Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Dette grecque : de quoi parle-t-on ?

L’une des raisons des succès électoraux remportés par Syriza tient au refus de continuer de payer la facture de la dette grecque, dette ayant déjà fait l’objet, ces dernières années, d’un certain nombre de décisions. Il convient donc de s’intéresser à la composition de cette dette, de sa consistance pour regarder ce qui pourrait évoluer.

En septembre 2014, la dette publique de la Grèce atteint 321,7 milliards d’euros, ainsi composés :

D’une part, 79,8 milliards de titres de dette « ordinaires », répartis entre titres de court terme (billets de trésorerie) pour 13,4 milliards d’euros et titres de long terme (Bons du Trésor) pour 66,4 milliards d’euros. La BCE et les autres banques centrales détiennent aujourd’hui 25 milliards d’euros de titres de long terme, le secteur privé contrôlant un encours de 41,4 milliards d’euros, soumis aux plus grandes tensions spéculatives. Si la BCE et les banques centrales européennes voulaient intervenir, ce serait, d’ailleurs, dans un premier temps, en rachetant cette partie « volatile » de la dette hellénique qui est grevée des taux d’intérêt les plus élevés. La Grèce est, notamment, contrainte de se refinancer à des taux supérieurs à 9 % sur les titres de long terme…

La seconde partie de la dette publique grecque (241,8 milliards d’euros, soit environ 75 %) est constituée de prêts accordés par les « partenaires « de la Grèce.

La dette publique grecque est donc atypique puisqu’elle n’est pas négociable par le pays lui-même pour les trois quarts. Et le quart restant étant particulièrement décoté du point de vue des agences de notation, le service de la dette grecque s’en trouve dramatiquement majoré.

Le FMI détient 32,1 milliards d’euros de dette et c’est essentiellement la zone euro qui détient le reste.

Le premier plan a mobilisé 52,9 milliards d’euros de financement des pays de l’Union (la France pour 11,9 milliards dans cet ensemble) et le second, adossé au Fonds européen de stabilité financière ou FESF, a concerné 141,9 milliards d’euros, représentatifs des garanties d’engagement accordées par les pays de la zone euro. C’est-à-dire que, contrairement à une légende assez largement répandue, la France n’est véritablement exposée, en Grèce, que pour les 11,9 milliards d’euros mobilisés par le premier plan (cf. article 4 de la loi 2010 – 463, loi de finances rectificative pour 2010).

L’intervention du FESF se situe en effet dans un cadre très précis. Il bénéficie de la garantie de l’ensemble des États de la zone euro et est habilité à lever jusqu’à 1 000 milliards d’euros sur les marchés pour souscrire ou racheter la dette des pays en difficulté. C’est-à-dire que le FESF, mutuellement assuré de tous risques par les États membres de la zone euro, agit comme intermédiaire entre les marchés financiers et la Grèce.

Et de fait, il s’est substitué à la République hellénique en qualité de débiteur des marchés financiers. Nos banques, nos compagnies d’assurance et celles des autres pays européens ont donc échangé de la dette publique grecque, certes fort rémunératrice mais de plus en plus hasardeuse, contre une dette du FESF à la rémunération moindre mais garantie…

On comprend mieux que ces établissements financiers aient abandonné 110 milliards d’euros de revenus certes potentiels mais qui étaient étroitement liés à la capacité de la Grèce à payer le service de sa dette et à l’amortir. Ces 110 milliards ne sont que les intérêts que ces établissements auraient dû percevoir si rien n’avait changé.

Cette intervention du FESF est évidemment conditionnée à la réalisation de mesures dites « d’assainissement budgétaire » dont on a vu à quoi elles ressemblaient en Grèce et qui ont bridé la croissance économique du pays et construit l’excédent budgétaire primaire sur la réduction draconienne des dépenses publiques.

De plus, les États accordant leur garantie au FESF, leurs ressources ne sont mobilisées que si l’État demandeur du soutien du Fonds « fait défaut ».

