Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Vers une aggravation de la crise systémique

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Deux enjeux fondamentaux pour la politique économique et pour les luttes se précisent dans la nouvelle phase d’exaspération de la crise systémique qui s’esquisse.

D’un côté, la demande globale mondiale devient très insuffisante, en Europe particulièrement où rode le spectre de la déflation avec les risques de retombée dans ce qui serait une troisième récession depuis 2009. Derrière ces difficultés, on retrouve un antagonisme fondamental qui s’approfondit : avec les nouvelles technologies, très économes en travail, les nouveaux investissements détruisent beaucoup plus d’emplois qu’ils ne permettent d’en créer, faisant s’enfler le chômage, si, concomitamment, la demande susceptible d’absorber le surcroît de production qu’ils engendrent ne progresse pas. Cet antagonisme est poussé à son paroxysme en zone euro du fait des politiques d’austérité. D’où l’absolue nécessité d’une relance massive de la demande accompagnant les progrès de la productivité avec de nouveaux investissements, et une relance massive des services publics pour la consolider. Autrement l’insuffisance de demande ne va cesser d’accentuer la concurrence déchaînée avec, y compris désormais, le recours à la « guerre des changes ».

De l’autre, les masses considérables de monnaie créée par les banques centrales depuis 2008-2009 servent surtout à amplifier la croissance financière des capitaux. Là où la monnaie créée a permis une reprise des investissements (comme aux États-Unis), ceux-ci jouent contre l’emploi et les salaires, empêchant une sensible reprise de la demande, d’où de nouveaux progrès de la suraccumulation de capitaux matériels et financiers annonçant un futur éclatement. Par contre, en Europe, où l’interdit fait à la BCE de monétiser la dette publique s’accompagne d’une fuite en avant dans l’austérité budgétaire, le crédit des banques demeure rationné, empêchant une reprise nette et durable de l’activité réelle, tandis que les endettements publics et privés demeurent très importants, les États d’Europe du Sud demeurant très exposés à la pression des spéculateurs. La frêle reprise est d’autant plus entravée que les politiques patronales accroissent les profits disponibles par la baisse du « coût du travail », alimentant les placements financiers, les délocalisations et la spéculation. Les risques de krach grandissent à nouveau de partout. D’où le défi, pour des politiques expansionnistes rompant définitivement avec l’austérité, de construire un relais socialement efficace, par les banques et le crédit, des impulsions monétaires initiées par les banques centrales.

Plan

La zone euro en manque de demande

La monnaie et le crédit au cœur du mal européen

Accentuation des antagonismes mondiaux

La zone euro en manque de demande

Le pari conjoncturel qu’avait privilégié François Hollande pour son quinquennat et sur lequel il n’a cessé de s’arc-bouter deux années durant, malgré des indices de plus en plus contradictoires, s’avère effectivement irréalisable. Lui-même est obligé d’en convenir.

Ce pari reposait sur l’hypothèse d’un tournant à mi-mandat qui aurait dû permettre aux Français, après deux années de « rigueur », de bénéficier d’une nouvelle redistribution, grâce au retour de la croissance.

Ce timing postulait que l’Allemagne arriverait à profiter suffisamment de la reprise mondiale pour pouvoir jouer le rôle de locomotive en Europe, la croissance de sa demande intérieure prenant le relais de l’envolée de ses exportations pour servir de débouchés supplémentaires aux exportations des pays d’Europe du Sud.

La France devait ainsi voir sa croissance arrachée à la stagnation grâce à une reprise d’autant plus vive de ses exportations, derrière la relance allemande, que la compétitivité de son appareil productif aurait fortement progressé avec les baisses de « coût du travail » et d’impôts sur les entreprises, le recul des droits sociaux.

Ce scénario postulait aussi que les importations de la France pourraient être contenues par la faiblesse de sa demande interne entretenue par la politique d’austérité et les politiques salariales patronales restrictives. Tout cela devait permettre un recul, dès 2015, des déficits et dettes publics et aussi du déficit extérieur.

Or, en Allemagne, la croissance a chuté au deuxième trimestre 2014 de 0, 2 %, alors que, pourtant, le PIB des États-Unis a crû, lui, de 4, 2 % en rythme annualisé, soit la plus forte croissance depuis le troisième trimestre 2013, c’est un événement majeur !

France-Allemagne : un couple dépressif

En Allemagne le brutal coup de frein de la croissance au deuxième trimestre (-0,2 %) n’était pas attendu et celle du premier trimestre a dû être révisée à la baisse (+0,7 % contre +0,8 %). Cette glissade est due, d’abord, au commerce extérieur dont la contribution à la croissance s’est révélée nettement négative (-0,2 %). Cette contre-performance résulte de l’insuffisance de la demande intérieure chez les principaux partenaires européens de l’Allemagne, écrasés par les politiques d’austérité ou soumis aux graves tensions géopolitiques et économiques résultant de la situation en Ukraine.

Cela tient aussi à un affaiblissement de la demande adressée à l’Allemagne par les pays émergents confrontés à un ralentissement sensible de la croissance, comme en Chine ou au Brésil.

Mais il y a aussi des causes internes à la contre-performance allemande. L’investissement a marqué un arrêt, avec le recul des achats d’équipements par les entreprises (-0,4 %) et un violent décrochage dans la construction. Seules ont résisté un peu la consommation des ménages (+0,1 %) entretenue par des augmentations sectorielles de salaire et l’essor d’emplois à bas coûts salariaux, ainsi que la demande publique (+0,1 %).

Autrement dit, l’investissement matériel, composante si fondamentale de la demande intérieure allemande, a chuté du fait, en particulier, de la faiblesse de la demande intérieure chez les principaux partenaires de l’Allemagne.

Les perspectives ne sont pas à l’amélioration. La production industrielle, outre-Rhin, a baissé de 4 % sur un mois en août, soit sa plus forte baisse depuis janvier 2009. Ce chiffre, livré par l’Office fédéral des statistiques (Destatis), est bien plus mauvais qu’attendu (-3 %). De plus, la hausse de la production industrielle de 1,9 % initialement enregistrée en juillet a dû être corrigée à la baisse (1,6 %). Ce dévissage tient aux commandes adressées à l’industrie qui ont reculé de 5,7 %.

Finalement, courant octobre, Berlin a revu en baisse ses prévisions de croissance pour 2014 et 2015 à 1,2 % puis 1,3 %, contre une estimation précédente de 1,8 % et de 2 %.

La France, de son côté, s’enferme dans une très dangereuse stagnation.

Au deuxième trimestre 2014, comme au précédent, la croissance du PIB en volume y a été nulle. Les dépenses de consommation des ménages ont connu un petit sursaut (+0,4 % après -0,5 %) du fait, principalement, du retour à la normale des dépenses d’énergie après un hiver particulièrement doux. Ce dynamisme très insuffisant de la consommation résulte, notamment, de la décélération de la masse salariale reçue par les ménages. Cela tient, en particulier, au freinage du salaire moyen par tête versé par les sociétés non financières (+0,3 % après +0,5 %). De même, les prestations sociales ont sensiblement ralenti (+0,3 % après +0,6 %). De son côté, l’investissement poursuit inexorablement son repli : -1,1 % après -0, 9 %.

Pour le troisième trimestre 2014, la Banque de France anticipe à nouveau une performance médiocre, avec une croissance du PIB qui ne devrait pas être supérieure à 0,2 %. Et, tandis que le pays compte désormais plus de 5 millions de chômeurs (A, B, C) (1), la dette publique y est passée au-dessus des 2 000 milliards d’euros (93,6 % du PIB).

