Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Licenciements, reclassements : L’exigence de nouveaux droits et de nouvelles institutions

Table ronde avec la participation de : Frédéric Boccara, économiste, membre du Conseil national du PCF ; Frédéric Brugg eman : Synd ex, expert auprès des comités d’entreprise et Thierry Lepaon, secrétaire de l’Union départementale du Calvados de la CGT.

Econom ie et Politique : Quelles sont les faiblesses du dispositif français sur les lic enciements et les reclass ements des salariés ?

Frédéric Bruggeman : En 1989 la loi Soisson a rendu obligato ire – sous cer taines con ditions de seu il – la mise en œuvre de plans sociaux par les entr eprises et la circulaire qui accom pagnait cette loi affichait l’ambition d’inscr ire un droit à la recon version pour tous les licenc iés économ iques. Après 14 ans , on constate qu’il n’y a pas de droit effect if à la recon vers ion.

Les raisons :

1.– le dispos itif frança is est mal bâti. la loi responsa bilise l’employeur en lui créant l’obligation d’élaborer et mettr e en œuvre un plan social. Mais elle lui donne auss i tout le pouvoir alors qu’il n’a aucun intérêt à ce qu’une alternat ive économ ique soit recherchée et que le reclassement effectif des salariés n’est pas sa priorité.

2.– Au cours de la restructurat ion les acteurs ne sont pas coor donnés .

3.– Il n’y a aucun suivi en France des restructurat ions , plans sociaux et processus de reclassement . Les résu ltats ne sont pas connus , les innovations ne sont pas capitalisées et on n’appr end donc ni des succès ni des échecs.

4.– Le système est extrêmement inégalitaire. L’accès à des congés de reclassement concerne les groupes de plus de 1000 salariés, le plan social les entr eprises de plus de 50 et rien n’est prévu pour les petites entr eprises de moins de 50. Les inégalités concernent auss i la natur e des contrats (CDI ou CDD).

Thierry Lepaon : Ces quest ions sont par ticulièrement sens ibles au moment où le chômage et la précar ité explosent . Mais plutôt qu’à un déclin industr iel, la multiplicat ion de ces situat ions est due à une dégradat ion des con ditions d’emploi dans l’industr ie, avec une montée de la sous-traitance , l’automat isation et de la précar ité. Le nom bre de salariés dans l’industr ie n’a guère diminué depuis dix ans si l’on y ajoute les ser vices aux entr eprises qui devraient êtr e intégrés à ceux de l’industr ie.

Par ailleurs , si les plans sociaux ont permis de limiter les plaies il y a quelques années , aujour d’hui cette voie est en échec. De par leur statut , seul 39% de salariés licenc iés économ iques ont droit à un plan social. On est auss i en échec sur le plan social parce qu’on est auss i en difficulté sur la lutte contr e la précar ité et pour le « plein emploi ». Enfin, aujour d’hui en recourant au dépôt de bilan pour restructur er les entr eprises, les patr ons n’assument plus leurs actes et veulent trans férer sur la collect ivité des res ponsa bilités qui sont les leurs . Tous ces éléments me con duisent à dire qu’il faut aujour d’hui dépasser le plan social.

L’expérience de Moulinex, le plus grand dépôt de bilan des dernières années , a abouti au bilan suivant : un tiers des « Moulinex »  a  retrouvé un travail, mais 40 % de ce tiers dans des emplois moins attract ifs et avec un salaire inférieur, un tiers a été trans féré dans des mesur es de type social. Le troisième tiers est en situat ion d’exclusion au regard du marché du tra vail. Voilà le bilan des cellules de reclassement de Moulinex.

L’autr e volet de la con vention a concerné la réindustr ialisat ion en bass ins d’emplois. Dans le cadre d’une con vention de site, tous les acteurs qui aura ient pu êtr e mob ilisés en amont de la restructurat ion, sont sollicités après cou p. Depuis la commune jus qu’à l’Etat , toutes les collectivités dotent un Fonds pour tenter de répondr e aux deman des des bass ins d’em plois touchés par les licenc iements . Pour Moulinex, sur les 102 millions d’eur os dispon ibles, 50% des sommes ont été dépensés , mais seulement 10 % des objectifs d’emplois ont été créés . Et 15% de ces postes résu ltent de trans fer ts de production venue d’ailleurs , des patr ons profitant de cette aubaine pour recevoir des aides publiques.