En clair, lors même la France serait engagée pour environ 31 milliards d’euros en garantie pour le second plan Grèce, le budget français ne serait sollicité qu’à raison de toute incapacité de la Grèce à amortir les sommes avancées par le FESF. Cette disposition est celle décrite par l’article 3 de la loi 2010-606 du 7 juin 2010, loi de finances rectificative pour 2010. L’engagement de la France dans le Fonds européen est donc un peu comme la garantie d’un emprunt HLM par une collectivité locale.

Le FESF a désormais été remplacé par le Mécanisme européen de stabilité (MES), dispositif doté d’une « force de frappe » de 1 000 milliards d’euros en plafond de ressources, dont nous avons rejeté la création pour des motifs de même nature que ceux ayant présidé à la création du FESF, à savoir la « conditionnalité » des aides à la mise en œuvre de politiques « d’ajustement budgétaire »…

Enfin, l’extension du nombre des pays de la zone euro modifie, à chaque fois, la part relative des participants au MES…

Autre observation essentielle : les premières sommes prêtées à la Grèce ont, pour le principal, été levées à partir de ressources extra budgétaires puisque la France s’est contentée, dans les faits, de relever le plafond d’émission de titres de dette publique. Nous avons connu une détérioration relative du solde des comptes spéciaux du Trésor (grand ensemble parmi lesquels se trouvent les comptes d’opérations financières bilatérales de la France avec les autres États du monde) et une hausse de la dette publique à raison de cette détérioration.

En clair, les 12 milliards d’euros avancés pour Athènes constituent environ un centième de la dette publique de l’État français et ont été financés par émission de titres sur les mar11cées à la Grèce. Il est même probable que les intérêts et swaps perçus depuis 2010 aient résolu une partie du problème… Et ce, sans augmenter les impôts plus que nous ne pouvons le faire d’ores et déjà.

Ce qui est en revanche certain, c’est que cet engagement des États dans le financement de la dette grecque s’est aussi traduit par une sensible réduction de l’exposition des banques françaises et européennes au risque posé par la détérioration des comptes du pays.

Ainsi, si les banques internationales « portaient » pour 430,5 milliards d’euros de dette grecque publique et privée (dont 62,9 milliards de dette publique) fin 2009, elles n’ont plus aujourd’hui en portefeuille que 73,8 milliards d’euros d’une telle dette dont seulement 3,5 milliards de titres de dette publique.

Dans cet ensemble, les banques françaises qui détenaient 20,3 milliards d’euros sur l’État grec fin 2009 ont réduit leur exposition à… 100 millions d’euros, après avoir recueilli les fruits du rachat de dettes par les États et leurs banques centrales…

Pour l’Allemagne, engagée pour 20 milliards d’euros fin 2009, les engagements sont aujourd’hui réduits à 200 millions.

Ce qui signifie, a contrario, que fin 2014, l’Allemagne voit ses banques porter 18,7 milliards de titres de dette privée grecque.

En réalité, cette situation montre le véritable caractère de l’intervention des États de la zone euro sur le dossier grec. Il s’est agi de substituer aux titres de dettes devenus incertains (on émettait en 2009 des « credit default swaps » adossés sur les obligations grecques portant intérêt à 16 % et plus…) et détenus par nos banques et nos compagnies d’assurance des titres de « caractère » public permettant à la Grèce de les amortir effectivement.

Dans les faits, les prêts bilatéraux comme l’intervention du FESF, donc des États, n’auront donc servi qu’à éviter l’imputation des pertes grecques sur les comptes du Crédit agricole, de la BNP ou de tout autre établissement français ou européen de même nature.

On comprend d’autant mieux comment ces mêmes banques ont pu, aussi rapidement que cela fut observé, rembourser les aides qui leur avaient été accordées en 2008-2009 dans l’enveloppe de 40 milliards en fonds propres et 320 milliards d’euros en liquidités prévue par Sarkozy dans la loi de finances rectificative du 16 octobre 2008 (loi n° 2008-1061).

Quelles perspectives ?

La dette grecque vis-à-vis du FESF a d’ores et déjà été réduite, en termes d’impact, parce que le FESF a consenti un remboursement différé de dix ans.