Simultanément, nos échanges extérieurs demeurent ancrés dans le rouge : en août dernier, le déficit (FAB-FAB) atteignait 5,783 milliards d’euros (échanges de matériels militaires compris) contre 5,553 milliards en juillet et 5,311 milliards en août 2013.

L’atonie de la croissance se répercute sur les finances publiques en freinant les recettes d’impôts et de cotisations sociales. Le gouvernement Valls II en a pris acte, après deux ans de déni par l’hôte de l’Élysée, révisant à la baisse ses prévisions de croissance (0,4 % en 2014 et 1 % en 2015) et d’inflation (0,6 % en 2014 et 0,9 % en 2015). Il a été aussi contraint de réviser à la hausse sa prévision de déficit budgétaire (-4,4 % du PIB en 2014 et -4,3 % en 2015), reportant à 2017 le retour à la cible de 3 % que F. Hollande s’était engagé à respecter pour 2015, après un premier report de deux ans déjà accordé par Bruxelles.

Pourtant, F. Hollande et M. Valls redoublent dans la politique d’austérité avec un projet de budget pour 2015 programmant une diminution des dépenses publiques sans précédent de 21 milliards d’euros (2), avec, au total, la suppression nette de 1 023 emplois publics.

Cette violente contraction des dépenses nécessaires aux services publics nationaux et locaux, ainsi qu’à la protection sociale, s’inscrit dans un plan d’économies « historique », selon M. Sapin, de 50 milliards d’euros d’ici à 2017. De quoi matraquer encore plus la demande intérieure et, donc, affaiblir la croissance réelle à venir.

Du coup, la prévision d’activité pour 2015 formulée par Bercy « paraît optimiste » au Haut conseil des finances publiques (HCFP) (3), en dépit de la révision de 1,7 % à 1 % effectuée par le ministère de l’économie, sans parler des prévisions retenues pour les années suivantes (+1,7 % en 2016, +1,9 % en 2017 et +2 % au-delà) qui, selon la même instance, reposent « sur des hypothèses trop favorables ». C’est un euphémisme, sachant, qui plus est, que le coût des opérations militaires à l’extérieur (OPEX) et celui du plan « Vigipirate » ne cessent de s’enfler au nom de la « guerre contre le terrorisme » dont l’Élysée et Matignon veulent faire un argument majeur d’union sacrée.

Dans son dernier « Point de conjoncture » (4), l’INSEE énonce en effet des prévisions pour l’année en cours qui confirment le bien-fondé des réserves du Haut conseil pour les deux années suivantes. Le chômage devrait continuer d’augmenter en France métropolitaine (9,9 % de la population active fin 2014), tandis que l’inflation sous-jacente (5) serait « quasi nulle ». La consommation des ménages ralentirait au second semestre et l’investissement privé « rejoindrait, fin 2014, son plus bas niveau depuis 1998 », tandis que l’investissement public « continuerait de reculer au second semestre » (-0,4 %). C’est, en quelque sorte, une démonstration par l’absurde de la capacité de la politique Hollande-Valls à enfoncer la France dans l’ornière en 2015-2016.

L’Europe du Sud aux portes de la déflation

Le traitement réservé aux pays d’Europe du Sud tend à les précipiter dans la dépression avec l’émergence de tendances déflationnistes dénoncées par le FMI lui-même.

La déflation est, en quelque sorte, une inflation négative, c’est-à-dire un mouvement à la baisse persistant du niveau moyen des prix des biens et services associé à un ralentissement ou une baisse de la demande et de l’ensemble de l’activité. C’est la pire des calamités économiques que puisse connaître un pays. Dans une telle situation, le jeu des anticipations des acteurs économiques les pousse à reporter sans cesse leurs achats dans le futur précipitant une spirale dépressive. En période de déflation, les entreprises, les ménages, l’État et les collectivités endettés sont obligés de rembourser plus qu’avant, tandis que l’abaissement des taux d’intérêt ne permet pas de relancer le crédit, car, variation des prix déduite, ils demeurent toujours plus élevés que le taux de croissance réel anticipé de l’activité.

Un calme relatif régnait sur les dettes souveraines des pays d’Europe du Sud, depuis que la BCE, en 2012, avait annoncé qu’elle était prête à intervenir indéfiniment pour casser la spéculation. Depuis, nombre d’observateurs, à l’Élysée notamment, ont cru que la reprise d’une timide croissance ou, selon le cas, une moindre récession permettaient d’affirmer que les politiques d’austérité budgétaire et salariale avaient porté leurs fruits dans ces pays crucifiés et que la sortie des difficultés était proche, surtout pour l’Espagne.

Cependant, le 16 octobre, les taux d’intérêts grecs à long terme se sont remis à flamber (6), entraînant dans leur sillage les taux portugais, espagnols et italiens. De quoi confirmer combien F. Hollande n’avait rien compris au film en déclarant, le 9 décembre 2013 : « La crise de la zone euro, je l’ai déjà dit, elle est derrière nous » !

L’Italie est retombée en récession (7). Alors que les analystes s’attendaient à une croissance nulle, Le PIB a reculé pour le deuxième trimestre consécutif : - 0,2 % après - 0,1 %. Toutes les institutions ont revu à la baisse leurs prévisions pour l’année en cours : -0,2 % pour l’ISTAT, -0,1 % pour le FMI et -0,4 % pour l’OCDE. Le gouvernement lui-même anticipe une chute de l’activité de -0,3 %, alors qu’il prévoyait, jusqu’ici, une croissance de +0,8 %. La production industrielle s’est contractée de 1 % en juillet en base mensuelle et de 1,2 % en glissement annuel à fin juillet. Au deuxième trimestre, la demande intérieure finale a été particulièrement faible, contribuant au recul du PIB italien à 0,1 point de pourcentage. Aujourd’hui, la consommation privée n’arrive toujours pas à tirer la croissance. Les ventes au détail ont diminué de 0,1 % en juin et en juillet en base mensuelle, la contraction étant de 1,5 % sur un an. L’extrême fragilité de la demande intérieure, au deuxième trimestre 2014, s’est avérée incapable de contrebalancer le freinage du commerce extérieur. Le niveau général des prix continue de baisser : -0,2 % en août, en base mensuelle et en base annuelle. Et ils auraient de nouveau diminué en septembre de 0,2 % en base annuelle. Le taux de chômage, après un pic à 12,6 % en juillet, est revenu à son niveau de juin (12,3 %) en août, mais chez les 15-20 ans, il a atteint le niveau sans précédent de 44,2 %. Avec un taux d’endettement privé de l’ordre de 120 % et une dette publique représentant 132,6 % du PIB, l’Italie est très vulnérable en cas de remontée des taux d’intérêt.

La Grèce est en route vers une septième année de malheurs. En 2013, elle a connu sa sixième année consécutive de récession, la croissance du PIB se contractant de -4,2 %. La troïka (FMI, BCE, CE) a poursuivi sa pression sur le gouvernement grec et obtenu une baisse considérable des coûts salariaux. Le gouvernement conservateur a, certes, réussi, sur le papier, à rétablir les comptes et afficher un excédent primaire, mais au prix de privatisations massives, de suppressions de milliers d’emplois publics et d’un rationnement criminel des Grecs en matière de santé, d’éducation, de transports collectifs, de logements sociaux… sans parler du recul considérable du potentiel de croissance. Les prix ont commencé à baisser, et la consommation continue de chuter. La dette ne cesse d’augmenter atteignant des niveaux historiques (plus de 176 % du PIB). Le pays continue de subir une montée dramatique du chômage qui touche plus du quart de la population active et plus de 60 % des jeunes de moins de 25 ans. À la crise socio-économique s’ajoute, en outre, une crise environnementale particulièrement pernicieuse. La foudre spéculative à laquelle vient d’être soumise la dette publique grecque confirme qu’elle n’est toujours pas en mesure de retourner sur les marchés financiers. Elle risque, au contraire, d’être contrainte de négocier un nouveau programme avec la troïka.

