Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

LE PROJET NATIXIS Un coup de force qui menace l'intérêt général

Le projet NATIXIS, projet de rapprochement des Caisses d’épargne et des Banques populaires, interpelle directement le gouvernement, le parlement ainsi que l'ensemble des collectivités territoriales.

En effet, s’il se concrétise, il est susceptible d'affecter gravement, et de manière irréversible, la capacité d'établissements de premier plan (Caisse des dépôts et Consignations, Caisses d'Epargne, LA POSTE, Caisse nationale de Prévoyance notamment) à servir au mieux l'intérêt général dans leurs missions de développement économique, de cohésion sociale et territoriale.

A travers ce courrier, nous nous proposons de vous le démontrer et nous vous appelons à intervenir, en direction du Premier ministre, afin d’obtenir l’ouverture d’un débat parlementaire préalable à toute possible mise en oeuvre de ce projet.

1) Un projet élaboré clandestinement sans consultation préalable du gouvernement

Prenant prétexte d'un «risque de fuite dans la presse», Charles Milhaud (Caisse d'Epargne) et Philippe Dupont (Banque Populaire) ont informé, début mars 2006, le cabinet du Premier ministre de leur projet juste avant sa présentation publique. Ce fait est sans précédent dans l'histoire financière de notre pays s'agissant d'un groupe (les Caisses d'Epargne) doté, de par la loi, de missions d'intérêt général.

Ce projet a été élaboré clandestinement et en totale violation du pacte d'actionnaires contracté avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) qui détient 35 % du capital de l'Ecureuil. Non content de cela, Charles Milhaud appelle désormais publiquement la CDC à sortir au plus vite de la Caisse nationale des Caisses d'Epargne (CNCE).

Si elle venait à se réaliser, cette sortie de la CDC de la CNCE affecterait profondément sa capacité à financer ses missions d'intérêt général (la CNCE représente 25 % du résultat du groupe CDC).

Institution financière publique et bras séculier de l'Etat, la CDC est entièrement dévouée au service du pays. L'importance de ses missions lui confère un statut légal unique qui en fait la seule institution publique de notre pays placée «de la manière la plus spéciale sous la surveillance et la garantie de l'autorité législative». Le 21 mars dernier, à l'unanimité de ses membres, la Commission des Finances de l'Assemblée nationale a exprimé publiquement son total soutien à la CDC dans sa «volonté de faire respecter ses droits» dans le cadre de la création de Natixis.

Rappelons que la CDC est, notamment, le gestionnaire de référence de l'épargne et des retraites des Français, le N°1 du financement du logement social (dont bénéficie 1 Français sur 6) et de la politique de la Ville, le partenaire financier privilégié de l'ensemble des collectivités territoriales et le premier investisseur institutionnel de long terme de la place de Paris (portefeuilles de 125 Mrds d'euros en obligations et 25 Mrds d'euros en actions).

Conclusion : le projet Natixis porte gravement atteinte aux ressources disponibles de la CDC et donc à sa capacité d'intervention au service du pays.

2) Un projet qui menace l’ensemble de notre système de financement du logement social.

Le circuit de collecte des 46 000 000 de Livrets A (113,4 Mrds d'euros d'encours), concédé à l'Ecureuil et à LA POSTE, risque fort d'être mis à mal par le projet NATIXIS. Interpellé par la presse, Charles Milhaud, lors de sa conférence commune avec Philippe DUPONT, s'est montré goguenard devant les journalistes qui lui faisaient remarquer, d’une part, que son projet risquait fort d'entraîner la banalisation du Livret A et, d’autre part, que son nouveau partenaire, la Banque populaire, avec d'autres banques venait de déposer un recours devant le Conseil d'Etat pour obtenir cette banalisation...

Aujourd’hui, les banques s'affirment capables de distribuer le Livret A en percevant une commission moindre que celle qui est attribuée à l'Ecureuil et à LA POSTE. Mais seraient-elles en capacité d'assurer la même présence territoriale, y compris en zone rurale et dans les quartiers sensibles, notamment auprès de la clientèle la plus modeste qui n'est pas rentable ? Les banques préfèrent éluder cette question qui constitue un impératif majeur en terme de cohésion sociale et territoriale.

Que se passerait-il en cas de banalisation du Livret A ? M. Philippe AUBERGER, député et président de la Commission de surveillance de la CDC, a clairement apporté la réponse, le 21 mars dernier, devant la Commission des Finances de l'Assemblée nationale :

«Si l'on généralise sa collecte, on n'aurait aucune garantie que les réseaux le distribueront, puisque ceux-ci le mettront en concurrence avec d'autres produits. Cela pourrait nuire au financement du logement social ; en effet, le livret A joue un rôle important dans le financement des sociétés d'économie mixte, des offices et des sociétés de HLM. Tout ce système risque d'imploser avec la généralisation du livret A.»

