Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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PROJET DE CONSTITUTION POUR L’EUROPE Quatre raisons de dire non

Le 18 juin 2004 , le Conseil européen a approuvé le « projet de traité établissa nt une Constitution pour l’Europe ». Pour entrer en vigueur il doit être ratifié par les Etats membres suivan t des modalités qui leurs sont propres. Nous entrons désormais dans la phase active du débat sur le projet afin d’obtenir un référendum. Cette discussi on a été soigneusement escamotée par les gouvernements et les forces politiques dominantes lors du récent scrutin européen. Ils tentent encore de l’esquiv er. Ce texte mérite pourtant le plus large débat démocratique car il est branché sur une vision telle de l’Union européenne, des relations entre ses pays membres et ses rapports avec le reste du monde qu’il est indispensable d’y opposer une tout autre vision.

Le projet giscar dien de Const itut ion eur opéenne prétend étern iser la domination du marché sur la vie et l’avenir de chacun . Il sécur ise les « liber tés du marché ». Il confirme le monopo le du pouvoir de la BCE sur la monna ie et le cré dit au ser vice des capitaux financ iers . Il appr ofondit la déréglementat ion des ser vices publics et les press ions à la privatisation. Il organise une fuite en avant dans le fédéralisme.

Le primat de la concurrence et des « libertés » du marché.

Tout le texte est bâti sur la primauté donnée à une « concurr ence libre et non faussée » (art. I-3-2). Les quatr e liber tés du marché (libre circulation des personnes , des bien et des ser vices , des capitaux, ar t. I-4-1, III-46-2, III-46-3) structur era ient un type d’organisation sociale de l’Union eur opéenne (UE). Dans la pratique, si le projet est adopté, on ne manquera it pas d’opp oser, en France , les règles ainsi sacra lisées de la « libre concurr ence » et de la « libre entr eprise » (art. II-16) au « droit [de chacun] d’obten ir un em ploi » (alinéa 5 du pr éam bule  de la Const itut ion de 1946 repris dans celle de 1958) et au « droit pour tout tra vailleur de par ticiper (…) à la gest ion des entr eprises » (alinéa 8 du préam bule de 1946).

D. Strauss Kahn et B. Delanoë , dirigeants influents du PS, ont plaidé (1) en faveur du projet giscar dien.

Ils notent comme très positif le fait que, parmi les objectifs impar tis à l’UE, il y ait la visée d’une « économ ie sociale de marché » (art. I-3-3) ainsi que le « plein emploi et [le] progrès social » (art. I-3-3).

En réalité, ils omettent de relever que cette « économ ie sociale de marché » doit êtr e « hautement com pétitive » et que l’UE doit seulement « tendr e » au plein emploi.

Plus fondamenta lement , la notion « d’économ ie sociale de marché » renvoie au modè le alleman d, aujour d’hui en crise si profonde avec près de 5 millions de chômeurs déclarés .

Quant à l’objectif de « plein emploi » il signifie essen tiellement que l’UE aura it pour ambition ultime le maintien d’un volant de chômeurs . Pour la France , par exemple, le « taux de chômage de plein emploi » équivaut à plus de un million de personnes officiellement privées d’emploi. Et, avec les techno logies informat ionne lles, le maintien d’un taux de chômage, même abaissé, signifierait en réalité une masse cons idéra ble d’emplois précaires, le tout exerçant en permanence une press ion à la baisse du taux de salaire et du niveau de protect ion des salariés.

Les liber tés du marché ainsi sacra lisées enfermera ient les salariés et leurs familles dans un état de concurr ence exacer bé et permanent , notamment sur le marché du travail où l’objectif de « plein emploi » garant irait en pratique le pouvoir pour les employeurs de rejeter et de mainten ir dans le chômage des millions de tra vailleurs jus qu’à les forcer d’acce pter n’impor te quelle activité.

On mesur e alors com bien sera it insignifiante la « « protect ion en cas de licenc iement injust ifié » (art.II-30 et II-332 ) invoquée par les deux dirigeants socialistes pour justifier leur ralliement au projet giscar dien.

En France , nous avons déjà fait l’expérience de ce que tout cela signifie.

