Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Chantiers ouverts au public

EDITORIAL

A l'issue des quatr e tours électorau x que nous venons de vivre, la droite cumu le tous les pouvoirs au sommet de l'Etat . Ce triomph e a un prix très lour d pour le pays car il est fondé sur les principaux thèmes de l'extrême droite. Le sécur itaire, l'autor itar isme, la criminalisation des jeunes , des couc hes populaires et même des luttes sociales – la fameuse loi d'amnistie qui en exclut les actes revendicatifs, en est l'illustrat ion – sont les premiers signes que le gouvernement Raffarin a donnés apr ès le 5 mai. L'opérat ion de séduct ion d'une par tie de l'électorat de Le Pen a réuss i dès le premier tour des législatives. Sans se tromper, cet électorat a choisi le « vote utile » en réponse à une cer taine « lepénisation » du discours et des actes de la droite.

... rassembler le plus largement possible sur des choix alternatifs au libéralisme, y compris dans sa dimension sociale-libérale”

Le gouvernement Raffarin rejoint les orientat ions déjà à l'œuvre dans l'Espa gne d'Aznar, l'Italie de Berluscon i, l'Autr iche de Haider, l'Angleterr e de Blair. Refus d'un cou p de pouce au SMIC, baisse des impôts en faveur des plus for tunés , hausse imméd iate des tar ifs des trans por ts, projet de privatisation d'EDF-GDF, baisse du coût du tra vail -avec les contrats jeunes , par exemple-, politique répr ess ive de l'immigration, sout ien à la refondation sociale-libérale du Medef, etc . concour ent à un bouleversement de la société frança ise auquel enten d se livrer le nou veau gouvernement . Le droit du tra vail et les acquis salariaux, les liber tés individuelles, les inst itutions sont ses principaux champs d'inter vention et de remode lage.

Prenons toute la dimension du phénomène . Les expériences menées par les forces sociales-démocrates cédant par tout en Europe aux marchés financ iers et aux injonct ions de la BCE ont laissé un goût amer, mélange d'insat isfact ion et d'exas pérat ion, et ont provoqué leur défaite un peu par tout . Les résu ltats des élections dans plusieurs pays, avec l'abst ention mass ive et la poussée de la droite populiste, encoura gent les ardeurs libéra les et révèlent une cer taine per te d'es poir en toute forme de solution collective. C'est une évolution idéologique et politique extrêmement dangereuse . Aux com bats collectifs, on a subst itué les démar ches individuelles. Aux luttes pour des solutions politiques, une per te du sens de l'intérêt généra l. Aux solidarités répub licaines , la montée des communautar ismes et du fondamenta lisme.

Sur ce plan, les interr ogations de Jean Lojkine (1) sur le recul de ce que l'on pourra it app eler l'es prit du bien commun , sur la manière dont sont mis en cause , dans toute l'Europe, les ser vices publics, donc auss i « l'Etat providence », ne manquent pas d'intérêt à mes yeux. Il propose de réfléchir à ce qui se met en place autour de l'économ ie solidaire, cer tes mar quée par des as pects

« uto piques et parfaitement illuso ires » mais en même temps significative de la recherche d'une "auto gest ion des ser vices publics" remettant en cause "le caractèr e imposé d'en haut de l'Etat providence " qui a pour consé quence de trans former les gens en ass istés . Il propose de trouver des formes nou velles de ser vices pour le bien commun , plus décentra lisées , tenant com pte de l'initiative des gens. Je par tage l'idée que l'autonom ie est une quest ion politique et que, si l'inter vention de l'Etat est nécessa ire, il faut « réfléchir au dépassement de l'étatisme » en progressant vers la con quête de pouvoirs par les salariés et les usa gers pour une appr opriation sociale des ser vices et des entr eprises publiques d’un nou veau type.

L'imméd iat des commun istes , c'est de s'opp oser à la droite et de rassemb ler le plus largement poss ible sur des choix alternat ifs au libéra lisme, y com pris dans sa dimens ion sociale-libérale. Les décisions prises par la conférence nationale du Par ti commun iste visent cet objectif dans la pers pective du congrès qui se tiendra au printem ps prochain : nous lançons des forums ouver ts à tous , quel qu’en soit leurs opinions ou leurs engagements pour dégager les con ditions politiques de la nécessa ire trans format ion sociale ; nous ouvrons cinq grands chantiers , pour prendre l'initiative en cherchant, dans les formes adaptées, à éta blir les besoins et les exigences , à constru ire des formes de rassemb lement et d'actions, à développ er des réseau x de rés istance , de propositions et d'inter ventions largement ouver ts, du plan local à l'éc helle du pays tout entier, de l'Europe et du monde .

