Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Réorienter l’Europe. Le véritable enjeu : La Banque centrale européenne

Qu’expriment les critiques nouvelles adressées au Pacte de stabilité par certains milieux dirigeants européens, et non des moindres ? Elles renvoient d’abord au contexte économiqu e d’ensemble caractérisé par les difficultés persistantes de la conjoncture et l’acc entuation des problèmes systémiqu es dont témoignent, par exemple, les effondrements boursiers et la relance des antagonismes sociaux et internationaux avec le chômage.

Qu’expriment les critiques nou velles adressées au Pacte de stab ilité par cer tains milieux dirigeants eur opéens , et non des moindres ? Elles renvoient d’abord au conte xte économ ique d’ensem ble caractér isé par les difficultés pers istantes de la conjonctur e et l’accentuat ion des problèmes systémiques dont témo ignent , par exemple, les effondrements bours iers et la relance des anta gonismes sociaux et internat ionau x avec le chômage.

Or, que de promesses ont accom pagné le passa ge à l’eur o présenté comme l’ultime clef vers la félicité après des années d’austér ité pour cause de con vergence maastr ichienne ! Et que d’illusions ont été cultivées avec l’expans ion des années 1999 et 2000 dans les pays les plus développés !

On nous annonça it alors une très longue période de croissance et le retour au « plein emploi » en 2010 par la seule ver tu des nou velles techno logies !

Contra irement à cela, une nouvelle crise de la croissance à l’éc helle mond iale a éclaté en 2001,avec la suraccumu lation des capitaux matér iels et financ iers . Puis, contra irement aux croyances d’une reprise rap ide en 2002, on a ass isté à un ralentissement de l’act ivité qui s’annonce comme bien plus dura ble qu’après les précé dentes phases de difficultés conjonctu relles. Et, désorma is, on peut envisager que mème une reprise ultér ieur e pourra it débouc her sur une croissance « molle » très insuffisante .

C’est dans ce conte xte que toutes les contra intes , non seulement du Pacte de stab ilité, mais de toute la construct ion monéta ire et financ ière eur opéenne s’avèrent intena bles, a fortiori avec la pers pective de l’élargissement .

Un desserr ement s’impose car grand it le risque de faire sombr er toute l’Union dans la déflation que, d’ailleurs , commence à conna ître l’Allema gne, alors que, déjà, ce pays présente un déficit public dépassant les 3% du PIB.

Le refus de toucher à la BCE

La construct ion que l’on nous présente depuis des années comme idéale, nécessa ire et sans aucune alterna tive poss ible, s’avère en fait imposs ible…

D’où les remar ques de Romano Prodi contr e le dogmatisme " stup ide " des gardiens les plus zélés du pacte et ses effor ts, pour sauver cette construct ion, en cherchant à jouer sur des marges qui ne peuvent êtr e qu’infimes.

C’est que tous cont inuent de ne pas vouloir toucher à ce qui est le plus fondamenta l, c’est à dire la monna ie, le cré dit, la BCE donc. Et ils redoublent d’effor ts pour protéger cette inst itut ion de la protestat ion montante .

Ainsi, les dirigeants eur opéens ont été obligés de repousser à 2006 l’échéance naguère adoptée qui fixait à 2004 l’horizon d’un retour à une « situat ion proche de l’équilibre » des finances publiques des pays en déficit.

Mais ce relâchement du calendrier s’accom pagne en réalité d’un durcissement de la discipline exigée, avec des réformes structur elles régress ives. C’est ce que confirment les injonct ions récentes de la comm ission de Bruxelles en direction de l’Allema gne, de la France , de l’Italie et de la Grèce .