Début 2002, alors que L. Jos pin, Premier ministre, se donna it pour objectif « le plein emploi en 2010 », le Conse il const itut ionne l, au nom de la « liber té d’entr eprise », pour tant ignorée par notr e Const itut ion, avait annu lé l’ar ticle 107 de la loi de modern isation sociale. Celui-ci, adopté à l’initiative des députés commun istes restr eignait la définition du licenc iement pour motif économique, en conformité avec deux droits const itut ionnels : le droit à l’emploi et le droit à la par ticipation à la gest ion des entr eprises.

C’est dans la même veine que nos deux auteurs affirment sans sour ire que « [Le projet de Const itut ion eur opéenne] va plus loin que la Const itut ion frança ise (…)  lors qu’il tra ite des droits sociaux dans l’entr eprise [droit de grève, droit à l’informat ion des tra vailleurs , droit de négociation collective, protect ion contr e les licenc iements abusif] (2) ».

En fait, le droit de grève figure bien dans notr e Const itut ion (alinéa 7 du Préambu le de 1946) ainsi que le droit à la négociation collective (alinéa 6) etc . Par contr e, le projet giscar dien ne fait

jamais référence au droit à l’emploi. Il se contente de citer les liber tés accor dées aux deman deurs d’emploi sur le marché du tra vail : « droit de tra vailler » (art. II15-1), « liber té de chercher un  em ploi »  (a r t. 15-2),  « liber té de bénéficier d’un ser vice gratu it de placement » (art. II-29) etc . De même , il n’est fait référence nulle par t à une quelcon que idée  de « durée  légale du tra vail », les inst itut ions eur opéennes ne conna issant que celle de « durée maximale ». C’est d’ailleurs sur cette béance que N. Sarkozy joue pour mettr e en cause toute fixation par la loi d’un barème de majorat ions des heur es supp lémenta ires en France , et ainsi faire perdre tout son sens à la loi sur les 35 heur es.

Quant au « droit à l’informat ion et à la consu ltat ion des tra vailleurs au sein de l’entr eprise » (art. II-27), parlonsen ! Il s’avérerait vite très forme l dans le cas où il entr erait en conflit avec la « liber té » de faire des affaires et le monopo le patr onal sur l’informat ion financ ière des entr eprises et des banques. L’exem ple en a été donné en France même dans de grandes entr eprises où syndicalistes et même journa listes ont vu leurs liber tés res pectives mises en cause au nom même du secr et des affaires bours ières.

La nécessité d’une toute autre ambition pour l’Europe.

L’object if de « plein emploi » que désorma is revendique dans un troublant consensus par tis de droite et sociauxdémocrates en Europe n’est pas du tout à la hauteur des exigences de trans format ion rad icales de l’UE. Il est le pendant, au niveau des ambitions macr oéconom iques, des privilèges patr onau x maintenus sur la gest ion dans les entr eprises pour la renta bilité financ ière.

Une toute autr e ambition est nécessa ire pour un nouveau Traité eur opéen : un système de Sécur ité d’emploi ou de format ion commun à l’ensem ble des Européens , éra diquant le chômage dans une mob ilité choisie, tout au long de la vie active de chacun , entr e emploi stab le et corr ectement rémunéré et bonne format ion pour un meilleur emploi. Ce système garant irait une cont inuité de revenus et de droits relevés : salaire quan d on est dans l’emploi, revenu de remplacement mutua lisé quan d on est en format ion.

Tout de suite, en prenant app ui sur le fait que l’emploi const itue désorma is la première déterm ination de vote des Européens , il s’agit d’invest ir les principaux chantiers de cette construct ion nou velle à faire avancer : Face à la précar ité : trans format ion progress ive des emplois précaires en emplois stab les ; face aux délocalisations, aux restructurat ions : droit de suspens ion et de contr e-proposition des comités d’entr eprises, des salariés permet tant une « sécur isation des parcours profess ionne ls » ; face à l’exclusion : revalorisation des indemnisations des chômeurs et des minima sociaux, aide au retour effect if à un emploi choisi avec la format ion; face aux besoins sociaux de développement : fixation par les citoyens et leurs élus d’objectifs chiffrés contra ignants et contrô lables de créat ions ou de trans format ion des emplois et de mises en format ion dans les bass ins d’emplois, les régions , les pays et à l’échelle de toute l’UE .