Deux pays d’Europe du Sud semblent échapper un peu, pour l’heure, à l’anémie ambiante, mais au prix de sacrifices et de mesures qui préparent de grandes difficultés, pour eux-mêmes comme pour leurs partenaires européens :

Le Portugal a enregistré un ressaut du PIB de 0,6 % au deuxième trimestre, après un recul de 0,5 % au premier. Il est dû essentiellement à un rebond des exportations de biens et services (+1,6 %). Du coup la demande extérieure a soutenu la croissance (+0,8 point), après une contribution négative au premier trimestre (-1,9 point). Cette évolution, sans doute temporaire, est liée à la compression des coûts salariaux, alors que le chômage (14 % de la population active) ne cesse de peser sur la demande interne. La dette publique continue, cependant, de représenter 126,7 % du PIB. On mesure alors le choc que peut engendrer la remontée des taux d’intérêt à long terme, d’autant plus que Lisbonne anticipe une maigre croissance de 1 % en 2014, et de 1,5 % seulement pour 2015.

L’Espagne a enregistré une progression du PIB de 0,6 % au deuxième trimestre. La demande domestique, à partir d’un niveau très bas, contribue positivement à la croissance depuis le début de l’année, après avoir reculé de 15 points depuis la deuxième récession de 2011. Le chômage, en juillet dernier, concernait encore 24,5 % de la population active. Ce petit réveil de la demande intérieure fait écho à l’amorce de quelques améliorations sur le marché du travail qui est, il est vrai, déserté par une main-d’œuvre juvénile nombreuse cherchant à s’embaucher ailleurs (en Allemagne notamment), sans parler des chômeurs découragés et sortis des statistiques. Il y a, certes, une certaine reprise de l’investissement tirée par la demande extérieure, après une très forte baisse depuis 2008. En réalité les exportations ont été le seul facteur de soutien à la croissance depuis le début de la crise, enregistrant, sous l’impulsion des abaissements massifs du coût du travail, des performances rarement vues par le passé. Pour une large part, elles ont été acquises au détriment de la France et de l’Italie. Mais, compte tenu de la dépendance de l’Espagne aux importations, ce redémarrage de l’activité risque d’inverser la contribution du commerce extérieur à la croissance, avec l’accélération des importations. Et la dette publique n’en finit pas d’enfler : Alors qu’elle était de 40,2 % au moment de l’explosion de la « bulle immobilière » en 2008 et avait encore fini 2011 à un niveau relativement bas en Union européenne (68,5 % du PIB), elle a explosé depuis et frôlera 100 % fin 2014. Enfin, alors que le taux d’endettement du secteur privé non financier demeure proche de 170 %, le taux de créances douteuses des banques espagnoles, indice de leur fragilité, a augmenté en août dernier à 13,25 %, selon la Banque d’Espagne. C’est dire, là aussi, combien le pays est vulnérable en cas de remontée des taux d’intérêt.

La zone euro en danger (8)

Corrigé des variations saisonnières, le PIB de la zone a connu une croissance nulle au deuxième trimestre, après +0,2 % au premier. Sur un an, du deuxième trimestre 2013 au deuxième trimestre 2014, le PIB n’y a progressé que de 0,7 %, après +1 % au trimestre précédent.

La consommation finale des ménages n’a crû que de 0,3 %. La formation brute de capital fixe (investissement) a reculé de 0,3 %, après avoir crû de 0,1 % au premier trimestre. Seules les exportations ont accéléré en zone euro : +0,5 % après +0, 1 % au premier trimestre, tandis que les importations ont freiné nettement (+0,3 % après +0,8 %).

Si l’on prolonge jusqu’au deuxième trimestre 2014 la ligne représentant la tendance calculée du PIB de 2000, l’écart entre le PIB actuel et cette tendance est de 12 % (9).

La comparaison avec les États-Unis est édifiante : la chute de production en termes réels a été aussi violente des deux côtés de l’Atlantique durant la récession de 2009 : -5,2 % pour la zone euro et -5,0 % pour les États-Unis. Mais la poursuite de la reprise outre-Atlantique a permis d’annuler cette perte de croissance et, fin 2013, la production par tête en termes réels dépassait de 2,9 % celle de fin 2007. C’est, certes, bien inférieur aux performances connues des États-Unis lors des cycles conjoncturels précédents, mais ces quelque 3 % de croissance sur six ans excèdent largement les -2,2 % de la zone euro qui a connu, elle, un « double dip » (récession à double creux).

Des travaux récents du CEPII (10) montrent comment ces divergences de séries de production et d’investissement entre la zone euro et les États-Unis sont étroitement associées aussi à une divergence des conditions de financement externe des entreprises entre les deux ensembles.

En effet, six ans après la crise de 2008, les entreprises américaines ont accès à un volume de crédits plus important, pour un coût proche de celui qui prévalait avant la récession de 2009. Les entreprises de la zone euro, elles, font face à un coût du crédit relativement toujours plus élevé pour un volume de crédits quasi identique. Cela renvoie, avant tout, aux différences entre la politique monétaire américaine et celle conduite par la BCE. Mais cela fait aussi écho à la façon dont les banques relaient, sur le terrain, par le crédit et sa sélectivité, la création de monnaie banque centrale, sachant que la zone euro, où le recours aux crédits bancaires est dominant, se distingue des États-Unis où c’est le recours au marché financier qui prédomine.

La situation en zone euro est d’autant plus préoccupante que, désormais, s’y développent des tendances déflationnistes. Le taux de chômage, en août, est demeuré vrillé à 11,5 %, comme en juin et juillet. Sur un an il enregistre un modeste recul de 0,2 point de base, en partie explicable par le découragement de nombre de chômeurs de trouver un emploi, sans parler des radiations des listes et du traitement « statistique » du chômage cher à tous les gouvernements en place.

Dans ce contexte, le taux d’inflation diminue aussi. De l’ordre de +0,5 % par an, il est tombé à 0,4 % en juillet et août, puis à 0,3 % en septembre. Très en dessous de la norme des 2 % annuels qu’il est demandé à la BCE de faire respecter. L’inflation est désormais en territoire négatif en Italie (-0,2), en Espagne (-0,3) et en Belgique (-0,12). En France les prix de production ne cessent de diminuer (-0,3 % en août, après -0,2 % en juillet) et l’indice des prix à la consommation (IPC) a reculé de 0,4 % en septembre 2014, après une hausse de 0,4 % en août.

Ce rapide brossage de la situation conjoncturelle de la zone euro confirme que, désormais, le problème le plus brûlant pour les politiques économiques, dans la phase actuelle de la crise, tient dans la faiblesse extrême de la demande, y compris en Allemagne.

Cela apparaît, au niveau de l’investissement. Bien sûr, on sait qu’il y a des problèmes de profitabilité et de compétitivité qui pèsent. Mais l’insuffisance de la demande n’incite pas les entreprises à renouveler leurs investissements et, encore moins, à accroître leurs capacités.

On retrouve derrière ce phénomène l’insuffisance des revenus du travail et de remplacement, ainsi que la contraction de la demande publique avec l’austérité. À cela s’ajoutent les conséquences de l’intensification de la concurrence intra-européenne. Tous les pays de la zone dépendent plus ou moins de l’activité de chacun de leurs partenaires européens pour exporter, tandis qu’ils s’affrontent aussi pour vendre aux pays tiers.