Ensuite, le taux d’intérêt qui grève pour l’heure la dette grecque s’élève à Euribor + 50 points de base, soit 0,055% + 50 points de base, ou encore 0,555%, un taux supérieur au refinancement de court terme des autres pays de l’Union (la France et l’Allemagne ont même des taux négatifs sur les bons du Trésor, depuis le mois d’août 2014 pour ce qui nous concerne).

Tout se passe comme si la Grèce, présentée comme «l’homme malade de l’Europe» se retrouvait, de fait, avec des taux d’intérêt sur prêts FESF plus élevés que ceux des bons du Trésor des pays les plus fragiles de la zone euro (Portugal, par exemple).

On avait commencé avec des taux sensiblement différents, puisqu’en mai 2010, le taux Euribor à 3 mois était à 0,354 % (il a eu tendance à remonter ensuite d’ailleurs) et les prêts à la Grèce étaient assortis d’une prime de risque de 300 points de base, soit un taux de 3,354% Une prime de risque ramenée à 150 points de base (de manière rétroactive) puis à 50 points en 2012.

Le problème étant que le paiement des intérêts étant différé, ils s’accumulent avant de commencer à être soldés. Le niveau des intérêts dus aux prêts bilatéraux comme au FESF se situant à 1,9 milliard d’euros par an, on se retrouve donc avec une Grèce qui, sans avoir amorti le premier cent de sa dette non négociable, aura déjà payé pour 20milliards d’euros d’intérêts…

Nous pourrions donc fort bien mener une opération consistant à combiner deux actions : une nouvelle prolongation du différé d’amortissement (une situation qui signifie au demeurant que plus de 240 des 320 milliards d’euros de la dette publique grecque n’ont pas vocation à commencer d’être remboursés avant… 2020 ou 2022) ; une renonciation à la « prime de risque » de 50 points de base qui, dans le contexte actuel des faibles taux d’Euribor, majore très sensiblement le coût de l’opération.

De la même manière, on peut se demander si nous ne pourrions renoncer à une partie des intérêts capitalisés, comme cela se fait déjà pour les titres de dette publique grecque négociable détenue par les banques centrales de la zone euro.

L’Institut Brueghel, repaire de dangereux révolutionnaires pro-européens (des gens comme Mario Monti ou Jean Pisani-Ferry participent aux travaux de cet organisme de plus en plus présent dans les décisions politiques supranationales), indique d’ailleurs qu’en combinant renonciation à la « prime de risque », allongement de 10 ans (jusqu’en 2051) des financements bilatéraux et FESF, la Grèce pourrait récupérer 31,7milliards d’euros de disponibilités sans perte d’aucune sorte pour ses créanciers…

De la technique financière pure à la décision politique

Les outils de l’allongement du règlement de la dette, comme de la réduction relative du taux d’intérêt, voire l’abandon des intérêts capitalisés peuvent évidemment être mobilisés. Comme pourrait également être mis en œuvre un plan de rachat de la dette grecque demeurant négociable (le quart de l’encours actuel) avec les engagements que prend notamment la BCE.

Cependant on ne peut avoir, pour le même pays, une dette non négociable sur les marchés assortis d’un taux d’intérêt de 0,55 % aujourd’hui et une dette négociable échangée désormais aux alentours de 10 % !...

Mais la solution la plus durable passe par la consolidation, c’est-à-dire in fine l’abandon de créances, tant en intérêts qu’en capital.

Il existe un compte d’affectation spéciale retraçant la participation de la France au désendettement de la Grèce, compte consistant à affecter le produit des intérêts perçus par la Banque de France sur des titres grecs au désendettement de la Grèce. Ce compte est pour le moment déficitaire, ayant vocation à « fonctionner » jusqu’en 2020, année où la République Hellénique devrait graduellement commencer d’amortir le capital de ses prêts européens.

Mais on pourrait concevoir, par exemple, un abandon de créances par tranches successives de 500 millions ou 1 milliard d’euros, dont la « consolidation » serait réalisée par émission de dette et dont l’impact budgétaire serait neutralisé au sens européen par mesure expresse.

