Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Les services publics : une dimension essentielle d’un modèle social européen

Il y a urgence à enraciner la construction de l’Europe dans les aspirations des peuples qui la composent. La réponse à leurs attentes en matière de services publics modernes et répondant efficac ement aux défis de société d’aujourd’hui est une des voies à suivre pour construire un véritable modè le social européen.

Sns élaborat ion dans ce sens , l’élargissement en cours se tradu ira par de nouvelles inégalités et tens ions qui mettr ont vite en péril le projet d’unité eur opéenne

lui-même. C’est auss i et seulement en portant un tel modè le que l’Europe peut jouer un rôle internat ional face à la toute puissance des Etats -Unis, avec l’ambition de chang er le cours de la mondialisation.

Dans les ser vices publics comme dans d’autr es domaines, cela suppose de profondes réor ientat ions, et notamment la rupture avec les conceptions libérales dévastatr ices qui ont prévalu jus qu’à aujour d’hui.

Partout, des besoins immenses de service public

Au-delà des spéc ificités léguées par l’Histoire, le besoin de services publics est commun à tous les peuples. Et ce besoin n’a jamais été auss i for t.TION DE SERVICE PUBLIC

D’abord parce que cette notion est au point de rencontr e d’as pirations fondamenta les :

L’égali té : avec l’o bject if d e donner à chacun le droit d’accès à un cer tain nom bre de biens et de prestat ions jugés essent iels, indépen damment du revenu .

La solidarité : avec l’am bition d’assur er la cohésion sociale et terr itoriale, notamment à travers les systèmes de péré quation tarifaire et l’obligation de fourn itur e du ser vice sur tout le terr itoire.

La maîtris e citoyenn e : avec l’idée que les secteurs d’activité relevant d e l’intérêt généra l doivent faire l’objet de politiques publiques.

Ensuite parce que, bien loin de démo der ces valeurs , les évolutions de notr e société l’app arition de profon des fractur es sociales et démocrat iques, le changement des modes de vie, les mutat ions techno logiques , les défis du codéveloppement et de la préser vation de l’environnement poussent au contra ire à élargir le champ de définition du ser vice public :

Par exemple, à étendre la notion de droit d’acc ès, au-delà des ser vices « trad itionne ls », à des domaines comme le logement ou le cré dit, ou aux nou veau x ser vices permis par les progrès techno logiques , notam ment dans le secteur de la commun icat ion.

Mais auss i à intégrer aux missi ons de service public de nouveaux objectifs : la lutte contr e les exclusions et la pauvreté, la contr ibution à un mode de développement soutenab le, la promot ion de l’em ploi qualifié, l’extens ion de la démocrat ie à tra vers des droits et des pouvoirs permettant aux peuples de s’appr oprier effect ivement le fonct ionnement des ser vices .

L’Europe libérale tourne le dos à ces exigences

Comment la logique libérale s’est appli quée aux services publics en Europe

La ph iloso phie qui est à la base des mesur es qui ont été prises depuis vingt ans dans le doma ine des ser vices publics, c’est le dogme de la concurrence et du “ tout marchandis e ” comme mode d’organisation unique des rappor ts économ iques entr e les hommes .

L’offens ive pour imposer cette conce ption libéra le est sens ible à tous les niveaux :

  • au plan mond ial, avec le projet d’AGCS dans le cadre de l’OMC ;
  • au plan eur opéen, avec les directives et règlements édictés par la Commission de Bruxelles ;
  • au plan national, avec les lois de transpos ition de ces directives et les privatisations.

Elle a un but : casser les monopoles publics et livrer ainsi de nouveaux secteurs d’activité aux appétits des grands groupes multinationaux qui, confrontés à la crise de rentabilité, cherchent de nouveaux moyens de mettr e en valeur le capital.

En Europe, la notion de ser vice public n’a jamais été reconnue . Dès le tra ité de Rome, les principes de « libre concurr ence » et de « liber té d’éta blissement » ont été placés aux fondements mêmes de la Communauté Européenne . C’est en leur nom qu’à par tir de l’Acte Unique en 1986, puis de manière accé lérée avec le tra ité de Maastricht en 1992, les ser vices publics ont été progress ivement livrés aux règles du marché.

Dans cette construct ion, la concurr ence est la norme . Les « Ser vices d’Intérêt Généra l » ne peuvent au mieux bénéficier que de dérogations. Mais celles-ci impliquent que l’Etat ou l’autor ité de tute lle concerné fasse la preuve auprès de la Cour de Just ice que la concurr ence fait obst acle à la mise en œuvre des missions d’intérêt généra l. Le « ser vice universe l » défini dans ce cadre n’est qu’un minimum social sans rappor t avec les exigences d’aujourd’hui (par exemple pour les télécommun icat ions : le bott in, les ca bines publiques, les commun icat ions de base indispensab les) .

