Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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EDF : l’électrochoc de la canicule

rTout comme pour la santé, la canicul e de l’été a été révélatrice des contradictions des politiques libérales visant à soumettre la production, le transport et la distribution d’électricité aux critères de la rentabilité financière, à la seule loi des marchés.

Cette réalité vécue par les salariés d’EDF pourrait être à l’origine d’une nouvelle prise de conscience des possibili tés de leur intervention dans le champ de la politique.

Si la canicule de cet été a été un formidable révélateur de l’état de dégradat ion du système public de santé en France et de l’ina daptation des ser vices sociaux à prendre en charge les besoins des personnes âgées, plus discrète a été la crise qui a tra versé les quelques semaines les plus chaudes du mois d’août dans la production et la distr ibution d’électr icité.

Les vacanc iers amateurs de pêche aur ont vraisemb lablement retenu de cette période les dérogations trans itoires qu’a dû deman der EDF pour cont inuer à faire tourner ses centra les, nucléaires, au charbon ou au fioul au risque d’aggraver le réchau ffement de la températur e des fleuves. La face cac hée de cette situat ion est passée , elle, quelque peu inaperçue aux yeux du grand public : car il s’en est fallu d’un cheveu (ou d’un degré C…), autour du 15 août , pour que la France ne conna isse , à l’instar de l’Italie fin juin, un scénar io de cou pures tournantes pour assur er la sécur ité du système électr ique, cela au détr iment des besoins de la consommat ion électr ique au plein cœur de l’été .

Cer tes cette période a été exceptionne lle par l’ampleur et la durée de for tes températur es. Mais la canicule, si elle est effect ivement à l’origine de limitations techn iques, est loin de just ifier les défaillances du ser vice public ; de fait, elle a mis en relief l’insuffisance de moyens de production d’électr icité en France et en Europe et la volonté délibérée de ne pas anticiper les invest issements pour faire face à toutes les situat ions, même exceptionne lles. Les restr ictions budgétaires dans le domaine de la maintenance et du renouvellement des réseau x souterra ins de distr ibution, notam ment à Paris, ont très clairement montré leurs limites .

La mise en lumière (c’est le cas de le dire !) de cet état des lieux a fait l’effet d’un électr ochoc pour les observateurs du secteur , très prompts à vanter il y a quelques mois seulement qui la nécess ité, qui l’inélucta bilité de la privatisation d’EDF et GDF.

Car l’incom patibilité de l’organisation d’un marché intérieur de l’électr icité en Europe avec les missions du ser vice public app ara ît tellement flagrante qu’il devient difficile de la taire…

Jusqu’alors, pour les promoteurs frança is et européensde la déré glementat ion du secteur éner gétique et de la privatisation des ser vices publics, la faillite de la déréglementat ion qui a secoué la Californie en 2001 trouvait soitdisant son origine dans les caractér istiques locales du système électr ique californ ien. L’écr oulement d’ENRON, premier cour tier mond ial en éner gie, avait été ren du possible par l’insuffisance des contrô les et des organismes de régulation. L’Europe, selon eux, échapperait aux err eurs de jeunesse de la déréglementat ion anglo-saxone !

La faillite de British Energy, premier exploitant nucléaire britann ique, les cou pures et ruptur es d’appr ovisionnement en Espa gne, en Suède, en Italie, à Londres récem ment , la grande panne du réseau nor d amér icain le 14 août dernier ne permettent plus aujour d’hui de masquer les consé quences communes et systémiques de la libéra lisation du secteur de l’éner gie électr ique : sous-investissements dans les moyens de production et les réseau x, cou pes sombr es dans les budgets de fonct ionnement et l’emploi, recours à la sous-traitance , opacité des opérateurs vis à vis des règles de sécur ité industr ielle et de santé au tra vail des salariés notamment dans le nucléaire. Partout où la mise en œuvre de la déréglementat ion a été la plus zélée, la privatisation et la séparat ion des entr eprises intégrées en autant d’entités devant just ifier d’une renta bilité financ ière attrac tive se tradu it par une désoptimisation économ ique engendrant la hausse des prix pour les usagers domest iques et des faillites destructr ices pour les salariés.

Les manipulations de marchés révélées en Californie et qui ont coûté quelques 67 milliards de dollars aux contr ibua bles sont également une des caractér istiques de la crise eur opéenne . Le Danemar k est suspecté d’avoir suré valué le prix de l’éner gie encor e dispon ible en août , profitant de l’état de dépendance de ses voisins. Devant les risques avérés de pénur ie d’électr icité l’hiver prochain, les com pagnies pr oductr ices d’électr icité en Grande Bretagne et en Italie s’appr êtent à remettr e en ser vice des centra les therm iques mises à l’arrêt pour tendr e l’offre sur le marché. La France n’est pas en reste puisqu’EDF, pour augmenter sa com pétitivité financ ière a décidé au printem ps dernier dans l’optique explicite de faire remonter les prix de l’électr icité sur le marché de gros de fermer définitivement cinq centra les therm iques sans anticiper leur renou vellement .

Toute fois, les ar tisans les plus con vaincus de la libéra lisation sont empêtrés dans leurs propres contra dictions : bien de première nécess ité pour les usagers , garant de la com pétitivité des entr eprises et de leur sécur ité écono mique, produit non stoc kable et peu subst ituab le, l’électricité n’est décidément pas un produit comme les autr es ! La moindre défaillance dans le système peut êtr e à l’origine de per tes économ iques gigantes ques que le patr onat luimême n’est pas prêt à acce pter !

