Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Forum social européen : mobilisation pour une autre utilisation de l’euro et de la BCE

« C’est un petit événe ment », remar quait un orateur en parlant des militants ass idus venus par ticiper en nom bre au séminaire du Forum social européen (FSE) sur la Banque centra le eur opéenne et l’eur o (1). « Je ne m’attendais pas à voir un public si nombreux et si attentif participer à un débat sur un sujet trop souvent réservé aux initiés », renc hérissait Jörg Huffschm id, animateur du réseau eur opéen d’écono mistes pour des politiques économ iques alternat ives en Europe. La recherche d’une autr e utilisation de la Banque centra le européenne , pour mettr e « l’eur o au ser vice de l’emploi », a en effet tenu une place remar quée dans les débats du rassemb l ement « a l termond i a liste (2) ».

C’est le contra ire qui aura it eu de quoi surpr en dr e au moment où le statut et les objectifs de la BCE, inté gralement re pr is d u tra ité d e Maastr icht, const ituent une p ièce maîtresse du projet de Const itut ion europ éenne . Comment imaginer une « autr e Europe », dotée d’un autr e modè le social, sans remettr e en cause la domination des marchés financ iers sur les politiques économ iques et les gest ions d’entr eprises, dont la Banque centra le eur opéenne const itue le principal verr ou inst itut ionne l ?

Dominique Plihon, pr ésident du conse il scient ifique d’ATTAC, avait déjà souligné, lors d’un autr e séminaire tenu le même jour au FSE (3), que la BCE s’occu pe trop de la quant ité de monna ie en circulation et pas asse z des moyens de financement mis à la dispos ition des agents économ iques. Pour tant , ce ne sont pas les cré dits qui ont manqué à l’économ ie eur opéenne depuis la créat ion de l’euro ; entr e le dernier trimestr e 1997 et le premier trimestr e 2003, les moyens de financement (crédits et emprunts obligataires) mis à la dispos ition des agents économ iques européens se sont accrus de 37 % pendant que le produit intérieur brut en volume de la zone eur o augmenta it de moins de 13 %. Plus encor e que la quant ité de monna ie mise en circulation par les opérat ions de cré dit des banques, c’est donc la qualité de cette monna ie et de ce cré dit qui impor te : les financements vont-ils aux invest issements créateurs d’emplois et contr ibuant à l’élévation des qualificat ions des salariés, ou favorisent-ils au contra ire la hausse des prix des actifs financ iers et les expor tat ions de capitaux dest inées aux opérat ions de restructurat ion des grands groupes ?

À par tir de cette interr ogation, des propositions précises ont été formu lées au Forum social européen pour réor ienter l’act ion de la BCE : des cré dits sélectifs pour favoriser les investissements créateurs d’emplois et la format ion, fondés sur un usage différencié des réser ves obligatoires et des taux d’intérêt pratiqués par l’Eurosystème dans le refinancement des cré dits aux entr eprises ; un rééqu ilibr age des pouvoirs entr e la BCE, les gouvernements et les inst itut ions communauta ires ; une contr ibution de l’Europe à une remise en cause de l’hégémon ie du dollar pour stab iliser le système monéta ire internat iona l autour d’une monna ie commune mond iale gérée par des inst itut ions financ ières interna t iona les pr ofon d ément trans formées Les économ istes auteurs de ces prop os i t ions s’atten daient-ils à les voir con verger auss i préc isément avec les r e ven dicat ions des syndicalistes repr ésentant les person ne l s d es b an q ues centra les qui, quotidiennement , veillent à l a q ua lité d e l a monna ie dans ses différentes dimens ions ? En France , en Belgique et dans toute l’Europe, les banques centra les nationales exercent de multiples tâches techn iques , depuis l’impr ess ion et l’entr et ien d es billets jus qu’à l’accue il d es ména ges surendettés dans le cas de la Banque de France . Elles disposent , à tra vers leurs fichiers , leurs centra les de bilans , leurs enquêtes de conjonctur e, d’une conna issance très déta illée des entr eprises et de leur financement . Cette conna issance pourra it leur ser vir, en s’app uyant davantage sur les com pétences de leurs personne ls, pour aller audelà d’une régulation globale et indifférenciée des taux d’intérêt de marchés, vers une mob ilisat ion de la créat ion monéta ire pour répondr e aux attentes des citoyens eur opéens en matière d’emploi et de lutte contr e l’insécur ité sociale.

