Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Une proposition de loi communiste sur la précarité

Au cours de la cam pagne des législatives de 2002, j'avais été confronté, plus encor e que par le passé , aux situat ions de précar ité dans la circonscr iption je suis élu. Inter venant pour dénoncer le sor t ainsi réser à une partie croissante de la population, j'ai pu mesur er à quel point les partis politiques étaient atten dus sur ce terra in par les victimes du chôma ge en deman de de solutions . La cam pagne menée par les commun istes du Havre sur cette quest ion n'est sans doute pas pour rien dans le résu ltat électora l obtenu.

Dans la foulée, nous avons décidé qu'on ne pouvait en rester à la dénonc iation, mais qu'il fallait agir et proposer. Agir, pour appeler à des solidarités , quan d Renau lt se débarrassa it d'un cou p de 900 intér imaires à Sandouville. Proposer, en faisant le constat que Renault parvenait à ses fins. Comme par viennent à leurs fins les dirigeants d'entr eprises qui licenc ient les intér imaires par dizaines de milliers depuis un an.

On a raison de publier les car tes de France des licenc iements officiels en cours ou projetés . Mais on ne dispose pas de la car te des intér imaires rejetés brutalement dans le chômage, avec des droits maintenant diminués .

Et pour tant , sait-on qu'ils sont au moins quatr e fois plus nom breux que les licenc iés officiels. Que cela se passe le plus souvent discrètement . Et que ce sont souvent les mêmes qui alternent emploi précaire et chômage puisqu'un chômeur sur deux était en emploi précaire avant son inscr iption à l'ANPE.

Rien de plus rétr ograde que l'emploi jeta ble, c'éta it le principe au 19e siècle, avant les con quêtes sociales. Au temps des journa liers à 16 heures par jour quan d ils trouvaient à s'employer et rejetés dans la misère ensu ite.

Au début des années 60, cette vieille pratique renaît avec l'arr ivée des sociétés d'intér im. En 1972 sous le prétexte de l'enca drer, une loi régularise l'emploi intér imaire. Les textes sont reman iés à plusieurs reprises avec, à chaque fois, le souci affiché de répondr e aux protestat ions qu'engendre la précar ité galopante .

Rien n’y fait, le recours aux formes d’em ploi les plus précaires ne cesse d’augmenter. 100 000 intér imaires en 1967. Aujour d’hui, 1 500 000 emplois tempora ires en équivalent temps plein, mais beaucou p plus de personnes concernées puisque ce ne sont pas toujours les mêmes qui occu pent les postes . Si on tota lise les précaires de toutes sor tes , les temps par tiels subis et ceux qui sont tota lement privés d’emploi, ce sont 7 000 000 de personnes qui sont directement touchées par l’absence d’emploi ou le sous emploi. Chez les jeunes de moins de 25 ans, la précar ité est devenue la règle, en par ticulier pour les moins qualifiés.

 

La menace d’une généralisation de l’insécurité sociale

A ce rythme , l’emploi tempora ire peut donc devenir rapidement la règle pour tous les salariés et le contrat à durée indéterm inée à temps plein, l’exception. Le sommet de Barcelone a mar qué la volonté des Etats eur opéens d’accélérer ce processus .

La précar isation des travailleurs const itue une orientat ion straté gique du capitalisme à l’heure de la domination par les marchés financ iers : elle permet de renforcer l’exploitation par la renta bilité optimum de chaque heure de travail et d’affecter les énormes profits ainsi dégagés aux placements financ iers et à la spécu lation.

Comme dimens ion du chômage, elle pèse for tement sur les salaires et les con ditions de tra vail ; elle génèr e une insécur ité sociale permanente , dans et hors le tra vail, qui renforce les pouvoirs exor bitants des em ployeurs , des actionna ires, des créanc iers sur la vie et l’avenir de populations entières. Elle créée une division entr e les travailleurs cou ver ts par des garant ies collect ives et les tra vailleurs précaires.

La défense et le développement des garant ies dont bénéficient les salariés ayant un emploi stab le est plombé par le caractèr e mass if de la précar ité. Et puis, à quoi ser virait un statut protecteur applica ble à une minorité de salariés ? L’em ploi, sous ses formes les plus précaires, est un des multiples effets néfastes du chôma ge de masse que de nom breux salariés sont contra ints de subir parce qu’ils n’ont pas le choix. Mais c’est auss i une des causes qui alimentent le développement du sous-emploi, parce qu’il intens ifie le tra vail entra înant un moindr e beso in de tra vailleurs et parce que, rédu isant le volume des salaires, il contr ibue à limiter la deman de intér ieur e et donc la croissance .

L’insécur ité sociale généra lisée, la précar isation des con ditions d’em ploi des salariés, des plus démun is aux plus qualifiés, gangrène toute la société. Elle contr ibue insé parablement à accentuer toutes les difficultés de la crise du système .

Par tant de ces constats , nous en sommes arr ivés à la conc lusion qu’une nouvelle législation était indispensab le. Nous avons alors, multiplié les rencontr es, tenus des forums pour aboutir à une proposition de loi du groupe commun iste et répub licain à l'Assemb lée Nationale.

