Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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France : croissance en berne et inflation financière

Yves Dimicoli

 

Est-ce que le gouvernement va arriver à « tenir » l’activité économique jusqu’à l’élection présidentielle, malgré une politique de restriction de la dépense budgétaire et sociale, l’encouragement des sacrifices salariaux et sociaux, et malgré le rationnement monétaire de la BCE ? Les indicateurs économiques qui viennent d’être rendus publics montrent combien l’exercice est contradictoire.

 

Croissance zéro etdéficit extérieur enseptembre

L’évolution du produit intérieur brut (PIB) en volume est de 0% au troisième trimestre 2006, après 1,2% au 2ème trimestre et 0,5% au premier, selon l’INSEE. L’indice de la production industrielle, hors énergie et IAA, marque une baisse de 1% en septembre, après une hausse de même ampleur en août. La production de l’ensemble de l’industrie baisse de 0,9%. Les secteurs les plus touchés sont l’industrie automobile (-3,1%) et la production de biens intermédiaires (-2,2%).

 

Enfin, selon les Douanes, le commerce extérieur de la France a enregistré en septembre un déficit de 1,348 milliards d’euros (cvs-cjo) après un déficit de 2,872 milliards d’euros en août. Cela porte à 19,933 milliards d’euros le déficit cumulé sur les neuf premiers mois de l’année, contre 15,657 milliards d’euros pour la même période de 2005.

 

Et il faut rappeler qu’en septembre, les achats de produits manufacturés ont chuté en France de 2,7% par rapport au mois d’août, soit le recul le plus important depuis novembre 1996.

 

Le panorama ne serait pas complet si l’on n’y ajoutait pas le fait que, en septembre, l’indice des prix marque une baisse de 0,2%, confirmant combien est saugrenue l’idée selon laquelle il faut augmenter les taux d’intérêt pour combattre l’inflation. En réalité, cette baisse traduit l’ampleur de la déflation sociale et salariale.

 

Ainsi se confirme la précarité de la croissance française avec, au cœur, l’industrie en bute à de graves difficultés, tandis que s’accélère l’inflation financière.

 

L’évolution en dents de scie, mais dans de faibles marges, du PIB, soutenue par la construction, la spéculation fait rage, et les services, notamment de santé, à la personne et financiers, indique combien les tentatives du gouvernement d’essayer de pousser l’activité pour la rentabilité financière, ranime un peu celle-ci un temps sans empêcher sa retombée ensuite.

 

En réalité, l’offre productive de la France se trouve confrontée désormais à des handicaps non négligeables. Au lieu de les traiter, la fuite en avant du gouvernement dans le soutien à la croissance financière des capitaux et l’encouragement aux sacrifices sociaux et salariaux, les aggravent.

 

Chômage : une baisse en trompe l’œil

Certes, on assiste à un recul du taux de chômage officiel. Au sens du BIT il s’établit à 8,8% fin septembre (21,6% pour les jeunes de moins de 25 ans) avec 2.395.000 privés d’emploi recensés, soit une baisse de 2% en un mois et de 10,4% en un an.

Ce recul est du, avant tout, à la montée en charge des emplois aidés, avec baisses de cotisations sociales patronales, du plan de cohésion sociale. Mais il est du aussi aux radiations administratives des listes de l’ANPE. En septembre cela a concerné 37.075 personnes contre 34.428 en août. En un an, alors que les sorties de l’ANPE pour reprise d’emploi déclarée n’ont cru que de 1,3%, celles pour radiation administrative ont progressé de 5,1%.

Enfin, outre les tous premiers effets des évolutions démographiques (départs en retraite de la génération du « baby boom »), il y a aussi des créations d’emplois en liaison avec la croissance économique du deuxième trimestre.

Elles demeurent très limitées dans le secteur marchand, surtout si l’on décompte l’intérim. Le recours au CNE permet aux employeurs de bénéficier d’effets d’aubaine, tout en substituant des embauches sous CNE à des emplois sous contrat normal.

La création d’emplois se fait surtout dans la construction et le tertiaire. Mais, dans l’industrie, l’hémorragie continue avec une diminution des effectifs salariés de 0,5% au 3ème trimestre et de 2,2% en un an.

 

Au total, la précarité ne cesse de s’étendre. En septembre 2006, l’ANPE a enregistré 149.640 offres d’emplois dits

«durables» (de plus de mois), mais 119.422 offres d’emplois temporaires (1 à mois) et 51.072 emplois occasionnels (moins d’un mois). Si les offres d’emplois « durables » et d’emplois temporaires ont décru en un an (respectivement de 2,6% et de 0,8%), les offres d’emplois occasionnels ont cru, elles, de 13,4%.

