Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Relever le défi de l’abrogation de la loi Hue

Coup de force au Sénat.

L'abrogation de la loi sur le contrôle des fonds publics attribués aux entreprises est un véritable scandal e. La majorité sénatoriale a introduit un amendement hors de propos avec le sujet pour abroger cette loi. On a profité de la trêve des confiseurs et de la précipitation de la fin de session parlementaire pour éviter que le débat soit porté sur la plac e publique.

Alors que l'Assemb lée nationale avait voté cette loi contr e la majorité sénator iale, les députés se voient inter dits de toute poss ibilité d'amen dement . Ils vont donc décider d’abroger une loi sans même en débattr e. Du jamais vu.

Voilà, sans doute , l’un des exemples auquel pensa it Jean-Pierr e Raffarin en déclarant « j’ai enten du votr e impatience » devant les patr ons en congrès. Avec cette mesur e, leur privilège d’accès à des aides publiques sans aucune exigence d’efficacité sociale pourra it êtr e restauré .

L’exigence sociale de contrôle et d’évaluation

Or, il est légitime de deman der des com ptes sur les 45 milliards d’eur os qui sont l’argent des contr ibuables attr ibués aux entr eprises sous diverses formes (sub ventions, exonérat ions sociales et fisca les, avances ,…) comme c’est la pratique pour toute collect ivité ou assoc iation.

Les gâc his de fon ds publics défraient la chronique : Des entr eprises, grandes consommatr ices de fonds publics licenc ient , délocalisent des activités à l’étran ger sans rendre de com pte, comme c’est le cas de Deawoo, qui a reçu 46 millions d’eur os d’aides directes et veut suppr imer des centa ines d’emplois en Lorra ine.

Alors que Danone licenc ie les LU pour rehausser ses profits il fait appel aux collect ivités pour faire financer son centr e de recherche en Ile de France . Axa a, selon Claude Bébéar, reçu 15 millions de francs d’aide publique lors de l’implantat ion d’un éta blissement dans une région alors qu’il n’en avait nul besoin et ne l’avait pas sollicitée (1) ou encor e les cas de Flexonics, Magneti marelli, Viasystèms , (2) ...

Des fonds publics cons idéra bles sont mob ilisés pour le financement de recon vers ions industr ielles (3) et de créations d’em plois qui ne bénéficient pas aux salariés concernés .

Les grands groupes font main basse sur les fonds publics au détr iment des PME. La comm ission d’enquête de l’Assemb lée nationale sur le thème « face aux grands groupes : quelle politique pour l’emploi et le terr itoire », a constaté une sur-concentrat ion des aides à cer tains groupes au détr iment des PME :

  • Bull, Thomson et Rhône-Poulenc ont reçu 42% des aides à la recherche développement du ministèr e de l’industr ie,

  • une dizaine de groupes du secteur de la défense accaparent 83% des 23,2 milliards de francs de financements publics de la recherche,

  • douze groupes pillent le fonds national pour l’emploi dont les aides sont dest inées à financer les dépar ts à la retra ite anticipée.

Ces aides sont en échec au regard des objectifs prétendument prioritaires : l'emploi, et la croissance . En 2001, selon la DARES, les dispos itifs de la politique de l'emploi (aides directes de l’Etat et exonérat ions sociales) qui mob ilisent près de 33 milliards d’eur os n’aura ient abouti qu’à la créat ion de 23 000 emplois. Ainsi, pour chaque emploi créé , il aura it été dépensé 1,4 million d'eur os d’argent public en aides diverses .

Celles-ci, pour l’essent iel, incitent aux bas salaires : plus ils sont proches du Smic et plus les aides sont impor tantes . Cela déprime la deman de et enra ye la croissance . Cela freine auss i les effor ts de qualification en contra diction avec les besoins des nou velles techno logies. Par contr e, en favorisant les profits des entr eprises et leurs placements sur les marchés financ iers , cela renforce le gonflement bours ier contr e l’emploi.

D’où l’exigence sociale majoritaire de contrô le, d’évaluation de l'efficac ité de ces fonds publics attr ibués aux entr eprises.

Au-delà des contrô les nécessa ires de la Cour des com ptes ou les étu des techn iques des inst ituts de recherche ou des missions parlementa ires d’évaluation existantes qui sont utiles mais insuffisantes , il s’agit de promou voir une véritab le démar che citoyenne décentra lisée ouver te aux salariés et à leurs organisations syndicales, à la population et à leurs élus, aux chômeurs et à leurs assoc iations , aux formateurs .