Au cœur du pouvoir européen, la BCE.

La Banque centra le eur opéenne (BCE) const itue le deuxième pilier de ce projet qui la confirme comme le pivot du système de pouvoirs dans l’UE.

B. Delanoë et D.Strauss -Kahn ne disent pas un mot de son rôle, de ses missions, des critèr es et des règles de sa politique monéta ire comme s’ils étaient intan gibles et devraient échapper à toute délibérat ion nou velle des citoyens.

Ils nient le fait que « le tra ité graverait dans le marbr e l’Europe actue lle », assurant que le projet const itut ionne l ne sera it qu’un « cadre qu’il nous appar tient de faire évoluer ». Ils en veulent pour preuve les différentes révisions des Traités inter venues depuis l’Acte unique : « Maastr icht en 1992, Amster dam en 1996, Nice en 1999 … ».

Précisément , le point commun de toutes ces révisions c’est le refus répét itifs des gouvernements , en alternance , de toucher à ce qui, pour les « eur olâtr es », doit êtr e un invariant : le rôle, les missions, les statuts de la BCE, ainsi que la discipline budgétaire du Pacte de stab ilité qui lui ser t de bouclier.

La longue litanie d’ar ticles sur la BCE (art. I-29 ; I-34 ; III48 ; III-73 ; III-77 et suivant ) et sur les « déficits excess ifs » (art. III-76), que préten d com battr e le Pacte de stab ilité, vise à accr oître la par t des prélèvements financ iers sur les richesses produites au détr iment de la par t des salaires et des prélèvements sociaux.

Dans ces con ditions , quelle cré dibilité aura it donc au plan social une « gauc he » revenue au pouvoir après avoir appr ouvé une telle vision de l’organisation et de l’utilisation des moyens financ iers ?

D’ailleurs , comme en préfigurat ion de ces nou velles pratiques impliquées par le projet const itut ionne l, les dirigeants ouest -eur opéens rivalisent pour présenter à la Commission eur opéenne les plans d’austér ité les plus ambitieux. C’est le cas par ticulièrement après les surenchères de S. Berluscon i et de G. Schröder que s’appr êtent à suivre MM. Chirac et Raffarin.

Le silence de B. Delanoë et D. Strauss -Kahn sur ce chapitre si cruc ial ressem ble à une mise au garde-à-vous face au dogme monétar iste de la BCE et de l’eur o.

Celui qui est chargé de faire respecter ce dogme, plus puissant qu’un gouvernement ou un parlement , le président de la BCE, J.C. Trichet, a donné le ton. A une quest ion d’un journa liste du journa l Le Monde (3) qui lui deman dait si la politique monéta ire de la BCE n’avait pas une par t de responsa bilité dans le marasme de l’UE, il s’est contenté de répondr e : « non » ! Sans plus de commenta ire.

Conquérir les pouvoirs sur la monnaie et le crédit.

La quest ion des moyens financ iers est fondamenta le pour cré dibiliser une politique d’alternat ive sociale rad icale. Le sent iment de ne pouvoir rien changer en Europe fait de l’abst ention la postur e numér o un des électeurs dans l’UE et elle con duit à faire voter le « peuple de gauc he » restant mob ilisé pour ce qu’il croie le moins doulour eux, c’est à dire les précon isations social-libérales.

C’est pour quoi l’enjeu d’une maîtrise nou velle de la monna ie, des financements et des inst itut ions de cré dit est absolument fondamenta l.

Cela suppose une sélectivité des politiques de taux d’intérêt et de refinancement menée par la BCE en faveur de l’emploi et de la format ion : ses taux d’intérêt sera ient d’autant plus abaissés que les cré dits banca ires à moyen et long terme que l’Inst itut de Francfor t aura it à « refinancer » ser viraient à des invest issements créateurs d’emplois et accom pagnés de format ions . Ils sera ient , par contr e, d’autant plus relevés, rendant donc plus cher l’argent prêté par les banques, que les cré dits à « refinancer » jouera ient contr e l’emploi et ser viraient aux placements financ iers .

Il est poss ible d’engager tout de suite la construct ion de nou veaux rappor ts de force, dans nos régions jus qu’au niveau eur opéen pour avancer dans ce sens .