Les effets de la libéralisation

Toutes les réformes de libéra lisation des ser vices publics ont été présentées comme répondant à l’intérêt des usagers. La concurr ence devait notamment entra îner la baisse des tar ifs et l’améliorat ion du ser vice. La réalité, en France et en Europe, témo igne au contra ire d’une évolution inverse :

Parce que la concurr ence por te toujours sur la par tie renta ble des activités et la fract ion solvable des consom mateurs , les choix d’invest issements et de tar ificat ion, uniquement guidés par les objectifs de renta bilité financ ière et de con quête de par ts de marché, ont entra îné une aggravation des inégalités dans l’accès aux ser vices . Dans les ser vices postau x ou les télécommun icat ions , les grandes entr eprises ont été ainsi systémat iquement favorisées au niveau des prix au détr iment des usagers domest iques et d es PME-PMI. L’a b an d on d e nom br euses d esser tes aér iennes régionales, la non-cou ver tur e de tout le terr itoire par les réseau x de téléph onie illustr ent de même les désé quilibres terr itor iaux induits.

La concurr ence a poussé auss i à rédu ire les coûts pour emporter les marchés, donc à une press ion sur les salaires, l’emploi, les garant ies collect ives, c’est-à-dire au dumping social. Cette déré glementat ion sociale a été nota ble dans les entr eprises privatisées , mais auss i dans les entr eprises publiques avec notamment le développement de la précarité (1/3 des effect ifs de la Poste) .

De même , cette logique a con duit à sacrifier les impératifs de sécurité, de préservation de l’environne ment, d’économie et de renouvellement des ressources naturelles. On l’a vu avec les accidents dans les transpor ts en Grande -Breta gne, ou encor e avec une libéra lisat ion de l’éner gie poussant à l’épuisement des ressour ces gazières (les moins chères, mais auss i les plus rar es) . L’actue l projet visant à mar chandiser le contrô le aér ien est également significatif.

Le résu ltat majeur de l’ouverture des marchés a été de subst ituer aux anciens monopo les publics des oligopoles privés. Cette évolution, par ticulièrement visible dans des secteurs comme le transpor t aérien ou les télécommun icat ions , s’est tradu ite par de véritables sinistres pour l’industrie et l’emploi (comme le montr e l’exemple d’Air Lib).

Il y a auss i eu un impact préjudiciable sur l’évolution des entreprises publiques. Tout en ne s’attaquant pas directement à leur statut public, mais en les mettant en concurr ence avec les opérateurs privés, les directives de Bruxelles les ont incitées à aligner leur gestion sur les mêmes critèr es, préparant ainsi leur privatisation. Comme cela a été le cas à France Télécom , l’entrée du capital privé dans les entr eprises publiques accentue encor e cette tendance en soumettant leur gest ion aux exigences de rémunérat ion des marchés financ iers , provoquant une fuite en avant dans une croissance financ ière génératr ice d’endettements cons idéra bles.

Enfin, les moyens d’intervention et de contrôle des citoyens sur les services ont reculé alors que progressa it la mainmise des groupes privés, les différentes instances de régulation se révélant impu issantes à contrô ler les prix et à prévenir les crises, comme le prouvent les exemples des télécommun icat ions , de l’audiovisuel ou de la gest ion de l’eau en France .

Partir des résistances pour construire une alternative

Mais face à cette offens ive libéra le, des mouvements pour le service public se développent à l’initiative de forces diverses , syndicales, assoc iatives, politiques.

Ces dernières années , ces mou vements ont dépass é la seule dimension nationale. Un rassemb lement a commencé à prendre forme en Europe et dans le monde , pensé et vécu non pas comme un subst itut aux luttes locales et sector ielles, mais en ar ticulation avec elles et comme con dition indispensab le de leur efficacité, depuis les premières

« euroman ifs » des électr iciens-gaziers , cheminots , postiers aux mob ilisat ions lors des sommets de Nice, Bruxelles, Barcelone, et aux récents Forums Sociaux.

Ces mou vements , qui ont perm is de freiner cer tains projets , mettent en évidence le besoin de ne pas en rester à la contestat ion et à la résistance aux mauvais cou ps et de constru ire une alternat ive.

L’Europe est aujourd’hui un terrain essentiel d’élaboration d’une telle alternative.

