de success ion, l’aide à l’emploi à domicile, la volonté de vider l’ISF de son contenu (2), favoriseront essent iellement les ména ges les plus aisés. Quant aux entr eprises elles vont à nou veau bénéficier d’un allègement global de l’ordre de 2 milliar ds d’euros. Par ailleurs , il con vient de garder à l’es prit que la moitié du budget du ministèr e de l’Emploi et du Travail, soit 17 milliards d’eur os, ser vira à cou vrir les exonérat ions de charges patr onales.

Enfin, les ser vices publics sont au centr e du cyclone. Il faut remonter à plus de 10 ans pour trouver un tra itement auss i dur ; 7 190 emplois de fonct ionna ires sont suppr imés (non-remplacement d’un fonct ionna ire sur dix).

Mais ce budget por te auss i la mar que d’une pratique qui pourra it devenir très fâcheuse : la cavalerie budgétaire. En décidant de ne quasiment plus recour ir au verse ment direct de sub ventions mais de s’en remettr e à l’ar t du cré dit ou de la réduct ion d’impôt , le gouvernement rédu it ainsi le déficit, mais ne fait qu’en décaler la traduct ion d’une ou de deux années (3).

La critique est cer tes un passa ge obligé pour appr éhender la natur e des choix effectués et appr écier leurs effets sur le quotidien de chacun de nous . Néanmo ins en rester à un constat amer ne suffit pas à engager une dynamique de sor tie de cette logique désastr euse qui pousse toujours à plus de régress ions et de misère.

Même si la fiscalité ne const itue qu’un des leviers mis à dispos ition pour inter venir dans le champ économ ique, sa déclinaison en terme de contenus et de modes d’action n’est pas neutr e. Selon l’état du rappor t de forces , elle incarnera des représentat ions sociales diverses , voire antagonistes . Soit elle préser vera les plus riches et encoura gera à une financ iarisat ion tou jours plus affirmée de notr e économ ie. Soit elle permettra par une meilleur e redistribution des richesses , d’alléger la charge fiscale des revenus les plus modestes et de contr ibuer par des mesur es incitatr ices à la production de biens utiles dans de bonnes con ditions de rémunérat ion.

Travailler à l’émergence d’une alternative fiscale

Cela impose d’en finir avec cer tains dogmes dominants . A en croire les « anti-fiscau x » libérau x ou sociaux-libérau x, les difficultés de notr e économ ie résu ltera ient en grande par tie d’une trop for te press ion fiscale. Outr e qu’un tel discours manque singulièrement d’originalité, le rappor t du conse il des impôts lui-même montr e dans sa dernière publication (4) que la fiscalité n’a qu’une incidence marginale sur les déloca lisat ions d’entr eprises. Et pour tant c’est au nom de la lutte contr e les délocalisations que M. Sarkozy a présenté ses choix budgétaires pour 2005.

Est-ce à dire qu’il n’y aura it pas beso in de réformes fiscales dans ce pays ? A l’évidence ce sera it nier les besoins de just ice et de retour à l’efficacité économ ique. A ce titre n’avons-nous pas besoin d’aller au-delà des quest ionnements et des réflexions qui sont à ce jour encor e, les nôtr es ?

Le temps n’est-il pas venu de revoir l’ensem ble de la sphèr e des prélèvements fiscaux à partir d’une étu de de leur efficience , de leur natur e et de leur poids relatif ?

On ne pourra sans doute pas en rester éterne llement au schéma actue l. Car derr ière l’impôt , prennent forme les schémas d’organisation politique et administrat ive du terr itoire national ainsi que le cane vas de nos échanges inter nationau x et plus spéc ifiquement de nos rappor ts avec Bruxelles et les membr es de l’Union eur opéenne .

Même s’il convient de se méfier des discours sur la néces saire simplification de l’impôt car qui dit simplification, dit passer à la trappe de nom breuses situat ions particulières donc créer de l’injust ice – sans doute est-il nécessa ire de por ter notr e attent ion sur une redéfinition des grandes caté gories d’impôts .

Sans pr éten dre tra iter de façon exhaust ive de cette problémat ique et sur tout y app or ter imméd iatement les réponses adéquates , il semb le nécessa ire de bouscu ler quelques principes. Cela pourra it aider à entamer en grand un débat permettant d’appr ofon dir cer taines pistes ou d’en ouvrir de nou velles.