 

Enfin, dans les entrées à l’ANPE, on note que si, sur un an, les licenciements économiques et les autres licenciements diminuent respectivement de 21% et de 2,7%, ils augmentent de 2,6% et de 1,9% respectivement au troisième trimestre 2006.

Au total, la France demeure avant dernière dans le classement européen en ce domaine, avec un taux de chômage standardisé de 9% en août 200(dernier chiffre disponible) pour une moyenne de 7,9% dans la zone euro et de 8% au sein de l’Union européenne.

 

L’offre productive étouffée par la finance

La faiblesse rémanente de la croissance économique, malgré des soubresauts, les reculs répétitifs de la production industrielle traduisent désormais une vraie crise de l’offre productive nationale dont on perçoit l’ampleur avec EADS et Airbus, l’automobile et les équipementiers ou la chimie et ses soustraitants.

 

Cela se traduit par un déficit croissant du commerce extérieur, malgré un ralentissement en septembre. La dégradation, cependant, ne concerne pas que les échanges de marchandises, les échanges de services, hors voyages, sont eux-mêmes dans le rouge.

Au total, le compte des transactions courantes entre la France et le reste du monde marque une tendance nette à la dégradation : sur 12 mois, à fin août 2006, le déficit était de 30,8 milliards d’euros, contre 27 milliards d’euros à fin décembre 2005 et 5,milliards d’euros à fin décembre 2004. En clair, l’extérieur ne cesse d’accumuler des créances sur la France, le principal revenant à l’Allemagne. Mais, désormais, commence à apparaître aussi un excès d’importations engendré par les productions délocalisées, à partir d’un affaiblissement des potentiels nationaux. C’est le cas, notamment, avec l’automobile.

Cela se solde par des faillites en France, des suppressions d’emplois, des rachats d’entreprises par des capitaux étrangers et de nouvelles délocalisations. Dans ce contexte, il faut relever les difficultés particulières auxquelles est confrontée toute la sous-traitance après des années d’externalisation des grands groupes, y compris en matière de recherche et développement, comme c’est le cas dans l’automobile avec les équipementiers.

Certes, le taux de change élevé de l’euro par rapport au dollar et au yen contribue à cela, d’autant plus que la spéculation à la baisse du yen fait rage. Fin mars 2006, un euro valait 1,20 dollars et, fin septembre, il valait 1,27 dollars. Et la pression à la hausse de l’euro va s’accentuer avec le relèvement du taux d’intérêt directeur de la BCE, tandis que le ralentissement de la croissance aux Etats-Unis va s’accompagner d’une pression concurrentielle encore plus forte, sur les marchés français et européens, de la surproduction américaine et des pays émergents. Les grands groupes désertent le terrain de bataille en rompant leurs relations avec leurs sous-traitants en France ou en leur intimant l’ordre de se délocaliser en zone dollar et dans les pays émergents.

 

Tout cela traduit des difficultés plongeant leurs racines dans l’encouragement, par la BCE et par la politique du gouvernement, de comportements de gestions ultra-réactionnaires des entreprises, à l’affût des rendements financiers, anti-nationaux et anti-européens.

 

En effet, selon la Banque de France, l’endettement intérieur total en France (entreprises + ménages + administrations) continue de croître très fortement : +7,4% en août dernier, +7,7% en juillet et +6,6% en août 2005.

 

C’est le crédit des banques qui est le plus sollicité, avec une croissance de 11,9% en août, après 11,4% en juillet. On se doute que le crédit à l’habitat joue ici un rôle déterminant, la spéculation immobilière s’en nourrissant.

Mais, parmi les emprunts auprès des banques, ce sont ceux réalisés par les sociétés non financières qui ont marqué l’accélération la plus forte depuis un an : leur croissance annualisée est passée de 5% à fin août 2005 à 10,2% à fin août 2006. Or ce crédit largement distribué aux entreprises sert pour l’essentiel à :

  1. Faire face à des problèmes de trésoreries, surtout s’agissant des PMI ;

  2. Réaliser des investissements de productivité, diminuant l’emploi et accentuant l’intensité du travail, pour accroître les profits ;

  3. Faire des placements financiers, afin de se procurer des revenus financiers compensant les charges financières des emprunts, ou pour prendre le contrôle d’autres entreprises ;

  4. Racheter ses propres actions pour accroître le rendement des actionnaires ;

  5. Exporter de plus en plus de capitaux et à délocaliser. Ainsi, la bourse de Paris enregistre la plus forte hausse entre le 2/01/200et la 30/09/200: 10,41% contre 5,69% pour l’indice européen (Eurostoxx 50), 7,67% pour Wall Street (USA) et –1,43% pour le Nikkei (Japon).