En effet, celle-ci ne peut pas êtr e le retour à un mode de fonct ionnement où les ser vices publics relèveraient exclusivement des prérogatives des Etats :

D’abord pour des raisons liées au développement des moyens de production : des secteurs comme la distr ibution d’éner gie, les télécommun ications, le transpor t ferr oviaire ou aérien nécess iter ont de plus en plus par leur natur e même la définition de règles au-delà du seul niveau national.

Ensuite parce que le besoin de développer les ser vices publics est universe l : les différences cons idéra bles qui existent aujour d’hui entr e les pays en termes d’accès des populations aux ser vices impliquent une coo pérat ion internat ionale et l’élaborat ion de normes communes suscept ibles de permettr e une harmon isation par le haut.

Quels objectifs, quelles propositions ?

Une construction fondée sur d’autres principes

Jeter les bases d’un véritab le ser vice public eur opéen implique d’autr es textes fondés sur un changement radical d’appr oche :

A l’inverse de l’impos ition d’un modè le unique basé sur la concurr ence , le ser vice public en Europe doit se conce voir dans le respect des spécificités des différents pays et en combinan t les points forts de chaqu e expérience nationale. Le modè le frança is a cer tainement à app or ter en ce qui concerne les moda lités de l’égalité d’accès à tra vers les systèmes de péré quation tar ifaire, l’intérêt d’entr eprises publiques en situat ion de monopo le, les statuts assurant pérennité et indépendance des personne ls. En revanc he, en matière de décentra lisat ion des pouvoirs aux collect ivités locales, d’autr es exemples sont à prendre en com pte, comme celui de l’Allema gne avec le rôle ass igné aux Länder.

Ceci implique auss i le res pect du principe de subsidiarité. A par tir de normes minimales de ser vice fixées au niveau de l’Union, chaque pays doit rester maître de ses choix internes d’organisation : monopo le ou multiplicité d’opérateurs , entr eprise publique ou concess ion privée de ser vice public.. L’app licat ion de ce principe just ifie la défense des entr eprises publiques en France et permet tra it la mise en place de droits de contrô le renforcés chez leurs concurr ents privés.

Enfin, cela suppose la réversibilité des décisions, principe démocrat ique aujour d’hui nié par l’Europe libéra le, tous les examens faits lors des Conse ils des Ministres de l’Union sur l’application des directives n’ayant jus qu’ici ser vi q u’à lancer d e nou velles éta pes de libéra lisation des marchés publics. D’où l’idée, déjà avancée par le PCF en 1999, d’un droit de pétitionnement citoyen qui, au-delà d’un cer tain seu il de signatur es, entra înera it obligation pour l’Etat ou le groupe d’Etats concernés de deman der la renégociation de textes eur opéens comme les directives et règlements .

En s’app uyant sur le conce pt de “ Ser vices d’Intérêt Généra l ” déjà a dm i s p ar l’Eur o p e , et en lui donnant une place et un contenu entièrement nouveaux, on peut agir pour des trans format ions selon trois axes essent iels :

  • La d é marchandisa t i on d es ser vices publics pour les soustra ire à la dictatur e de la concurr ence et des marchés financ iers ;
  • Leur d é m o cratisa t i on , p our donner la maîtrise effect ive des ser vices aux citoyens (usagers , salariés, élus) ;
  • La coopération entr e opérateurs des différents pays (quel que soit leur statut ), pour assur er une cont inuité de ser vice à l’échelle du cont inent , par tager les coûts d’invest issement , de format ion, de recherche, développ er l’em ploi.

Des objectifs politiques concrets

Une plac e nouvelle pour les SIG dans le futur traité européen :

L’adoption en 2004 par la Conférence Inter -Gouvernementa le d’un nou veau tra ité const itut ionne l de l’Union Européenne est un moment essent iel car elle déterm inera le cadre généra l pour l’évolution des SIG. C’est l’occas ion :

D’imposer l’instauration de droits d’acc ès aux biens et services publics (l’éner gie, les systèmes de trans por ts, les moyens de commun icat ion, l’eau, le logement , le cré dit, la santé , l’éducat ion, la cultur e,…) comme un objectif fondamenta l de l’Union (à inscr ire dans la Char te des Droits Fondamentau x en préambule du tra ité) ;

De poser l’exigence de la reconna issance dans le tra ité d’un secteur de services d’intérêt général situé de droit en dehors de la sphère marchand e et plac é sous maîtrise publique.

De concrét iser le droit à l’informat ion et à la par ticipation des citoyens à la définition et à l’évaluation des ser vices , à tra vers la création d’un Haut Conseil des Services d’Intérêt Général à l’échelle de l’Union, rassemb lant élus, syndicats , assoc iations d’usagers , repr ésentants des Etats , et chargé de réa liser une évaluation régulière et plurisector ielle des SIG.

