Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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FISCALITÉ : toujours plus de faveurs pour la fortune et le capital

 

Jean Marc Durand

 

Nous sommes au cœur d’une ère de réformes fiscal es et de transformation du dispositif administratif permettant d’assurer l’assi ette, le recouvrement et le contrôle de l’impôt. Ce processus a pris naissa nce fin des années 80. A la faveur de l’aiguis ement de la crise systémiqu e, les discours maintes fois répétées à propos de la nécessaire baiss e des dépenses sociales jouiss ent d’un écho plus favorable contribuant à en accélérer la transposition dans les modes de gestion économiqu es et sociaux de notre pays. Les promoteurs de l’idéologie libérale sapent ainsi un à un, tous les fonde ments de la solidarité nationale. Quoi de plus logique dans un tel contexte que la fiscali té, à la fois outil de redistribution des richesses et moyen d’orienter la croissance, soit dans l’œil du cycl one ?

 

Une évolution implacable de la fiscalité au cours de ces 20 dernières années.

Cela fait maintenant plus de 20 ans que de réformes en réformes les prélèvements fiscau x font l’objet d’un vaste tripatou illage dont l’unique but est d’en rédu ire le montant sur les revenus des entr eprises, de la for tune, du capital et des salariés les plus riches tout en faisant croire au plus grand nom bre que cela va dans le sens d’une plus grande just ice. Plafonnement de la valeur ajoutée que le gouvernement propose de ramener de 3,5% à 3% en 2006, réduct ion pour embauc he et invest issement , dispar ition pure et simple de la par t salaire voilà quelle est l’évolution de la taxe profess ionne lle.

 

S’agissant de l’impôt sur les sociétés , son taux est passé de 50% au milieu des années 80 à 33.33% aujour d’hui auquel il faut effectivement ajouter la contr ibution de 10% mais duquel il faut retranc her l’effet des taux rédu its, cer tes plafonnés , de 15% et de 19%. Pour 2006, la sur taxe Juppé dispara îtra it.

 

Quant à l’impôt sur le revenu, c’est la même logique. Après avoir été rédu it de 58% à 54% au milieu des années 90, son taux marginal aura chuté de 14 points en 7 ans. De 54% en 2000, il devrait passer à 40% en 2007.

 

De même , les droits de success ions ont été rédu its (loi de Finances 2005). Des ponts d’or ont été offer ts aux grandes SCI. La loi de finances de 2003 rédu it l’impôt du par ces sociétés , d’environ 2/3. C’est à par tir de ce nouveau dispositif fiscal que la vente d’immeub les à la décou pe a explosé. C’est également l’ensem ble du régime fiscal des plus values qui est maintenu à un niveau excess ivement bas (impos ition à 16% des cess ions à titre onér eux de valeurs mob ilières ou de par ts sociales pour un montant de cess ions supér ieur à 15 000). Que dire de l’avoir fiscal qui a officiellement disparu du voca bulaire fiscal mais qui a trouvé une autr e vie sous la forme d’une déduction à la sour ce ! Par contr e les impôts indirects restent inchangés notamment la TVA (1) dont le taux de 19,6 % demeur e le plus largement appliqué à des biens de consommat ion courante . Quant à la TIPP (2) elle devient insu pportable quand le prix du baril fait exploser ceux du car burant et du fuel domest ique.

 

S’agissant des impôts locau x, TH, TF, et de la TOM (3), taxes spéc ifiques ass ises sur la valeur locat ive, leur croissance est exponent ielle à l’exception toute fois de la taxe foncière sur les propriétés non bâties. Les trans fer ts de com pétences et de charges de l’Etat vers les collect ivités terr itor iales ont entra îné une augmentat ion régulière de la fiscalité locale, et ce mécan isme ne semb le en êtr e qu’à ses débuts. A titre d’exemple, le produit de la TH a augmenté de 50% en à peine 10 ans et de 18% en 3 ans, la TOM a enregistré une hausse moyenne de 15% en 2004.

 

C’est à l’aune de ces évolutions, que doit auss i êtr e appr écié le tra in de réformes que subissent les administrat ions du Ministèr e des Finances et en par ticulier, l’administrat ion fiscale. Sans entr er dans le détail des divers projets de restructurat ions à l’œuvre depuis 1989, un fait se dégage : l’am putat ion des capacités de l’administrat ion fiscale à appr éhender tant la réa lité, la com plexité et la divers ité du tissu économ ique et fiscal que l’évolution des mécan ismes de fraudes .