Ces pressions déflationnistes s’alimentent désormais de manière radicale à la façon dont les potentiels de productivité des technologies informationnelles, utilisés pour la rentabilité financière, tendent à accroître le chômage et, en pesant ainsi sur la demande salariale, tendent à déprimer les débouchés des productions nationales. Cela amène donc à douter quelque peu de la capacité de tentatives de relance traditionnelles par l’investissement à sortir la zone des difficultés, puisqu’elles ne feraient qu’accroître la contribution de l’Europe à la suraccumulation mondiale de capital et à la violence de son éclatement ultérieur.

Face aux tendances dépressives, il est urgent de mettre en œuvre des politiques expansionnistes avec une stimulation de la demande. Cela appelle une augmentation des revenus du travail et de remplacement accompagnée d’efforts massifs de formation pour accroître, avec les qualifications, l’efficacité des productions. Cela nécessite que les investissements nouveaux soient conditionnés par des objectifs chiffrés de créations d’emplois et de mises en formation. Et surtout, de façon cruciale, il faut absolument initier une grande expansion des services publics, si décisifs de nos jours pour pouvoir absorber les productions supplémentaires associées aux gains de productivité considérables permis par les nouvelles technologies. n

 

 

(1) Fin août 2014, en France métropolitaine, 5 078 000 personnes inscrites à Pôle emploi étaient « tenues de faire des actes positifs de recherche d’emploi » (5 380 200 en France y compris Dom), dont 3 413 300 étaient sans emploi (catégorie A) et 1 664 700 exerçaient une activité réduite, courte (78 heures ou moins dans le mois, catégorie B) ou longue (plus de 78 heures dans le mois, catégorie C). Le total « A, B, C » baisse de 0,1 % (-5 800) au mois d’août. Mais il augmente de 6,0  % sur un an.

(2) 7,7 milliards d'euros pour l’État ; 3,7 pour les collectivités locales et 9,6 pour la protection sociale.

(3) Trois avis relatif aux projets de loi de finances et de financement de la protection sociale pour l’année 2015, 01/10/2014.

(4) « La reprise différée », octobre 2014, INSEE.

(5) C’est-à-dire hors les prix soumis à intervention de l’État comme l'électricité, le gaz ou le tabac et ceux des produits « à prix volatils » comme les produits pétroliers, produits frais, produits laitiers, viandes, fleurs et plantes…

(6) Le rendement à 10 ans des emprunts publics de la Grèce s'est envolé jusqu'à 9 %, c’est-à-dire deux points au-dessus du niveau atteint en 2010 quand le pays a été contraint d’en passer par un « plan d'aide financière ». Cette flambée spéculative est due au fait que le gouvernement d’Antonis Samaras voulait mettre fin plus tôt que prévu au programme d’aide du FMI et à la camisole de force qui l’accompagne au plan social.

(7) Trésor-Direction générale : « Regards sur l'économie italienne », publications des services économiques, 1er octobre 2014.

(8) Eurostat, INSEE, ainsi que BNP Paribas, direction des études économiques, « Eco Perspectives », 4e trimestre 2014.

(9) P. Waechter, « Quelle dynamique en France et en zone euro ? », Flash Marchés (Natixis AM), 18/08/2014.

(10) Brand T. et F. Tripier : « Divergence entre États-Unis et zone euro : le financement des entreprises en cause », La lettre du CEPII, n° 346, août 2014.

 

La monnaie et le crédit au cœur du mal européen

On a beaucoup focalisé l’attention en zone euro sur l’envolée des endettements publics et les pertes de compétitivité. On a pu mesurer combien cette focalisation a servi à justifier des politiques d’austérité budgétaire et de pressions à la baisse des coûts salariaux.

Ces politiques, en brisant la demande intérieure, ont conduit à un freinage tel des recettes d’impôts et de cotisations que, en pratique, les déficits et les dettes publics qu’ils alimentent n’arrivent plus à reculer par rapport aux richesses nouvelles.

Mais on a omis d’attirer l’attention sur l’endettement privé. Au sein de la zone euro (1) le taux d’endettement moyen du secteur privé et non financier (ménages et sociétés non financières) se situait, fin mars 2014, à 131 % du PIB, contre 131, 8 % en décembre. Et seul le ratio dette/PIB des sociétés non financières augmente, passant de 67, 6 % à 67, 7 % entre décembre 2013 et mars 2014.

En France le ratio de la dette privée continue, lui, d’augmenter pour l’ensemble du secteur privé passant de 118, 6 % à 119,5 %, alors qu’en Allemagne sur la même période, il est tombé de 99,6 % à 98,5 %.

En réalité, les pressions déflationnistes rendent de plus en plus difficiles le désendettement, malgré le maintien de bas taux d’intérêt. Défalcation faite des très bas taux d’inflation, les taux d’intérêt réels pour un très grand nombre de débiteurs demeurent plus élevés que les perspectives offertes par la croissance réelle, surtout en Europe du Sud. Cela conduit à un refoulement de la demande de crédit, tandis que s’alourdissent les stocks de dette avec la baisse des prix. Au final, cela pèse sur l’investissement, notamment celui des PME-PMI dont le capital tend à vieillir.

C’est vrai, en particulier, en France pour laquelle une étude récente de Natixis (2) déplore un décrochage de l’efficacité du stock de capital matériel (elle aurait reculé de près de 20 % entre 2002 et 2013). Les problèmes grandissants d’efficacité du capital et d’insuffisance de la demande amènent alors les dirigeants d’entreprises à délocaliser et à faire de la croissance financière des capitaux en s’endettant plus.

La BCE transgresse ses dogmes fondateurs

La BCE a sauvé, pour l’heure, l’euro de l’effondrement. Mais cette stabilisation n’a pas suffi pour en finir avec les difficultés. La politique conduite jusqu’à la fin du printemps a surtout servi à soutenir la profitabilité bancaire et la tenue du marché financier, accompagnant les politiques internes de désendettement, de contraction, de restrictions salariales contre l’emploi. D’où l’aggravation en profondeur de la situation, jusqu’à l’apparition des risques de déflation.

M. Draghi, président de la BCE, a fait part de son inquiétude aux banquiers centraux réunis en symposium à Jackson Holl début septembre. Il a souligné combien la faiblesse de la croissance créait plus de chômage en Europe qu’ailleurs. Il a affirmé qu’il devenait nécessaire de conduire une politique de soutien de la demande au niveau européen, de concert avec « des politiques structurelles au niveau national »… dont on sait, cependant, que, conduites selon les canons actuels, elles tendent à réduire les demandes nationales.

Il a remarqué que ce type de politique se concentrant sur la demande est « pertinent » car « le risque d’en “faire trop peu”, et de se retrouver avec un chômage de masse devenu structurel est nettement plus lourd que le risque “d’en faire trop”, et de se retrouver avec une baisse exagérée des salaires et une pression haussière sur les prix ». Il a plaidé pour que la politique monétaire ne soit pas la seule à bouger, demandant que « la politique fiscale [et non pas la politique budgétaire] joue un plus grand rôle » et que « la flexibilité prévue dans les règles européennes [soit] utilisée afin de stimuler la faible reprise et de dégager des fonds pour les coûts des réformes structurelles nécessaires ».