 

Données chiffrées (source Caisse des Dépôts) :La CDC, qui centralise la totalité des fonds collectés sur le Livret A, assure le financement de 80 % des logements locatifs sociaux (construction, réhabilitation...), par des prêts de long terme. Elle participe également au financement de la politique de la Ville. En 2004, la CDC a arrêté de nouvelles mesures pour financer la réhabilitation de 100 000 logements HLM sur 5 ans et la construction de 10 000 logements intermédiaires supplémentaires. Elle propose aux grandes villes et aux bailleurs sociaux les financements globaux et pluriannuels nécessaires à la mise en oeuvre de leurs politiques de l’habitat. L’encours total des prêts s élevait fin 2004 au montant colossal de 81 milliards d'euros.

Conclusion : le projet NATIXIS fragilise gravement le système de financement du logement social qui «risque d'imploser avec la généralisation du Livret A» (le 7ème rapport de la Fondation Abbé Pierre, publié en mars 2002, recense trois millions de personnes mal logées en France).

3) Le projet NATIXIS menace directement la viabilité économique de la Banque postale et appelle la définition urgente d'un cadre légal pour un service bancaire de base universel digne de ce nom.

La création de la Banque postale a fait l'objet de vives critiques de la part du mouvement syndical qui y voit une atteinte à l'unicité de LA POSTE et considère que cette évolution, tendant à en faire une «banque comme les autres», préfigure mécaniquement l'abandon du rôle, central et irremplaçable, de LA POSTE en matière de cohésion sociale et territoriale.

Mais le mouvement syndical est également soucieux de la viabilité économique de la Banque postale (28,9 millions de clients dont 10 millions en tant que banque principale) qui, pour une part essentielle, repose sur la distribution des produits de la Caisse nationale de Prévoyance et sur celle du Livret A.

La Caisse nationale de Prévoyance (CNP). Première compagnie d’assurance de personnes, seule compagnie d’assurance encore majoritairement publique, la CNP est majoritairement détenue par la CDC, La Poste et les Caisses d’épargne, qui sont liées entre elles par un pacte d’actionnaires jusqu’en 2007. Or, la presse financière fait désormais état d'une dissolution de ce pacte à l'initiative de l'Ecureuil. La sortie du capital de la CNP servant de compensation à la sortie possible de la CDC de la CNCE. Cette idée d'une CNP «monnaie d'échange» ignore totalement le rôle spécifique de la CNP, acteur majeur et unique dans les domaines de l'épargne et de la prévoyance (assurance emprunteurs, couverture des collectivités locales...) au carrefour des réseaux et acteurs publics, mutualistes, paritaires, privés ou associatifs. Les incertitudes liées à l'avenir de la CNP sont de nature à déstabiliser le modèle économique de la Banque postale, actionnaire de référence de la CNP.

Le Livret A et la lutte contre l'exclusion bancaire. Seul véritable recours des exclus du système bancaire, les services financiers de LA POSTE ne refusent aucun client. Un RMIste sur deux est client de LA POSTE. 1 300 bureaux sont installés dans des zones urbaines sensibles (ZUS) ou en bordure. Nombre de Livrets A ouverts à LA POSTE font office de compte bancaire pour les plus démunis. 50 % d'entre eux ont un solde inférieur à 150 euros. 46 % du «temps guichet» est consacré aux retraits et versements sur le Livret A.

Ce phénomène est amplifié par le fait que les banques incitent très largement les ménages modestes, jugés non rentables, à ouvrir un compte à LA POSTE. Elles revendiquent la banalisation du Livret A mais sont totalement hostiles à la mutualisation de la lutte contre l'exclusion bancaire.

L'actuelle procédure légale de droit au compte qui bénéficie d'actions de promotion de la Fédération Bancaire Française nécessite l'intervention de la Banque de France. Elle apparaît comme un service minimum tant par la nature des prestations que par la population concernée. Moins de 30 000 personnes en bénéficient (dont un tiers sont des personnes morales, c’est-à-dire en fait des micro-entreprises). Ce qui représente à peine 2% du nombre d'exclus bancaires avancé par les principales associations de lutte contre l'exclusion (qui, faute de statistiques officielles, situent leur nombre entre 5 000 000 et 6 000 000).