Déjà, bien avant la loi sur le contrô le des fonds, des collect ivités ont créé leur comm ission de contrô le et d’évaluation de leurs propres aides aux entr eprises. Dans la région Centr e, un contrô le systémat ique de l'utilisat ion des sub ventions du conse il régional a montré qu’environ 10% des entr eprises n'avaient pas réalisé le contrat sur lequel elles s'éta ient engagées. Elles ont dû soit mod ifier leur com por tement , soit rembourser par tiellement ou tota lement ces fonds publics. Il est donc poss ible de responsa biliser les entr eprises. L’object if essent iel n’étant pas de sanct ionner, mais d'aler ter sur les difficultés pour aider l'entr eprise a réaliser les objectifs sociaux sur lesquels elle s'est engagée .

Le contenu de la loi

C'est dans cet es prit que la loi sur le contrô le des fonds a été votée l'an dernier.

Cette loi avait un objectif d'efficacité sociale : chaque eur o de fonds publics attr ibué aux entr eprises doit êtr e utilisé au mieux pour l'emploi, la format ion et l'équilibre du terr itoire Pour cela, si nécessa ire, un contrô le et une évaluation doivent pouvoir êtr e menés .

Son champ d’inter vention recou vre toutes les aides, celles des communes , dépar tements , régions, les fonds de l'Etat , des éta blissements publics ainsi que les fonds eur opéens , notamment les aides à l'emploi, l'invest issement , la recherche, la format ion et l'aména gement du territoire, … les exonérat ions de charges sociales et fiscales.

Pour cela la loi avait créé une Commission nationale de contrô le et 22 comm issions régionales, où siègent des représentants des salariés, des élus, des représentants du patr onat , de l'Etat et auss i des personna lités qualifiées notamment liées aux assoc iations de chômeurs comme le recomman de la circulaire d’application. Cette comm ission devait recenser et évaluer les aides. Chaque année un rappor t sur ce sujet devait êtr e réalisé dans les commissions régionales et nationale. A par tir de ce rappor t, un débat contra dictoire pouvait aller jus qu’à contr e proposer des dispos itifs alternat ifs pour les aides jugées inefficaces . Cela aura it permis d’aider toutes les instances politiques, de la commune à l’Europe, à déterm iner leurs choix et faire émer ger d’autr es dispos itifs que ceux directement ins pirés des appr oches libéra les de l’OCDE ou de la Commission eur opéenne .

La loi ouvrait plusieurs droits nou veaux :

un droit de saisine de la comm ission nationale pour les élus, les syndicats , et les comités d'entr eprise afin de faire la transpar ence sur les fonds publics attr ibués à une entr eprise par ticulière et d’évaluer l'efficac ité de leur utilisat ion selon les critèr es définis.

- Un droit des comités d'entr eprise de contester auprès de l'instance distr ibutr ice de l’aide ou auprès des pouvoirs publics l'utilisat ion des aides reçues par leur entr eprise et deman der leur suspens ion ou leur rembourse ment , au cas où les con ditions d’obtention de l’aide ne sont pas res pectées . Après avoir enten du l'opinion du chef d'entr eprise les pouvoirs publics pouvait décider d’exécuter cette deman de. Ce pouvoir nou veau des comités d'entr eprise aura it favorisé une res ponsa bilisation sociale, terr itor iale ou environnementa le des entr eprises.

En orientant l’utilisat ion des fonds publics vers l’emploi et la format ion et en donnant des pouvoirs aux salariés, aux élus, cette loi contr ibuait à avancer dans le sens d’un système de sécur isation de l’emploi et de format ion au lieu de la précar isation actue lle.

La mise en œuvre de cette loi

Mais les rét icences du gouvernement Jos pin et de son ministre des finances , Laur ent Fabius, chargé de son application, en raison de leur refus de toucher à la loi des marchés, en premier lieu celle des marchés financ iers , ont enra yé sa mise en œuvre. Les retar ds pris pour le vote de la loi, la publication de son décr et et de la circulaire d'application ont été domma geables parce que les salariés et les élus n’ont pas pu prendre consc ience des nouvelles poss ibilités que la loi leur donna it pour agir efficacement .

C'est d'ailleurs pour accé lérer ce mou vement que le Réseau national de contrô le des fonds publics regroupant des élus, des syndicalistes de diverses sens ibilités et des militants et exper ts s’est créé . Il a aidé les élus et les syndicalistes à se saisir de cette loi et à la mise en place concrète des comm issions dans toutes les régions. Elles étaient pratiquement toutes en place et commença ient à fonct ionner. L’une des dern ières à s’insta ller, en novembre dernier a été celle des Pays de Loire, celle de la région de F. Fillon, qui comme président du Conse il régional était chargé de l’insta ller en concer tat ion avec le préfet de région.

Par ailleurs , le Réseau à aidé les salariés des entr eprises à utiliser le droit de saisine pour faire la transpar ence sur les fonds publics reçus par leur entr eprise, deman der des com ptes et faire évaluer l'efficac ité de leur utilisation.