L’exigence d’ant icipation dans les invest issements , l’immob ilisat ion du capital dans des processus d’invest issements extrêmement longs, et la néces sité de ména ger une surcapacité permanente des moyens de production en font un « produit » structur ellement non renta ble, cela d’autant plus lors que les exigences sociales confèrent au ser vice public un statut de « contrat social » non négociable.

Au point que les désillusions des investisseurs privés les plus déterm inés à tirer profit d’un secteur enfin libéra lisé mettent les gouvernements libérau x des différents pays dans l’embarras : réinject ion de près d’un milliard d’eur os par le gouvernement britann ique dans British Ener gy, désen gagement des entr eprises amér icaines du Royaume Uni, en dettement mass if de tous les opérateurs eur opéens qui, EDF et GDF com pris, se sont lancés dans des acquisitions coûteuses alimentant ainsi la sphèr e financ ière au moment où la nécess ité d’invest issements productifs devient patente .

L’éc hec d’une logique initiée il y a plus de dix ans est spectacu laire : l’idéologie est rattrapée par les faits.

C’est donc sur cet arrière plan que se présente le conte xte de la rentrée sociale à EDF et GDF.

Il sera it cependant illuso ire de cons idérer que l’impasse « techn ique » dans laquelle se retr ouve le gouvernement frança is suffirait à elle seule à remettr e définitivement en cause la privatisation d’EDF et de GDF.

Ce sera it ignor er les con ditions dans les quelles, le 24 juillet dernier, le repor t de l’examen du changement de statut juridique des entr eprises publiques EDF et GDF a été consent i par le gouvernement . Les salariés d’EDF et GDF avaient placé la barre très haut, il y a un an à peine dans une manifestat ion histor ique par son ampleur, dans laquelle les jeunes et les caté gories d’enca drement s’étaient mass ivement invest is. Défense du ser vice public et maintien d’un système de retra ite financé directement par la valeur ajoutée de leurs entr eprises conféraient à son contenu un haut niveau d’exigences sociales, validé par un vote majoritaire en janvier pour le maintien du régime par ticulier de retra ites .

Depuis, les multiples (et mass ives) actions du printem ps et du début de l’été ont témo igné de nouvelles capacités du mouvement social, dans une large divers ité, à redéfinir les contours de ce que doit êtr e une société au ser vice des besoins humains. Le besoin de solidarité sociale et la néces sité de soustra ire à la loi marchande l’ensem ble des biens collect ifs essent iels à la vie et à l’épanou issement des personnes ont été les ressor ts communs à ces mou vements . Il faut désorma is com pter avec la sympath ie envers les mouvements altermond ialistes – autant porteurs d’utopies que de réelles alternat ives à la « marchandisation du monde » –, avec la confiance placée dans le mou vement syndical pour résoudr e les problèmes de société (doss ier des retra ites) .

L’amer tume des salariés qui « ont tout mis dans la balance » et n’ont pas gagné contr e le recul social imposé par le plan Fillon sur les retra ites fait auss i par tie du paysage de cette rentrée . Elle nous rappe lle que rien n’est joué d’avance et qu’en l’occurr ence , le gouvernement Rafarin, a clairement indiqué que la privatisation d’EDF et GDF était toujours dans ses tab lettes . Raisons de plus pour mettr e à profit « le temps de réflexion » que le mou vement social lui a imposé pour ouvrir des pers pectives cré dibles à d’autr es alternat ives.

A EDF et GDF, les per tes d’emploi (près de 8000 en trois ans) , le recul de la techn icité et de l’égalité de traitement des usa gers dans les objectifs de gest ion des ser vices , les restructurat ions incessantes dest inées à brouiller les repères collect ifs dans l’organisation du tra vail provoquent souffrance , colère et contestat ion. Cette réalité vécue par les salariés est auss i à l’origine d’une nou velle prise de consc ience des poss ibilités de leur inter vention dans ce qu’il faut bien appeler le champ de la politique. Elle les con duit à débattr e et à promou voir des alternat ives acces sibles pour que les missions et l’organisation du ser vice public en France corr es pondent aux besoins de développement et aux attentes de l’ensem ble des citoyens.

Ces alternat ives passent d’abord par le maintien en France d’ entr eprises 100% publiques pour assur er et développer le ser vice public de l’éner gie et du gaz. Elles impliquent la remise en cause des options libéra les de la comm ission eur opéenne : l’instaurat ion de la concurr ence dans ce secteur n’est basée sur aucun fondement économ ique ; elle n’a de sens que comme prétexte à la désintégration des entr eprises publiques et à la recom position d’oligopoles privés. L’évolution de la consommat ion d’électr icité et de gaz en Europe va doubler dans les 40 prochaines années . Les moyens de production d’électr icité devront faire appel à toutes les ressour ces éner gétiques dispon ibles. L’éner gie nucléaire sera incontourna ble. La place de la recherche pour répondr e aux exigences environnementa les, rat ionaliser les usages et augmenter les rendements éner gétiques est décisive.

La coo pérat ion eur opéenne est indispensab le pour mettr e en oeuvre non pas un marché intér ieur de l’électr icité mais une politique eur opéenne co hérente , de long terme dans le domaine de l’éner gie. En France , seule la const itut ion d’un pôle éner gétique public autour d’EDF et GDF est de natur e à répondr e à ces enjeux. La démocrat ie, la citoyenneté doivent réinvest ir le cham p du ser vice public, afin d’en définir les missions et les évolutions pour qu’il soit en phase avec les nou velles exigences sociales. Autant de promesses de con vergences avec le mou vement social en France mais également en Europe pour imposer les références collectives d’une vraie solidarité sociale.