Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Sarkozy et la Recherche : Ça va mal ? Savonnons la planche !

Stéphane Bonnery

 

C’est devenu une habitude . Quan d les lacunes des ser vices publics frança is tiennent en premier lieu des effets du libéra lisme , les ministres de droite nous font cr oire q ue d avanta ge d e lib éra lisme résoudra i t les problèmes . La recherche n’échapp e pas à cette logique franco -thatchér ienne . Sarkozy, dans son texte paru dans Le Monde (21/09/05), de l’extérieur de son ministèr e de l’intér ieur, saute à pieds joints dans ce poncif.

Les fausses évidences qu’il assène sont pour tant bonnes à étu dier pour penser les contra dictions de la recherche et de l’université qu’on ne peut évacuer si l’on ne veut pas, comme les ministres socialistes l’ont fait, se contenter de logiques de droite «allégées», par fata lisme ou par soum ission aux dogmes libérau x ou se contenter d’un statu quo sans moyens et sans politique por teuse de pers pectives d’avenir.

 

Après avoir critiqué tous azimuts l’état des lieux relevant des politiques précé dentes , quelles sont les «nouvelles» formu les du professeur Sarkozy ? Prenons les une par une : ce sont celles des réformes qui nous épuisent depuis des décennies ! Par tant de la récupérat ion des légitimes critiques de l’état des lieux qui émanent du monde de la recherche luimême (man que de moyens, baisse de l’effor t national de recherche, carr ières peu attract ives…) il fait fi des propositions qui en émana ient également , pour prôner le tout libéra l : si l’on glisse, c’est parce qu’on refusera it de sauter dans le vide.

 

Sarkozy reconna ît la pénur ie universitaire… pour mieux attaquer les grands organismes de recherche. Déshabiller Pierr e pour habiller Paul, diviser pour mieux régner… tout cela après avoir critiqué les «fausses oppositions» (en seignement / recherche…) en fait de consensus pour qu’on lise son texte.

 

Tout son propos repose sur l’obsess ion de la guerr e écono mique dont le vainqueur sera it proclamé par les indices du profit capitaliste . Ceux qui n’iraient pas dans ce sens , par définition libéra le, sera ient immob iles, non-réact ifs, inefficaces , etc. Il propose que le fonct ionnement universitaire soit moins centra lisé, que la recherche et les format ions soient davanta ge soum ises aux conse ils d’administrat ions locau x « ouver ts » (aux patr ons) et dont le président doit avoir un pouvoir renforcé. Bref, il propose d’accr oître les choix (déjà bien prégnants) des financements sur projets , davanta ge soumis à la pression de la finance , à l’obsession de renta bilité maximale à cour t terme et de réduct ion des risques sur les invest issements . Ces choix de renta bilité à cour t terme sont pour tant contra ires à l’utilité sociale de la science à moyen et long terme . Beaucou p de laborato ires passent ainsi une éner gie cons idéra ble à faire la mend icité auprès de comman ditaires de recherches, à monter des dossiers , à occu per le terra in pour drainer des fonds face à la concur rence Que d’éner gie perdue pour la recherche. Et c’est cela que Sarkozy voudrait accr oître : bel exemple de renta bilité ! Ce n’est pas avec le nez dans le guidon qu’on produit des révolutions coperniciennes . Sarkozy, comme les directives de l’OCDE et de l’Europe, donne des leçons sur le manque d’investissement dans l’avenir… mais prône des remèdes qui empêchent de tra vailler sur l’avenir.

