Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Un an après le 11 septembre : politique de force ou nouveau Moyen-Orient ?

George Bush a beau dire qu'il n'a rien décidé, pour tout le monde – médias, responsabl es politiques, experts… – la question n'est plus de savoir si les Etats-Unis vont entreprendre une vaste opération militaire contre Saddam Hussein et le régime irakien mais quand ils le feront.

Pour les commun istes frança is, l'exigence est donc d'agir et de dire, dès maintenant , pour quelles raisons fondamenta les sur le plan humain, éthique et politique cette straté gie guerr ière, qui prend le terr orisme pour prétexte, est inacce ptable et que tout doit êtr e entr epris pour l'empêcher. A des degrés divers , de nom breuses forces sociales et politiques, en France , en Europe et ailleurs , s'opp osent elles auss i à une telle pers pective.

L'administrat ion amér icaine se heur te à de vives contra dictions . La France , l'Allema gne, et même la Grande -Bretagne ont exprimé des réser ves très nettes , voire comme le Chance lier Schröder, une opp osition explicite. Des pays ara bes et non des moindres, y com pris des alliés les plus fidèles de Was hington comme l'Arab ie Saou dite et l'Egypte, ont fait savoir leur opp osition.

Comment , en effet, just ifier aujour d'hui sérieusement un nou vel écrasement de l'Irak au nom du contrô le des armements de ce pays et du refus de Bagdad d'acce pter le retour des ins pecteurs de l'ONU ?

Chacun voit bien que la dispr opor tion de la réact ion américaine cac he d'autr es motivations que celles officiellement invoquées .

Enfin, aux Etats -Unis même des critiques et des divergences s'expriment , y com pris dans les rangs répub licains et chez les amis de G. Bus h père. Avec une froide per tinence issue d'un réalisme calculateur, ces voix américaines dissonantes soulignent les risques politiques d'une telle opérat ion pour le monde ara be et pour le Proche-Orient : montée de rad icalisme intégriste et de sent iments anti-amér icains, réact ions populaires, exacerbation des tens ions… Cer tains soulignent la difficulté d'agir sans l'assent iment des alliés ou évoquent même un vide de pers pective ou au moins une for te interr ogation : liquider Saddam Husse in ? et après, quoi ?

Volontar isme des uns, prudence des autr es, calculs de tous … On est évidemment asse z loin des préoccu pations graves du peuple irakien qui sera encor e la victime première de ce qui s'annonce comme un nou veau drame de grande ampleur. Comme si ce peuple meur tri n'avait pas déjà trop, beaucou p trop souffer t, avec 8 années de guerr e contr e l'Iran , avec la guerr e du Golfe puis 10 ans d'un embargo crue l, synon yme de désastr e et de crime social et humain, accom pagné de bombardements réguliers , et ceci dans le conte xte d'une dictatur e féroce qui, à ce degré de cruauté , n'a guère d'équivalent dans le monde .

L'exigence d'un monde plus civilisé

Pour les commun istes frança is, c'est là, la première raison de leur engagement contr e la politique de force des Etats -Unis. Il faut que s'exprime l'exigence d'un monde plus civilisé et plus humain dans lequel la solution des problèmes réels const itue la priorité et passe par l'effor t du co-développement , la réponse aux besoins sociaux, le res pect des droits de l'homme …

Hélas, dans ce grand échiquier géostraté gique, le sor t du peuple irakien pèse peu. L'enjeu mêle en effet le pétr ole et le politique dans la recherche permanente d'un renforcement de l'hégémon ie amér icaine au MoyenOrient. La cra inte amér icaine d'une interru ption des livraisons de pétr ole, d'une hausse brutale des cours , des consé quences économ iques et politiques inévitab les qui en résu ltera ient const itue, en effet, un véritab le « cauc hemar straté gique » pour les Etats -Unis.

Ceux-ci refusent tout simplement la reconstruct ion au Moyen-Orient d'une puissance régionale irakienne qui gagnera it aisément un poids politique substant iel en s'appuyant sur des potent ialités économ iques renou velées et sur des réser ves pétr olières impr ess ionnantes : les deuxièmes de la planète après l'Arab ie saoud ite. Ce que la politique impér iale amér icaine n'acce pte nulle par t, c'està-dire l'émer gence d'une puissance host ile à ses intérêts et à ses choix, elle le refuse encor e davanta ge dans une région straté giquement cruc iale à ses yeux.

George Bus h jure qu'il n'a rien décidé… mais il somme ses par tena ires de choisir soit le cam p des « valeurs de l'Amérique » et de la guerr e contr e « l'axe du mal » – c'està-dire la politique de puissance amér icaine dans sa logique de guerr e, son unilatéra lisme, son cynisme, son mépr is des inst itut ions internat ionales et du droit –, soit le cam p de Saddam Husse in, son régime de dictatur e et la menace qu'il représenterait.

C'est une quest ion de « mora le » dit Condoleeza Rice, conse illère du Président amér icain pour la sécur ité. Une telle affirmat ion prête à sour ire. Mais il y a bien une dimens ion éthique à l'enjeu. Car c'est bien à par tir de certaines valeurs que l'on peut légitimer un choix, non pas entr e Bus h et Saddam, natur ellement , mais un choix progress iste pour une autr e vision des relations internat ionales, pour une conce ption nou velle de la sécur ité : respect du droit internat ional, recherche d'une réponse collect ive aux problèmes mond iaux, solutions multilatéra les aux crises internat ionales, application des réso lutions de l'ONU et des principes de sa Char te, priorité à la négociation et à l'effor t diplomat ique sur la confrontat ion, exigence de la pr évent ion, adoption de mesur es de confiance pour la baisse des tens ions… L'action de Kofi Annan , Secréta ire généra l de l'ONU, a montré dans le passé , à plusieurs reprises, qu'une action qui s'ins pire de ces principes et de ces valeurs peut obtenir des résu ltats positifs.