Au lendemain de ce discours ambivalent, mais dont on retient, tout de même, les éléments de critique face à la rigidité des dirigeants allemands, la BCE a pris d’importantes mesures nouvelles redoublant sur celles déjà prises en juin, alors que personne ne s’y attendait : une baisse sans précédent du taux directeur de 0,15 % à 0,05 %, en dessous de celui des États-Unis ; l’abaissement de -0,10 % à -0,20 % du taux rémunérant les dépôts effectués par les banques auprès de la BCE ; l’annonce que cette dernière va acquérir des titres adossés à des actifs (2) (ABS) et, donc, développer la titrisation qui a pourtant conduit à la « crise des subprimes » fin 2007 aux États-Unis ; l’annonce que la BCE va également acheter des obligations émises par les banques.

Ainsi les banques vont pouvoir se défaire de leurs créances de mauvaise qualité et lever de l’argent frais sur les marchés de valeurs mobilières. Et pour financer ses achats, la BCE va bien sûr faire tourner « la planche à billets ». Les montants annoncés sont élevés. Le bilan de la BCE, qui s’était contracté, jusqu’ici, devrait passer de 2 000 milliards d’euros actuellement à 2 700 milliards d’euros (+700 milliards d’euros).

En juin dernier, déjà, la BCE avait été contrainte de ramener son taux d’intérêt directeur à 0,15 % et à rendre négatif le taux des dépôts constitués auprès d’elle par les banques (-0,10 %). Elle avait aussi décidé de programmer huit tranches d’allocations de prêts à long terme (4 ans) aux banques à très bas taux d’intérêt (TLTRO ou opérations de refinancement ciblées à long terme). Pour les deux premières tranches (entre le 18 septembre et le 11 décembre) une enveloppe de 400 milliards d’euros est prévue. Six autres tranches (de mars 2015 à juin 2016) prévoient une enveloppe de 600 milliards d’euros qui, elle, serait conditionnée à une augmentation des encours de crédit aux entreprises, avec l’espoir affiché que redémarre le crédit qui n’arrive pas à repartir, introduisant ainsi, pour la première fois, un principe de sélectivité incitative du soutien de la BCE aux banques ordinaires. La BCE caresse en même temps un autre espoir : baisser le taux de change de l’euro, ce qui est sans précédent.

La première allocation de TLTRO a eu lieu le 18 septembre dernier. Sur 382 banques qui pouvaient y avoir accès, seules 255 sont venues contracter et, ce, pour un montant de 82,6 milliards d’euros, soit 20 % seulement des 400 milliards allouables. Cela témoigne d’un manque d’appétence évident du système bancaire qui va surtout utiliser cette création de monnaie pour finir de rembourser les précédents emprunts auprès de la BCE.

On nous annonce que les prochaines allocations devraient rencontrer plus de succès. Il n’est cependant pas acquis que les banques se précipitent sur des prêts conditionnés à l’augmentation de leurs encours de crédit. Toutes choses égales par ailleurs, ces mesures risquent d’améliorer encore la rentabilité financière des banques sans dégripper l’offre et la demande de crédit.

La BCE est donc contrainte de bouger beaucoup, sous la pression des nécessités de la crise, transgressant toujours plus ses dogmes fondateurs. C’est là aussi un point d’appui pour le développement des luttes et du débat d’idées, car cela confirme qu’on peut faire bouger la BCE beaucoup plus, sans attendre un autre traité ou postuler qu’il faut sortir de l’euro.

Mais, en intervenant comme elle compte le faire, la BCE va accentuer en fait les difficultés, au lieu de permettre de les surmonter et cela pour trois raisons au moins.

n Bien qu’esquissant une conditionnalité, les mesures prises sont dépourvues de toute sélectivité incitative précise pour l’emploi. Cela va, en pratique, favoriser les opérations des marchés financiers. En d’autres termes, le relais par les banques de cette création monétaire massive nouvelle de la BCE ne peut pas être, en l’état, socialement efficace.

n Cette création de monnaie centrale se fait dans un contexte de contraction du fait des politiques d’austérité budgétaire et salariale.

n Cela risque d’accentuer les contradictions intra-européennes :

‒ Ces décisions vont à contre-courant de toute la doctrine allemande traditionnelle, malgré l’appui renouvelé de la BCE au maintien de politiques budgétaires et structurelles restrictives.

‒ François Hollande s’est félicité de ces décisions, y voyant un appui à sa demande de reporter à 2017 le délai pour ramener le déficit public de la France à 3 % du PIB, ainsi qu’à sa requête d’une relance en Allemagne et à l’échelle de toute la zone euro.

‒ Manuel Valls est allé chercher la confiance de Mme Merkel et du grand patronat allemand sur ces options. Il s’est heurté à l’opposition polie de la Chancelière qui, avec d’autres dirigeants européens, renâcle face aux demandes de F. Hollande.

La France peut-elle, cependant, s’appuyer sur la perspective d’un plan de relance de 300 milliards d’euros pour l’investissement en Europe annoncé par J.-C. Junker, le futur président de la Commission européenne ?

Le flou du plan Junker (1)

Pour le moment ce projet, qui ne viserait qu’à relancer l’investissement sans aucune conditionnalité pour l’emploi, paraît très flou. Qu’en sait-on ?

Il ne serait pas financé par de nouvelles dettes publiques et le chiffre annoncé de 300 milliards regrouperait les sommes effectivement injectées par l’Union européenne mais aussi, et surtout, les investissements privés que seraient censés induire ses actions.

Trois cents milliards d’euros c’est mieux que les 120 milliards du dit « pacte de croissance », demandé par F. Hollande en contrepartie de son ralliement au « Traité Merkozy » (TSCG), et dont les résultats sont toujours fantomatiques. Mais ces 300 milliards d’euros, répartis sur trois ans, représentent en moyenne annuelle 0,78 % du PIB européen. Ce qui n’est pas beaucoup.

J.-C. Junker promet que ce plan ne s’accompagnera d’aucune dette publique nouvelle. Cependant, il propose d’augmenter le capital de la Banque européenne d’investissement (BEI). Or, la plupart des pays européens étant actuellement en déficit budgétaire, toute nouvelle contribution à cette procédure s’accompagnerait nécessairement de nouvelles dettes publiques. Et encore faudrait-il que cette augmentation de capital de la BEI soit acquise, ce qui n’est pas du tout évident car elle requiert un vote unanime du Conseil des gouverneurs (ministres des Finances des États membres de la zone).

Tout cela exige un changement de priorités au sein de la BEI. En effet, jusqu’ici la priorité des priorités était de préserver une « gestion saine » et le triple A sur les marchés financiers où elle emprunte ses ressources malgré la perte de qualité des signatures des pays d’Europe du Sud, y compris la France.

Enfin, dans ces conditions, la sélection des projets à financer sera drastique visant, avant tout, les flux de trésorerie, plutôt qu’une cohérence pour l’emploi et un nouveau type de croissance durable. Cela entraînera, à terme, plus de destructions d’emplois que de créations, tandis que les emplois ainsi créés seront le plus souvent précaires.

C’est dire l’importance de la proposition que la BCE finance par création monétaire la BEI, au lieu de l’emprunt sur les marchés financiers, et que celle-ci alloue les prêts à un coût d’autant plus faible (jusqu’à zéro, voire en dessous) que les investissements ainsi financés programmeraient plus d’emplois, de formations correctement rémunérés et de progrès environnementaux. Et la BCE devrait introduire ce type de sélectivité incitative favorable à l’emploi dans son refinancement des banques ordinaires.

Cette exigence se pose, en pratique, tout de suite en France où la Banque publique d’investissement (BPI) va garantir des titrisations de crédits aux PME et entreprises de taille intermédiaire. Il s’agit, ont déclaré ses dirigeants, de « rendre le crédit plus rentable pour les banques en soutenant des opérations déconsolidantes » (sic).

