Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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EADS

 La loi de la finance

ou

le choix de la promotion des salariés

 

Pascal Borelly

 

Avril 2005 , l’industrie aéronautique et spatiale fait la Une de tous les médias. Nous sommes en pleine campagn e sur le référendum portant sur la constitution européenne. Les photos du 1er vol du gros porteur A 380 s’étalent en couverture de tous les journaux. Les chefs d’Etats entourent le berceau du dernier de la gamm e Airbus qui est présenté par les partisans du OUI comme le fruit de la construction européenne et montré comme l’exemple à suivre dans tous les domaines.

Un an plus tard, plus rien ne semble fonctionner !

Des dirigeants de premier plan d’EADS sont au centre de l’affaire Clairstream, Arnaud Lagardère et le groupe Allemand Daiml er annonc e la vente d’une partie de leurs actions, le Conseil d’administration du groupe européen réuni à Amsterdam annonc e la fermeture de la Sogerma filial e spécialis ée dans la maintenance. Plus de 1000 emplois directs et 5 000 emplois induits sont concernés. Des retards de livraison de l’A 380 s’ajoutent aux retards déjà annonc és. Le projet initial de l’avion A 350 est déclaré mort faute d’insuffisance de recherche et développement notamment sur les matériaux composites. Noël Forgeard empêtré dans une sale affaire de vente d’actions est débarqué. Louis Gallois, qui vient de pass er plus de 10 ans à la SNCF, est nomm é Co-Président.

 

Octobre 2006 : Le Conseil d’Administration du groupe européen annonc e un vaste plan d’économies et de restructurations. Comment en est-on arrivé ?

Cer tes les carnets de comman des d’Airbus sur l’A320 et ses dérivés ainsi que sur l’A340 sont copieusement garn is. De même s’agissant du grou pe EADS qui possè de Airbus industr ie : elles s’élèvent pour l’année 2005 à 92,251 milliards d’euros pour un chiffre d’affaires de 34,206 milliar ds d’eur os. Alors que des profits cons idéra bles ont été dégagés par la filiale Airbus , que son savoir faire est performant et que des pers pectives commer ciales semb lent ouver tes pour quoi une telle crise, comment une telle mach ine a-elle pu s’enra yer au point de com promettr e son développement et son avenir même ?

Quelles sont les causes de cette situation ?

En premier lieu elles sont à rechercher dans la fuite en avant vers la privatisation et l’entrée dans le capital de Fonds ayant pour seule exigence la renta bilité financ ière. Aujour d’hui le capital « flottant » représente plus de 40%. Il est impor tant de rappe ler que les succès techno logiques et commer ciaux ont été possibles en grande par tie grâce à la recherche et aux invest issements faits par le groupe nationa lisé frança is Aérospat iale dans les années 80 et 90 et au GIE (1) Airbus . Cette structur e de coo pérat ion mise en place 20 ans auparavant, avait su conce voir et engager l’essent iel des projets de la famille Airbus , y com pris celui de l’A380 qui était déjà dans les car tons du groupe frança is. C’est donc une volonté politique déterm inée et un groupe nationalisé visant d’autr es buts que 1a renta bilité financière qui sont à l’origine de ses succès .

Mais le choix de l’ouver ture du capital de l’entr eprise nationale Aérospat iale en 1999, décidé par le gouvernement de L. Jospin, puis la fusion avec Matra , puis celle avec le groupe alleman d DASA ont engagé l’industr ie aér onaut ique et spat iale dans une autr e logique. Cette décision préten dait êtr e une réponse aux défis nouveaux d'efficacité, de financement , de coo pérat ion et de par tage des coûts , que le seul maintien des structur es et procé dures anciennes ne permetta it plus affronter.