La logique de guerr e est au contra ire par ticulièrement néfaste . Elle entr etient un climat de confrontat ion permanente . Elle nourr it et renforce le régime de Bagdad. Elle brise dura blement tout es poir de pers pective politique en Irak. Saddam Husse in sait si bien instrumenta liser la pression amér icaine et l'embargo pour asseo ir son pouvoir et étou ffer toute opp osition.

L'expérience montr e, en outr e, qu'une telle logique de force ne permet en rien le contrô le du désarmement irakien notamment nucléaire et chimique et l'application des réso lutions de l'ONU.

La quest ion se pose donc, au-delà du rôle joué par le Conse il de Sécur ité, d'un cadre multilatéra l légitime large dans lequel tra iter la crise actue lle : pour quoi pas une conférence régionale, sous l'égide des Nations Unies, dont le rôle doit êtr e réévalué.

Et n'est-ce pas auss i dans un tel cadre que les droits du peuple kurde devraient êtr e réaffirmés et collectivement définis et garant is, à par tir des ac quis actue ls du Kurdistan autonome .

Un rôle décisif pour les européens

La France et l'Europe peuvent contr ibuer à une telle initiative. Il est décisif que les pays de l'Union eur opéenne , et singulièrement le nôtr e, se sentent une res ponsa bilité. Parce qu'un conflit de cette dimens ion est l'affaire de l'ensemb le de ce que l'on appelle la communauté internat ionale. Parce que les solutions poss ibles nécess itent un invest issement politique multilatéra l de grande por tée et de longue durée . Parce que c'est un moyen de contester concrètement l'unilatéra lisme des Etats -Unis et l'ambition irres ponsa ble et démesurée de ses dirigeants actue ls.

Les eur opéens doivent en premier lieu assumer une urgence : obtenir la levée de l'embargo – sauf sur les armes -afin de permettr e à terme un rétab lissement de l'économ ie et des systèmes sociaux irakiens qui furent probablement parmi les plus performants du monde ara be. Les souffrances du peuple irakien doivent cesser au plus vite. Il faut d'ailleurs aller au-delà. L'Irak a été dévasté par la guerr e, les bom bardements , par cet embargo destructeur et meur trier, et par l'impér itie du régime. Il s'agira demain d'engager non pas une course aux marchés « juteu x » mais la reconstruct ion d'un grand pays de 21 millions d'habitants où se trouvent les racines de l'une des premières civilisations de l'histo ire de l'humanité. C'est un défi que les eur opéens doivent relever.

Le futur politique de l'Irak doit êtr e posé comme une grande quest ion politique. Il faut offrir une vraie pers pective d'avenir au peuple irakien en réun issant , à terme , les con ditions d'une réintégration d'un Irak démocrat ique et pacifique au sein de la communauté internat ionale. Une conférence internat ionale peut y aider. Les progress istes et démocrates irakiens et kurdes y tra vaillent . Il est donc nécessa ire pour les commun istes et pour toutes les forces de gauc he en France et en Europe de souten ir l'ensemb le de cette opp osition démocrat ique, y com pris, natur ellement , les commun istes irakiens .

Une offens ive militaire amér icaine contr e l'Irak ne fera it qu'encoura ger les intégrismes dans le monde ara be et audelà. La solidarité avec les démocrates irakiens et kurdes contr ibuera it, en revanc he, à donner plus de chances à une issue politique positive plus conforme à l'histo ire du pays et à ses potent ialités . Voilà une réalité qui ne doit pas échapper aux pays d'Europe qui se sont donnés l'ambition d'un par tenar iat eur o-méditerranéen et d'une politique de coo pérat ion et d'assoc iation avec l'ensem ble du monde ara be.

L'ambition d'un nouveau Moyen-Orient

On mesur e, en fait, comment toutes les quest ions sont liées . On ne peut entr evoir une solution à la crise interna tionale ouver te voici 12 ans avec la guerr e du Golfe, sans poser tous les problèmes du Proche-Orient et notamment le conflit israé lo-palest inien. Faut-il laisser Was hington exiger pour l'Irak l'applicat ion des réso lutions des Nations Unies et laisser les dirigeants israé liens tra iter ces mêmes réso lutions avec désinvoltur e et brutalité ? Peut-on penser l'avenir du Moyen-Orient, région surar mée et de grandes tens ions sans cons idérer tous les conflits qui le fractur ent dangereusement ? Peut-on travailler au futur de l'Irak sans se préoccu per du futur Etat palest inien, de la sécur ité de tous , pour toute la région ? Peut-on cou per la racine même des intégrismes sans chercher la solution de toutes les crises et des frustrat ions sociales qui les nourr issent ?

L'avenir, c'est une vision d'ensem ble. C'est l'ambition d'un nou veau Moyen-Orient, dans des relations de coo pérat ion et dans une architectur e de sécur ité régionale qui doivent passer inévitab lement par la démilitarisation, la dénuc léar isat ion, la gest ion collect ive des crises , la coo pérat ion dans toutes ses dimens ions , le dialogue des cultur es, la recherche des con ditions de l'Etat de droit.

La par t d'uto pie qui s'attac he nécessa irement à une telle vision n'affaiblit en rien l'exigence de res ponsa bilité pour tous les progress istes , en France et en Europe pour éclairer les vrais enjeux, pour reconstru ire des repères progress istes permettant d'agir face à des problèmes si com plexes, pour peser sur le cours des politiques nationales de chaque pays en Europe tout par ticulièrement , pour permettr e des con vergences progress istes et des solidarités internat ionales por teuses de sens et d'efficacité. Ÿ