C’est dire la nécessité de lutter sans attendre pour changer radicalement les missions de la BPI et réorienter le crédit selon les modalités présentées plus haut pour la BCE et la BEI, avec la création de Fonds publics régionaux et d’un pôle financier public incluant la Caisse des dépôts, la BPI et la Banque postale notamment.

Le refus d’introduire, dès le financement des projets d’investissement, une sélectivité favorable à l’emploi et, donc, contradictoire avec l’appel au marché financier, ferait que toutes les tentatives de relance par l’investissement, y compris l’investissement en infrastructures publiques, accroîtraient la contribution de la zone euro à la suraccumulation mondiale de capitaux matériels et financiers et aux désastres économiques et sociaux engendrés par son éclatement. n

 

 

 

(1) Banque de France : « Taux d'endettement des agents non financiers, comparaisons internationales - 1er trimestre 2014 », Statinfo, 20 août 2014.

(2) P. Artus : « Pourquoi les entreprises des pays de l'OCDE investissent-elles moins ? », Flash Économie (Natixis), 30 juillet 2014, n° 609.

(3) Crédits aux entreprises, créances commerciales et, même, titres immobiliers.

(4) R. Godin : « Que peut-on attendre du plan Junker ? », La Tribune, 02/09/2014.

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Accentuation des antagonismes mondiaux

L’un des faits les plus importants de l’été aura été l’entrée assumée de la zone euro dans le champ de la manipulation du taux de change, question considérée comme taboue jusqu’ici. En quatre mois l’euro a perdu 10 % de sa valeur face au dollar et 5 % par rapport aux monnaies des principaux partenaires commerciaux de la zone.

C’est là, en effet, une grande nouveauté que cette transgression du dogme de « l’euro fort » qui, selon Fred Bergsten, du Peterson Institute, « aurait coûté entre 150 et 200 milliards de dollars par an de perte de compétitivité de son commerce extérieur » à la zone (1).

De fait, la politique expansionniste de la BCE entraîne une dépréciation de l’euro par rapport au dollar. Déjà, en août, M. Draghi, dans une conférence de presse, avait déclaré que « les fondamentaux plaidant pour un taux de change plus bas sont plus conformes aujourd’hui ».

L’euro dans la « guerre des changes »

Ce sont les États-Unis qui, en 2000, ont délibérément ouvert le front de la « guerre des changes », faisant passer le dollar de 0,85 à 1,0 € en 2008. Le Japon s’était empressé de suivre le mouvement, poussant le yen dans une glissade de même ampleur.

Dès l’été 2012 le yen s’appréciait. Les dirigeants nippons décidèrent alors de répéter la même opération, au nom de la lutte contre la déflation. Ils ont fait baisser le yen de 40 % par rapport à l’euro et de 50 % vis-à-vis du dollar au moyen d’une politique monétaire ultra expansionniste qui, cependant, n’a pas permis de desserrer l’étau qui maintient à bas niveau les salaires. Le nœud coulant se resserrait donc autour de la zone euro.

La dépréciation de l’euro était très attendue par les autorités françaises, à la différence des dirigeants allemands. Le grand capital allemand bénéficie de l’euro fort auquel les productions industrielles allemandes sont peu sensibles du fait de leur haut niveau de compétitivité-coût. Et le taux de change élevé de l’euro impose à l’Europe du Sud une contrainte permanente de restructuration dont l’Allemagne tire des excédents commerciaux colossaux. Berlin ne veut donc pas que la dépréciation de la monnaie unique permette à ces pays de lever le pied de leurs efforts d’ajustement structurel.

Certes, la baisse de l’euro va profiter aux entreprises qui exportent le plus vers la zone dollar, ce qui va gonfler leurs profits et faciliter leurs opérations financières. Mais l’effet sur la croissance réelle et l’emploi est plus qu’incertain, notamment pour la France qui réalise deux tiers de son commerce extérieur dans l’Union européenne. Et elle va susciter une hausse du coût des importations libellées en dollars, notamment pour les matières premières et l’énergie dont le recul actuel des prix ne profiterait donc pas aux Européens.

La baisse de l’euro va, certes, permettre d’importer de l’inflation, réduisant le divorce actuel de la BCE avec l’obligation qui lui est faite par les traités européens de maintenir le taux d’inflation de la zone juste au-dessous de 2 % l’an, tout en maintenant le carcan sur les salaires et les dépenses publiques. Mais, au total, il ne s’agit que d’un expédient qui pourrait s’avérer dangereux.

En effet, outre qu’elle ne va pas permettre à la zone euro de sortir du marasme, les États-Unis pourraient riposter car leur surproduction a besoin de débouchés supplémentaires à l’étranger.

En passant de presque 1,40 en mai à, environ, 1,25 à la mi-octobre la parité euro/dollar a connu un mouvement de grande ampleur correspondant à une appréciation du billet vert d’environ 10%. C’est la première fois depuis 1967 que celui-ci enregistre une aussi longue séquence (2). En trois mois à fin septembre, le « dollar index » qui rend compte des évolutions de la devise américaine face à dix autres devises majeures, a progressé de 7,3 %, du jamais vu depuis 2008. Le dollar se retrouve ainsi au plus haut depuis six ans face au yen et depuis deux ans face à l’euro. Et sa dépréciation vis-à-vis du yuan, elle-même, s’est interrompue et même inversée.

Cela commence à inquiéter nombre de dirigeants américains, dont le président de la Fed de New York et celui de la Fed d’Atlanta qui, début octobre, ont exprimé publiquement leurs craintes pour la tenue des exportations et de la croissance des États-Unis, car gare à la chute !

Ce nouvel épisode de « guerre des changes » encore larvée annonce pour l’avenir des affrontements bien plus violents car « la croissance mondiale reste médiocre » selon O. Blanchard, le chef-économiste du FMI. De fait, l’organisation internationale a été contrainte, en octobre (3), de réviser en baisse sa prévision de croissance mondiale pour 2014 à 3,3 % soit 0,4 point de moins qu’en avril.

D’où un défi pour la coordination internationale des politiques économiques qu’O. Blanchard caractérise ainsi : « D’une part, les pays doivent s’attaquer aux séquelles de la crise financière mondiale, allant du surendettement au chômage élevé. D’autre part, ils font face à un avenir trouble. Les taux de croissance potentielle sont révisés à la baisse, et cette détérioration des perspectives pèse sur la confiance, la demande et la croissance actuelles. » Dénonçant le risque pour l’économie mondiale de « la mollesse de la reprise dans la zone euro » et adjurant celle-ci d’« utiliser la politique budgétaire pour [la] soutenir », contre les préconisations allemandes, il note que « aussi longtemps que la demande demeure faible, il reste essentiel de mener une politique monétaire accommodante et de maintenir les taux d’intérêts à un bas niveau » (4).

On mesure la contradiction avec l’inquiétude émise par le même FMI à propos de la stabilité financière mondiale soulignant que « la persistance d’une politique monétaire accommodante peut également inciter à une prise de risques financiers excessive » (5) et, donc, précipiter un nouveau krach mondial. Autant d’antagonismes qui pourraient entraîner une vraie guerre entre devises, lorsque la reprise mondiale en cours s’épuisera.

États-Unis : besoin de débouchés extérieurs

Les marchés s’attendaient à la fin de l’été à un durcissement du ton de la Réserve fédérale (Fed). Or, lors de sa réunion des 16 et 17 septembre, celle-ci n’a rien bougé. Les taux d’intérêt directeurs sont restés inchangés et la Fed poursuit, comme convenu, la réduction de 10 milliards de dollars du rythme mensuel de ses achats d’actifs.