Le plus grave, sans doute , est qu’une par tie de ces fonds a été mob ilisée pour tout autr e chose que pour créer des emplois, ainsi sur Alençon , l’argent des « Moulinex » a été utilisé pour réhab iliter des immeub les.

Enfin, ces créat ions d’emplois, sou vent déconnectées du reclassement des salariés ne bénéficient pas aux salariés concernés .

Frédéric Boccara : Dans la nou velle phase, avec l’accélérat ion des restructurat ions , la gravité du problème et l’échec des solutions dominantes (recon vers ion, reclasse ments ,..) est patent . Un bilan officiel fait état de 36% d’échecs com plets dans les reclassements au bout de 5 ans. Derrière cet échec c’est toute la logique de la renta bilité financ ière qu’il faut dénoncer . Il faut bien voir que derr ière les difficultés que les directions d’entr eprises mettent spontanément en avant (tec hnologie, mar ché...) ce sont les coûts financ iers du capital (charges financ ières, amor tissements , dividen des, ... ) qui s’envolent dans la valeur ajoutée et on va ajuster en s’atta quant à la masse salariale. D’où problème, non seulement de licenc iements et de qualifications , mais les cer cles vicieux car, ce faisant on déprime la deman de et on pèse sur l’efficacité productive. C’est cela la renta bilité financ ière. On retr ouve cela sur le plan macr oéconom ique avec les 22 milliards d’eur os d’expor tat ions nettes de capitaux pour des placements financiers .

Face à cela, dans la législation il y a un potent iel –notam ment depuis les amen dements commun istes de 1993 à la loi dite Aubry, qui vient durant la récess ion après la loi de 1989pour passer d’une législation de réparat ion individuelle et de protect ion des salariés à une législation de promot ion (reclassement , format ion, ant icipation, gest ion promotionne lle prévisionne lle des emplois et des com pétences) .

Enfin, il faut auss i surmonter les illusions du « plein emploi » de la fin des années 90, rédu isant la quest ion aux as pects quant itat ifs sans voir la crise du type d’emploi souvent sous qualifié, sous payé, précaire... Au cœur de cette insécur ité sociale mass ive, et des immenses béances de format ion, « d’inser tion » et d’anticipation des com pétences , des emplois et des activités, se situe le fait de ne pas s’êtr e opp osé à la logique des marchés financ iers , dont on paie par exemple, les pots cassés concernant les fusionsacquisitions réa lisées pendant la fin des années 90. Ce sont les profits accumu lés et les cré dits banca ires, voire un cer tain nom bre de fonds publics qui ont alimenté cette course à la renta bilité financ ière.

Il y a donc une exigence d’autr es objectifs pour la législation qu’un simple suivi, un accom pagnement des salariés ou un affichage quant itat if de créat ions d’emplois, trop souvent récupérés comme accom pagnement d’une logique d’ensem ble rétr ograde et, in fine, anti-sociale.

C’est pour y répondr e que nous avançons l’idée d’une sécur ité d’emploi ou de format ion pour tous et donc d’une mob ilité sans lâcher sur les activités , la valeur ajoutée et l’emploi, et donc sur la responsa bilisation sociale des entr eprises.

Il y a auss i un monopo le des pouvoirs de décision , de suivi, et de coor dinat ion jus que sur les contenus des gest ions qui ne sont pas par tagés avec les salariés, ni non plus avec les populations, y com pris les élus locau x. Cette idée de pouvoirs des comités d’entr eprise et des bass ins d’emploi est à pousser .

Enfin, pour rée llement exercer ces pouvoirs il y a auss i le problème des moyens et celui de pouvoirs sur de tels moyens : il faut dénoncer l’absence de con ditionna lités liées aux fonds accor dés et le manque de suivi des objectifs poursu ivis. Le bilan, c’est qu’en définitive, et malgré quelques cas d’exception, l’argent public et les inst itut ions publiques sont instrumenta lisés pour poursu ivre la même logique de baisse des coûts salariaux et sociaux, d’accom pagnement des désen gagements d’act ivités et des licenc iements . Mobiliser tout autr ement tous ces leviers , forcer l’entr eprise à mettr e au pot tel est peut-êtr e l’enjeu décisif de la phase actue lle.