L'avenir des entr eprises et ser vices publics, des retra ites , de la santé et de la protect ion sociale ; la responsa bilité sociale les entr eprises au regard de l'emploi et des terr itoires ; la démocrat ie à l'entr eprise, dans la cité, la société ; la construct ion d'une Europe sociale, citoyenne , de coo pérat ion et de paix pour une mond ialisation solidaire ; les quest ions de la décentra lisat ion du terr itoire, des régions : ces chantiers de la trans formation sociale sont à ar ticuler aux luttes imméd iates pour riposter à la droite, s’opp oser aux vagues de licenc iements , consé quences des choix financ iers des entr eprises et du chaos des marchés financ iers et débouc her sur des choix à même de prendre le sens d'une alterna tive de société.

Avec qui serons-nous capables de mener ces tra vaux ? De quel Par ti commun iste avons-nous besoin pour cela ? Des millions de gens, de militants en attente , sont prêts à s'invest ir pour peu que l'enjeu leur app araisse clair,

mob ilisateur . Cer tes , les assoc iations , les syndicats , les acteurs du mou vement social et d'autr es revendiquent leur indépendance vis-à-vis de la politique inst ituée . Ils confirment une volonté juste de non récupérat ion, de non-instrumenta lisat ion. C'est une bonne chose. Mais il est de la res ponsa bilité des commun istes d'aller plus loin.

Sans dimens ion politique de l'act ion, les luttes ellesmêmes se heur ter ont à un mur. Sans débouc hé politique consc ient les inter ventions économ iques et sociales atte indront leurs limites .

Le chantier qui est devant nous n'est pas celui de la fusion, de l'absor ption, ou de la subor dination d'un champ par un autr e, mais celui de leur ar ticulation pratique, concrète . Un tra vail en commun est nécessa ire dans la durée , sur des sujets précis requérant des solutions concrètes et pour les quelles les commun istes sont , dores et déjà, en mesur e d’app or ter leur contr ibution. Il doit même débouc her sur des cam pagnes politiques communes , prolongées, afin d'obtenir, ensem ble, à la fois des victoires revendicatives ou sociétales et des avancées politiques et idéologiques.

Ces effor ts de longue haleine à engager dès maintenant, doivent viser la créat ion d'une force politique anticapitaliste, trans formatr ice, révolutionna ire. Une force qui se fixe comme objectif de permettr e au peuple d'exercer le pouvoir. Une force qui opp ose une alternat ive positive à la droite, à l'extrême droite, au capitalisme et qui soit cré dible, à gauc he, face aux solutions sociales-libérales. Imaginer qu'une telle force puisse naître d'un ralliement pur et simple à un par ti existant me paraît illuso ire. Ce sera it nier la crise de la politique, celle de la gauc he, la volonté d'autonom ie qui monte de la société. Nos conc itoyens veulent maîtriser de bout en bout leurs actes , les commun istes auss i.

Tous ces chantiers , nous ne pouvons pas les con duire seuls. Nous devons y con vier toutes les forces ant ilibérales, les syndicalistes qui butent sur le rappor t des forces politiques, les jeunes manifestants contr e Le Pen, toutes celles et tous ceux qui veulent un autr e monde , tous les inte llectue ls qui rêvent d'une autr e société.

Sans dimension politique de l’action, les luttes elles-mêmes se heurteront à un mur”

Faisons preuve d'initiative politique en direction de toutes celles et tous ceux qui sont prêts à répondr e à un tel app el. Ensem ble, je suis persua dé que nous pouvons construire le Par ti commun iste de demain.

Echec ou réuss ite, rien n'est écrit d'avance . Les obstacles, les contra dictions , y com pris à l'intér ieur d'un mou vement social hétér ogène, sont bien réels. Mais nous pouvons, nous devons avoir la force de por ter de tels chantiers , d'y intér esser d'autr es que nous , de surmonter les divisions , de créer une dynamique populaire. Si ses acteurs , et pour ce qui nous concerne les commu nistes , en restent de bout en bout les décideurs , nous pouvons réuss ir. Les terra ins de luttes concrètes ne manquent malheur eusement pas. Des forces sont en attente . Parmi elles, les plus nom breuses sont inorganisées dans le champ politique. Raison de plus pour aller à leur rencontr e. Ÿ

1. Voir entretien dans l’Humanité du 25 juin 2002.