C’est , par exemple, la bata ille engagée en France depuis les élections régionales par le Pcf pour la créat ion de Fonds régionau x pour l’emploi et la format ion. Ceux-ci prendraient en charge une par tie des intérêts versés aux banques par les entr eprises sur les cré dits finançant leurs invest issements , à propor tion de leurs engagements chiffrés en matière d’emplois et de format ions .

Alimentés , pour commencer , par le redéploiement d’une par tie des cré dits d’action et de développement économ ique du budget de chaque Conse il régional, ces Fonds ne ser viraient en aucun cas à verser de l’argent aux entr eprises, y com pris au nom de l’emploi, mais à réaliser des objectifs annue ls d’emplois et de format ion décidés dans chaque région en pesant sur les choix de gest ion des entr eprises grâce à une mob ilisat ion sélective du cré dit pour leurs invest issements .

L’imp licat ion des ban ques sur des projets d’em ploi et de format ion, dès le terra in, permettra it alors de commencer à solliciter autr ement et sélect ivement le « refinancement » de la BCE via la Ban que de France qui fait par tie du système eur opéen de ban ques centra les (SEBC).

Ces Fon ds régionau x const ituera it une fon dation indispensab le pour la mise en place de Fon ds nat ionau x pour l’em ploi et la format ion, dans le cadre de rappor ts de force favora ble à une politique alternat ive de trans format ion sociale rad icale. Ils rece vraient en dotat ion les centa ines de milliards d’eur os accor dés aux entr eprises , dans le cadre des « politiques d’em ploi », sous forme notamment d’exonérat ions de cot isat ions sociales patr onales.

Ouver ts à l’inter vention citoyenne ces Fon ds nat ionaux et régionau x s’app uiera ient sur un réseau eur opéen de pôles financ iers publics avec la Ban que eur opéenne d’invest issement (BEI) et, en France , la Caisse des dépôts pour promou voir une grande mission nouvelle de ser vice public du cré dit sécur isant l’em ploi et la format ion.

Face au piège des « services d’intérêt général », l’exigence d’entreprises et de services publics modernes.

Le troisième pilier du projet de Const itut ion met en avant l’idée de « ser vices d’intérêt généra l (SIG) et services d’intérêt économ ique généra l (SIEG) » au détr iment de ser vices publics adossés à des entr eprises publiques visant d’autr es buts que la renta bilité financ ière.

Pour tant il sera it impérat if d’affirmer le besoin d’un grand progrès de droits inaliéna bles dans l’usa ge de biens communs à l’ensem ble de l’human ité (éne rgie, eau, communication, cultur e, cré dit, etc .). L’UE s’y refuse, s’inscr ivant au contra ire dans les préce ptes libérau x de l’OMC (art.III-193, III-216 sur le commer ce mond ial et III-217-4 sur le commer ce des ser vices) . Le projet de Const itut ion, en sacra lisant le primat du marché, donnera it une ampleur beaucou p plus impor tante aux déréglementat ions et privatisations (comme on le voit aujour d’hui avec l’éner gie et Edf-Gdf).

Sur cette quest ion, B. Delanoë et D. Strauss -Ka hn cherchent à rassur er en préten dant que « [le projet de Traité] place au sommet de l’ordre juridique eur opéen (…) l’accès aux ser vices publics ». Ils font référence à l’ar ticle II-36 qui définit l’accès , non aux ser vices publics mar chan ds, mais aux SIEG. Et, en effet, un seul ar ticle dans le projet giscar dien repren d l’idée de ser vice public (a r t. III-136) mais c’est pour limiter le cham p des aides publiques.

L’honnêteté comman de de ne pas utiliser indifféremment ces notions de ser vice public, de SIG ou de SIEG. Les deux dernières caté gories ont été créées par les « eur ocrates », notamment , pour mettr e habilement en cause l’idée de droit et d’égalité d’accès de toutes les populations à des ser vices publics modernes et efficaces sur tous les terr itoires. Elles permettent de tra iter ce qui relèverait de l’intérêt généra l comme une exception au marché (art. III-17 ), la concurr ence pour le profit étant érigée alors en règle généra le indépassa ble pour l’organisation économ ique de nos sociétés .