Il faut noter que ce pouvoir de saisine commença it à êtr e largement utilisé par les élus et par les syndicalistes . Ainsi le sénateur alsacien UMP Jose ph Ostermann a saisi la comm ission pour une évaluation des aides de la loi Aubr y, la CGT a fait la même démar che pour contrô ler les aides aux cliniques privées et pour de nom breuses entr eprises, Alain Gest, le président du Conse il généra l de la Somme pour l’entr eprise Whirpoo l, de même que les élus commun istes pour Hewlett Packard, Valéo, Jacquemar d, Via Systèms ,…et les élus socialistes pour Samson ite, Hewlett Packard,…

Cela confirme à quel point cette loi réponda it à un besoin profond. C'est pour cela que son abolition est un énorme scanda le.

Cette abrogation inter vient après la suspens ion de plusieurs ar ticles de la loi de modern isation sociale qui eux auss i donna ient des droits nou veaux pour les salariés, les comités d’entr eprise et les élus afin de rechercher des alternat ives aux licenc iements avec la poss ibilité de contestat ion et de contr e proposition pour les comités d'entr eprise.

Force est de constater que la droite por te ses cou ps en priorité sur les droits con quis pour les salariés et leurs syndicats , pour la population et leurs élus, sur l’emploi et l’utilisat ion de l’argent . Il s'agit d’empêcher la moindre contestat ion de la loi des marchés, de la marchandisation de la planète au cœur des politiques hyper-libérales comme social-libérales.

Engager la risposte

Le Réseau national de contrô le des fonds publics attr ibués aux entr eprises appelle à une riposte à la hauteur du mauvais cou p de la droite au Sénat .

Si les députés et les sénateurs de droite ainsi que le gouvernement persé vèrent jus qu’à remettr e en cause les droits démocrat iques nou veaux des élus, des syndicats et des comités d’entr eprises sur le contrô le des fonds publics attr ibués aux entr eprises, ce com bat doit cont inuer et même s’amplifier en multipliant imméd iatement les inter pellations auprès des pouvoirs publics et des élus pour contrô ler et évaluer l’efficacité des fonds pour l’emploi. Celles ci seront por tées dans les tab les rondes que la loi de modern isation a inst itué ou encor e dans les Codef et Coref, dans les collectivités régionales, dépar temen tales et locales et par tout où cette exigence pourra êtr e enten due et prise en com pte.

Dans l’imméd iat, un Appel-pétition national est lancé à l’initiative de plusieurs dizaines de syndicalistes , élus, membr es de comm issions nationale et régionales de contrô le, res ponsa bles d’assoc iations de chômeurs , univers itaires et exper ts. Ceux-ci appellent à relever ce défi et à engager les actions nécessa ires pour que l’attr ibution des aides aux entr eprises prenne en com pte les exigences de contrô le citoyen, d’efficacité pour l’emploi avec des pouvoirs pour les salariés, les populations et leurs représentants pour y contr ibuer. Cet appel sera relayé dans chaque dépar tement . Dès le 13 février à l’initiative de Jean Michel Bodin, vice-président du Conse il régional du Centr e une rencontr e nationale se tiendra à Orléans à l’Hôtel de Région (5) pour examiner les expériences sur les inter ventions engagées sur l’utilisat ion de l’argent public par les entr eprises et les dispos itifs publics sensés favoriser l’emploi.

Non, nous ne laisser ons pas la loi du Medef, des aides publiques aux entr eprises sans contr epar ties et des cadeaux au patr onat , s’instaur er dans les entr eprises et les terr itoires.

 

  1. Commission d’enquête parlementaire sur les aides à l’emploi. Tome 2, les auditions, p 129. JO du 28 juin 1996.
  2. Voir les reportages de Capital de decembre 2001 et de Liaisons sociales/magazine de novembre 2002).
  3. Gérard Longuet, Président du Conseil régional de Lorraine au congrès du conseil national des économies régionales des 12 et 13 septembre 2002 à Nancy sur le thème « Territoire et entreprise : comment gérer les mutations » : « Je voudrais tout de même dire que les reconversions réussies, ont coûté cher aux contribuables… l’inégalité sur le financement de la reconversion est de un à trente. Je veux dire par là que l’aide publique, pour une reconversion va aller de mille euros, pour les plus médiocres – cela peut être même moins – jusqu’à 30 000 euros par salarié ».
  4. Alain Pichon, Conseiller maître à la Cour des comptes « nous n'avons pas, en effet, le même angle de vue ou la même approche du sujet que votre commission dans la mesure où, lorsque les chambres régionales interviennent, elles le font pour s'exprimer sur la qualité de la gestion des collectivités locales et non pas sur le comportement des groupes et, si les bénéficiaires d’aides publiques, directes ou indirectes, peuvent être parfois critiqués, ceux-ci ne sont pas l'objet même de nos observations ». Rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale : Face aux grands groupes : quelle politique pour l’emploi et les territoires, Tome II, p 427-428.
  5. Contact : Conseil ré
 

Par Morin Alain, le 30 November 2002

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