Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

Plan Borloo et 35 heures : le nouveau défi populiste de la droite sur l’emploi

Face au chômage durable et à l’exclusion, le plan Borloo prétend vouloir rompre avec la « logique d’assistance », pour faire du « retour à l’activité » la priorité des priorités. Couplé à l’offensive de N. Sarkozy et du Medef contre les 35 heures, il donne la mesure du défi populiste de la droite et place les forces de gauche et de progrès devant l’obligation de s’émanciper des idées social-libérales

Relançant un «traitement social du chômage », le plan Borloo assure vouloir en faire un «moment de reconstruction » des individus concernés pour préparer leur retour ou leur accès effectif à l’emploi durable, au lieu d’un parking à vie pour les plus démunis et les moins qualifiés.

Il s’agit, affirme le ministre, «d’investir en faveur de la sécurisation des parcours, afin de faire du chômage une période active de préparation d’un nouvel avenir et non un temps déterminé conduisant trop souvent à l’assistance ».

Prétendant apporter une réponse globale face à tous les facteurs d’enfoncement dans les difficultés auxquels sont en bute beaucoup de chômeurs, et qui finissent par faire système (emploi, formation, logement, santé..), le plan Borloo se présente donc comme une double critique : Vis à vis de la politique de son prédécesseur, F. Fillon, qui refusait le traitement social du chômage, mais, surtout, vis à vis de la politique du PS qui a gâché des milliards dans l’octroi d’aides sociales sans finalité économique.

Mais ces prétentions viennent vite buter sur des financements très insuffisants et, surtout, sur la volonté farouche de ne rien toucher à la logique capitaliste d’entreprise qui, pourtant, ne cesse de rejeter dans le chômage et de développer la précarité, sous la houlette des marchés financiers.

Borloo-Sarkozy même combat

Au contraire, le plan Borloo, de façon complémentaire à l’offensive contre les 35 heures, cherche à consolider cette logique capitaliste face au risque de fragilisation engendrés par des «départs massifs en retraite dés 2007», alors même que le chômage et l’exclusion pèsent de plus en plus lourd sur les comptes publics et sociaux.

Aussi, le dispositif gouvernemental vise-t-il, avant tout, à «mobiliser »la réserve de main d’œuvre que constituent les 4 millions de chômeurs et d’exclus. Il s’agit de tenter de les guider au moindre coût vers les métiers, les emplois, les activités dont les entreprises et la société capitalistes ont besoin, pour surmonter les goulots d’étranglement qui se profilent avec le choc démographique et l’insuffisance criante de formation.

J-L. Borloo parle ainsi d’une « transition démographique inédite »à affronter : un million d’emplois nouveaux «vont être offerts au cours des dix ans qui viennent ». Il faut « mobiliser avec efficacité ceux qui sont aujourd’hui chômeurs ou exclus » pour «pourvoir ces emplois peu qualifiés, qualifiés ou très qualifiés ».

De là, il fait un double choix. Il propose d’abord un marché aux demandeurs d’emploi : ils acceptent une grande flexibilité de leur trajectoire professionnelle et de vie moyennant quelques «sécurités». Et il entend simultanément «faciliter » l’accord des personnes concernées en les faisant entrer dans une logique de contrat, réduisant en fait leurs possibilités réelles de choix, au détriment d’un droit à indemnisation ou allocation. Bien que déjà très attaqué, ce dernier est censé leur permettre de chercher ou de rester disponible pour un retour choisi à l’emploi ou l’accès à une formation elle-même choisie.

S’inspirant de l’expérience du Danemark, où un quart de la population active passe, chaque année, par le système d’indemnisation du chômage, le plan Borloo tente en effet d’imposer en France le système dit de «flexicurité » : une politique et des accords qui, au nom de la recherche d’une combinaison entre la flexibilité et la sécurité des emplois, développent en grand une flexibilité de précarisation (1).