Limpasse du tout financier

En réalité cela a fait prédominer plus encor e la renta bilité financ ière et la satisfaction des actionna ires et des banques du groupe, contr e l’emploi, la recherche et développement et de véritables coo pérat ions de co-développement . Tout cela en aggravant les pressions sur l’emploi et les con ditions de travail des salariés, ponct ionnant et étran glant les sous traitants et les collectivités terr itoriales chargés de suppor ter les risques à la place des actionna ires. C'est cette politique qui mène dans l'impasse . Alors que les actionnaires Lagardère et Daimler ont largement profité de la rente de l'A320, produit arr ivé, désorma is, à matur ité, ils refusent maintenant de s'engager dans les effor ts de promot ion des capacités humaines de l'entr eprise que nécess ite le lancement d'une nouvelle générat ion d'avions comme l’ A380. Noël Forgeard résuma it à mer veille cette politique entièrement vouée à la renta bilité financière : « Je me réjouis d’avoir économiser 1 milliard sur les investissements pour satisfaire les actionna ires ».

Mais cette politique a rationné gravement les dépenses de développement des capacités humaines, notamment l’emploi et la format ion, tout en développant très insuffisamment les organisations du tra vail et les out ils de par tage de l'informat ion, des coûts et des charges de travail au sein de l'entité pluri nationale. D'où un aiguisement des rivalités de puissances , notamment entr e intérêts frança is et intérêts alleman ds au lieu d'une véritable coo pérat ion.

De même ces choix avaient un corollaire : l’absence tota le de transpar ence et de démocrat ie dans l’entr eprise, l’aut isme des directions incapables d’enten dre les multiples alertes des ouvriers, des techn iciens et des cadres sur la situat ion ; 4 ans plus tar d la sanct ion est ! Retar ds success ifs dus en premier lieu à l’économ ie faite sur l’emploi, la qualificat ion et les étu des sur les premières livraisons de l’A380 avec des péna lités mass ives à la clé. On est ime que le manque à gagner tota l s’élèvera à 6, 3 milliar ds d’eur os d'ici 2010 (2). Cela a con duit les agences de notat ion financ ière interna tionales à déclasser la signatur e d’EADS. La contr epartie en est une augmentat ion du coût de la dette et de l'accès aux marchés financ iers .

Ces difficultés inter viennent dans des con ditions de guerr e économ ique avec l'amér icain Boeing qui s'est restructuré et dispose de l'arme du dollar. Le billet ver t ser t en effet de monna ie de facturat ion mond iale dans l'aér onaut ique. La chute actue lle de ses cours par rappor t à l'eur o, produit conjugué d'une politique amér icaine agressive et du dogme monétar iste de la BCE, impacte le chiffre d'affaire d’Airbus dont les salaires sont payés en eur os. Cette situat ion concerne , au-delà, les sous-traitants de 1er et 2ème rangs d'Airbus -industr ie puisque les transact ions se font entr e eux auss i en dollars .

A ces difficultés, s'ajoutent des besoins de financement trés impor tants pour le nouvel avion A 350 dont le projet doit être com plètement remis en chantier faute de moyens mis dans la recherche pour atte indre ses objectifs en terme d’innovations techno logiques (3) lui permettant une percée commer ciale satisfaisante .

Face à cette situat ion, on voit bien que les solutions se contentant une fois de plus de tra iter l'emploi comme une variable d'ajustement ne feront qu'envenimer les problèmes au lieu de les tra iter au fond.

Une grande conférence européenne sur l'industrie de l'aéronautique et de l'espace

Mais n'est-il pas légitime, dans ces con ditions, d'exiger un morato ire pour faire rechercher d'autr es solutions que les suppr essions d'emplois sur l'ensem ble des projets de restruc turat ion prévues chez Airbus industr ie ? De même ne sera itil pas nécessa ire d'organiser une grande conférence européenne sur l'industrie de l'aéronautique et de l'espace avec l'enjeu de coo pérat ions intimes nouvelles favorisant une restructurat ion dans un but de sécur isation de l'emploi, de la format ion et de la recherche dans cette filière ?