A ce titre ne pourr ions-nous pas reten ir l’idée d’une mise à plat de la class ification des impôts ? Pourquoi ne pas envisager un classement en 3 grandes caté gories ? Celles-ci pourra ient se présenter de la sor te :

 

Impôt sur les revenus :

  • revenus salariaux

  • revenus des entr eprises

  • revenus du capital et de la propriété

 

Impôt sur le patrimoine :

  • for tune

  • success ion

Impôt sur la consommation :

  • TVA

  • Taxes diverses et anne xes

En outr e, un des objectifs à atte indre ne sera it-il pas de passer d’un taux global de prélèvements progressifs (5) de 25% à 50% ce qui ne pourra it que contr ibuer à une meilleur e just ice fiscale ?

A l’évidence chacun aura remar qué qu’une caté gorie est absente de ce dispos itif. Ce sont les impôts locau x. A eux seuls ils méritent une réflexion longue et par ticulière tant leur situat ion est aujourd’hui à la charnière d’évolutions qui, même si on peut en par tager la philoso phie, sont l’objet d’enjeux cons idéra bles pour le devenir de la co hésion nationale et l’harmon ie du développement des terr itoires de notr e pays.

Sans doute , n’évitera-t-on pas éterne llement un débat ouver t et franc sur ce sujet. Le constat actue l peut êtr e le suivant :

  • les impôts locau x pèsent de plus en plus lour d dans le budget des ména ges. Si les augmentat ions se poursu ivent le point critique sera vite atteint.

  • tous les IDL (6) sont des impôts proportionnels qui ne tiennent pas com pte de la situat ion économ ique des contr ibuables donc empreints d’une réelle injust ice. Le seul impôt local à conna ître une pondérat ion en fonct ion de la situat ion familiale est la taxe d’habitation dont la validité est sujette à caut ion. Pour quoi en effet acquitter un impôt au simple motif de disposer d’un toit ?

  • dans le principe d’éta blissement de leur base, ils sont largement hybrides empruntant à la fois à la logique de l’impôt sur le patr imoine, de l’impôt sur la for tune et de l’impôt sur le capital.

Consc ient q u’une te lle réflexion s’inscr it d ans un processus de longue durée et de l’urgence à enfoncer au plus vite des coins dans la logique capitaliste à l’œuvre, un cer tain nom bre de propositions imméd iates doivent êtr e faites .

Rendre l’impôt plus juste

Dans le panorama fiscal frança is, 3 impôts sont de type progress if : l’impôt sur le revenu (IR), cer tains droits d’enregistr ement (droits de success ions et de donat ion) et l’impôt de solidarité sur la for tune (ISF).

Leur par t dans les ressour ces budgétaires recou vrées est une des plus faibles des pays développés (11,9 % du PIB en France contr e 13,4 % en moyenne en Europe, mais 15,5% aux USA, 16,4 % en Grande -Bretagne). Cela n’empêche pas le gouvernement de choisir de la faire encor e diminuer. Après les baisses success ives de l’impôt sur le revenu (9%

de la cot isat ion en 3 ans) , c’est maintenant le tour des droits d’enr egistrements . La décision de créer une franchise de 50 000 euros en matière de droits de success ion ne jouera à plein que pour les patr imoines les plus impor tants (c’est à dire les success ions d’un actif net supér ieur à 1 700 000 eur os imposé à hauteur de 40 %). De fait ce nou veau recul de la progress ivité s’effectue sous la forme de redistr ibution en faveur des contr ibua bles les plus for tunés .

Sans atten dre, une réforme de l’impôt sur le revenu peut êtr e envisagée. Elle doit permettr e de tra iter dans les mêmes con ditions les revenus du tra vail et ceu x de la propriété . Le ren dement de cet impôt ainsi augmenté permettra it de rédu ire le poids des impôts indirects comme la TVA et la TIPP qui ont pour principale caractér istique leur

fonct ion anti-redistributive. Une mise en cause des niches fiscales (7) est nécessa ire tout comme un toiletta ge des multiples cré dits et réduct ions d’impôts .

Un impôt efficace socialement

L’efficac ité économ ique de l’impôt représente un enjeu essent iel d’une réforme de la fiscalité. Deux thèmes doivent à ce stade reten ir notr e attent ion.

