Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Du rejet du CPE et de la précarisation à la montée des exigences de sécurisation des emplois et des formations

Unité d'action rassembleuse et perspectives de construction sociale nouvelle possible

L'existence de projets alternatifs et la montée des idées de sécurité d'emploi opposée à la précarité, avec la perspective de transformation sociale dans ce sens, ont participé à la force de l'unité et de la mobilisation pour le rejet du CPE. Et de son côté, l'ampleur de la mobilisation unitaire pour le retrait du CPE a crédibilisé les idées de perspective sociale alternative possible. C'est l'avancée de la thématique de la « sécurisation des parcours professionnels », que tous les syndicats de salariés avaient commencé à partager à la veille du mouvement, ainsi que tous les partis de gauche, chacun à sa façon, et même, comme formule affichée par certains dans la droite et au gouvernement.

Bien sûr, cela recouvre non seulement des différences mais des divergences importantes entre les forces organisées, même si les aspirations sociales tendent, elles, à converger. Cependant, le passage possible, après la première victoire contre le CPE, des protestations et des revendications défensives, à des propositions et des luttes pour une construction sociale alternative, favorisée par la proximité des élections présidentielles et législatives, pourrait contribuer à relancer une unité d'action plus ambitieuse et à la faire perdurer. Toutefois, au-delà d'une unité superficielle et fragile, l'effectivité des transformations de progrès radical dépendrait du contenu des propositions suffisamment précises et de leur prise en main populaire suffisamment vaste.

Avancées d’idées nouvelles : Conceptions diffé
rentes, divergences et enjeux de convergences
pour un progrès fondamental dans la pratique

Derrière des formules apparentées sinon communes, il y a actuellement de profondes divergences. Cependant, du milieu des années 90 à aujourd'hui, on a assisté à des avancées considérables d'idées et non seulement de formulations nouvelles. Et ces avancées ne sont pas du tout terminées, même si leur maturation pose aujourd'hui, après la mise en avant de la lutte contre la précarité par la bataille du CPE, les questions de leur articulation avec des transformations dans la pratique.

À cette fin, en ce qui concerne la portée des différences et des convergences, il convient sans doute de mettre d'abord l'accent sur les convergences entre les diverses formulations de projet social nouveau :

« sécurité d'emploi ou de formation » avancée dès 1996, puis adoptée par le PCF,

« sécurité sociale professionnelle » proposée ensuite par
la CGT, sous la double influence de la sécurité d'emploi ou

de formation visant l'éradication du chômage, et d'idées, comme celles du juriste Alain Supiot, de continuité de droits et de statut à travers les situations d'emploi ou de chômage ou de formation,

et autres propositions syndicales ou politiques.

Alors que la formule de sécurité sociale professionnelle a été reprise par des dirigeants du PS à leur façon, elle est même utilisée par certains à droite ou au gouvernement dans une démagogie de reconnaissance de son succès. L'objectif de « sécurisation », avancé à propos de la mise en place graduelle de la sécurité d'emploi ou de formation, se retrouve avec le mot d'ordre de « sécurisation des parcours professionnels ». Cette dernière a été adoptée non seulement par la CGT, mais par d'autres syndicats comme la CFDT, et aussi par diverses formations politiques, quoique avec des contenus différents.

Ce qui serait à l'ordre du jour, après les mises en cause massives de la précarisation par les luttes contre le CPE, serait de construire des avancées effectives de la sécurisation des emplois des jeunes et de tous les autres. Cela pourrait s'appuyer sur les rassemblements les plus larges des citoyens et des travailleurs. Mais aussi ces rassemblements devraient être mis au défi de propositions véritablement anti-pré caris ation, avec des débats sur leur précision concrète pour des transformations de progrès fondamental, en arrivant à se dégager des références plus ou moins illusoires ou démagogiques à la formule de sécurisation couvrant des politiques soit de conciliation avec les facteurs de précarisation à gauche, soit même de régression réactionnaire agressive à droite.