D’ailleurs, J-L. Borloo le revendique avec force : Il vise « un équilibre dynamique entre la sécurisation des parcours des travailleurs et l’efficacité économique » assimilée ici à la rentabilité financière.

Pour cela, on passerait d’une logique de droits sociaux à une logique de contrat conditionnant le versement d’allocations à l’exercice d’une activité plus ou moins subie. Dans cette optique, ce sont, avant tout, les chômeurs et les exclus qui sont considérés comme responsables de leur situation et, en aucun cas, les logiques capitalistes d’entreprises qui, pour la rentabilité financière, propagent l’insécurité sociale avec les technologies informationnelles.

Tous, chômeurs, exclus «doivent pouvoir, sous des formes adaptées, retrouver le chemin de l’activité, aussi modeste soit-elle » annonce le gouvernement.

La mise en œuvre systématique du «workfare » cher au social libéral Tony Blair se précise donc. Elle associerait la baisse du coût du travail pour les employeurs à l’obligation, en pratique, pour les privés d’emploi d’accepter un retour ou un accès à l’activité dans des conditions non choisies.

Cela débouche, au total, sur de grandes ambitions de réformes réactionnaires, en ligne avec les exigences du Medef, mais auxquelles le plan Borloo entend intégrer les syndicats de salariés avec force recours à toute la capacité de séduction du populisme.

Il y est question ainsi de la perspective d’un «nouveau pacte pour l’emploi», avec une «modernisation des règles de fonctionnement du marché du travail». Cela s’organiserait autour de «six thèmes prioritaires pour la négociation professionnelle » : la gestion sociale des restructurations ; l’emploi des «seniors » ; la santé et la sécurité au travail ; la sécurisation des règles régissant les relations individuelles et collectives de travail ; le financement du paritarisme ; la durée du travail. Tout cela sous la pression et le chantage montants des délocalisations, comme en Allemagne avec Siemens et Daimler-Chrysler ou, en France, avec Bosch (Vénissieux), où ont fini par être imposée aux salariés une révision des contrats rallongeant la durée du travail et faisant baisser le salaire réel.

Nicolas Sarkozy, d’ailleurs, a commencé à relayer, au plan politique, l’offensive patronale pour une révision de la loi des 35 heures. Il prend appui, pour cela, sur l’usage massif qu’ont fait les patrons des possibilités offertes par les lois Aubry d’accroître la surexploitation des salariés (annualisation, gel des salaires...), ce qui fait de la France la première en matière de gains de productivité horaire parmi les pays de l’OCDE(2).

Mais, surtout, il prend appui sur l’énorme gâchis que constitue le mode de financement des 35 heures par la baisse massive des cotisations sociales patronales qui, en fait, s’oppose à une forte création d’emplois et contribue à la propagation de la précarité et des bas salaires.

Il dénonce l’usage de cette masse considérable de financement public pour une «loi anti-économique ». Il se permet même d’ajouter que cet argent serait mieux employé à financer des efforts de formation, de santé....

Habilement, le ministre de l’économie propose aux patrons un nouvel arrangement : de moindres allègements de cotisations sociales patronales, en contrepartie d’une révision des lois Aubry. Celle-ci consisterait à supprimer les majorations de salaire pour les heures supplémentaires, en commençant par les porter de 25%, aujourd’hui, à 10%, jusqu’à la 39ème heure. Cela finirait par faire perdre son sens à la notion-même de durée légale du travail, en conformité avec le droit européen actuel qui ne reconnaît que la notion de durée maximale.

Cette attaque, elle-même très populiste, a été caractérisée par des dirigeants du PS comme contradictoire avec le plan Borloo.

Au contraire, elle s’y inscrit pleinement. En effet, l’argent mis sur les baisses de cotisations sociales patronales pour­rait être en partie réorienté vers le financement du plan Borloo. Surtout, cette opération, menée au nom d’une prétendue liberté des salariés à travailler plus pour pouvoir gagner plus, vise à élargir la pression accentuée à la baisse du coût du travail aux salaires directs et à toutes les catégories de salariés.