En octobre elle devait se porter acquéreuse de 15 milliards de dollars de titres. Ensuite elle devrait stabiliser son bilan : la fin de la troisième vague d’assouplissement quantitatif (QE3) serait décidée lors de sa prochaine réunion. Les déclarations émanant de l’organe dirigeant de la Fed confirment le maintien de très bas taux d’intérêt « pendant une période considérable » après la fin du QE3 et soulignent le « sous-emploi notable dans le pays ».

Les projections de croissance retenues par la Fed pour 2014 ont été, une fois de plus, abaissées à 2,1 % contre 2,2 % et 2,9 %, respectivement trois et six mois plus tôt. La révision est également à la baisse pour 2015 à 2,8 % contre 3,1 % en juin.

De fait, la reprise aux États-Unis, si elle s’est consolidée cet été, demeure entravée par quelques sérieux handicaps.

Au deuxième trimestre 2014, le taux de chômage est remonté à 6,2 % contre 6,1 % en juin, avec 9,7 millions de sans-emploi. C’est dû à une insuffisance de la création nette d’emplois et à une ampleur sans précédent du nombre de « chômeurs de l’ombre », selon l’expression de la présidente de la Fed, c’est-à-dire les chômeurs découragés de chercher un emploi.

La restructuration de l’emploi aux États-Unis depuis 2009 maintient, en effet, une pression permanente très forte sur les taux de salaire, via une « armée de réserve » de chômeurs nombreuse comme jamais. Certes, les États-Unis créent des emplois à un rythme sans équivalent en Europe, mais le salaire moyen des emplois nouvellement créés est inférieur de près de 23 % en moyenne à celui des emplois détruits. D’où une envolée sans précédent des profits.

Cependant, l’investissement en équipements, s’il a beaucoup augmenté, tend à ralentir (4,6 % en 2013 après 6,8 % en 2012 et +13,8 % en 2011). Et l’investissement en structures stagne. Il y a eu certes une accélération de l’investissement au deuxième trimestre (+8,4 % après +1,6 %) en rattrapage sur le premier trimestre paralysé par un hiver très froid. Mais elle s’est accompagnée en réalité de nombreuses réductions d’emplois et d’une contraction de masse salariale.

La demande intérieure demeure au total très insuffisamment dynamique et la croissance financière fait rage.

Ainsi au 31 mars 2014, le taux d’endettement du secteur privé non financier atteignait 157,5 % contre 155,8 % un an plus tôt (6). Dans ce total, pèse surtout, bien sûr, l’endettement des ménages, mais c’est l’endettement des sociétés qui croît le plus (+ 6 %).

Simultanément, l’indice Standard & Poor’s de la bourse de Wall Street a franchi, le 26 août, le seuil symbolique des 2 000 points, pour la première fois de son histoire. Et d’après les données Bloomberg, il représentait, début septembre, 18 fois les bénéfices déclarés des entreprises qu’il cote, soit pratiquement son plus haut niveau depuis 2010.

Clairement, les très bas taux d’intérêt ont certes permis une croissance de l’investissement réel. Mais celui-ci, avec les technologies informationnelles sous critères de rentabilité, s’est largement déployé contre l’emploi et les salaires, handicapant l’essor de la demande intérieure. Cela a encouragé les placements financiers, les OPA géantes, les spéculations de toute sorte, à un point tel que réapparaît le risque de krach.

Face à l’insuffisance persistante de la demande intérieure et au maintien de fortes capacités inemployées, l’inflation demeure faible. L’appareil de production s’est beaucoup modernisé et bénéficie, avec le gaz de schiste, d’économies importantes sur ses consommations intermédiaires. Il est donc de plus en plus tendu vers la conquête de nouvelles parts de marché à l’exportation, vers l’Europe notamment, ayant bénéficié jusqu’ici, en plus, d’un taux du dollar avantageux. Au deuxième trimestre 2014, les exportations ont crû de 10,1 % !

La politique monétaire des États-Unis se heurte donc à un dilemme. Il lui faudrait mettre fin à la période de très bas taux d’intérêt, mais elle peut d’autant moins le faire brutalement que cela ne ferait qu’accentuer l’appréciation du dollar et précipiterait une récession avec le risque d’un krach du dollar lui-même.

Quoi qu’il en soit des signaux envoyés par la Fed, les observateurs s’accordent pour retenir le mois de juin 2015 comme celui qui verrait la BCE commencer à relever ses taux. Il est clair que ce relèvement pourrait poser, en l’état, de sérieux problèmes pour la poursuite de la faible reprise européenne et pour la France et l’Europe du Sud, en particulier, où les stocks de dettes publiques et privées demeurent considérables.

Mais Draghi a assuré à Jackson Holl qu’il ferait tout pour empêcher qu’elle avorte, quitte, si nécessaire, à engager une phase de QE (quantitative easing : assouplissement quantitatif monétaire). On voit ainsi monter l’opposition entre la politique monétaire des États-Unis et celle de l’Europe.

C’est dans ce contexte que les États-Unis, appuyés par le FMI, pressent les pays européens, et surtout l’Allemagne, de faire de la relance à l’échelle de l’Union… tout en approfondissant leurs politiques structurelles et budgétaires nationales récessives, option qui rejoint les demandes formulées par F. Hollande. En même temps, Obama, tenant les rennes de l’OTAN, lance tous azimuts, au nom de la « guerre contre le terrorisme » notamment, un très dangereux activisme militaire et paramilitaire, partout dans le monde, pour consolider le leadership de plus en plus discuté des États-Unis. Cela, y compris, pour entretenir outre-Atlantique un climat d’union nationale alors que montent des protestations contre les ségrégations et exclusions sociales et ethniques qui expriment, profondément, le besoin de grands services publics. On sait combien F. Hollande a décidé de prêter main forte à cette entreprise vis-à-vis de laquelle l’Allemagne demeure plus prudente.

Commence ainsi à se jouer une nouvelle partie mondiale de bras de fer en perspective de la rechute de la conjoncture économique de la planète qui se prépare, vers 2016-2019, avec, au cœur, une grande crise du dollar dont Washington essaye déjà de maîtriser les contours.

Il faut donc être attentif à toutes les recherches qui s’esquissent de par le monde pour tenter de faire reculer le rôle étouffant de cette monnaie comme, par exemple, dans les échanges entre la Chine et la Russie, de même qu’en Amérique latine avec la Banque du Sud ou le « Sucre ». Et il faut relever que des puissances occidentales n’hésitent plus à opérer des emprunts en yuan, devise qui, en étant petit à petit reconnue comme monnaie de réserve, prépare son entrée future dans le panier constituant les droits de tirage spéciaux du FMI.

La question de la création d’une nouvelle monnaie commune mondiale de coopération, à partir des DTS du FMI, va devenir très centrale.

Pays émergents : freinage et nouveaux risques (7)

Selon l’OCDE, ces pays devraient conserver une expansion économique sensiblement plus rapide que celle des pays développés, bien que leur croissance ait tendance à freiner avec l’apparition de difficultés nouvelles internes et, du fait de l’insuffisance de la demande qui leur est adressée par les pays développés.