Au-delà de l’assent iment que recue illent asse z largement ces propositions, restent des différences quant à la perspect ive dans laquelle elles sont formu lées . Faut-il se contenter de réact iver des techn iques telles que les bonificat ions d’intérêt , qui comme le rappe lait Liêm Hoang Ngoc, du conse il scientifique d’ATTAC, au séminaire sur la BCE ont fait leurs preuves dans les années soixante-dix ? Ou bien comme l’a soutenu Frédér ic Cordoba qui, dans le même séminaire, représenta it la revue Économie et politique la radicalité de la crise actue lle oblige-t-elle à remettr e plus profondément en cause les objectifs et les pouvoirs qui président à l’utilisat ion des moyens dont disposent les banques centra les ? Les objectifs : non pas seulement favoriser la croissance en généra l et le « plein-emploi » au sens les économ istes l’enten dent , c’est-à-dire le « moins mauvais » taux de chômage permis par le fonct ionnement du mar ché du tra vail, mais par ticiper à la construct ion d’une sécur ité d’emploi ou de format ion pour éra diquer le chômage et apporter une réponse économ iquement efficace aux besoins sociaux. Les pouvoirs : non pas déléguer l’exécution d’une « bonne politique » à un pouvoir centra l dont on a expérimenté , depuis 1983, l’inca pacité répétée à imposer une autr e politique que celle que réclament les mar chés financ iers , mais opp oser à la « tyrann ie » des marchés la force des mob ilisat ions sociales et des pouvoirs qu’elles peuvent con quérir dans les inst itut ions . Précisément , ces inst itut ions très par ticulières que sont les banques centra les pourra ient êtr e des « portes d’entrée » du mou vement populaire dans le domaine jus qu’à présent inaccess ible du pouvoir financ ier. Un point d’app ui très utile pourra it êtr e trouvé dans les luttes syndicales qui se déroulent en leur sein, comme à la Banque de France depuis l’annonce de la « restructurat ion » de son réseau de succur sales, jus qu’à la BCE elle-même dont le personne l vient tout récemment de menacer de faire grève pour la reconnaissance de ses droits syndicaux.

Ces directions de tra vail paraissent d’autant plus intéressantes qu’elles corr es pondent aux quest ions posées , au séminaire sur la BCE, par un public attent if et exigeant : quels moyens mettr e en œuvre pratiquement pour résister à la domination des marchés financ iers ? Comment por ter aux politiques économ iques néo-libéra les une critique qui ne reste pas enfermée dans les mots et les conce pts du système capitaliste ? Contact a été pris entr e les par ticipants , pour poursu ivre les échanges, les recherches et les mob ilisat ions amor cées au Forum social eur opéen.

 

  1. Ce séminaire était organisé par la fédération des Finances CGT et son syndicat de la Banque de France, la fédération CFDT des Banques, l’internationale syndicale des services UNI Europa Finances, le syndicat Setca de la Banque nationale de Belgique, le Forum social grec.

  2. Cf. Thomas Ferenczi et Michel Delbergh, « De débats en séminaires, ces idées qui ébauchent un ‘autre monde’ », Le Monde, 15 novembre 2003.

  3. Séminaire « pour des politiques économiques alternatives en Europe » organisé par ATTAC France, European Economists for an alternative economic policy in Europe, la FSU, la Ligue des droits de l'homme.

 

 

le 30 novembre 2003

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