Les premiers chantiers de la «flexicurité »

Le plan Borloo associe à un projet d’ensemble des mesures immédiates, les premiers chantiers systématiques de la «flexicurité»

Nous ne retiendrons ici que les programmes les plus significatifs du point de vue de l’emploi:

• Un premier programme vise à «fédérer les acteurs pour un nouveau contrat avec les demandeurs d’emploi».

S’agirait-il de fédérer autour des besoins d’emploi, de formation, de revenu de toutes les populations sur chaque territoire ? Pas vraiment, le plan propose de «partir des besoins en ressources humaines au niveau des bassins d’emploi» ; c’est-à-dire, en fait, des conditions à créer pour permettre aux entreprises d’éviter des goulots de main d’œuvre.

Dans cet esprit, seraient créées 300 «maisons de l’emploi» où serait représenté chacun des acteurs de la politique de l’emploi. Travaillant «en étroite collaboration avec l’A NPE et l’AFPA », cette nouvelle instance prendrait la forme d’un groupement d’intérêt économique (GIE). Elle serait chargée «de recenser les ressources humaines et de prévoir les besoins locaux en emplois ».

Il y aurait ainsi une «maison de l’emploi» pour trois agences de l’ANPE.

On s’en doute, tout en prétendant développer la proximité et l’efficacité des services de l’emploi, il s’agirait ici de préparer le terrain à la disparition du monopole déjà entamé

de l’ANPE en matière de placement et d’ouvrir la voie à une privatisation. Il s’agirait aussi de mieux asservir l’offre de formation de l’AFPA aux exigences patronales.

Surtout, cette nouvelle instance fonctionnerait «au service d’un nouvel équilibre des droits et des devoirs »des chômeurs.

En contrepartie de l’offre groupée de services par ces 300 maisons (l’aide à la création de son propre emploi par chaque chômeur étant appelée à occuper une place de choix), les chômeurs seraient tenus à «la recherche assidue d’un travail et à une participation active au programme de formation». Pour cela, «des sanctions justes et graduées pourront être prononcées » jusqu’à – on s’en doute – mettre le demandeur d’emploi dans l’obligation d’accepter le placement qui lui serait proposé.

Ces «maisons pour l’emploi »seraient donc aussi le bras armé de la mise en pratique effective du «PARE» dont un récent procès, à l’initiative des «recalculés »a confirmé qu’il s’agit bien d’un «contrat».

Un «pilotage plus intégré »serait mis en œuvre, sous la houlette du Comité supérieur de l’emploi (CSE), avec une «politique de contractualisation ».

Au niveau national serait signée une Convention tripartite pluriannuelle entre l’Etat, l’ANPE et l’UNEDIC déclinant les objectifs élaborés par le CSE. Et rien ne dit que ce serait des objectifs chiffrés de création d’emploi et de mise en formation comme la situation l’exigerait.

Au niveau local, seraient signées des conventions territoriales fixant, non pas des objectifs d’emploi et de formation à réaliser chaque année, mais seulement «les objectifs à atteindre pour la création des maisons de l’emploi et pour la rénovation des agences locales de l’ANPE ».

Un Fonds, inscrit au budget de l’Etat, contribuerait au financement de ces 300 maisons, notamment pour le « recrutement progressif, sur contrat de droit privé, de 7500 agents, les autres personnels nécessaires étant fournis par redéploiement». L’offensive contre l’ANPE est bien lancée.

  • Un deuxième programme annonce vouloir «accompagner 800 000 jeunes en difficulté vers l’emploi durable » . De quoi s’agit-il?