Nous réalisons d’ailleurs tous les ans des opérations de consolidation avec les dettes de certains pays en voie de développement, une consolidation qui ne fait que précéder des abandons purs et simples de créances dans bien des cas.

Enfin, se pose évidemment le cadre de l’intervention.

Soit l’on procède par des accords bilatéraux et la France, de son propre chef, décide de participer à la consolidation et à la réduction du poids de la dette publique grecque. Cela s’accompagnera normalement d’une dégradation de notre solde budgétaire et d’un accroissement de la dette publique, déjà fort surveillés, mais cela demeure possible. On ne peut oublier que la dette publique grecque (320milliards d’euros) ne représente, pour le coup, que 16% du PIB français Et le budget de la Grèce 50 à 55milliards d’euros…

L’autre solution est l’intervention multilatérale, à partir du Mécanisme européen de stabilité dont on pourrait relever le niveau d’intervention, en oubliant la conditionnalité. Il reste tout de même 80 milliards d’euros de dette grecque négociable, grevée de lourds taux d’intérêt. Cela pourrait constituer une première étape dans l’amélioration des comptes du pays.

Il demeure deux autres pistes de résolution du problème.

La première, c’est la transformation des titres FESF en titres à perpétuité, mettant la Grèce en situation de ne payer que des intérêts, à partir d’une faculté à « recharger » le passif par émission de nouveaux titres amortissant les précédents. Comme cela est accompli aujourd’hui par les pays pourvus de la meilleure signature (France, Allemagne…).

Au demeurant, l’existence de plusieurs pays touchés par une dette publique excédant les limites du traité européen de Stabilité semble nécessiter une approche globale.

La seconde, ce peut être de constituer une sorte de « bad bank » destinée à permettre à la France d’intervenir sur les dettes souveraines de ses partenaires.

En 2008, la loi de finances rectificative pour le financement de l’économie avait ouvert la faculté de mobiliser 360 milliards d’euros en fonds propres ou en garantie pour que nos banques ne se retrouvent pas « le bec dans l’eau ».

La France pourrait mettre en place une société de financement dédiée qui, d’une part, investisse en valeurs de dette publique de qualité (par exemple de la dette publique allemande) et d’autre part, rafle sur les marchés l’ensemble des titres de dette publique détenus par des personnes publiques ou privées d’origine française dans les autres pays ? Elle renégocierait alors avec les émetteurs de nouvelles conditions d’amortissement, tout en demandant aux détenteurs actuels une sorte de décote, sous forme de prime de risque…

à l’image du dispositif de 2008 comme du programme d’investissements d’avenir, on pourrait concevoir une sorte de Fonds doté de ressources plus ou moins importantes (pourquoi pas jusqu’à 100 milliards d’euros mobilisés en quatre ou cinq tranches ?) que nous avancerions à titre onéreux à certains pays demandeurs ? Dans l’absolu, on pourrait fort bien emprunter sur les marchés 20 Md à 0,6 % ou 1 % à dix ans et les avancer avec un bonus de quelques points de base à tout pays demandeur.

Le tout est affaire de volonté politique, semble-t-il... 

Où EN EST LA GRECE FACE à SES OBLIGATIONS ?

Le pays qui est à bout de souffle est désormais « en excédent primaire », c’est-à -dire qu’elle a consenti à tant de sacrifices, en termes de dépenses publiques et sociales, que hors le paiement annuel des intérêts de la dette publique, les comptes de l’État sont excédentaires. Elle n’emprunte donc plus pour financer son déficit, mais pour rembourser sa dette.

La Grèce est obligée de continuer d’emprunter pour financer les intérêts de la dette, pour rembourser, pour renouveler la dette arrivée à maturité, pour rembourser les prêts octroyés par le FMI.

à partir du deuxième trimestre 2015, la Grèce fera face à un trou de financement de 12,5 milliards d’euros (19,6 milliards d’euros si le FMI cesse son aide).

Une nouvelle restructuration est indispensable vu l’ampleur de la dette et son profil d’amortissement (avec des remboursements atteignant 13 milliards d’euros en 2019 et jusqu’à 18 milliards d’euros en 2039!).

 

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