En cas de banalisation du Livret A qui affecterait gravement son équilibre financier, LA POSTE n'aurait d'autre choix que d'accentuer davantage son désengagement territorial, se désintéresser progressivement de sa clientèle sociale non rentable et procéder à des suppressions massives d'emplois. Il lui faudrait également très rapidement trouver un partenaire financier et cela dans les pires conditions pour négocier ce partenariat. L'objectif poursuivi par les initiateurs de la Banque postale visant à lui donner les moyens de son développement pour faire face à la concurrence serait alors très profondément compromis.

 

Conclusion : le projet NATIXIS menace la viabilité économique de LA POSTE, et donc sa présence territoriale, son rôle social et son rôle d'employeur. Il souligne l'urgence incontournable de la définition légale d'un service bancaire de base universel digne de ce nom.

  1. Le projet NATIX IS menace les missions d'intérêt général dévolues à l'Ecureuil.

La loi de 1999 réformant le statut des Caisses d'Epargne a fixé des missions d'intérêt général. Dans ce cadre, 2 556 projets d'économie locale et sociale (PELS) pour un montant 51 millions d'euros ont été soutenus en 2005. Les PELS sont très appréciés des élus locaux qui entretiennent des relations étroites avec le groupe qui détient 34 % de parts de marché sur le secteur public territorial (plus de 25 Mrds d'euros d'en-cours de crédit au 31/12/2004). Une commune sur deux et la quasi-totalité des départements et des régions sont clients du Groupe et 4 500 collectivités locales sont sociétaires des Caisses d’Epargne.

Conclusion : le projet NATIXIS vise à constituer un véhicule coté avec la Banque populaire tendant à transformer la CNCE en coquille vide. Une grande partie des profits échapperont à la CNCE et les montants alloués aux missions d'intérêt général en seront profondément affectés.

  1. Les autres questions soulevées par le projet : l'emploi et le mutualisme.

La question sociale est évidente. Bien que l'Ecureuil ait opposé un démenti, la presse a évoqué la suppression de 2 000 emplois dans le groupe Caisses d'Epargne (Caisses d'Epargne et ses filiales : Crédit Foncier, Banque Palatine ...). La même logique risque d'affecter la Banque Populaire. 600 agents de la CDC, détachés auprès de la banque d'investissement Ixis, sont incertains sur leur avenir. Enfin, le risque social est majeur à LA POSTE en cas de banalisation du Livret A. En comptant les services financiers de LA POSTE, le projet NATIXIS vise un ensemble d'entités qui rassemblent 120 000 salariés.

Enfin, qu’en est-il de la préservation de la spécificité du secteur mutualiste et coopératif ? Le projet NATIXIS, tout entier tourné vers la recherche de valeur, est manifestement très éloigné des valeurs mutualistes. Compte tenu du climat qui règne à Bruxelles, cette opération pourrait être le prétexte tout trouvé, pour la Commission européenne, d'engager la remise en cause de l'ensemble de ce secteur.

Les questions posées par le projet NATIXIS sont considérables Elles dépassent incontestablement et très largement le cadre d'une affaire privée. Elles touchent à l'intérêt national. Nous souhaitons que le gouvernement prenne l'initiative de saisir le Parlement afin que ce dernier appréhende l'ensemble des enjeux et puisse en débattre, en lien avec l'ensemble des acteurs concernés sans omettre les représentants des personnels.

Au-delà des entités directement concernées par l'opération, le projet NATIXIS pose, de manière plus large, la question fondamentale de l'intérêt, pour la collectivité nationale, de disposer d'une secteur public et semi-public économique et financier.

C'est pourquoi nous souhaitons que le débat, que nous appelons de nos vœux, soit mis à profit et élargi à l'ensemble des établissements de ce secteur oeuvrant au service de l'intérêt public (Banque de France, IEDOM et IEOM, Agence Française de Développement, BDPME, ANVAR et UBIFRANCE).

  1. Adresse à l'ensemble des : Députés et Sénateurs, Président(e) s des conseils régionaux, conseils généraux et associations d'élus locaux, des organisations syndicales : CAISSES D’EPARGNE (CFDT, CGT, SUD) - NATEXIS BANQUES POPULAIRES (CGT), CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS (CFDT, CGT, CFE/CGC, FO, UAI/UNSA), IXIS (CGT) - IXIS CIB (UAI/UNSA) - CAISSE NATIONALE DE PREVOYANCE (CGT), BANQUE PALATINE (CGT) - CREDIT FONCIER (CFDT, CFE/CGC, CGT, FO, SUD), BANQUE DE FRANCE (CFDT, CGT, FO, SIC, SNABF SOLIDAIRES), INSTITUTS D’EMISSION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER ET DES TERRITOIRES D’OUTRE-MER (CGT), AGENCE

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.