La fiscalité locale avec l’impôt foncier et la taxe professionne lle. Cette dernière doit évoluer pour devenir un véritable impôt ass is sur les actifs matér iels et financ iers de l’entreprise. En intr oduisant les actifs financ iers dans la base taxable, il s'agit, non seulement d'accr oître les recettes , mais sur tout de dissuader les invest issements financ iers (fusion ac quisition) qui jouent contr e l'em ploi pour orienter les ressour ces des entr eprises vers l'emploi, le développement des capacités humaines et la valeur ajoutée revenant aux salariés et aux populations. Sa suppr ess ion pure et simple mettra it les collectivités locales dans une situat ion financ ière inextricable.

L’impôt sur les sociétés (I.S) tant décrié par le Medef n’est pas, contra irement à une idée répandue , forcément plus élevé en France que dans le reste de l’U.E. Il faut com parer ce qui est com para ble et de ce point de vue, doivent êtr e pris en cons idérat ion non seulement les taux mais auss i les bases et les régimes dérogatoires (zones franches , etc .). Une réforme généra le de l’I.S doit êtr e con duite en intégrant dans cet impôt une forme de progressivité en fonct ion de l’affectat ion des bénéfices notamment eu égard aux montants distr ibués (8).

L’impôt garant de la cohésion nationale

L’organisat ion de péré quations entr e les régions les plus riches et les régions les plus pauvres représente un des moyens de mainten ir un niveau de développement harmonieux sur l’ensem ble du terr itoire. Il y a besoin de vraies solidarités entr e zones à for t potent iel fiscal et celles qui sont victimes de la désindustr ialisat ion. Cela étant , il ne faut pas croire au miracle. Ce n’est pas en par tageant un gâteau de plus en plus rédu it qu’on garant ira le progrès par tout . Un raisonnement identique vaut pour la situat ion du logement social autr e express ion for te de la solidarité entr e les citoyens.

Enfin parler de réforme fiscale sans nous replacer dans le conte xte eur opéen semb lera it ignor er une dimens ion dont nous devons d’une façon ou d’une autr e tenir com pte. La q uest ion d’une h armon isat ion fisca le est p osée . Cer tains y voient une sour ce de progrès même une con dition sine qua none pour aller vers une Europe sociale. Une remar que à ce stade . Après la monna ie unique, préconiser un type de fiscalité unique dans le cadre d’une zone de libre échange comme l’est l’es pace européen où domine une rec herche effrénée de la réduct ion des coûts , ne risque -t-il pas au contra ire de se retourner contr e les êtr es humains, le coût salarial devenant alors la seule et unique variable d’ajustement ? Dans un conte xte de codévelopp ement réel et de projets par tagés, ne sera it-il pas plus opp or tun d’instaur er un système de taxations dissuas ives pour les entr eprises qui délocalisent au sein de l’Union ? Imaginons en effet que se décide une harmo nisation du taux de l’impôt sur les sociétés . La première quest ion qui se posera it sera it où placer la barr e ? Et de ce point de vue, l’éventa il est large. Il faut en effet savoir par exem ple que le taux de l’I.S en Irlan de est de 15 %. Il est de 33 % en France?

b Le projet de budget 2005 en quelques chiffres

  • 885 millions d’allégements fiscaux pour les ménages (dont l’essentiel concerne les plus fortunés), exonération d’une majorité des droits de successions (le bénéfice reviendra là encore aux plus fortunés)

  • 2 milliards pour les entreprises

  • Réduction du taux de l’IS à 33,33% au lieu de 34,8%

  • Dégrèvement de taxe professionnelle au titre des nouveaux investissements

  • Crédit d’impôt PME pour la recherche de marchés à l’étranger hors U.E.

  • Opérations de bourse relatives à des PME au capital social inférieur ou égal à 150 millions d’Euros exonérées du droit de timbre.

  • Création d’un crédit de taxe professionnelle jusqu’en 2009 de 1000 euros par salarié embauché pour au moins un an.

  • Création d’un crédit d’IS de 2005 à 2007 pour les entreprises qui relocalisent en France

  • Dépenses prévues en 2005 : 288,8 Mds d’€

  • Croissance prévue + 2,5%

  • Inflation prévue + 1,7%

Annexes

Un exemple caractéristique de réduction d’impôt contre-redistributif : Les salariés à domicil e.

