Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Industrie pharmaceutique innovation scientifique et Sécurité sociale

L’auteur s’inscrit dans une démarche à moyen terme visant à faire grandir une autre industrie pharmaceutique couplée à des normes d’accès universel et de maîtrise des dépenses de médicaments par la Sécurité sociale qui, jusqu’à aujourd’hui, doit payer la rente d’« innovation » exigée. Il s’agirait simultanément de construire d’autres partenariats de recherche avec le système public de recherche, qui aujourd’hui est pressuré pour appliquer les mêmes normes que celles des firmes pharmaceutiques. Il s’agirait de développer de nouvelles recherches, dans le secteur public et dans le secteur privé, répondant aux besoins de santé grâce à l’intervention et à la vigilance de la Sécurité sociale, des mutuelles, des associations de patients, des syndicats de salariés. De nouvelles ententes devraient être développées entre syndicats de la recherche publique et syndicats de l’industrie pharmaceutique privée pour soutenir des réels projets d’innovation et d’industrialisation.

 

La question de l’industrie pharmaceutique devrait être abordée par la question des prix des nouveaux médicaments, particulièrement contre les hépatites et le cancer, qui deviennent insupportables pour l’universalité de l’accès au traitement et pour la viabilité de notre système de sécurité sociale. Ce sujet devient une question politique d’actualité : en juin dernier des parlementaires du PS ont rencontré des représentants de la firme américaine Gilead qui commercialise le Sofosbuvir pour traiter l’hépatite C pour un prix de 45 000 à 60 000 euros pour le traitement d’un patient pendant 12 semaines. L’hépatite C coûte 3 000 morts par an en France. Il s’agissait de demander à Gilead une réduction de son prix. Le Parlement européen vient d’évoquer ce sujet qui agite aussi le ministère de la Santé en France. EELV sont également engagés sur ce sujet. La Haute autorité de santé s’inquiète de perspectives de rationnement et de triage : « Le Collège redoute l’impact budgétaire majeur de ces produits et les risques de renoncement à la prise en charge par la solidarité nationale d’autres traitements que cela induirait. » Plus largement, il s’agit aussi des inquiétudes des cancérologues vis-à-vis de l’inflation des prix des nouveaux anticancéreux qui peuvent atteindre 100 000 euros par patient et par an. L’année dernière, le rapport concernant le plan Cancer s’est ému de la question des prix et a recommandé :

a. une négociation des prix avec les firmes qui tienne compte des dépenses de R&D publiques engagées dans le développement de ces médicaments – les fonds publics sont toujours largement présents dans ces processus d’innovation à travers les travaux des organismes de recherche publique, le crédit d’impôt recherche, etc. ;

b. une réflexion sur la durée de vie des brevets.

Ces prix astronomiques renvoient à plusieurs faits :

1. un modèle économique fondé sur la propriété exclusive des inventions pharmaceutiques qui permet de récupérer une rente d’innovation à partir d’une situation de monopole juridique et industriel ;

2. les normes de rentabilité économique et financière très élevées des firmes pharmaceutiques qui poussent justement à renforcer les normes de propriété intellectuelle, en les étendant à l’échelle de la planète, y compris dans les PVD et dans les pays les moins développés ;

3. une situation de crise de l’innovation, complexe, qui fait que la productivité de la R&D a tendu à stagner sinon à décroître globalement dans le secteur pharmaceutique.

Ce modèle financiarisé et ultra propriétaire a provoqué des limitations pour l’accès au médicament dans les pays du Sud (d’où les réactions de certains États comme le Brésil et les associations de malades dans le monde entier pour expérimenter d’autres solutions faisant appel massivement aux médicaments dits génériques). Il engendre aujourd’hui de fortes tensions dans les pays du Nord dès lors qu’il déstabilise des systèmes de sécurité sociale eux-mêmes fragilisés par les politiques d’austérité.

Ces tensions particulièrement fortes pour les hépatites, le cancer, également les nouveaux traitements du sida, peuvent être l’occasion de définir et de construire un autre modèle d’industrie pharmaceutique en réduisant les exigences de rentabilité, immédiatement, et en couplant recherche publique, industrie pharmaceutique, Sécurité sociale et usagers du médicament.

Dans l’immédiat, on pourrait procéder à des mises sous licence obligatoire de ces médicaments en vue d’en produire des versions génériques sur place, en mobilisant les scientifiques du secteur public et du secteur privé pour en dupliquer les technologies. C’est ce qu’a fait le Brésil avec succès dans les années 2000, ce qui a généré des économies pour son système de santé. Nous en avons les instruments juridiques (il existe une disposition de mise sous licence obligatoire dans la loi des brevets en France dès lors que le prix, la quantité ou la qualité des médicaments ne permettent pas d’en assurer l’accessibilité). Il existe également les instruments scientifiques (les chercheurs du public et du privé peuvent développer les technologies de ces molécules en quelques mois). Il existe enfin les outils réglementaires (pour enregistrer ces médicaments comme des « génériques ») ; et la capacité industrielle (produire sur place des génériques pour l’accès universel et la sécurité sociale).

à moyen terme, il s’agirait de faire grandir une autre industrie pharmaceutique couplée à des normes d’accès universel et de maîtrise des dépenses de médicaments par la Sécurité sociale qui, jusqu’à aujourd’hui, paye sans sourciller la rente d’innovation exigée. Il s’agirait simultanément de construire d’autres partenariats de recherche avec le système public de recherche, qui aujourd’hui applique les mêmes normes que celles des firmes pharmaceutiques, sans sourciller non plus. Il s’agit aussi de développer de nouvelles recherches, dans le secteur public et dans le secteur privé répondant aux besoins de santé, grâce à l’intervention et à la vigilance des assurances sociales et des mutuelles, des associations de patients. De nouvelles ententes devraient être développées entre syndicats de la recherche publique et syndicats de l’industrie pharmaceutique privée pour soutenir des projets d’innovation et d’industrialisation.

Un enjeu stratégique :

1. pour dépasser la séparation entre Sécurité sociale et industrie pharmaceutique ;

2. pour relancer l’industrie pharmaceutique et l’innovation sur la base des besoins sociaux – à la fois pour des prix plus accessibles pour les médicaments innovants et aussi pour orienter les recherches vers les besoins thérapeutiques pour le Nord et le Sud, au lieu d’une gestion sélective par projets orientés vers les marchés les plus solvables ;

3. pour développer des projets avec des associations de malades, des ONG comme MSF, très active dans ce domaine ;

4. pour coopérer avec la recherche publique qui elle-même est trop alignée sur les stratégies propriétaires de l’industrie pharmaceutique dès lors qu’on lui impose de récolter rapidement des fonds à partir de la valorisation de ses travaux. Les organismes de recherche publique devraient aussi travailler sur des critères sociaux d’accès universel aux traitements et gérer leurs éventuels brevets avec cet objectif ;

5. mettre en cause les normes et les stratégies financières des firmes qui minent de l’intérieur les recherches et l’emploi scientifique et industriel, et réduisent le champ de l’innovation à des marchés solvables très étroits qui ne recouvrent pas les besoins des patients et de la santé publique. 

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