Dans le cadre d’un «contrat d’avenir »chaque jeune en difficulté ferait l’objet d’un «accompagnement personnalisé et renforcé pour une période d’un an, renouvelable jusqu’à l’accès définitif à l’emploi durable ». Bref, c’est l’éradication du chômage de cette catégorie de la population qui est envisagée, pas moins !

Pour cela, tout jeune sans emploi, ni qualification aurait « un référent» qui l’aiderait à définir son projet professionnel et jouerait un rôle «d’entraînement jusqu’à l’emploi présumé »grâce à un suivi sur tous les plans (formation et emploi, logement, transport, santé).

Chaque jeune percevrait « une allocation intermédiaire » entre deux contrats «afin qu’il n’y ait pas de rupture du revenu ».

Le plan Borloo annonce la mobilisation à cette fin des 8 000 collaborateurs des missions locales et PAIO, de 2 800 emplois (à créer) de référents – notamment parmi les «seniors »et de 500 coordonnateurs.

Les jeunes ainsi pris en main seraient dirigés vers les «métiers du plein emploi» grâce à des «plates-formes de vocation »qui «doivent permettre d’évaluer leurs aptitudes à occuper les métiers qui recrutent ».

Ces 800 000 jeunes, seraient guidés vers trois grandes voies d’accès : 100 000 seraient «recrutés en alternance dans le secteur public » ; 300 000 emprunteraient la voie de la formation en alternance (apprentissage, contrat de professionnalisation) ; 350 000 seraient conduits vers l’emploi marchand «avec un droit à la formation, le cas échéant par le truchement d’un emploi aidé ».

Pour cette dernière voie d’accès, serait envisagée une «amélioration »(non chiffrée) des contrats-jeunes en entre prise (contrats Fillon), qui démarrent lentement et ne prévoient rien aujourd’hui pour la formation des bénéficiaires. Ces contrats seraient recentrés sur les non qualifiés avec une modulation de l’aide à l’entreprise «en fonction de la situation du jeune recruté, afin d’augmenter le nombre de jeunes sans qualification embauchés ».

Ceux de ces jeunes qui sont le plus en difficulté auraient droit à «un parcours d’accès à la vie professionnelle» dont on assure qu’il leur permettrait «dans un second temps, d’accéder à l’emploi en entreprise ou à la formation en alternance ».

Ces actions spécifiques seraient financées par un Fonds doté de 100 millions d’euros par an «en moyenne »sur la durée du plan.

  • Un troisième programme instituerait un «contrat d’activité »appelé à se substituer au RMI et à l’ASS. Il s’agirait en l’espèce de transformer le droit à une allocation différentielle, comme le RMI, en un contrat «articulant droits et obligations ». Le plan a beau jeu à cet égard de rappeler, par exemple, l’énorme échec du volet «insertion » du RMI.

Ouvert à tous les allocataires du RMI et de l’ASS depuis six mois (et, à leur demande, aux allocataires de l’allocation de parent isolé), ce nouveau contrat serait en fait double : chaque titulaire devrait en effet contracter avec un référent et avec un employeur.

Il prévoit un temps d’activité hebdomadaire compris entre 26 heures et 35 heures, «réparti obligatoirement entre temps de travail et temps de formation », la répartition étant «modulable selon les besoins des bénéficiaires ».

Dans l’état actuel des choses, seul le temps de travail serait rémunéré et sa rémunération chiffrée : SMIC horaire, soit un SMIC pour 26 heures par semaine de temps de travail (durée maximale).

Le financement de la formation serait assuré par les régions, et aussi les départements à partir de leurs «crédits d’insertion ». Mais cela n’a donné lieu à aucun chiffrage dans le plan.

D’une durée de deux ans, ce nouveau contrat pourrait être prolongé d’un an, mais ne serait pas renouvelable. Il ouvrirait «droit à une qualification, à une validation des acquis de l’expérience » ou, plus modestement, à une «attestation de compétence » ... Ce qui, en fait, risque d’être le cas le plus souvent.