Avec la loi de finances 2005 s’accentue (9) la redistribution en faveur des caté gories sociales aisées par l’augmentat ion de la réduct ion d’impôt des salariés à domicile. Le montant des dépenses est por té de 10 000 eur os à 15 000 eur os ce qui équivaut à une réduct ion maximale de 7 500 eur os (près de 40 % du coût d’un SMIC se trouve ainsi financé par le budget de l’État) . En 2003, 70 % de cette dépense fiscale profitait à 10 % des foyers et seuls 70 000 foyers fiscau x avaient profité à plein de la réduct ion en 2001. Le relèvement du plafond proposé pour 2005 ne bénéficiera donc qu’à quelques dizaines de milliers de contr ibuables.

Cette redistribution comme celle relative aux droits de success ions sera payée par l’augmentat ion des prélèvements sur les ména ges, des prélèvements exclusivement propor tionne ls qui frappent la consommat ion courante des ména ges : la TVA (47,5 % du budget de l’État en 2004) et la TIPP (7% du budget).

De telles mesur es concour ent à accentuer les prélèvements sur les couc hes populaires au profit d’une redistribution ciblée alors que les 10 % des França is les plus riches perço ivent près de 30 % des revenus et disposent de la moitié du patr imoine.

Devenir de la redevance audiovisuelle : ouvrir le débat

Au projet de loi de finances 2005 est inscr ite une réforme de la redevance de l’audiovisue l. Celle-ci sera it désorma is recou vrée avec la taxe d’habitation éta blie pour la rés idence principale.

L’object if gouvernementa l affiché est celui d’une plus grande efficacité du recou vrement et d’une meilleur e lutte contr e la fraude . Mais plusieurs consé quences négatives ne sont-elles pas à craindre ? Une fragilisat ion avec perte d’indépendance de l’audiovisuel public n’est pas à écar ter. Une budgétisation croissante de son financement accom pagnée d’une baisse des ressour ces et de recettes publicitaires en hausse pourra ient représenter l’avenir du ser vice public audiovisuel. La privatisat ion sera it-elle en point de mire ?

Télévisions et rad ios publiques doivent disposer d’une ressour ce affectée , sûre et régulière, garante de leur indépendance financ ière. Pour cela il faut un mode de financement autonome et spéc ifique. C’est ce que const itue la redevance .

 

I.S.F : Une mort programmée ?

Déjà fortement empreint d’un caractère inégalitaire du fait d’une série de dispos itions visant à exonér er cer tains biens et à limiter la progress ivité des taux, les plus fortunés auront peut êtr e l’occas ion de se réjouir en 2005 d’un ISF qui aura été vidé de sa substance .

  1. Cette aide versée aux titulaires de salaires très bas financée par le contribuable au lieu de l’entrepreneur sous forme de salaire est un encouragement à la baisse des salaires et un puissant accélérateur de la croissance du nombre des travailleurs pauvres dont une étude récente du Secours catholique vient de montrer l’ampleur et la gravité des situations individuelles.
  2. Impôt de solidarité sur la fortune.
  3. Ecart entre la date de perception des revenus et l’échéance de l’impôt.
  4. Rapport de septembre 2003.
  5. L’impôt progressif, contrairement à l’impôt proportionnel dont le taux de prélèvement reste fixe, est un impôt dont le taux s’accroît au fur et à mesure que la base de prélèvement s’élève. Il favorise plus la justice sociale que l’impôt proportionnel.
  6. IDL = Impôts Directs Locaux.
  7. (Déductions pour pertes en capital, réduction pour souscription au capital des PME, investissement dans les DOM-TOM etc.) dont l’impact économique est difficile à évaluer et dont l’origine est le fait de lobbies industriels ou banquiers (Conseil des Impôts septembre 2003).
  8. Pourrait être introduit un système d’impôt progressif permettant, entre autres, de moduler le taux de l’impôt en fonction de la part des bénéfices globaux affectés à la modernisation de l'outil de travail et aux dépenses pour le développent des capacités humaines par rapport au montant des distributions de dividendes.
  9. Rappel : en 2004 a été abandonnée la taxation progressive à l’impôt sur le revenu des plus values immobilières au profit d’une taxation proportionnelle de 26 %.