Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La formation professionnelle : Etat des lieux et perspectives concernant les mesures Raffarin

Constat concernant l’offre de formation professionnelle (1) :

  • Si l’effor t de format ion imposé aux entr eprises depuis res pectivement 1971 pour les entr eprises de plus de 10 salariés et 1991 pour les autr es est largement dépassé dans les faits, les dispar ités sont très impor tantes entr e petites structur es et grandes entr eprises . Celles-ci concentr ent à elles seules une grande par t de cette par ticipation, malgré un ralentissement sens ible de leur taux de par ticipation financ ière depuis 1991. S’y ajoutent les écar ts entr e les secteurs et ceux liés au statut des entr eprises, ainsi l’offre de format ion est-elle plus élevée dans le secteur public.

  • Des dispar ités existent également concernant l’accès aux format ions selon le profil des salariés. Même s’ils sont relativement moins déterm inants que les caractér istiques de l’entr eprise, le niveau de qualification, le temps écou lé depuis la fin de la format ion initiale, les diplômes obtenus à son terme , ainsi que la stab ilité de l’emploi mod ifient les chances d’accé der à une format ion profess ionne lle, de même qu’ils mod ifient sa durée et la cer tificat ion qu’elle permet .

  • Quant aux caractér istiques des format ions ellesmêmes , elles semb lent très majoritairement avoir pour objet l’adaptation à l’emploi occu pé. Elles sont le plus souvent à l’initiative de l’employeur, qui exerce alors un « droit de regard » sur le contenu de la format ion et les objectifs qu’elle doit remplir. Celle-ci doit d’ailleurs durer au maximum une sema ine.

Taux d’accès sur 12 mois à la formation financée par l’employeur

 



 

Ensemble des salariés sans diplôme

avec diplôme

Cadres

n-s

44,7

professions intermédiaires

35,1

41,6

employés de type administratif

10,8

33,4

employés du commerce et des services

8,2

19,6

ouvriers qualifiés

12,7

18,6

Ouvriers non qualifiés

7,2

8,5

ensemble des salariés

11,5

33,3

 

Source : enquête permanente sur les conditions de vie des ménages, octobre 1996-97-98, Insee.

Champs : salariés

Il apparaît donc que c’est principalement dans une pers pective de maintien dans l’emploi occu pé, d’adaptation aux évolutions des caractér istiques du poste , qui se rattachent auss i bien aux inno vations techno logiques qu’aux changements organisationne ls, que les salariés se forment .

Les difficultés auxquelles est confrontée une frange croissante des deman deurs d’emploi, les moins qualifiés, en par ticulier lors de leur première entrée sur le marché du tra vail, ont par ailleurs amené l’Etat à développer des mesur es incitatives afin de favoriser leur format ion en entr eprise: les contrats d’inser tion en alternance se sont multipliés depuis l’accor d inter profess ionne l de 1983.

Qu’en est-il alors d’une format ion profess ionne lle ouvrant des pers pectives de mob ilité, d’ascens ion professionne lle en lien avec des aspirations et un projet person nels ? C’est à une par tie seulement des salariés qu’est rendue access ible une telle attente : les jeunes diplômés sor tis du système scolaire depuis moins de 10 ans, disposant d’une bonne qualificat ion et d’une cer taine stab ilité dans l’emploi, sont ceux sur lesquels les entr eprises « misent » et investissent . Ce qui signifie se donner les moyens de conser ver les com pétences que ces format ions, cou plées à l’expérience acquise, auront permis de développer.

Les déclarat ions d’intent ion de Jean-Pierr e Raffarin semblent au premier abord s’inscr ire dans la volonté d’éten dre les pers pectives ici décrites à l’ensem ble des salariés qui y as pire. Or, à y regarder de plus près, le gouvernement reprend dans ses grandes lignes les propositions faites par le Medef en matière de format ion professionne lle, et qui font depuis plusieurs années l’objet de négociation avec les syndicats de salariés dans le cadre du projet de « refondation sociale » de l’organisation patr onale (dont le chef de délégation n’était autr e que... Franc is Mer). Qu’en est-il donc de ces propositions ?

La format ion professionne lle const itue un enjeu straté gique impor tant et tient une place centra le dans le projet de « refondation sociale » en négociation. En effet, les employeurs s’inquiètent du risque d’êtr e confrontés à une pénur ie des com pétences qui, avec les départs en retra ite mass ifs qui se profilent , sera it à l’origine d’un renc hérissement de la main-d'œuvre qualifiée. Il peut donc êtr e dans leur intérêt de favoriser un trans fer t des savoir-faire et développer une format ion professionne lle afin de permettr e l’amé liorat ion de leur com pétitivité face à une concurr ence de plus en plus mond ialisée, ce qui entr e en contra diction avec les enjeux de renta bilité financ ière imméd iate .ue é c ono m i q ue

Taux d'accès à la formation continue : En pourcentage

 




Selon l'âge

16-25 ans

 

33

 

26-49 ans

 

31,7

 

50-64 ans

 

17,1

 

Ensemble

 

27,7

Selon le niveau de formation initiale

Supérieur

 

48,9

 

Secondaire

 

27,6

 

Non qualifiés

 

11,3

 

Ensemble

 

27,7

Selon l'ancienneté de sortie du système scolaire

De 2 à 5 ans

 

40,1

 

De 6 à 9 ans

 

37,6

 

De 10 à 33 ans

 

31,2

 

Plus de 33 ans

 

13,5

 

Champ: Salariés en mars 2000

Lecture: Entre janvier 1999 et février 2000, 33% des personnes du champ étudié âgées de 16 à 25 ans ont participé à au moins une formation continue

Source: enquête « Formation continue 2000 »; traitement MES-DARES

 

Les maîtres mots du syndicat patr onal, repris par Jac ques Chirac qui souha ite que « chaque français devienne l’acteur responsable de l’amélioration de sa qualification et de l’évolution de sa carrière » (2), sont ceux de res ponsa bilisation des salariés et de par tage de l’effor t financ ier de format ion. Comment ce par tage est-il présenté par ses initiateurs ?