Ce serait les communes qui proposeraient ces contrats, les géreraient, en liaison avec les départements. L’employeur pourrait être une collectivité territoriale, une entreprise d’insertion, une association ou un «délégataire de service public ».

Le financement de ce nouveau contrat serait assuré par le département, pour le RMI, et par l’Etat, pour l’ASS. Ces deux allocations seraient versées aux employeurs. Et ces derniers rémunéreraient les titulaires de contrat d’activité. Ils n’auraient donc à supporter que la différence entre le montant de cette rémunération et celui du RMI ou de l’ASS. Ils bénéficieraient cependant d’une «aide forfaitaire de l’Etat » calculée de manière à représenter 75% de cette différence la première année du contrat, 50% la deuxième, 25% la troisième.

Pour inciter les employeurs et les communes à aménager une sortie de ce dispositif «vers l’emploi durable », ils toucheraient, les uns et les autres, 1 500 euros pour chaque sortie ainsi réalisée.

Simultanément, le plan étend les droits à protection sociale des bénéficiaires du RMA – il en était dépourvu – et réduit à six mois l’ancienneté du RMI requise pour en bénéficier.

L’effort financier annoncé pour ce nouveau contrat abaissant fortement le coût du travail ne serait engagé qu’à partir de 2005 (400 millions d’euros) et pourrait atteindre 1,3 milliard d’euro en 2007.

L’objectif affiché est d’offrir 250 000 contrats de ce type chaque année pendant quatre ans.

• Un autre chantier important du plan Borloo vise à « rationaliser» les contrats aidés, partant du principe qu’ils sont «insuffisamment efficaces (parce que trop rigides) (..)sont source d’effets d’aubaine importants (..) et bénéficient parfois à des personnes ne connaissant pas de difficultés personnelles ».

Outre les dispositifs pour les jeunes et le contrat d’activité «amélioré », «seules deux catégories de contrats aidés subsisteront, l’un dans le secteur marchand, l’autre dans le secteur non marchand ».

Dans chaque cas, l’employeur bénéficierait et d’une exonération totale ou partielle de cotisations sociales et d’une prime, le tout «abaissant le coût du travail».

Seul le montant maximum de l’aide apportée par l’Etat pour chacune des deux catégories de contrat relèverait de la loi.

L’ensemble des crédits afférents aux différents contrats aidés (CES, CEC, CIE, SIFE, SAE) seraient «fondus dans une enveloppe unique, gérée au niveau régional par le préfet et les services de l’emploi ».

Le plan annonce, sans du tout la chiffrer ni en présenter les modalités, «une action de formation qualifiante (...) plus systématique, associée à ces contrats ». Et on ne saura pas non plus à la charge de qui.

Le volume des entrées dans les contrats aidés serait gelé dès l’année 2004 en niveau «une fois déduites les entrées des bénéficiaires de minima sociaux » orientés vers les dispositifs spécifiques du plan. Le volume des crédits pour 2005 sera donc limité à 2,6 milliards d’euros, une fois ce redéploiement opéré.

Enfin, et ce n’est pas le moindre, le plan Borloo annonce que «la législation relative aux CDD et à l’intérim sera assouplie pour favoriser le retour à l’emploi des chômeurs de très longue durée ». Une disposition qui devrait prendre place dans les négociations annoncées pour «moderniser le marché du travail» ...

Le financement au cœur des enjeux de riposte

Le plan Borloo a-t-il les moyens de ces ambitions, toutes réactionnaires qu’elles soient Il ne sera lancé qu’à partir de 2005 et envisage une enveloppe totale de financements de 12,73 milliards d’euros de 2005 à 2009. Le ministre assume pleinement une montée lente en régime. Il reconnaît qu’une grande partie du financement serait assurée, outre l’Etat, par les collectivités locales. Mais il s’est bien gardé de chiffrer un tant soi peu l’ef fort qui leur serait demandé.

