Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Guerre ou paix en Irak : un enjeu européen

Georges W. Bus h ne fait pas mystèr e de son impat ience à lancer les opérat ions militaires contr e l'Irak, auss i vite que poss ible. Son discours sur « l’état de l’union » a été clair. Son entoura ge pr écise sans détour que ni l’ONU, ni les réser ves voire l’opp osition de la communauté internat ionale et même d’alliés, ne saura ient const ituer un obst acle aux projets d’inter vention.

Pour tant , alors même que Was hington durcit le ton, le sent iment de fata lité de cette guerr e, maintenant annoncée , et pr éparée , depuis plusieurs mois, recule.

Les évolutions des opinions publiques , les nou veau x délais accor dés aux ins pecteurs de l'ONU le 27 janvier, la montée du mou vement anti-guerr e, y com pris aux Etats -Unis, les prises de positions de res ponsab les politiques , au Congrès même , ainsi que les tens ions avec des pays comme la France et l'Allema gne, ont alimenté la cré dibilité qu'il est encor e poss ible d'em pêc her la guerr e.

Que les Etats -Unis aient les moyens militaires d'en venir à leurs fins fait peu de doute (1). Et les pr éparat ifs s'intens ifient dans ce sens . Mais, alors que les Etats -Unis sont réellement une puissance sans équivalent et sans rival, où sont donc les rés istances , les obst acles, les contra dictions et les contr e-tendances qui permettent de cont inuer à imaginer une issue politique à la crise, et donc à agir ? Qu'est-ce qui a fait que l'arr ogance affichée par le Président amér icain à la tribune de l'ONU le 12 septembr e, est devenue impat ience , acce ptation du passa ge devant le Conse il de Sécur ité, acce ptation d'un nou veau délai pour les ins pecteurs en février, et en fin de com pte se tradu ise par des tens ions , avec des alliés, notam ment eur opéens ?

Contra irement à la guerr e du Golfe de 1991, aux bom bardements de l'OTAN au Koso vo, et à l'inter vent ion en Afghanistan , la guerr e contr e l'Irak souffre de légitimité fon damenta le dans les opinions , en dépit du rejet unan ime du régime dictator ial de Sadd am Husse in, et du peu de confiance qu'a priori on peut lui faire.

C'est un fait que les raisons avancées – possess ion d'armes de destruct ion mass ive, démocrat isation du système , lutte contr e le terr orisme – n'ont pas rés isté face au com por tement global de l'administration Bus h, notamment depuis le 11 septembr e. Les véritab les intent ions sont évidentes pour l'opinion publique : par la mise en place à Bagdad d'un régime qui leur soit dévoué, les Etats -Unis se donnent un moyen exce ptionne l d’une main-mise sur les réser ves pétr olières de l'Irak, les deuxième on le sait, du monde , d'excellente qualité et d'un prix d'extraction de l'ordre de 70 cts le barr il ! Mais auss i ils se donnent les moyens d'un remo delage de l'ensem ble d'une région, straté gique à tous les points de vue. Avec des moyens de press ion sans équivalent, dans l'avenir, face au Japon, à la Chine, et à l'Europe.

Plus globalement encor e, il faut le rappe ler, les dirigeants néo-conser vateurs amér icains, voient dans la fenêtr e d'opp or tunité ouver te par le 11 septembr e, et la « guerr e pr éventive » contr e l'Irak, l'affirmat ion de leur hégémon ie, et la primauté qu'ils souha iteraient abs olue, dans le rappor t de forces actue l, de leur force militaire.

Point n'est beso in d'insister ici sur les raisons mora les, essent ielles, de s'opp oser à cette guerr e. De tout faire, à tous les niveaux, pour inverser la marche vers la catastrophe annonc ée. D'abord, tout simplement , pour épargner des populations déjà tellement éprouvées par des années de répr ession et de privation de liber té, et une décenn ie d'un em bargo qui n'a fait que renforcer et légitimer plus encor e la dictatur e.

Le refus de la « guerr e sans fin du Bien contr e le Mal » qui ruine les avancées d'une démocrat isation– encor e à venir – des relations internat ionales, le refus de la guerr e tout simplement , sont des raisons suffisantes en soi.

Les inquiétu des quant aux consé quences écono miques de la guerr e app ellent des rés istances . Alors que la récess ion menace , le plan dit de « relance pour la croissance et l'em ploi » pr ésenté par le Président amér icain à Chicago, pour tenter d’y faire face, vise auss i à anticiper, et la guerr e… et les élections . Un plan de sout ien aux mar chés financ iers por tant , on le sait, sur 674 milliards de dollars sur 10 ans (le dou ble de ce qui était pr évu). Comment ne pas y voir ainsi, outr e un plan de « lutte des classes » en faveur des riches, comme le rappor te le Financ ial Times , mais auss i un plan de guerr e, pour att irer les ca pitau x et assur er l’hégémon ie du dollar, face à l'Europe et au monde ?

Il y a donc une dimension proprement europée nne dans cette crise : dans les risques et les consé quences , dans les enjeux, dans les rappor ts entr e Europe, eur opéens , et Etats -Unis. Parce que la construct ion de l’Europe est directement visée par la dynamique impér ialiste amér icaine.