Tout cela pose, en fait, des problèmes de plus en plus com pliqués de gouvernance aux dirigeants eur opéens …

Le débat sur le Pacte de stab ilité, s’il est très significatif, ser t donc auss i de soupape , pour empêcher une con vergence des protestat ions et des exigences de réforme sur la BCE qui const itue, elle, le cœur de la construct ion. C’est que cette construct ion a été tout entière conçue pour le marché financ ier, et non pour répondr e aux attentes sociales et cultur elles des populations : avec une monna ie unique « for te » pour att irer les capitaux et non une monna ie commune pour développer les salariés et les populations ; avec une Banque centra le dont les statuts dépendent d’un tra ité, une Ban que centra le exem pt e de tout contrô le politique et qui n’a à se préoccu per que de l’inflation.

On mesur e com bien cette orientation va poser encor e plus de problèmes avec l’élargissement … Quelle folie !

La Réser ve fédérale des Etats -Unis, elle, est officiellement obligée de se préoccu per de l ‘emploi. Elle est assu jett ie à une forme de contrô le politique du Congrès, lequel dispose du pouvoir de changer à tout instant ses statuts .

Il est vrai que les Etats -Unis jouissent du pouvoir exorbitant du dollar, mais ils n’hésitent pas, eux, à créer de la monna ie, à mob iliser leur système de cré dit et leur budget pour souten ir et stimuler leur croissance réelle.

Les dirigeants de l’Union, ultra ou sociaux-libérau x, ne peuvent répondr e à ces exigences car toute leur construct ion, conçue pour le marché financ ier, s’y opp ose absolument .

La BCE pourrait être contrôlée et orientée par une réunion du Parlement européen et des parlements nationaux

Cependant, on voit monter dans les milieux eur ophiles les plus éclairés, les moins dogmatiques, des interr ogations for tes sur la BCE, avec l’exigence d’une baisse significat ive des taux d’intérêt et l’intr oduction d’un objectif d’emploi dans ses missions.

C’est impor tant , mais cela ne suffit pas.

Premièrement , en effet, les baisses for tes et multiples des taux d’intérêt depuis 2001 n’ont pas empêché la crise de la croissance et la relance du chômage aux Etats -Unis, comme elles n’ont pas empêché l’enfoncement du Japon dans la déflation.

Deuxièmement , une baisse généra le des taux d’intérêt de la BCE, comme cela a déjà eu lieu depuis 1998, ne ser t qu’à rendre le cré dit plus facile pour les placements , les expor tat ions de capitaux aux Etats -Unis, la spécu lation.

Au tota l tout indique qu’aujour d’hui une relance publique de type trad itionne l est vouée à l’échec car elle contr ibue, en fait, à accentuer la domination des marchés financ iers .

C’est pour cela qu’une baiss e des taux d’intérêt forte mais très sélectivement orientée en faveur de l’emploi et de la formation est urgente.

Ce qui exige une remise en cause de l’« indépendance » de la BCE.Celle-ci pourra it êtr e contrô lée et orientée par une réun ion du Parlement eur opéen et des parlements nationau x. Ces derniers , en dialogue avec leur banque centra le nationale res pective, disposera ient d’un pouvoir de modu lation de la distr ibution du cré dit banca ire dans leur pays, grâce à la poss ibilité de sub ventions publiques (bonifications) baissant les taux d’intérêt qui sera ient d’autant plus for tes que les projets à financer programmera ient d’emplois et de format ion (1).

Simultanément , il s’agirait d’ouvrir tout ce champ à l’inter vention décentra lisée des salariés, des citoyens, des syndicats et assoc iations , des élus, avec le pouvoir de proposer des projets d’emplois et de format ions , de développement des activités , suscept ibles de solliciter, dès le terra in, le cré dit banca ire.

Une concer tat ion de toutes ces inter ventions pourra it êtr e organisée jus qu’au niveau eur opéen, avec une trans format ion profonde du Comité économ ique et social eur opéen et du Comité des régions.

Enfin, bien sûr, une taxation des revenus financ iers inter -nationau x sera it nécessa ire. Mais il con viendrait sur tout de faire reculer le financement des entr eprises par appel au marché financ ier dans toute l’Union.