Mais c’est auss i, sur les gâchis financ iers de capital, qu’il faudra se penc her pour réa liser les économ ies nécessa ires (sur les dividendes versés par Airbus à EADS, sur les stoc koptions dont le scanda le Forgeard a révélé l’ampleur, sur les pr élèvements banca ires (intérêts , comm issions ,… sur les quels il faut faire toute la clar té).

Il faudra auss i examiner les économ ies à réaliser sur les moyens matér iels afin de les rendre plus efficaces et cela tout autr ement qu’en suppr imant des emplois, en fermant des sites ou en externa lisant des product ions ou des ser vices. Mais, au contra ire, il faut les rendre plus efficaces en formant , en qualifiant les salariés, en recherchant toutes les coo pérat ions, les partages, permettant d’en abaisser les coûts relativement à la valeur ajoutée qu’ils contr ibuent à produire. Cela app elle d’autr es critèr es de gest ion que ceux de la renta bilité financ ière des capitaux , des critèr es d’efficacité sociale visant à maximiser la valeur ajoutée dispon ible pour les salariés et les populations. Cela pose auss i la quest ion de la réor ientat ion de la Banque centra le eur opéenne afin de faciliter le financement de grands programmes européens d'invest issements par cré dit à très bas taux d'intérêt con ditionné à des engagements chiffrés d'emplois et de format ions .

Exiger une totale transparence et des droits décisionnels des salariés

 

Dans l'imméd iat un rappr ochement entr e les salariés de tous les sites d'Airbus en France et en Europe, et au-delà, d’EADS apparaît indispensab le pour exiger une tota le trans parence sur la structur e des coûts , le partage des charges de tra vail, les financements et leur utilisat ion avec un réel pouvoir de contr e-propositions pour les salariés et leurs organisations et institutions représentat ives. Ce qui suppose que l’on écoute et prenne en com pte les propositions et les suggest ions des salariés, que des pouvoirs d’inter vention leur soient accor dés sur les décisions depuis l’atelier et le bureau jusqu’aux quest ions straté giques de l’entr eprise. Il s’agit ainsi de desserr er l’étau de la renta bilité financ ière sur tous les choix qui ont mené aux résu ltats actue ls.

Il faut donc à par tir des comités d'entr eprise, du comité centra l d'entr eprise, du comité de groupe existant et dans des structur es nouvelles à inventer, chercher à aller au-delà des droits d'informat ion et de consu ltation ou de droit de retra it qui ne sont dans les faits, que des droits défensifs pour passer à de véritables droits décisionne ls sur tout ce qui fait la vie de l'entr eprise, des gens au travail. De la straté gie industr ielle à l'organisation du travail en passant par l’emploi et les financements . De leur expérience , de leur histoire, des collect ifs de tra vail existants et à par tir des objectifs affichés, les salariés sont le mieux à même de déterm iner le nom bre et la natur e des emplois (recherche, étu des, production, maintenance , etc.), des investissements , ainsi que l'organisation du tra vail indispensab le pour mener à bien un projet industr iel.

Avec des coopérations et des alliances nouvelles

L'enjeu n'est pas seulement frança is et eur opéen, il est mond ial. On ne saura it s'enfermer dans la seule rivalité de puissance avec les États-Unis et entr e l'eur o et le dollar. La nécess ité de coo pérat ions et d'alliances très nouvelles avec la Russ ie, désorma is par tie prenante , la Chine, les pays émergents se pose avec force pour sor tir de ce face-à-face et faire reculer dura blement l'hégémon ie des États -Unis en cherchant à répondr e aux besoins de développement de toute la planète .

(1) Groupement d’intérêt économique

(2) Air et Cosmos n°2046 (06/10/2006)

(3) En effet, cet avion de nouvelle génération était au départ prévu pour être 100% carbone. Faute de dépenses de recherche il ne le sera qu’à 50%. Ce qui met sa consommation de carburant 20% au dessus de son concurrent américain 7E7.

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Par Borelly Pascal , le 31 juillet 2006

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