Et fait, pour l’heure, ne semblent assurés que 1,1 milliard d’euros de dotation budgétaire par l’Etat pour 2005.

La charge financière, révisable chaque année, se répartirait ensuite de la façon suivante : 2,44 milliards pour 2006 ; 3,12 milliards pour 2007, 3,09 milliards pour 2008 et 2,95 milliards pour 2009. C’est-à-dire que près de 80% de la charge financière totale est reportée sur les années 2007, 2008 et 2009 ... après l’élection présidentielle.

Quant aux crédits à budgétiser pour 2005 (1,1 milliard), on peut en prendre la pleine mesure en les comparant aux seuls crédits pour solder les emplois jeunes en 2004 (1,6 milliard) ou à ceux des CES et CEC (1,3 milliard).

Il est donc peu de dire que les financements ne semblent pas être, pour l’heure, au rendez-vous de ces ambitions : une part devrait être assurée par des redéploiements, permettant en fait une réduction des efforts budgétaires de l’Etat, tandis qu’une autre part, beaucoup plus importante, résulterait d’un transfert supplémentaire de charges et de responsabilités sur les collectivités territoriales et leurs élus.

Cela est d’ailleurs cohérent avec le fait que J.P. Raffarin et N. Sarkozy se soient engagés vis-à-vis de Bruxelles, à ramener dès cette année le déficit public à 3,6% du PIB et sous les 3% en 2005.

C’est cohérent aussi avec le fait que, dans la foulée de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) adoptée par la précédente majorité de «gauche plurielle », un autre texte constitutionnel pourrait être présenté par la droite visant notamment à institutionnaliser l’impératif d’ une croissance zéro en volume des dépenses de l’Etat.

En réalité, la crédibilité du plan Borloo va beaucoup reposer sur l’engagement des collectivités territoriales, communes, départements et régions. Cela fait de ces instances des lieux décisifs pour la résistance et une contre-offensive rassembleuse, d’autant plus que le plan gouvernemental ne met en avant aucun objectif chiffré de réduction du taux de chômage.

En fait, les buts réels de ce plan transparaissent dans le fait qu’il ne touche pas du tout à la logique capitaliste d’entreprises. Celle-ci, au contraire, pourrait se radicaliser dans ce qu’elles comportent de plus réactionnaire, avec la perspective de déresponsabilisations supplémentaires des entreprises au plan social.

Les financements envisagés eux-mêmes contredisent les quelques belles intentions verbales proclamées en matière de cohésion nationale par le ministre : ce ne sont que des financements publics ; ils servent à baisser le coût du travail pour les entreprises afin d’encourager la rentabilité financière ; ils sont assortis d’obligations pour les chômeurs, les exclus d’accepter n’importe quelle activité. Le plan Borloo se refuse donc totalement à mobiliser le crédit et les banques d’une façon qui responsabilise les entreprises pour l’emploi et la formation comme, par exemple, le propose le PCF, avec une bonification sélective des taux d’intérêt des crédits pour les investissements. Le crédit est l’affaire exclusive de la BCE, donc pas question de chercher à y toucher ! L’esprit de Maastricht est largement revendiqué à droite.

Mais force est donc de constater que, sur ces deux enjeux si cruciaux pour sortir des difficultés, la gestion des entreprises et la BCE, la droite partage, pour l’heure, des options communes avec les dirigeants sociaux-libéraux du PS.

Ceux-ci, il faut bien le dire, se sont trouvés en grande difficulté pour critiquer le plan Borloo.