Pour cela on peut s’appuyer tout particulièrement sur l’article 118 de la loi de modern isation sociale qui n’a pas été abrogé. Celui-ci invite les préfets à réun ir l’employeur, les organisations syndicales, les élus pour examiner les moyens que l’entr eprise qui licenc ie doit dégager pour contr ibuer à la créat ion d’activités et à des opérat ions de format ion profess ionne lle.

Frédéric Bruggeman : L’utilisat ion du dépôt de bilan comme out il de restructurat ion décou le d’une situat ion nou velle : les entr eprises , et pas seu lement des plus grandes , ont choisi de s’organiser en groupe de sociétés et le nom bre de groupes croit régulièrement et for tement . Or, le droit actue l ne s’applique qu’à l’entr eprise définie comme la structur e juridique. Les décisions se prennent donc à la tête du groupe mais s’appliquent dans l’entr eprise (la filiale) qui est auss i le périmètr e dans lequel sont confinés les comités d’entr eprise. Il y a sur ce point précis, besoin de mod ifier le droit et déplacer les res ponsa bilités de l’entr eprise vers le groupe.

Frédéric Boccara : il y a une série d’expérimentat ions très riches, mais en même temps pris dans la logique d’ensemb le, il y a une per vers ité : la tête de groupe, c’est le pouvoir du capital avec la remontée des ressour ces des filiales vers la maison mèr e, ressour ces qui ensu ite manquent sur le terra in pour une réindustr ialisation ou des reclassements effectifs. Cer tains tra vaux que j’ai mené à l’Insee montr ent l’ampleur de ce mou vement (1).

Ces idées progressent comme le montr e la pétition de 5 unions confédérales régionales d’Ile-de-France (CGT, CGC, UNSA, FO, FSU) qui, parmi 5 revendications, deman de « un autr e usage des ressour ces des entr eprises avec la créat ion d’un fonds régional de développement pour l’emploi et le contrô le des fonds publics ». En effet, ce n’est pas seulement au niveau de la législation que l’on peut tra iter la quest ion des groupes, mais auss i à par tir du terra in avec l’exigence de pouvoir s’opposer à la logique de déloca lisat ion de l’argent, du cré dit et des profits des bassins d’emplois vers les holdings financ iers . Il s’agit de maîtriser le mou vement de ces ressour ces .

E&P : Quelles propositions pour réformer le droit de lic enciement et de reclass ement ?

Thierry Lepaon: Dans les négociations sur l’emploi qui ont lieu actue llement avec le MEDEF, on discute sous le chanta ge du gouvernement qui menace les négociateurs de légiférer s’il n’y a pas d’accor d. Or, sa révision de la loi sur la modern isation sociale nous indique dans quel sens il veut mod ifier cette loi-ci.

Aujourd’hui on voudrait nous retirer le droit de contester les raisons économ iques. L’ar ticulation entr e le livre IV qui concerne le volet économ ique et le livre III sur le plan social est contestée . On voudrait cantonner les syndicats , les terr itoires et ses élus à l’accom pagnement , mais sans jamais pouvoir contester la logique économ ique. Or, les moyens de pression sur les employeurs , ce sont les salariés et les populations dans les terr itoires.

Il y a auss i la quest ion du politique et la façon dont on se renvoie la balle entr e les niveaux nationau x, régionau x et locau x entr e les élus nationau x et locau x qui d’ailleurs sont quelquefois les mêmes .

Il y a auss i des capitulations à remettr e en cause comme celle qui cons idère que les règles économ iques sont comme la loi de la gravité et ne se discutent pas, pour reprendre l’express ion de Christian Pierr et alors ministre de l’industr ie à propos de Moulinex.

Nous sommes en échec sur la culture du plan social : avec les difficultés de la croissance et l’accé lérat ion des cycles on atte int les limites de ces dispos itifs. Cela est encor e aggravé par l’absence de politique nationale voire eur opéenne d’aména gement du terr itoire. Aujour d’hui les emplois qui se créent dans les bass ins d’emplois sont en généra l de natur e com plètement différentes de ceux qui ont été suppr imés et pour les quels les salariés ne sont pas préparés .