 

Cette cécité ne tient pas à la seule influence directe des marchés, mais auss i au fonct ionnement du monde politicoméd iatique qu’organise le ca pitalisme. C’est la logique commun icat ionne lle : il faut des chiffres présentant une efficacité apparente imméd iate . On l’a vu à l’œuvre dans la police : on fait du chiffre d’arr estat ions avec les plus faibles, les sans papiers, les automo bilistes , pendant que les moyens restent rédu its pour lutter contr e les structur es mêmes des trafics d’envergure, les patrons voyous ou pour les effectifs de la police de proximité. Bref, on ne soigne que la vitrine électora liste : la recherche doit donc s’orienter vers de «l’imméd iatement perceptible». Des tra vaux en sciences humaines sont ainsi financés actue llement pour com prendre par exemple «comment aider les élèves qui ne sont pas intellectuellement précoces» : le mode de comman de de la recherche dont sont dépendants des doctorants ou des laborato ires, permet peu de remettr e en quest ion les catégories de pensée de la comman de, donc l’idéologie des dons qui est de retour, et encor e moins de proposer des perspectives pour penser autr ement l’ense ignement à tous . Cette press ion financ ière et politique se tradu it dans la conce ption qui est proposée de l’évaluation et de «l’auto nomie des universités». Faisant comme si les budgets de fonct ionnement des équipes de recherche n’étaient pas évalués (tou s les 4 ans, objectifs et moyens sont validés par l’État donnant lieu à évaluation et pas forcément à reconduction) le ministre veut que les ense ignants soient évalués par des instances locales à l’Université (nou velles baronnies managériales) et avec un renforcement de l’Agence Nationale de la Recherche. Encor e une fois c’est l’écho des précédentes propositions de réformes . On imagine donc sans peine plusieurs consé quences :

  • évaluation locale, donc baisse des moyens nationau x et arbitrages locau x pour gérer la pénur ie et se soumettr e aux comman des précises des entr epreneurs par ticuliers (au lieu que les entr eprises soient contra intes de par ticiper au financement de la recherche y com pris «fondamenta le» d’une manière centra lisée et régulée qui empêche la possibilité de financer à cour te vue seulement les projets les plus renta bles pour les patr ons locau x),

  • contrô le économ ique et politique plus discret et plus efficace sur les projets de recherche que si ce contrô le était centra l (cela se verra it si tout un courant de recherche était privé de sub vention par une même instance , alors que si c’est par des chefs d’entr eprise divers, cela permet en plus de just ifier le «manque de com pétitivité» desdites équipes),

  • l’ANR se dirige vers l’évaluation non pas des ense ignements ce qui, selon les moda lités , sera it légitime, mais des ense ignants , d’où une mise en concurr ence qui permet de semer la zizanie plutôt que de se confronter à des logiques collect ives de contestat ion,

  • du point précédent découle que cer tains ense ignants -chercheurs pourra ient êtr e dispensés de cours car jugés plus «renta bles» aux patr ons et élus locau x (comment «pacifier» tel quar tier…), donc que d’autr es collègues pourra ient êtr e «surchargés» ; l’ense ignement devient donc une punition à laquelle peuvent échapper les ense ignants les plus influents (ou les plus soum is au pouvoir) au lieu d’êtr e un enjeu pour l’avenir de la recherche.

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Joli double langage quan d Sarkozy se plaint du manque de com pétitivité de la recherche : si l’on retire de l’ense ignement les chercheurs «en pointe», comment va-t-on produire des générat ions futur es de chercheurs qui bénéficient de cette expérience ? Le ministre se félicite auss i de la démocrat isation des étu des, tout en regrettant l’échec en premier cycle, comme si ce dern ier éta it une fata lité ou le seul produit du savoir-faire individuel de chaque ense ignant . Mais la récente réforme LMD (1), a accentué la cou pure entr e le second cycle (M) et le troisième (D) de la format ion en premier cycle (L), en faisant de cette dernière un cursus lycéen allongé l’on intr oduit moins à la recherche et dans laquelle les critères de validation des maquettes par le ministèr e ont atténué dans plusieurs filièr es les poss ibilités d’organisat ion de parcours pr ogress ifs pour les étu diants , semestr e après semestr e (2). Et Sarkozy propose (après d’autr es réformes libéra les) de déréguler le statut d’ense ignant -chercheur afin que cer tains n’ense ignent plus. Ce n’est pas en rédu isant , comme cela se dessine, le nom bre d’ense ignants -chercheurs les plus «coûteu (ca r les plus expérimentés) , et en les remplaçant par des ense ignants qui ne mènent pas eux-mêmes de rec herches ( donc moins chers) que l’on va augmenter le nom bre d’étu diants qui réuss issent à s’approprier les logiques de pensée nécessa ires à l’activité de recherche, cause principale de l’échec dans les étu des. Au contra ire, on rédu it le vivier.