Portée d'un projet de transformation radicale pour animer des avancées immédiates de progrès effectif

La référence à la mise en pratique progressive d'un projet radical, comme celui de la sécurité d'emploi ou de formation, à l'opposé des tendances à ne pas mettre en cause les pratiques du système existant, pourrait favoriser des propositions réalisables immédiatement mais visant à se prémunir de dérives dangereuses et de fragilités, sous pression des forces dominantes de précarisation, et poussant le plus possible au contraire contre elles des avancées novatrices. Ainsi, le réalisme pour des transformations réalisables milite pour des mesures de transformations graduelles. Mais au nom de la gradualité, si la perspective était l'éradication du chômage, avec une rotation emploi/formation des activités professionnelles, il s'agirait de réduire graduellement l'emprise du chômage en cherchant à le supprimer complètement d'abord dans certaines situations concrètes, tandis que la formation bien rémunérée et de qualité participerait à cette suppression.

 

Au contraire, si la perspective n'était pas l'éradication du chômage, mais seulement l'augmentation de l'emploi, des mesures sociales de soutien des chômeurs ou du retour à un emploi, on pourrait dériver vers des accompagnements sociaux du chômage et de la précarité, cette dernière pouvant être même encouragée au nom de la sécurisation. En effet, on tend à justifier la précarité renforcée et systématique des contrats de travail sous prétexte de faciliter les embauches. C'est précisément ce qu'on a fait avec le CPE, tout en disant c'est mieux que rien. C'est aussi le sens de la thématique de la « Flexs écurité » dans l'Union européenne, qui se veut moins brutale et plus négociée et qu'on nous vante du côté du PS, avec la résignation au moindre mal. Au Danemark, le prétendu « paradis » de la Flexsécurité, même si les dépenses pour l'indemnisation, l'accompagnement des chômeurs ainsi que pour la formation sont bien plus importantes, un quart de la population passe tous les ans par le chômage en laissant des masses d'exclus de l'emploi sur le carreau en permanence, un paradis avec bien des serpents comme disent les syndicalistes danois.

En outre, des mesures visant seulement à faciliter les créations d'emplois et à réduire et accompagner les temps de chômage, au nom d'amélioration réaliste, pourraient être largement balayées en cas de pression des difficultés de la conjoncture économique sur les entreprises. C'est pourquoi d'ailleurs il ne suffirait pas seulement d'un statut amélioré des salariés mais aussi d'un autre statut des entreprises elles-mêmes et des services publics de l'emploi et de la formation. Si l'on visait, au contraire, à supprimer graduellement le statut de chômeur et la régulation par le chômage de la gestion entrepreneuriale du marché du travail, il ne faudrait pas seulement des mesures « contra-cycliques » radicales, pour relever la demande et les activités, tout particulièrement par la formation, les revenus et la consommation des mis en formation comme leurs activités hors emploi, avec les financements corrélatifs. Mais les objectifs sociaux immédiats eux-mêmes seraient animés dans leur rigueur par cette perspective radicale. Ce serait notamment :

des mesures sur l'entrée des jeunes dans l'emploi, excluant les contrats précaires avec des CDI, mais aussi leur accompagnement par un dispositif institutionnel nouveau de sécurisation avec un volet formation rémunérée, les incitations et les obligations fortes d'emploi des jeunes pour les entreprises et les services publics ;

des mesures contre les licenciements, organisant les propositions alternatives des travailleurs pour le maintien en emplois ou au moins des obligations de reclassement de qualité et pour tous, etc.

Tout cela s'articulerait à l'ambition de créativité d'institutions sociales nouvelles, comme des mutualisations entre entreprises dans les bassins d'emploi et les régions, dans les branches, pour permettre de passer d'un emploi à un autre, ou à une formation pour retourner à un emploi , avec une sécurisation du revenu et des activités, y compris avec la création d'emplois publics ou sociaux et le soutien des entreprises d'insertion. Toutes les questions de droits, de pouvoirs, de financement serait posées et traitées de façon résolument alternative.