Les propositions de la CGT présentées à la négociation avec le MEDEF, s’app uient sur la nécess ité de prolonger le contrat de tra vail du salarié quelques soient les aléas économ iques , sociaux et industr iels avec une sécur ité sociale profess ionne lle qui permet de mainten ir le contrat de tra vail et de faire évoluer le salarié avec la format ion en amont de la restructurat ion, pendant la restructurat ion tout en évitant la ruptur e du contrat de travail et dans la vie des salariés

Frederic Bruggeman: L’accom pagnement social est insuffisant et il faut traiter à la fois l’économ ique et le social. Dans mon activité j’ai sur tout une vision au niveau de l’entr eprise. Il me semb le qu’à ce niveau trois pistes se dégagent des expériences et inno vations que les obligations créées par la loi de 1989 ont perm ises , malgré l’éc hec global déjà souligné.

La première est l’ant icipation ce qui pose la quest ion du temps : il y a un échec des réponses faites « à chaud ». Les problèmes sont difficilement solvables lors que la direction annonce le projet de restructurat ion car il est déjà trop tar d. Le temps de préparat ion du projet est un temps qui est généra lement confisqué par les directions d’entr eprises. La crise des années soixante-dix à obligé les entr eprises à développer des out ils de pros pectives et d’anticipation (les plans , les budgets, les plans straté giques…) mais il n’y a pas de par tage de ces informat ions et de ses anticipations ni de débats autour .

Par ailleurs , nous sommes dans un monde plus incer tain qu’il y a une trenta ine d’années , et ant iciper dans ce conte xte signifie qu’il ne faut pas seulement essa yer d’éviter les licenc iements mais auss i se préparer à rebondir. Or les out ils qui devraient permettr e aux salariés de se préparer à des mutat ions techno logiques ou économ iques ne sont pas mis en place. C’est le cas de la gest ion prévisionne lle de l’emploi et de la conversion qui étaient pour tant dans la loi de 1989 et qu’il faut réact iver et renforcer. De ce point de vue il y a des dispos itifs récents qui vont en ce sens comme la validation des acquis de l’expérience mis en place par la loi de modern isat ion sociale ou le récent accor d sur la format ion (qui instaur e le DIF). Il faut que les entr eprises incluent dans le leur plan de format ion non seulement les format ions qu’elles pensent utiles pour l’entr eprise et son développement , mais auss i celles qui sont utiles pour le développement et la carr ière profess ionne lle des salariés.

Deuxième voie : aujour d’hui une restructurat ion, c’est tou jours une entr eprise qui décide et des acteurs qui cour ent derrière. Il faut trouver le moyen d’organiser sérieusement des contr overses autour des décisions qui sont prises.

Troisième voie : Il faut des out ils spéc ifiques pour les entr eprises de moins de 50 salariés. Pour elles c’est sans doute au niveau terr itor ial que peuvent se résoudr e les problèmes en organisant la veille économ ique et la mob ilité profess ionne lle au niveau du bass in.

Frédéric Boccara : il est vrai que le social et l’économ ie sont intimement liés, pas seulement pour que la logique sociale décline une logique économ ique dominante , intangible et indiscutab le. En effet, il peut y avoir débat sur l’argumentat ion économ ique comme sur l’ant icipation qui doit permettr e la conne xion entr e « l’économ ique » et le  « social », par l’avancée de pouvoirs politiques aux acteurs sociaux. Mais le problème est qu’il manque d’es paces de débats et d’inst itutions pour les favoriser. Cette quest ion de renforcer les pouvoirs proprement politiques , dans la société, du mou vement social est une des grande béances de la récente expérience de gauc he.