D’ailleurs , les missions dites d’intérêt généra l peuvent êtr e assumées par des entr eprises privées ou privatisées avec un cahier des charges, de « ser vitudes » (art. III-136) assor ti de remboursement public. Mais en réalité, comme on le voit en France dans le domaine de l’eau, le cahier des charges se rédu it comme peau de chagrin dès lors qu’il est confronté aux exigences de renta bilité financ ière des entr eprises privées, privatisées ou privatisables assu mant ces « ser vitudes ». En vérité, pour que les missions d’intérêt généra l, et plus encor e de ser vice public, puissent êtr e pleinement assumées , il faut des entr eprises visant un autr e but que la renta bilité financ ière. Le bien commun exige de nou veaux critèr es de gest ion d’efficacité sociale.

La démar che du gouvernement frança is concernant Edf et Gdf s’inscr it bien dans la pers pective dess inée par le projet de Const itut ion. Cer tes rien n’y oblige les gouvernements à changer le statut des entr eprises publiques et à les privatiser, mais il consacr e la marchandisation des biens publics, comme l’électr icité, en const itut ionalisant le principe de concurr ence entr e opérateurs , en restr eignant les poss ibilités d’aides publiques (art. III-56-1) et en inter disant aux entr eprises publiques le recours à des financements non état istes alternat ifs au marché financier.

Enfin, et ce n’est pas le moindre, le domaine des SIG et SIEG est très restr eint. Par exemple, il exclut tota lement la monna ie et le cré dit, alors qu’il faudrait les tra iter comme de véritab les biens communs . Cela exigerait des banques assumant de nou velles missions de ser vice public avec des critèr es d’efficacité sociale, ainsi que des inst itut ions non mar chandes largement ouver tes à l’inter vention créat ive décentra lisée des salariés, des populations et des élus dans un but d’intérêt commun .

Le besoin d’un nouveau type d’entreprises publiques.

Au lieu de la domination des marchés comme point cardinal de toute l’organisation économ ique de l’UE, un nouveau Traité devrait viser à maîtriser les marchés, commencer de les dépasser, afin de réaliser de grands objectifs sociaux novateurs comme la Sécur ité d’emploi ou de format ion. Si la quest ion des moyens financ iers est tout à fait cruc iale pour cré dibiliser une telle visée celle des moyens réels ne l’est pas moins.

Auss i, la bata ille pour un nou veau Traité devrait-elle intégrer l’exigence de ser vices publics modernes et de qualité, access ibles à tous sur tous les terr itoires de l’UE. Pour cela, il faut de nou velles entr eprises publiques dont les finalités , les critèr es de gest ion, les financements , le système de pouvoirs et les coo pérat ions contr ibuera ient à maîtriser le marché, au lieu de la folie concurr entielle actue lle.

Ces entr eprises publiques d’un nou veau type aura ient à assur er une grande mission nou velle commune , au-delà de leurs missions trad itionne lles de ser vice public : la sécur isation de l’emploi et de la format ion de chacune et chacun .

Les ser vices publics ne doivent pas êtr e conçus comme une « exception » par rappor t aux règles du marché, avec l’illusion d’un super Etat eur opéen pour les financer , au risque de les trans former en autant de « ser vices universels » à minima. Ils devraient au contra ire par ticiper d’une vision d’ensem ble nou velle de la construct ion eur opéenne pour maîtriser les marchés. Celle-ci fera it avancer l’usa ge de nou veaux critèr es et indicateurs de gest ion d’efficacité sociale, de nou veaux pouvoirs d’inter vention, de concer tat ion et de contr e proposition des salariés et des usagers , de nou veaux financements , d’autr es règles de coo pérat ions internes et internat ionales.

La quest ion va se poser avec d’autant plus d’acuité que le défi des délocalisations va s’accentuer avec l’élargissement de l’UE et les press ions du dollar. Le besoin de politiques industr ielles et de recherche nou velles, assoc iées à de très grands effor ts communs pour l’Educat ion et la format ion, entr era en conflit avec les règles du marché et de la renta bilité financ ière. Cela fera grand ir l’exigence de nou velles entr eprises publiques mais auss i d’éta blissements publics et d’administrat ions qui, eux, soient pleinement émanc ipés du marché.