Le Brésil, après plusieurs trimestres difficiles, est officiellement entré en récession sur la première moitié de l’année (-0,2 % t/t et -0,6 % t/t au T1 2014 et T2 2014). L’investissement qui accuse le quatrième recul trimestriel consécutif, est le principal responsable (-2,8 % t/t et -5,3 % t/t). La consommation privée pâtit du faible niveau des créations d’emplois et de la décélération des salaires réels. Elle est d’autant plus à la peine (-0,2 % t/t et +0,2 % t/t) avec le durcissement monétaire. L’activité économique a cependant enregistré un léger rebond en août : l’indice IBC-Br qui permet de suivre l’évolution du PIB brésilien a progressé de 0,27 % sur juillet. Mais, malgré le redressement de la production industrielle (+0,7 %), l’emploi dans le secteur continue de chuter (-0,4 % en glissement annuel après -0,7 % en juillet). En glissement annuel (-3,6 %), c’est le 35e recul consécutif depuis trois ans et la chute la plus forte depuis novembre 2009 (-3,7 %). sur l’ensemble de l’année ; le réal s’est déprécié de 3,8 % par rapport au dollar et s’est apprécié de 3,7 % par rapport à l’euro. Selon l’OCDE la croissance du PIB ne serait que de 0,3 % en 2014 et à peine 1,4 % en 2015. On sait l’instabilité du paysage social dans ce pays en élections où, on s’en souvient, une mobilisation populaire considérable a eu lieu dans les grandes villes à propos des services publics.

La Russie. Après un ralentissement en 2013, la croissance du PIB réel s’est encore ralentie au S1 2014. Toutefois, malgré les tensions géopolitiques croissantes, l’économie n’est pas tombée en récession pour l’heure. D’après les estimations révisées de Rosstat, le PIB réel a connu une progression de 0,8 % en glissement annuel au S1 2014 (0,8 % en g.a. au T2 après 0,9 % en g.a. au T1), un rythme comparable à celui du S1 2013 (0,9 %). Les derniers indicateurs d’activité font apparaître une croissance très faible, les sanctions économiques des puissances occidentales ayant commencé à peser sur l’activité à partir du troisième trimestre 2014. D’après le ministère du Développement économique, après la stagnation enregistrée en juillet, l’économie russe a reculé de 0,4 % en août.

L’inflation des prix à la consommation (IPC) s’est fortement accélérée au premier semestre 2014 pour atteindre 7,8 % en glissement annuel en juin (contre 6,5 % en moyenne en 2013), ce qui est dû à la forte dépréciation du rouble.

Le pays fait face, en effet, à de très importantes sorties de capitaux plaçant le rouble sous pression et il est aux prises avec la grave crise géopolitique à propos de l’Ukraine qui accentue nettement le ralentissement de son économie. Les taux d’intérêts réels russes sont parmi les plus élevés dans le monde émergent. Le recul des ventes au détail, ces derniers mois, met en péril la consommation, alors qu’elle est le principal pilier de la croissance au cours du dernier trimestre. Sans doute le sentiment d’union nationale qui prédomine dans le pays face aux événements ukrainiens empêche-t-il, pour l’heure, l’expression de fortes angoisses sociales.

Les difficultés rencontrées par ces deux pays émergents auront un impact non négligeable en Amérique latine et en Europe, compte tenu de la place occupée par chacun.

La Chine (8) a souffert pendant l’été. La plupart des indicateurs signalant un net ralentissement. Fait significatif, la production d’électricité, le transport de marchandises et le crédit se sont tous contractés.

La hausse annuelle de la production industrielle est passée sous la barre des 7 %, atteignant son point le plus bas depuis 2009. L’investissement, qui a connu de gros excès passés, tend lui aussi à freiner sous l’effet d’une moindre progression du crédit, de l’existence d’importantes surcapacités et de mesures de restructuration dans l’industrie. La consommation demeure très insuffisante.

Le retournement du marché immobilier, très inflationniste dans les grandes villes, inquiète. L’immobilier résidentiel, qui a fait l’objet de vives spéculations depuis 2009, est le maillon faible. Les prix et les ventes continuent de baisser, ce qui pèse sur la construction et se répercute sur l’ensemble de l’économie. Le ralentissement du crédit, conjugué à la politique restrictive en matière d’achats et de prêts immobiliers déjà mise en place progressivement depuis 2010, a lourdement pesé sur la demande de logements et l’investissement immobilier (dont la croissance nominale est passée de 20 % en 2013 à 13 % en janvier-août 2014.

L’industrie fait face à d’importantes difficultés. La performance des exportations s’est améliorée pendant l’été (+12 % en g.a. en moyenne en juillet-août, contre 5 % au deuxième trimestre) mais la demande interne a marqué le pas, affaiblie par la crise du secteur immobilier et ses effets de contagion, ainsi que par le manque de dynamisme de la consommation privée. En outre, les capacités de production excédentaires persistent dans un certain nombre de secteurs (ciment, acier, verre plat…), contribuant à la chute des prix à la production (-1,2 % en g.a. en août) et comprimant les profits.

Selon la Cour des comptes chinoise, la dette publique s’établissait à 56,2 % du PIB à fin juin 2013. Si cette dette reste globalement soutenable, le rythme de croissance et la structure de l’endettement des gouvernements locaux inquiètent davantage. La dette des collectivités locales a connu un taux de croissance annualisé de près de 22 % depuis fin 2010. Dans un entretien accordé au magazine Caijing le 6 décembre, le gouverneur de la banque centrale chinoise, Zhou Xiaochuan, a mis en garde contre le surendettement des collectivités locales. Les collectivités locales recourent de plus en plus à des financements obligataires. Alors que fin 2010 les prêts bancaires représentaient 79 % de la dette locale, ce ratio est tombé à 57 % à fin juin 2013. De son côté, l’endettement des agents non financiers chinois a fortement augmenté depuis 2008, et peut être estimé à 219 % du PIB à fin juin 2013 (pour mémoire, il était de 259 % du PIB dans la zone euro à fin mars 2013). Le risque de cet endettement est pour l’essentiel porté par les banques chinoises, dont la situation reste apparemment solide, et la Chine est protégée par sa très faible dépendance aux capitaux extérieurs.

Dans ces conditions, malgré les craintes de l’inflation et face aux risques de krach, les autorités chinoises ont décidé l’injection par la banque centrale de liquidités nouvelles dans le système financier (63 milliards d’euros). Les cinq grandes banques publiques sont chargées de les employer prioritairement au financement des PME et de la construction de logements sociaux. Cela confirme combien la question de la sélectivité du crédit et, donc, de l’affectation sociale par le relais des banques de la monnaie créée par la banque centrale est une question universelle.

En effet, ces pays sont confrontés désormais à une insuffisance de la croissance globale solvable, mais aussi à d’immenses besoins populaires insatisfaits, se heurtant notamment à l’insuffisance extrême des services publics.

Les pays émergents vont tenter de s’en sortir par des politiques monétaires expansionnistes comme c’est le cas en Chine. Mais se pose le problème crucial d’une affectation socialement efficace de cette création monétaire qui peut, au contraire, servir à relancer la spéculation, notamment dans l’immobilier, et à accentuer la suraccumulation des capitaux matériels avec l’insuffisance de développement des capacités humaines.

De partout on voit donc grandir une double nécessité pour les politiques économiques et un double enjeu pour les luttes : relancer la demande et faire en sorte que le crédit bancaire serve de relais socialement efficace à la création monétaire des banques centrales.

 

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(1) Les Échos du 25 septembre 2014.

(2) Les Échos du 30 septembre 2014.

(3) FMI : « Perspectives de l’économie mondiale », octobre 2014.

(4) Ibid.

(5) FMI : « Rapport sur la stabilité financière dans le monde », octobre 2014.

(6) Banque de France, op. cit.

(7) BNP-Paribas : Eco-Perspectives, 4e trimestre 2014, et Trésor : Brèves économiques et financières n° 435, du 10 au 16 octobre 2014.

(8) BNP-Paribas, op. cit, Ibid.

 

 

 

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