Dimens ion eur opéenne auss i dans la res ponsa bilité pour em pêc her la guerr e. Au plan des Etats . Mais auss i au plan des manifestat ions et de l’opinion. Ce qui se passe chez nous , en effet, influe sur l'opinion amér icaine, qui, majoritairement , n'acce pt e une inter vention que si elle a l'aval de l'ONU, et un certain sout ien des alliés des Etats -Unis.

Rarement le décalage et les tens ions ont paru auss i grands entr e les alliés, entr e les amér icains et eur opéens , dans les opinions assurément , mais auss i au niveau des gouvernements . L'agress ivité de Donald Rumsfeld contr e la « vieille Europe », repr ésentée par la France et l'Allema gne, comme les menaces directes contr e Bonn et Paris, qui tradu isent une situat ion de tens ions , a peu de pr écé dents . La riposte s’est durcie avec l’app el à se ranger sans réser ve derr ière les Etats Unis, signés par les dirigeants de huit pays eur opéens , con duit par Lon dres Une réponse br utale à la France et l’Allema gne rélélatr ice de l’impor tance que revêt pour Was hington un app ui eur opéen. Mais c'est un signal de contra dictions qui interr ogent sur la ca pacité des eur opéens , dans une crise qui les concerne directement , à aller au bout de la défense de leurs intérêts , et de valeurs , d'un modè le social et démocrat ique différent de celui, ultra libéra l, dominateur et militarisé, que pr éten dent imposer les Etats -Unis.

Européens , nous sommes directement concernés par cette guerr e et ses consé quences , en Méditerranée et au Moyen-Orient. L'exacer bation dura ble de tens ions, dans cette région, à laquelle nous appartenons , ne peut pas avoir des consé quences de toute natur e. Le très conser vateur comm issaire eur opéen chargé des Relations extérieur es appelle à y « réfléchir à deux fois » – aux consé quences d'une inter vention – alors que « le monde islamique continuera d'assister à l'humiliation d'un autre pays arabe, à voir des enfants palestiniens face à des chars israéliens dans les rues de Ramallah, Hebron, et ailleurs ». Mais il ne suffit pas de s’inquiéter.

Les peuples d'Europe sont en droit d'exiger de leurs gouvernements , de leurs repr ésentants , des forces politiques qu'elles mettent en éc hec les projets de guerr e amér icains, pour la défense de leurs intérêts , par solidarité avec les peu ples du sud de la Méditerranée , au nom d'une autr e conce ption de la sécur ité, et une autr e vision du monde que celle des faucons de Was hington ou des pétr oliers de Wall Street.

La fermeté affichée par les autor ités frança ises a joué un rôle positif indéniable, notamment pour contra indre les Etats -Unis à passer par l’ONU. Mais l'app el à se pr éparer « à toute éventua lité » laisse la por te ouver te, non seulement à un accor d, mais à une éventue lle par ticipation aux opérat ions . S'il était tenté de cé der aux press ions , le chef de l'Etat devrait en évaluer le coût politique et sur tout les consé quences pour notr e pays.

La position de la France, compte tenu de sa plac e au Conseil de Sécurité, peut être déterminan te : elle ne doit souffrir aucu ne ambiguïté, jusqu'à l'usag e du droit de veto.

Quant à l'Europe, aujour d'hui, elle a pris position à minima. Mais pour les forces de gauc he et progressistes , cette crise est l'occas ion de pousser le débat sur le sens de cette construct ion, sur la redéfinition du projet commun , avec la paix et la solidarité au cœur, dégagé de toute tute lle et por teuse , face à la logique impér ialiste de l'administrat ion amér icaine, d'une conce ption nou velle des relations internat ionales. Sans atten dre, cette crise app elle une intens ificat ion du dialogue et des coo pérat ions avec les pays de la Méditerranée , un engagement plus déter miné pour une issue juste à la tra gédie israé lo-palestinienne , aujour d’hui dans l’impasse .

Les manifestat ions , la multiplication des initiatives, expriment la montée du rejet de la guerr e que traduisent les sonda ges. La journée mond iale d'action du 15 février s'annonce déjà comme un moment d'une exce ptionne lle mob ilisat ion. Avec dans toutes les ca pitales eur opéennes dont Paris, des manifesta tions géantes , en relation avec les mou vements antiguerr e amér icains. Une par tie essent ielle du br as de fer se joue dans l’am pleur de ces mob ilisat ions .

Para doxalement , alors que s'enc haînent les pr éparatifs de guerr e, que se durcit le ton des dirigeants amér icains, l'es pace s'est élargi pour refuser la guerr e et sa fata lité. C'est déjà un ense ignement politique remar qua ble à tirer de la période – quoi qu'il arr ive – alors que l'impér ialisme par sa puissance

réelle – fait peser sur les consc iences le poids même de sa domination. Et par là même l'inefficacité de l'inter vention populaire et de l’act ion politique. C’est auss i cela qui se joue dans le débat sur les moyens d’em pêc her la guerr e.

 

*. Daniel Cirera est responsable des Relations internationales du PCF.

1. Même si au Pentagone et dans des cercles dirigeants à Washington s'expriment des doutes quant à la durée de l'intervention, son coût ses suites et ses conséquences, dans la région et dans le monde.

 

 

Par Cirera Daniel , le 30 novembre 2002

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