A cette fin, la BCE pourra it app uyer, en le « refinançant », l’essor d’un nou veau cré dit à long terme dans chaque pays eur opéen. Il sera it lui-même sélectif, c’est à dire qu’il favorisera it, avec des taux d’intérêt très abaissés, l’emploi, la format ion, la recherche, mais dissuade rait les invest issements financ iers et spécu latifs, avec des taux d’intérêt relevés.

Le Système eur opéen de banques centra les pourra it également souten ir, par créat ion monéta ire, l’essor de dépenses budgétaires en matière de santé , de recherche, d’éducat ion et de format ion… Après tout , la monna ie de la BCE sera it beaucou p mieux utilisée à racheter des titres publics émis dans ce but qu’à racheter mass ivement , comme aujour d’hui, des bons du Trésor des Etats Unis !

Cela permettra it de sor tir du Pacte de stab ilité et de donner un tout autr e sens à la recherche d’une gouvernance économ ique de l’Union.

L’essor de ces nou veaux financements contr ibuera it à l’avancée de nou veaux critèr es de gest ion d’efficacité sociale dans les entr eprises, par ticulièrement dans les entr eprises publiques et mixtes, où il s’agirait auss i de développer des pouvoirs effect ifs d’inter vention et de contr e-proposition des salariés et de leurs organisations. Cela permettra it de contr er le mou vement actue l de privatisation avec le démem brement des ser vices publics.

Pour un nouveau traité de l’Union

Cette voie est cer tes ambitieuse . Elle s’inscr it dans la visée d’un nou veau tra ité de l’Union. Elle appelle un haut niveau de luttes communes et con vergentes . Mais elle est à la mesur e des défis du moment , en cherchant un progrès rad ical du modè le social eur opéen vers un système de sécur ité d’emploi ou de format ion, allant bien au-delà du « plein-emploi » de jadis. Il s’agirait en effet de con quérir le droit pour chacun-e à des rotat ions choisies entr e emploi et format ion tout au long de sa vie active avec la garant ie de bons revenus et de droits relevés. Déjà, d’ailleurs , cette voie se cherche, selon nous , au tra vers des luttes contr e les licenc iements et pour de bons reclassements avec les format ions nécessa ires, ou des luttes pour la trans format ion des emplois précaires en emplois stab les et corr ectement rémunérés ou encor e des luttes des chômeurs et des Rmi’stes pour l’accès ou le retour à l’emploi choisi avec des format ions elles-mêmes choisies…

Cette voie réaliste répondra it au besoin absolu d’une relance commune en Europe très différente des relances publiques trad itionne lles. Ce faisant , elle permettra it de dépasser la fausse alternat ive entr e la fuite en avant dans le fédéralisme et le rejet de toute coor dination qui entra înera it la prédominance d’un grand marché ouver t à l’impérial libéra lisme des Etats -Unis.

Cette voie peut êtr e explorée car ce qui se passe aujourd’hui est indicatif du fait que le débat sur toutes ces questions , très techn ique et confiné au sommet jus qu’ici, tend à devenir politique. Et cela, alors même que les pays eur opéens deviennent dépositaires d’une res ponsa bilité cons idéra ble dans le monde face à l’agress ivité des Etats Unis, pour une véritab le coo pérat ion mond iale de codéveloppement avec les pays en développement et émergents . L’eur o utilisé autr ement pourra it contr ibuer à promou voir un nou veau système monéta ire internat ional avec une monna ie commune mond iale mettant fondamenta lement en cause la domination du dollar.

Ne faut-il pas aller hardiment sur tous ces terra ins, au contact des luttes , avec des propositions alternat ives à celles avancées par les ultra et sociaux libérau x ? Ce sera d’ailleurs nécessa ire pour contr er les populismes qui cherchent à récupér er les désillusions engendrées par l’échec mond ial du social-libéra lisme, en ouvrant une pers pective novatrice et rassemb leuse aux plans politique, économ ique et social. 

1. Cf. Economie et Politique, septembre-octobre 2002, « La crise, l’Europe, le monde, défis de radicalité des solutions », Paul Boccara.

 

 

Par Dimicoli Yves , le 30 November 2002

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