Un moratoire sur la libéralisation des services :

En même temps qu’il faut se préoccu per du contenu du futur tra ité, il y a auss i besoin de rassemb ler pour stopper sans attendre la vague de libéralisation qui se poursu it : processus d’ouverture com plète par éta pes des marchés de la poste et de l’éner gie, projets concernant le contrô le aérien, le fret ferr oviaire, les transpor ts de voyageurs ,… D’où l’exigence d’un morato ire sur tous ces textes ,

com biné avec l’engagement d’un débat public à l’échelle de l’Union à partir d’un bilan contradictoire de la libéralisation. Ce bilan (deman dé par le Parlement Européen luimême) por tera it sur :

  • les résu ltats en matière d’accès des populations aux ser vices ,
  • les tarifications pour les différentes caté gories d’usagers (domest iques et entr eprises ),
  • la qualité des ser vices ,
  • les effets sur l’emploi,
  • les consé quences en matière d’aména gement du terr itoire,
  • les consé quences sur la gest ion d es ressour ces natur elles et l’environnement .

Renégocier les directives et règlements concernant les services publics :

Dans chaque secteur , il s’agit d’engager une refonte com plète des textes eur o péens et de leurs déclinaisons nat ionales en fonct ion d’une logique de ser vice public :

  • En élargissant le cham p des prestat ions access ibles à tous p our pr en dr e en com pte les beso ins de la soc iété contem p ora ine. Ceci passe par l’extension du “ service universel ”.
  • En adoptant des mesur es anti-dumping social. L’object if est d’étendre à l’ensemble des opérateurs les dispositions les plus avanc ée s du s e ct e ur. Cela signifie imposer aux opérateurs entrants de s’aligner sur les acquis en vigueur (grilles de salaires, retra ites et protect ion sociale, em ploi et format ion, garant ies collect ives et droits d’inter vention).
  • En conférant aux usagers , salariés, élus le pouvoir de définir les missions , d’organiser les ser vices , de contrô ler et d’évaluer leur bonne exécut ion, de décider des politiques tar ifaires, y com pris des éventue lles gratu ités à instaur er. Cela suppose la transformation du rôle et de la composition des “ autorités de régulation ” que les textes actue ls imposent avec comme seul but d’organiser la concurr ence , pour en faire un instrument d’une régulation citoyenne .
  • En changeant la gestion des infrastructur es de réseau x. Une des consé quences les plus négatives et les plus visibles de la guerr e économ ique est en effet le gâchis d’invest issements dans des équipements concurr ents , coûteu x, qui font doublon ou sont surdimens ionnés , au détriment d’un aména gement plus performant du terr itoire à coûts équivalents . Ce constat just ifie l’instau rat ion d’une véritable maîtrise publique des infrastructures de réseaux par la créat ion de monopo les publics nationau x et à terme eur opéens .

Le retrait de l’Europe de l’AGCS :

C’est l’Union Européenne en tant que telle qui par ticipe aujour d’hui aux négociations sur l’AGCS visant à libéraliser de façon irré vers ible tous les secteurs de ser vice à l’échelle mond iale, et cela dans le plus grand secr et. L’ensemb le des ser vices publics est concerné , y com pris l’éducat ion, la santé , la cultur e. Or, il s’agit au contra ire de cons idérer ces biens et ser vices comme n’étant pas des mar chandises et ne devant donc pas relever des règles d’organisation du commer ce.

C’est pour quoi, dans l’optique de la promot ion d’un modè le social et économ ique original, l’Union Européenne devrait se déclarer zone hors AGCS, à l’image du mou vement qui commence à se dess iner dans plusieurs grandes villes.

(Il faut noter que les eur odéputés frança is socialistes et de droite ont voté contr e une réso lution proposée au Parlement Européen par les groupes de la Gauc he Unie Européenne et des Verts réclamant un morato ire sur l’AGCS).

Un chang ement de la stratégie des entreprises publiques françaises :

Le secteur public peut êtr e un vecteur privil égié pour promouvoir un autre type de logique économiqu e. Mais cela suppose des modifications majeur es dans la straté gie des entr eprises publiques, et notamment dans leur développement internat ional qui doit êtr e fondé sur des objectifs de ser vice public et l’engagement dans des rappor ts de coo pérat ion avec les autr es opérateurs , et non sur la croissance financ ière.

Ceci implique notamment le maintien de leur statut public et le refus des ouvertures de capital et des privatisations.