Cette proposition poursu it un double objectif : limiter le nom bre de tra vailleurs précaires et permettr e, pour tous ceux qui le veulent, la conversion des emplois précaires en emplois stab les en passant , quan d il le faut, par la format ion avec la cont inuité des revenus .

 

Des plafonds pour le recours à l’intérim et aux CDD

Dans le cadre de la législation actue lle, le recours à l’intér im et aux CDD est norma lement limité à un cer tain nom bre de situat ions, principalement les remplacements d’absents , les emplois saisonniers et les surcroîts d’activité.

La loi précise que les intér imaires et CDD ne doivent pas pour voir des emplois permanents de l’entr eprise. On ne devrait donc rencontr er dans les entr eprises qu’un nom bre restr eint de précaires pour le motif du surcroît d’activité Or, l’intér im et les CDD sont en fait mass ivement utilisés

pour le tra vail en flux tendu , pour suppr imer des emplois, à tout moment , sans aucune procé dure (et sans conflit social), pour mieux soumettr e les salariés aux exigences patr onales.

La législation existante devrait permettr e de lutter contr e le recours mass if à l'emploi précaire. De fait, à la suite d'inter ventions de tra vailleurs , l'ins pection du tra vail et les tribunau x requalifient chaque année des milliers de contrats intér imaires en CDI ; la Cour de Cassat ion a élaboré une jurisprudence très favora ble aux précaires. Des résu ltats spectacu laires ont été obtenus comme chez Peugeot ou à la Poste .

Malgré cela, le nom bre d’intér imaires a doublé en quelques années . Le patr onat acce pte de perdre de temps en temps , sachant qu’au tota l il y gagne : les luttes collect ives de solidarité sont rares car l’effet le plus pervers de ce phénomène est d'opposer les tra vailleurs entr e eux, avec la perception que des emplois peuvent êtr e suppr imés, sans licenc iement des titulaires ; d’autr e par t, les actions individuelles sont délicates , les précaires espérant toujours êtr e embauchés s’ils se font discrets .

Le Par ti Socialiste avait proposé, pendant qu’il était au pouvoir (sans qu'aucune suite ne soit cependant donnée) , une taxation supp lémenta ire de l'emploi précaire. Elle sera it inopérante ; en effet, bien que le coût soit déjà plus élevé, avec l’indemnité de précar ité et sur tout avec le prélèvement opéré par « l’entr eprise » de tra vail tempora ire, cela n’empêche pas l’intér im d’exploser car l’employeur y gagne encor e énormément .

Pour contr er le recours abusif à l’emploi précaire, la fixation d’un plafond maximum pour le motif de surcroît d’activité (5%) apparaît comme une solution efficace . Ce plafond s’ajoutera it aux con ditions actue lles afin qu’il ne soit pas cons idéré comme un droit de tirage. Il con duirait à la titularisation imméd iate des trois-quar ts des précaires. Une telle mesur e facilitera it l’act ion des précaires et le contrô le par l’ins pect ion du tra vail et les tr ibunau x, parce que l’examen subjectif de la notion de surcroît d’activité sera it com plété par un critère objectif imparab le. Les tribunau x se verra ient confier un pouvoir de titularisation sous astr einte.

Un statut de transition pour la conversion de emplois précaires en emplois stables

Au-delà des limitat ions, il est proposé de créer un statut particulier et trans itoire pour les salariés concernés , qui offre une sécur ité d’emploi, de format ion et de ressour ces pendant une période dest inée à passer de la précar ité à l'emploi stab ilisé, ce qui changerait rad icalement les con ditions d’existence de ces tra vailleurs , par la suppr ess ion de l’angoisse du chômage.

Une structur e nouvelle est proposée , un éta blissement public décentra lisé, com posé de représentants des salariés en nom bre dominant parce que la lutte pour l’emploi est d’abor d l’affaire des intér essés eux-mêmes des employeurs , du ser vice public de l’emploi et d’élus.

Il sera it doté d’un fond mutua lisé, financé pour l’essent iel par les employeurs qui utilisent l'emploi précaire et par un redéploiement par tiel des fonds publics.

L’éta blissement assur era it un suivi permanent des tra vailleurs concernés , dans le ca dre de con vent ions annue lles ou pluriannue lles, pendant tout le temps le tra vailleur s’inscr it volonta irement dans ce statut , le but étant d’éviter le chômage.

L’éta blissement aura it plus précisément pour rôles :

  • De déléguer les tra vailleurs dans les entr eprises, d’encaisser les factur es de payer les salaires (comme le fait actue llement une entr eprise de tra vail tempora ire)

  • D’organiser des actions de format ions ou d’agréer des activités sociales utiles pendant les interm issions qui peuvent êtr e des moments sub is ou des moments choisis. Pendant ces périodes, la rémunérat ion est garant ie à 100% du revenu antér ieur.

Le statut de trans ition sera it ouvert à tous les salariés qui le choisiraient librement.

La convention conc lue avec le tra vailleur prévoirait les emplois qu’il s’engagerait à acce pter dans un cadre définissant les qualificat ions, les zones géograph iques et les salaires minima. La convention prévoirait auss i les formations choisies pour un meilleur emploi et les activités socialement utiles souha itées par le tra vailleur.