 

Les étu diants seraient rebutés par le caractèr e peu attract if du statut de chercheur ? Qu’à cela ne tienne ! Sarkozy a réponse à tout de la même façon : en oubliant l’hypothèse d’augmenter les fonct ionnaires, il propose que la recherche soit moins fonctionnar isée et de mettr e les chercheurs en concurr ence.

 

On l’aura com pris, il ne s’agit absolument pas de faire l’autruche et de dire que tout va bien dans la recherche et l’univers ité. Ce sera it une façon illuso ire de se protéger des atta ques contr e le ser vice public de recherche et d’ense ignement supér ieur. Au contra ire, il faut pointer que les propositions de Sarkozy sont les mêmes recettes qui ont déjà aggravé les difficultés du système . Celles-ci pré-existaient à la déré gulation libéra le des réformes con duites depuis quelques décenn ies : si l’on veut conser ver la double ambition d’une université mass ifiée et de la format ion de haut niveau à la rec herche (con dition indispensab le d’une recherche de qualité) , on ne peut se contenter de demimesur es, de rester ainsi au milieu du gué.

 

Sinon, les dysfonct ionnements sont récupérés par les libéraux qui veulent inféoder le ser vice public de recherche à l’intérêt par ticulier au détr iment de l’intérêt généra l.

 

On a au contra ire besoin de choix politiques (donc auss i budgétaires) affirmés , qui organisent la com plémentar ité des divers types de recherche (planification que Sarkozy fust ige, au nom de la «réact ivité» à cour t terme) .

 

Ceci n’est possible que si l’on rompt avec les dogmes de la renta bilité, de la concurr ence et de la guerr e économ ique. La science doit êtr e guidée par une volonté de décou ver te qui sera d’autant plus utile socialement qu’elle sera libérée des exigences de rendement imméd iat.

 

Elle doit êtr e maîtrisée par les choix du peuple et non par le profit des financ iers ou par les logiques gest ionna ires localistes . Et l’univers ité doit êtr e con duite comme un lieu de format ion à la rec herche dont ont beso in le pays et la planète : pour produire de futur es générat ions de chercheurs comme de citoyens familiarisés avec le fonct ionnement scientifique leur donnant les moyens d’avoir prise sur les choix de la recherche. Une telle démar che, n’en doutons pas, stimulera des façons de penser critiques , moins soumises aux raisonnements rapides tels que ceux de

M. Sarkozy.

  1. LMD = Licence, Master, Doctorat, niveaux de sortie des études à bac +3,+5 et +8. Tous les autres diplômes (bac + 2 et +4) vont disparaître à terme. Parenthèse : il serait temps de se soucier de ce que cela implique (après les élections présidentielles ?) comme modifications à venir des conventions collectives bâties sur les repères bac +2 et bac+4…
  2. Au nom du dogme européaniste de la mobilité, chaque étudiant doit pouvoir consommer un enseignement morcelé dans une université (pour repartir vers une autre université européenne, alors que la masse des étudiants a déjà du mal à se payer des études sans voyage…) donc un enseignement qui ne repose pas sur des acquis d’un cours précédent. Cela nuit à l’organisation d’une progressivité pédagogique… contrainte d’autant plus grave qu’elle s’exerce désormais sur 3 ans au lieu de 2 en premier cycle.

 

 

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