Sur l’économ ique et le politique : l’expression de L. Jospin selon laquelle les Etats ne peuvent pas inter venir sur les entr eprises signifie que l’économ ie est du ressor t du patronat et cantonné à l’intér ieur des entr eprises, et que le politique fait le reste . C’est le refus de faire bouger l’organisation des pouvoirs telle qu’elle existe aujour d’hui. Cette conce ption est pour tant en dessous de ce qu’affirme la const itut ion frança ise qui reconna ît, dans le préam bule issu de 1946, le droit d’inter vention (de « participation ») des salariés dans la gest ion des entr eprises. C’est s’enfermer dans des politiques d’accom pagnement . Ainsi on va tra iter des quest ions comme celle de la pauvreté et de la misère ou même la format ion sans lien à l’em ploi, cou pé de l’em ploi et donc de la créat ion de richesses – la valeur ajoutée . On est en train d’accom pagner un gâteau qui se rabou grit. Parce que de nos jours c’est l’emploi et l’invest issement pour l’emploi qui vont pousser la valeur ajoutée et des solutions dynamiques . En même temps , les choses ont bougé dans les menta lités sur la quest ion de la format ion. Les tra vailleurs savent que la format ion dispensée dans le cadre des plans de conversion est trop sou vent bidon, mais en même temps ils sont consc ients qu’il y a un besoin énorme de format ion. Voir la négociation sur le DIF.

Mais ce que mettent les entr eprises comme effor ts et comme ressour ces financ ières n’est pas au niveau. Tandis que les exigences de format ion sont prises en positif aujourd’hui dans les act ions . Montent auss i les exigences de cont inuité dans la mob ilité et donc de sécur ité . Je suis d’accor d avec l’idée de la cont inuité du contrat de tra vail parce qu’il faut res ponsa biliser des employeurs , mais en même temps sans s’enfermer uniquement dans le contrat de tra vail, d’autant plus que le maintien de ce contrat peut s’avérer difficile au niveau d’une toute petite entr eprise. C’est pourquoi il faut élargir au niveau du bassin et peut-être réfléchir à une cont inuité hors du contrat de tra vail en utilisant les poss ibilités de mutua lisat ion des app or ts des entr eprises, c’est le sens de la proposition de sécur ité d’emploi ou de format ion .

Il y a trois éléments supp lémenta ires à avancer :

  • – La quest ion des critèr es de gest ion affleur e le débat mais doit êtr e explicitement formu lée et développée.
  • – L’argent et les coûts dans les entr eprises . Nous sommes pour une baisse des coûts . Mais pas n’impor te lesquels. Ainsi les coûts financ iers qui représentent plus de 100 milliards d’euros au niveau national doivent êtr e rédu its mais pas les coûts qui favorisent les capacités humaines (salaires, format ion, recherche).
  • – Le rôle des acteurs sociaux. Il faut arrêter de penser les acteurs sociaux séparés de ceux qui n’aura ient à s’occuper que du débouc hé politique des luttes sociales. C’est une impasse . Au contra ire, il faut repenser la politique pour redonner plus de pouvoirs aux acteurs sociaux, des pouvoirs « pro-actifs » y com pris dans le suivi des décisions.

La négociation sur les plans sociaux est tra itée de façon très empoisonnée , mais en même temps n’y a-t-il pas le besoin que les politiques prennent leurs responsa bilités sur cette quest ion, en arrêtant de se défausser com plètement sur le MEDEF ? D’autant plus que les politiques peuvent êtr e mis sous la press ion de l’opinion et des luttes populaires si celles-ci s’exercent avec plus de force .

Fédéric Brugg eman : il faut avoir un souc i d’opérat ionnalité sur la quest ion des licenc iements et des reclasse ments . Il faut que les solutions soient joua bles par les acteurs . Des embr yons de solution émer gent à par tir des expérimentat ions actue lles, notamment sur le maintien du contrat de tra vail. Il y a des out ils qui commencent à répondr e à cette exigence : le congé de reclassement pour les sociétés de plus de mille salariés (il faudrait en faire le bilan) et le congé de con vers ion. Dans ces deux cas , le contrat de tra vail n’est pas rom pu avant une cer taine période qui est discutée entr e les par tena ires sociaux. Ces mesur es sont particulièrement efficaces dans les dispos itifs de reclassement et d onnent au x salariés un statut pen dant la convers ion. On pourrait et on devrait réfléc hir à leur généra lisat ion .

Par ailleurs , le s y stème actue l r e p ose sur une décentra lisat ion d es d éc i s ions d’emploi et de la rec h er c h e d es so lut ions à a ppor ter au niveau de l’entr eprise. Il va trop loin dans ce domaine et le Code du Travail, en spéc ifiant que la qualité du plan social sera jugée en fonct ion de la situat ion économ ique de l’entr eprise ou du groupe intr oduit une inégalité dans les plans sociaux selon que l’entr eprise a les moyens ou ne les a pas. Mais c’est un système qu’il ne faut pas rejeter en bloc : il faut absolument que les salariés sur le terra in, ceux concernés par les restructurat ions , puissent dire leur mots et inter venir sur ce qui con ditionne leur avenir.