 

Au 1er semestre 2006, selon Thomson Financial, le montant des fusions et acquisitions a atteint 110,8 milliards de dollars en France, contre 35,9 milliards de dollars au cours de la même période en 2005. Cela renvoie, notamment, à de très grosses opérations : Alcatel-Lucent, le rachat par Lafarge des minoritaires de sa filiale américaine, le rachat par Saint Gobain du britannique BPB, le rachat de 21% du capital d’Alstom par Bouygues…

 

Les grandes entreprises rachètent massivement leurs propres actions en bourse pour accroître le rendement procuré aux actionnaires. En 2005, elles ont racheté davantage d’actions qu’elles n’en ont émis (6,3 milliards d’euros nets des émissions). Aussi, les dividendes versés par les entreprises en France ont-ils augmenté de 9% en un an. Le taux de distribution apparente des bénéfices dépassent désormais les 35% en moyenne annuelle, contre 32% en 2004.

Irresponsabilité sociale et nationale des grands groupes

 

Dans ce contexte, les profits ne cessent d’augmenter s’agissant des grandes entreprises, tandis que la situation de nombre de PME se dégrade.

 

En 2003, les bénéfices nets des entreprises du CAC40 atteignaient 35 milliards d’euros. Ils passent à 57 milliards d’euros en 2004, puis 84 milliards d’euros en 2005. Sur le seul premier semestre de 200 on en est à 50 milliards d’euros déjà, en route pour les 100 milliards en année pleine. Cela tient à la façon dont les groupes utilisent les nouvelles technologies, au service de la rentabilité financière et contre l’emploi. Cela entraîne une pression permanente sur les salaires qui, en termes réels, diminuent. Mais cela tient aussi, et de plus en plus, au fait que, ne trouvant pas la croissance suffisante en France, les grands groupes délocalisent et poussent leurs sous-traitants à délocaliser. En effet, les entreprises du CAC-40 réalisent 70 à 80% de leur chiffre d’affaires à l’étranger. C’est cela qui explique la progression moyenne de 43% par an des bénéfices nets de ces grands groupes, alors que la croissance économique se traîne.

 

La France subit en effet d’énormes hémorragies de capitaux : selon la Banque de France, sur 12 mois à fin août 2006, il est sorti pour 303 milliards d’euros au titre des investissements directs et de portefeuille. Cela revient à 117 milliards d’euros de sorties nettes des entrées de capitaux, contre 51,1 milliards à fin décembre 2005 et 67,2 milliards à fin décembre 2004.

 

Les banques, elles-mêmes, participent directement à cette folie : BNP Paribas, Crédit agricole SA et la Société générale ont dépensé un montant global de quelque 23 milliards d’euro en acquisitions hors de France cette année.

 

Tout cela traduit, en fait, l’échec catastrophique, du point de vue de leurs objectifs affichés, des politiques de baisse du coût du travail et de rationnement des dépenses sociales, avec particulièrement les baisses de cotisations sociales patronales.

 

Ces politiques conduites en alternance, ont prétendu inciter les entreprises à créer ou maintenir des emplois en France pour lutter contre le chômage et les délocalisations. En fait, elles ont cassé les ressorts de la croissance nationale (demande, qualification, recherche..). Elles ont ainsi directement encouragé les exportations de capitaux vers les pays la croissance existe : aux Etats-Unis et dans les pays émergents.

 

Au total, l’utilisation que font les grands groupes de l’argent des profits, des fonds publics et du crédit conduit à une dévitalisation de l’économie nationale contre l’emploi, la formation, la cohérence des filières industrielles et de services, au profit des capitaux financiers et au prix d’un renforcement des dominations extérieures.

 

Un changement radical de cap est nécessaire, à partir d’une utilisation de l’argent pour sécuriser l’emploi, la formation, les revenus du travail et de remplacement, tous les moments de la vie, développer de nouvelles coopérations d’avantage mutuel en France et en Europe en réorientant la BCE, avec la conquête de nouveaux pouvoirs pour les salariés et les citoyens.

 

On mesure à ce propos l’importance du rôle joué par le crédit bancaire qu’il s’agit de réorienter, à partir d’une autre utilisation des fonds publics : en dotant un Fonds national et décentralisé pour sécuriser l’emploi et la formation avec, notamment, les 23 milliards d’euros servis annuellement sous forme d’exonérations de cotisations sociales patronales. Ce Fonds prendrait en charge une partie des intérêts versés aux banques par les entreprises sur leurs crédits pour investir, à proportion du nombre de créations d’emplois et de formations qu’ils programment. On mesure aussi l’importance de nationalisations de banques et de grands groupes avec de nouveaux critères de gestion d’efficacité sociale, de nouveaux pouvoirs d’intervention des salariés dans la gestion, de nouveaux financements et rapports de coopération.

 

C’est dire l’importance que revêtent les assises régionales et nationales pour sécuriser l’emploi et la formation.

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