 

Malheur eusement , l’avenir que nous propose la LOLF, nouveau cadre législatif de la politique budgétaire de l’Etat, n’ouvre pas sur un avenir meilleur. Mise en com pétition des personne ls, des ser vices et des administrat ions entr e elles, contrat de performance dont la philoso phie est directement issue des dogmes de la renta bilité financ ière, créat ion d’agences , risquent de porter un cou p fatal aux missions publiques des administrat ions financières et de rendre encor e plus aléato ires la rentrée des recettes fiscales.

 

Prétendr e que la «com pliance», acce ptation tacite de l’impôt par le contr ibuable, viendrait com penser l’affaissement de l’out il administrat if, c’est oublier un peu vite la tentat ion permanente de tous ceux qui perço ivent d’autr es types de revenus qu’un salaire connu au cent ime prêt par l’administrat ionde les sous déclarer. En arr ière plan de cette évolution, se dess ine une logique implaca ble : la défisca lisation des hauts revenus qu’ils soient salariaux, de la fortune ou du capital ainsi que ceux des entr eprises.

 

Par contr e, les salariés ou les ména ges à revenus modestes ou moyens , sub issent le sor t inverse . Ils sont les plus concernés par la fiscalité indirecte qui frappe la consomma tion courante . Et les quelques miettes dont ils semb lent bénéficier par exemple avec la baisse de l’impôt sur le revenu, sont auss itôt dévorées par les augmentat ions concom itantes des impôts locau x et sur tout par la réduct ion de l’offre en matière de ser vices publics que ce soit en matière de santé publique, d’ense ignement , de culture, de transpor ts…

 

Notr e époque se caractér ise également par une sor te d’acharnement à rédu ire de plus en plus la portée de l’impôt progress if. Une vaste cam pagne médiatique est menée sur le thème du trop d’impôt dont la cible essent ielle est l’ensemb le des prélèvements progress ifs, impôt sur le revenu et impôt de solidarité sur la for tune . Pour tant , la progressivité n’est-elle pas le meilleur moyen de prendre en com pte la capacité contr ibutive rée lle des citoyens ?

 

Une démonstration grandeur nature de cette dérive vient de nous être une nouvelle fois donn ée par le projet gouvernemental de réforme de la fiscali de MM. Breton, Coppé et De Villepin. Voir sa présentation dans l’encadré ci-contre.

 

  1. Tva : taxe sur la valeur ajoutéé

  2. TIPP : Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers.

  3. TH : taxe d’habitation, TF : taxe foncière, TOM : taxe d’ordures ménagères.

 

 

 

Le projet de réforme fiscale du gouvernement, de la pure manipula tion !

 

Réduction du nombre de tranches de 7 à 5, intégration de l’abattement de 20% dans le barème, plafonnement global des prélèvements à 60% des revenus, le projet de réforme fiscale annoncé par le gouvernement De Villepin, tend à vider de son sens l’impôt sur le revenu, de loin l’impôt le plus juste, parce que progressif, et à le remplacer petit à petit par un prélèvement de niveau proportionnel, automatiquement favorable aux plus riches. En effet, affirmer comme le fait M. Breton, que ce projet de réforme fiscale proposé n’a qu’un seul objectif, la réduction des injustices fiscales et l’encouragement de ceux qui travaillent, est un mensonge. Avec le plafonnement à 60% des revenus, appelé bouclier fiscal par M. Coppé, ce sont les revenus de la fortune qui sortiront grands gagnants et l’ISF ne sera bientôt plus qu’un doux souvenir.

 

Comment prétendre que cette réforme de la fiscalité va dans le sens d’une plus grande justice ? Sur 34 millions de déclarants à l’impôt sur le revenu, plus de 10 millions sont en effet d’emblée hors jeu car disposant de revenus trop modestes. Quant aux mesures proposées, elles n’auront un effet réel que pour les revenus supérieurs à 1880€/mois. Sachant que 50% des salaires sont inférieurs ou égal à 1 500€/mois, on en apprécie immédiatement la portée.

 