Enfin, il y a des pistes à tra vailler autour de la res ponsabilité sociale des entr eprises. il faut tra vailler sur « le triple résu ltat final », résu ltats économ ique, social, écologique. Il faut matér ialiser ce que peut êtr e, ce que devrait êtr e, un résu ltat social. C’est à explorer pour l’avenir .

Thierry Lepaon : Il faut auss i faire monter l’obligation de résu ltat . En effet les collectivités , régions dépar tements , communes , n’hésitent pas à se saigner financ ièrement pour aider à dégager des moyens. Il faut faire en même temps une press ion pour que les entr eprises ainsi que les banques apportent leur contr ibution. il faut auss i imposer à tous une obligation de résu ltat .

« On met tant d’argent, il faut tant d’emplois ! Voilà pourquoi on a échoué, voilà pourquoi on a réuss i ! ». Cela passe par de nou veaux droits pour les salariés et leurs représentants .

La chute entr e 1997 et 2001 de 0,3 points sur les 4 % de la par t de la dépense publique d’emploi dans le PIB est préoccu pante tout comme le par tage salaires/ profits de la valeur ajoutée . Alors que les richesses créées ont augmenté de 60% en 20 ans, dans le même temps la part des richesses allant aux salariés a reculé de 7 points . Passant de 64% en 1980 à 57 % en 2002 .

Frédéric Boccara : A chaque fois que l’on pousse le débat sur des solutions alternat ives, concernant les activités et/ou l’emploi, le patr onat répond : ce n’est pas renta ble. Mais de quel point de vue ces dispos itifs sont-ils trop chers ? Pour la renta bilité et pour les actionna ires ? Quant aux entr eprises qui n’aura ient pas les moyens de financer , n’y -t-il pas à res ponsa biliser auss i les banques dans ces dispos itifs ? Or, même J. C. Trichet, le Gouverneur de la Banque de France a été obligé de reconna ître le rôle de cette inst itut ion pour l’emploi et l’act ivité dans les bass ins d’emploi, mais c’est valable pour toutes les banques qui se sont enrichies sur ces entr eprises.

Cette        i d ée d’o bligat ion d e résu ltat est déterminante . Il faut rappr oc h er les d eu x q uest ions moyens et résu ltats . Faut -il imposer, en contr epar tie des fon ds octr oyés pour les invest issements une obligation de résu ltat en termes d’em p loi et d e valeur a joutée dispon ible, revenant notamment au x sa lar iés et  aux populations ou en termes de profit ? Le résu ltat social est-il une sécur isat ion accrue des salariés dans l’entr eprise ou le bass in ? Quant à l’obligation de moyens, elle est impor tante parce que c’est tou jours à par tir de quels moyens que sont atten dus des résu ltats . Il faut auss i s’interr oger sur les moyens apportés par qui ? Les collect ivités, les banques, l’entr eprise ? Au forum social eur opéen, avec de nom breux syndicalistes de banques centra les d’Europe, nous avons avancé d’idée d’un droit de tirages sociaux sur la créat ion monéta ire à par tir des besoins des bass ins d’em ploi. Il faut conjuguer ensem ble les obligations de moyens et de résu ltats . Il ne faut pas seulement res ponsabiliser les collect ivités sur les obligations de moyens. Mais auss i les entr eprises en assoc iant aux obligations de résu ltats des entr eprises des incitat ions financ ières comme , par exemple, la suspens ion ou le remboursement des aides ou un cré dit plus cher à celles qui ne les remplissent pas. Il faut tenir un triptyque citoyenneté, obligation de moyensobligation de résu ltats , et res ponsa bilisat ion sociale de l’entr eprise, incluant toutes les quest ions de format ion et d’anticipation sur l’emploi. ■

  • Cf. « Emploi : mythe des PME et réalités des groupes », Economie et Statistique, n° 319-320, 1998. Voir aussi, le travail de Claude Picart, consécutil d’un stage effectué sous ma direction, « Endettement et internationalisation des groupes », Insee Première, n° 890, mars 2003.