  • Une limitation du rôle de l’Etat centra l dans les choix de format ion profess ionne lle : plus grande liber té des branc hes profess ionne lles dans l’affectat ion des fonds, desserr ement des contra intes administrat ives « pour une meilleure efficacité et plus de simplicité » (3), avec les régions comme pivot de la réforme du système .

  • Subordination des choix de format ion aux priorités déterm inées au niveau des branc hes profess ionne lles, affectat ion des fonds en fonct ion des objectifs visés. Cela con duit auss i à une relance de l'obligation quinquenna le de négociation dans les branc hes profess ionne lles, tout en redéfinissant son contenu , avec par exemple l'intr oduction de la notion de terr itor ialisation de la négociation de branc he.

  • Instaurat ion du principe de res ponsa bilité par tagée, selon lequel les salariés doivent prendre par t à l’effor t de format ion qui leur permettra de mainten ir leur « employabilité ». Ce principe vise en fait à faire par tager par les salariés le coût impor tant des invest issements en formation à venir (4).

Trois dispositifs constituent le cœur de ce projet :

  • la créat ion de fonds par ticipatifs, gages d’un « coinve stissement » que la pers pective d’un « projet professionnel élaboré conjointement par l’entreprise et par le salarié » (5) doit venir just ifier ;

  • la mise en place d’un « com pte épargne temps », largement repris par Jacques Chirac (1), qui permettra it d’accumu ler des jours de congé mob ilisab les pour suivre des format ions sur son temps libre, afin de const ituer ce qui est appelé une « assurance emploi », dont les formations suivies et les acquis profess ionne ls validés sera ient le garant (une manière de plus pour les entr eprises, avec les promesses gouvernementa les qui sont faites , d’assou plir les dispos itifs d’aména gement et de réduct ion du temps de tra vail, l’ARTT).

Pour parac hever le dispos itif, des moyens devront êtr e mis à la dispos ition des salariés pour qu’ils puissent se former seuls, sur leur temps propre. L’auto format ion et l’e-format ion (par internet) sera ient à promou voir, et le MEDEF propose même d’éten dre le champ de la formation aux dépenses d’évaluation et de validation des com pétences (les coûts qui s’y rattachent se trouvant ainsi inclus dans la format ion profess ionne lle).

Une telle pr ésentat ion peut sédu ire. Elle sera sans doute au cœur des effor ts déjà initiés pour intégrer les syndicats à une logique de renta bilité financ ière. Or cette logique con duirait à régresser par rappor t aux acquis du financement mutua lisé de la format ion entr e les entr eprises. Alors qu’il s’agirait au contra ire de progresser en permettant d’intr oduire des droits et des pouvoirs d’inter vention des salariés, des populations et des élus sur les financements et les contenus des format ions . En vue de permettr e, dans un cadre d’une sécur ité d’emploi et de format ion, des pers pectives d’évolution profess ionnelle pour l’ensem ble des salariés et une diminution des dispar ités d’accès à la format ion cont inue.

Ainsi, d'un côté le gouvernement Raffarin intr oduit dans le cadre de sa politique de l'emploi une exonérat ion provisoire des charges sociales sur l'embauc he en CDI de salariés non qualifiés de 16 à 22 ans , tout en éludant la quest ion de leur format ion (dans et/ou hors de l'entr eprise). Le patr onat a d'ailleurs lui-même exprimé publiquement son scept icisme concernant ce dispos itif, mettant en avant le fait que le CDD demeur e le type de contrat privilégié pour toute nou velle embauc he. C'est donc une optique à très cour t terme qui prévaut, qui n'offre aucune pers pective viable d'intégration profess ionne lle dura ble (les salariés concernés étant , on le sait, parmi ceux dont l'accès à la format ion cont inue est le plus difficile).

Et d'un autr e côté , ce même gouvernement évoque les enjeux de la format ion profess ionne lle [« Si nous voulons ou si nous devons tra vailler plus longtemps , (sic) nous devrons nous former plus souvent » (6)], tout en faisant silence sur le coût des réformes dont un aboutissement rap ide est annoncé . Etant données les restr ictions budgétaires affichées dans le cadre du Pacte de stab ilité, et le coût des réformes déjà engagées, gageons que les moyens mob ilisés ne seront pas à la hauteur de la tâche . Ÿ

  1. Sources: Hélène Michaudon, Insee Première, n°697, février 2000, Didier Gélot, Claude Minni, Investir dans la formation continue, DARES, Premières informations et premières synthèses, n°10.2, mars 2002
  2. discours de J Chirac à Saint-Cyr-sur-Loire, 27 février 2002,
  3. extrait de Discours de politique générale de J.P. Raffarin, Assemblée Nationale, Paris, 3 juillet 2002
  4. Les entreprises ne contribuent au financement de la formation professionnelle qu’à hauteur de 39%, à comparer aux 39% de l’Etat, aux 10% des administrations publiques, dont l’Unedic, et aux 9,4% des régions (chiffres de 1997)
  5. position du MEDEF pour réformer la formation professionnelle, 20 décembre 2000,
  6. Discours de politique générale de J.P. Raffarin, Assemblée Nationale, Paris, 3 juillet 2002.