Objectifs sociaux immédiats d'avancées systé- matiques de sécurisation, opposée s à la précarisation des emplois dans les divers domaines de l'insécurité sociale

Il s'agit, bien sûr d'abroger le CNE et le contrat « senior », ainsi que toutes les dispositions de la loi dite d'égalité des chances, apprentissage à quatorze ans, travail de nuit des enfants à 15 ans, ou encore la loi sur l'immigration « jetable », etc.

Mais au-delà, on peut organiser l'avancée de mesures de sécurisation pour les différentes catégories d'insécurité et de fragilité sociale, et les faire converger vers des institutions communes, tout en s'opposant à la mise en concurrence de ces catégories entre elles et avec les autres travailleurs. Cela concerne :

  1. les trois moments de sécurisation de la vie professionnelle : de l'entrée des jeunes dans l’emploi, des jeunes en difficultés (avec un accompagnement) aux étudiants (avec des allocations autonomie-formation, un contrôle et une bonne rémunération des stages); des parcours professionnels; des seniors et de la fin de vie active ;

  2. les trois privations d'emploi : des chômeurs; des emplois précaires et atypiques (y compris les temps partiels contraints); des licenciements, restructurations et délocalisations ;

  3. les trois autres discriminations dans l'emploi : des femmes, des personnes issues de l'immigration ou immigrés, des chômeurs de longue durée et des découragés de demander un emploi.

Des mesures spécifiques ne concerneraient pas seulement l’exigence de CDI ou la conversion en CDI, avec des obligations et des pénalisations pour les entreprises (comme des modulations et augmentations de prélèvements sociaux et des taxations). Elles ne se fonderaient pas sur l’abaissement du coût salarial (comme actuellement avec les baisses de charges sociales), pour ne pas faire concurrence aux autres salariés. Elles organiseraient aussi des dispositifs institutionnels de sécurisation.

Ces dispositifs se rapporteraient à des mesures spécifiques de formation continue mais dans le cadre d'un développement considérable global et d'une refonte de cette dernière, encore actuellement si étroite, avec des durées souvent très insuffisantes, inégalitaire et non démocratique.

Ils organiseraient aussi des mutualisations entre entreprises et avec les services publics, notamment pour développer la sécurisation des parcours. Des contrats de travail avec des ensembles d’entreprises et de services permettraient le passage sans chômage d’une entreprise à une autre ou à une formation pour revenir à l’emploi, dans la continuité des revenus et des droits. Des obligations pour entrer dans ces mutualisations dans les bassins d’emploi ou dans des secteurs d’activité seraient instituées sous contrainte de pénalisation financière, comme avec des alourdissements de l'impôt sur les sociétés, et aussi des incitations comme par le crédit.

A l’opposé des pressions pour accepter des emplois précaires et mal payés pesant sur les chômeurs, des obligations d’ouverture des entreprises et de créations d'emplois peseraient sur leurs directions, avec des pouvoirs nouveaux des services publics de l'emploi et de la formation démocratisés. De bonnes indemnisations de tous les chômeurs prépareraient une sécurisation des revenus et favoriseraient des formations choisies et de qualité.

Tout cela devrait s'insérer dans le cadre d'une sécurisation grandissante de tous et non seulement de ces publics particuliers, à l'opposé de mise en concurrence avec les autres salariés. À cette fin, des bilans des besoins et des plans annuels de création d'emploi et de formation, avec des engagements concerneraient, aux niveaux local, régional et national, non seulement les différentes catégories visées mais, une progression globale de l'emploi et de la formation sécurisés. D'où l'exigence de moyens financiers et de pouvoirs alternatifs pour réaliser ces objectifs différenciés et globaux et aussi une nouvelle croissance favorable à l’emploi et à la formation.

 

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