Face au fédéralisme, le besoin d’une démocratie participative et d’intervention.

L’ensem ble du projet const itut ionne l est bâti autour d’une inst itut ion hyper-fédéraliste : la BCE. Elle échappe à tout contrô le des parlements et des gouvernements pour ne se préoccu per que d’une seule mission : la « stab ilité des prix », en réalité la défense des taux de profit.

C’est pour préten dre faire contr e-poids à ce pouvoir exorbitant de la BCE que les promoteurs du projet const itut ionne l mettent en avant un « Eurogroupe » qui sera it  chargé d’assur er la coor dination des politiques écono miques de la zone eur o dans le str ict res pect des objectifs de la Banque centra le. Le « protoco le sur l’Eurogroupe » anne xé au projet envisage un « dialogue renforcé » entr e les Etats membr es de la zone eur o pour « coor donner de plus en plus étr oitement » leur politique économ ique. Les réun ions « informe lles » de cette instance auxquelles sera ient invitées la Commission eur opéenne et la BCE sera ient placées sous l’autor ité d’un président élu pour deux ans et demi à la majorité des Etats membr es.

La construct ion inst itut ionne lle d’ensem ble ainsi proposée mar quera it un nou veau pas vers le fédéralisme et le présidentialisme. Cer tes on met en avant l’accr oissement des pouvoirs du Parlement eur opéen (PE) en partage avec la Commission mais sans qu’à aucun moment cela ne vienne empiéter sur les prérogatives de la BCE et les contra intes que font peser ses injonct ions sur les politiques budgétaires et structur elles. Sur tout , le type d’unificat ion imposée par la monna ie unique, avec la négation de la divers ité des besoins nationau x et de toute liber té d’initiative nationale sera it renforcé par le fonct ionnement de telles inst itut ions .

De nom breux dirigeants du PS regrettent que le projet const itut ionne l ne soit pas asse z fédéraliste. Ils aura ient voulu, par exemple, au nom de la lutte contr e le dumping fiscal, une mise en cause du vote à l’unan imité sur la fiscalité sans pour autant proposer, comme le fait le Pcf, la mise en œuvre d’une clause de non révers ibilité des acquis sociaux pour chaque pays. Dans ce cas , il faut bien reconna ître que le passa ge au vote à la majorité qualifiée const ituera it un véritab le dessa isissement de souveraineté nationale au profit de ceux qui dominent sur le marché financ ier.

En réalité, le projet const itut ionne l, par quelque bout qu’on le prenne , est conçu pour dépossé der les citoyens, les salariés, les élus de terra in de droits d’inter vention effect ifs sur la con duite des inst itut ions pour les réor ienter. Cela débouc herait en fait sur une crise encor e plus aiguë de la démocrat ie représentat ive.

C’est la relation Etat marché qui est en cause et qu’il faut arr iver à dépasser au lieu de cette « nou velle alliance » entr e eux prônée par les dirigeants sociaux-libéraux. La crise très profonde de la construct ion eur opéenne actue lle montr e l’impasse et l’illusion du projet fédéraliste avec un Etat supranat ional.

Ce n’est ni vers un fédéralisme super -état ique ou un retour illuso ire à une souveraineté nationale étr oite qu’il faudrait avancer, mais vers un confédéralisme de type très nou veau permettant , en pratique, de constru ire une démocrat ie par ticipative et d’inter vention dès le niveau local et des entr eprises, jus qu’au niveau eur opéen, avec une décentra lisat ion effect ive des pouvoirs d’orientat ion pour les salariés, les citoyens, les élus. Une telle construc tion fera it alors des niveaux nationau x et eur opéens des cadres pour la concer tat ion de toutes ses inter ventions décentra lisées . ■

  1. « Il faut ratifier le projet de Constitution européenne », Le Monde du 3 juillet 2004.
  2. Le Monde du 3 juillet 2004 déjà cité.
  3. Interview de Jean-Claude Trichet dans Le Monde du 20 juin 2004. Il répondait à la question suivante « Et cette différence de croissance (de part et d’autre de l’Atlantique NDR) ne s’explique pas, au moins en partie, par la différence de politique monétaire entre les Etats-Unis et l’Europe ? »