Ils ont mis, certes, en exergue l’insuffisance des financements. Mais E. Guigou, sur LCI le 1er juillet 2004, a déclaré :«Je trouve qu’il y a une bonne chose au moins, c’est que J. L. Borloo rompt radicalement avec l’optique de son prédécesseur F. Fillon. C’est-à-dire qu’il se rend compte (...) qu’il faut vraiment ne pas se priver de certains instruments pour aider les personnes qui ont de la difficulté à retrouver un emploi, des jeunes sans qualification, des chômeurs qui ont besoin d’un sas pour retrouver le travail». Et l’ancienne ministre de L. Jospin a ajouté : “j’ai de gros doutes sur le financement ( prévu de) cette approche, que je ne peux pas condamner puisqu’elle est la nôtre, qui vise à aider les chômeurs à retrouver un emploi,”.

Eric Besson, député de la Drôme et secrétaire national du PS à l’économie et à l’emploi, a déclaré, lui, le 8 juillet : « (...) Il me paraît particulièrement hasardeux d’accorder le moindre crédit aux propos d’un gouvernement qui se montre incapable de respecter l’exigence fixée par le pacte de stabilité et de croissance (déficit public de 3% du PIB maximum) »(sic).

Et il a ajouté de façon significative : «De toute évidence, le plan Borloo jette l’opprobre sur le système Raffarin, en remettant en cause la quasi-totalité des réformes entreprises par François Fillon (..). J.L. Borloo abonde aujourd’hui dans notre sens, au prix d’une profonde remise en cause des orientations définies par l’actuel ministre de l’Education ».

Bref, les dirigeants sociaux-libéraux du PS présentent des critiques, en forme d’autojustification de leur propre politique, qui ne font guère le poids par rapport aux problèmes posés et à l’ampleur du défi populiste de la droite. Pire, elles confirment le conformisme de l’actuelle direction socialiste face aux exigences du marché.

En fait, c’est principalement sur le terrain du financement et des entreprises que le PS est mis en demeure de changer radicalement ses conceptions pour pouvoir s’ouvrir à des objectifs de transformation sociale radicale.

J-L. Borloo et N. Sarkozy annoncent la couleur : ils n’engageront l’argent de l’Etat que sur des programmes qui confortent la logique capitaliste d’entreprise et font le choix de laisser le crédit et les banques aux mains des marchés financiers.

Les dirigeants actuels du PS, eux, demeurent prêts à engager l’argent de l’Etat sans mettre en cause la logique capitaliste des entreprises et en acceptant la domination des marchés financiers sur le crédit et les banques.

On mesure alors l’enjeu d’une alternative sur le contenu des financements pour changer la logique d’entreprise. Car, à quoi bon faire boucher des trous par l’Etat quand, simultanément, les entreprises et les banques ne cessent d’en creuser partout?

C’est dire alors l’importance du projet de Sécurité d’emploi ou de formation et de ses divers chantiers, notamment celui de la «sécurisation des parcours professionnels » contre les licenciements et face aux tentatives de délocalisation.

La dimension européenne du projet est tout à fait décisive désormais. Elle suppose en effet une réorientation de la BCE et de sa politique monétaire pour assurer une prise sur le crédit et la monnaie favorable à la sécurisation de l’emploi et de la formation. Elle mettrait en cause la logique de concurrence à tout crin pour le profit, en faveur d’une logique de coopération et de partage pour développer toutes les capacités humaines.

Bref, face au populisme de droite, la gauche est placée au défi d’une construction vraiment nouvelle de transformation sociale radicale. Cela exige que le PS s’émancipe de la domination des idées sociales libérales et que le PCF développe avec hardiesse et créativité son propre projet dans un travail continu de rassemblement effectif et d’expérimentation avec d’autres pour sécuriser l’emploi et la formation. n

  1. Paul Boccara: « Une sécurité d’emploi ou de formation pour une autre Union européenne ». Économie et Politique, mars-avril 2004, p. 7.
  2. OCDE. Perspectives de l’emploi 2004 et « La réduction du temps de travail : une comparaison de la politique des « 35 heures » avec les politiques d’autres pays membres de l’OCDE » (J.P. Martin, M. Durand et A. Saint Martin).