Les activités socialement utiles concernera ient des activités dans les collectivités terr itor iales ou des organisations sans but lucrat if. Cela se subst ituera it donc progressivement aux CES, CEC et Emplois jeunes en facilitant la profess ionna lisat ion des intér essés .

Le système ne sera it pas obligato ire, coe xistera ient, pour les entr eprises et les salariés qui le veulent, les règles actue lles d’indemnisation Assed ic et les entr eprises de tra vail tempora ire.

Ainsi ce système res ponsa bilisera it tous les acteurs : chefs d'entr eprises, syndicats , ser vice public de l'emploi et les tra vailleurs concernés .

La structur e proposée , expérimentée avec les tra vailleurs les plus précaires, pourra it avoir vocat ion à concerner à l'avenir tous les tra vailleurs , à devenir l'inst itut ion d'intervention pilote pour appliquer la politique de l'emploi et de la format ion, en se subst ituant aux multiples structur es d'inter vention actue lles, dans une société la sécur ité de l'emploi et de la format ion dépassera it l'actue l marché du travail.

Des nouveaux pouvoirs d’intervention pour les salariés et les comités d’entreprise

L’inter vention des tra vailleurs est la meilleur e garant ie pour l’effect ivité des droits sur cette quest ion comme sur les autr es.

On ne peut négliger l’impor tance des attr ibutions actue lles des comités d’entr eprise, mais l’expérience accumu lée montr e les limites du seul pouvoir consu ltat if. En fin de com pte, c’est toujours le chef d’entr eprise, représentant des actionna ires, qui tranche avec comme critèr e unique le profit le plus élevé et le plus rapide.

Il faut maintenant en venir à des pouvoirs réels dans la gest ion des entr eprises ar ticulant pouvoirs de propositions , débats, possibilités de suspens ion et d’opposition aux actionna ires, référendum des salariés, sous arbitrage public. Avec comme critèr es le développement et la sécurisation de l’emploi et de la format ion, la satisfaction des besoins des membr es de l’entr eprise et de la société.

Ce sont ces pouvoirs que nous suggérons pour le recours aux emplois tempora ires.

 

Annexe

ASSISTANCE PUBLIQUE DES HÔPITAUX DE PARIS

L’accord précurseur sur la résorption de la précarité

 

Il est possible de faire reculer la précarité comme l'accord intervenu le 27 avril 2000 à l'Assistance publique des hôpi- taux de Paris le montre. Cet accord cadre visait la résorption des emplois précaires. Il a été signé avec la CGT, la CFDT, la CFTC, SUD-CRC et le SNCH.

Au terme de cet accord, l'AP s'engage dans un délai de deux ans, à recruter en emplois statutaires la majorité des CDD employés sur des postes permanents ou totalisant une ancienneté d'au moins six mois à la date du 30 avril 2000, soit au total 2278 personnes (sur 3548 CDD). Elle s'engage également à limiter, pour l'avenir, le recours à l'emploi précaire.

 

Modalités d'intégration des personnels précaires

Quatre catégories d'agents sont concernés par cet accord :

  • Pour les « CDD sur emplois permanents » des mesures per- mettront leurs recrutements en qualité de stagiaire, seront prises... Essentiellement avec « une mise en stage des per- sonnes relevant des grades permettant le concours sur titre », avec une période de deux ans pour une mise en place des formation, la préparation des concours et l'organisation de ceux-ci.

  • Pour ceux employés sur une base mensuelle en remplace- ment d'un agent et ayant une ancienneté supérieure à six mois, l'AP-HP s'engage à mettre en œuvre « la transforma- tion des crédits assurant la rémunération des agents concer- nés en emplois permanents ». Ils seront intégrés dans des équipes de suppléance par hôpital afin de limiter à l'avenir « l'obligation de recours à des remplacements pour faire face aux problèmes d'absence au travail ». Ceux qui ne totali- saient pas six mois d'ancienneté ont fait l'objet d'un examen au cas par cas.

  • Pour les titulaires de CDI qui répondent aux conditions d'ac- cès à la Fonction publique, ils se verront proposer leur inté- gration dans les emplois permanents existants et correspon- dants en lueur qualification.

  • Enfin l’AP-HP s'engage à mettre en place à l'intention des contrats emploi solidarité : « des formations d'adaptation à l'emploi, de remise à niveau ou encore de préparation aux concours améliorant ainsi leurs conditions d'insertion ».

 

Un suivi de l’application avec les organisations syndicales

L'accord envisageait aussi des mesures prospectives et de suivi pour éviter « la reconstitution d'une situation d'emplois précaires que ne justifierait pas la bonne marche du service public ».

Une commission centrale paritaire de suivi a été mise en place pour l'application de cet accord avec un point semestriel réalisé sur l'état d'évolution des effectifs des personnels en situation d'emplois précaires .

Un bilan de cet mise en œuvre serait utile ainsi que les ensei- gnements tirés de cette expérience novatrice.

 

 

 

 

 

 

Par Paul Daniel , le 30 novembre 2003

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