Comment prétendre que la réduction du nombre de tranches de 7 à 5 devrait rendre l’impôt sur le revenu plus juste alors qu’il est aisé de comprendre qu’en réalité ce nouveau dispositif va dans un sens totalement inverse car jouant contre la capacité de cet impôt à prendre en compte l’élévation graduelle des revenus et finalement à être assis sur la capacité contributive réelle des contribuables ? Contrairement aux affirmations de MM. Coppé et Breton, la réduction du caractère progressif de l’impôt sur le revenu contribue à creuser les écarts entre contribuables à revenus modestes et les plus riches. Une réduction de 10% n’a pas la même portée selon qu’elle s’applique à 100 ou à 1000. Un nouvel accroissement des inégalités devant l’impôt est enclenché. Le passage du taux marginal de 48% à 40% confirme s’il en était encore nécessaire cette appréciation. A ce tarif les niches fiscales peuvent être réduites et plafonnées ! Mais attention, le tour de passe-passe ne s’arrête pas ! Est claironnée la baisse du taux des tranches. Au fond celui-ci n’est du qu’à l’intégration de l’abattement de 20% (6,83 20% = 5,46 arrondi à 5,5 = taux de la nouvelle première tranche). Cet abattement accordé aux revenus salariaux a été instauré par le législateur pour tenir compte de la situation spécifique (1) des revenus salariaux et, dans un esprit d’équité, de la différence de capacité de l’administration fiscale à appréhender avec la même justesse les revenus salariaux qui sont déclarés au centime près par l’employeur et les revenus non salariaux. Intégrer cet abattement dans les tranches revient à le condamner à disparaître. Le comble est que la réforme prévoit de faire bénéficier de cet abattement 1 million de nouveaux contribuables (artisans commerçants, professions libérales, agriculteurs) et d’en déplafonner l’application pour les revenus supérieurs à 117 000 €. En outre, le léger cadeau consenti aux revenus dits moyens afin de ne pas les jeter dans les bras de la contestation radicale et d’entretenir l’illusion d’une non-dégradation de leur situation, est en réalité un leurre. L’intégration de l’abattement de 20% aux tranches du barème qui ne s’appliquera donc plus jamais directement au revenu brut, viendra rapidement pondérer l’effet de cette baisse de cotisation.

 

Ce constat est corroboré par une analyse présentée page 73 du rapport du conseil des impôts de 2004 comparant l’impôt sur le revenu acquitté en France par rapport à l’Allemagne, aux Etats Unis, aux Pays Bas, au Royaume Uni et à la Belgique. Il est reconnu que la France est le pays l’impôt sur le revenu est le plus faible et que ce caractère s’accentue au fur et à mesure qu’augmente le nombre de parts. Mais c’est pour mieux souligner que : «dans un contexte de concurrence fiscale, le maintient de taux apparemment élevés et d’un mécanisme d’abattemenent est pénalisant en terme d’affichage».

 

Au-delà, une évolution de fond se dessine pour la fiscalité française visant notamment à faire évoluer l’impôt sur le revenu vers une forme de prélèvement proportionnel. Cela permettrait de lever les obstacles à une fusion prochaine avec la CSG et à l’instauration de la retenue à la source que le conseil des impôts, dans son rapport de 1990 jugeait difficile tant que le nombre de tranches, les abattements, et les niches fiscales, n’auraient pas été réduits. Serait ainsi atteint un double objectif :

  1. la fiscalisation des recettes de la protection sociale réclamée de longue date par le patronat,

  2. le moyen de rendre l’impôt plus indolore pour les salariés ce qui permettrait d’envisager une augmentation de la pression fiscale surtout si y sont intégrés, la CSG et les impôts locaux.

 

Dans son entreprise de division des salariés la prime pour l’emploi que le gouvernement propose de mensualiser et d’augmenter tient un rôle particulier. Elle entérine le principe de l’impôt négatif et de l’aumône fiscale encourageant les entreprises à pratiquer de bas salaires et à jouer ainsi contre les qualifications, les rémunérations et donc contre l’emploi. Ce projet gouvernemental résume en fait toute l’économie d’un projet de société antisocial et antiéconomique. Conforme aux orientations européennes actuelles et à la logique capitaliste, il consacrerait une double remise en cause de l’impôt sur le revenu. Il percute son caractère redistributif, c’est à dire l’idée même de répartition du produit fiscal à l’ensemble de la population sous forme d’investissements et de financements des services publics et des équipements collectifs. Il réduit à une simple intention le principe fondateur de cet impôt qui consiste à considérer que chacun doit contribuer en fonction de ses ressources réelles. Avec ce projet, le gouvernement prône une fiscalité de classe au service des revenus supérieurs, avec une attention toute particulière aux rentes de la fortune et du capital.Une nouvelle fois une réforme va peser contre la croissance et la création de richesses utiles. Est à prévoir un nouveau tour de vis des dépenses publiques. Venant après une baisse en volume que les comptes 2005, vu la faiblesse de la croissance, ne manqueront pas de faire ressortir, ce sont les moyens des services publics qui seront à nouveau contraints. Et le risque d’une augmentation des impôts indirects ou de la CSG n’est pas à écarter.

 

(1) A l’origine, il avait été choisi de tenir compte du fait que les revenus salariaux ont pour caractéristique de n’être que le résultat de la seule vente de la force de travail et donc de ne provenir d’aucune autre source, notamment de revenus de la propriété au sens large. De 1917 à 1944 un abattement à la base et une déduction forfaitaire étaient ainsi appliqués, traduits après 1945 par l’abattement de 20%.

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