Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le défi énergétique du 21ème siècle! (1)

Claude Aufort
Le prix de l'essence augmente et tous les commentateurs estiment qu'il ne baissera plus. Les médias abordent maintenant régulièrement les questions énergétiques avec une absence d'objectivité évidente pour quiconque connaît un peu ce sujet. Les Français ont besoin de connaître la réalité pour savoir ce qu'il en est réellement, d'autant plus que depuis plus de dix ans les réformes se multiplient et que les coûts de l'énergie grimpent pour les citoyens.
Ce deuxième dossier énergie de notre revue, en moins d'un an, se propose de les aider à y voir plus clair.

L'impasse énergétique planétaire !

La situation énergétique mondiale et nationale devient, depuis quelques années, un sujet d'actualité de plus en plus brûlant. Qu'en est-il exactement ? Examinons la situation.
La situation énergétique mondiale
Le tableau (2) ci-dessous, synthétise les consommations des différentes sources, d'énergie, leurs réserves, leurs conséquences sur le climat et les tendances actuelles relatives à l'évolution des prix.
Le protocole de Kyoto qui a pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), est un premier pas insuffisant pour limiter les conséquences du réchauffement climatique. Il est néanmoins refusé par les USA et la Chine. Sa mise en œuvre au travers de quotas d'émission régulés par le marché met en cause l'indispensable solidarité internationale nécessaire pour limiter les conséquences à terme de ce phénomène. Il convient donc d'aller plus loin dans la réduction des GES.

Plusieurs constats mis en évidence dans ce tableau nécessitent une analyse plus approfondie. Nous allons seulement en énumérer, par ordre de gravité, les conclusions d'une analyse déjà faite dans un précédant numéro d'Economie et Politique (3).
Environ 60% de l'énergie consommée dans le monde (65% pour l'Europe et 49% pour la France) provient des ressources en hydrocarbures. Or, comme toutes les ressources, celle des hydrocarbures s'épuise. Le débit de pétrole qui sort des puits mondiaux passera dans les prochaines années par un «pic» qui correspondra au moment où les capacités mondiales de production de pétrole atteignent leur maximum avant de décroître inéluctablement. Quelle que soit l'échéance de survenue du pic, nous devons d'autant plus nous préparer à l'après pétrole qu'il faudra environ 30 ans, dans le meilleur des cas, pour changer notre système énergétique. Cette évaluation déjà alarmante par elle-même, se trouve aggravée par un autre constat : la mondialisation libérale repose aujourd'hui sur des transports bons marché utilisant le pétrole. Or, dans un contexte mondial d'augmentation de la demande de pétrole pour les pays développés mais aussi et surtout pour les pays en voie de développement, la diminution progressive de la production mondiale de pétrole ne peut entraîner qu'un écart croissant entre l'offre et la demande. Dans cette conjoncture, le prix du pétrole ne peut que grimper, sans que l'on puisse en préciser la limite. Le recours croissant au gaz ne change pas globalement l'échéance de cette crise puisque le pic gazier sera décalé de 10 ans environ par rapport à celui du pétrole.
Le charbon apparaît comme un recours énergétique possible pour le futur afin d'obtenir un bouclage difficile à réaliser autrement entre demandes mondiales d'énergie et ressources terrestres. L'Europe doit participer à l'effort de recherche et développement consacré à cette ressource. Cela est nécessaire pour assurer son indépendance énergétique à long terme et pour aider les pays en voie de développement à acquérir les équipements lourds moins polluants dont ils auront besoin.
Avec son parc nucléaire de production d'électricité notre pays se place en position originale pour combattre, dans les meilleures conditions, l'émission des gaz à effet de serre et assurer une production électrique indépendante du pétrole à un coût inférieur à celui des autres énergies. La perspective du renouvellement de ce parc devient une question urgente ; elle passe par la réalisation rapide d'un prototype de réacteur EPR dit de «génération 3». Dans l'état actuel des sciences et des techniques, l'énergie nucléaire de fission paraît être la solution la plus robuste pour répondre, en grande quantité à la demande concentrée d'électricité indispensable aux grandes villes et aux zones à haute densité de population, sans accroître pour autant les désordres climatiques.
Malgré leurs attraits et leurs atouts incontestables, la mise en œuvre des énergies renouvelables à grande échelle, a un coût très supérieur aux autres formes d'énergie du fait de leur caractère plus ou moins diffus. Utiles dans certaines conditions particulières, les énergies renouvelables ont donc des limites réelles.
En conclusion de ce panorama mondial des limites des ressources énergétiques actuelles, plusieurs constats s'imposent. Il nous faut tirer partie de toutes les formes d'énergie, nous ne pourrons nous passer d'aucune d'entre elles dans les prochaines décennies. Les énergies de l'atome et le charbon sont les seules ressources non-renouvelables et robustes qui dépasseront le 21ème siècle à condition que les pays développés consentent des efforts de développement importants pour ces deux types d'énergie.

Les enjeux

Face à ces contraintes inédites et incontournables qui tendent à réduire la production d'énergie, nous devons répondre à une demande qui ne peut être que croissante.
Deux enjeux difficiles sont à prendre en compte : le droit à l'énergie pour tous les habitants de la Terre dans une mutation profonde du système énergétique.
Le droit à l'énergie pour tous
Les besoins énergétiques des peuples vont croître dans des proportions elles aussi inédites. Si nous admettons que la consommation moyenne par habitant de la planète est passée de 1,6 à 2 tep/an/hab en 50 ans et que nous devrions être environ 9 milliards en 2050, nous devons admettre que la consommation mondiale sera d'environ 20 Gtep/an (109 tonnes équivalent pétrole par an) soit pratiquement le double de la consommation actuelle. A cette évaluation grossière il convient d'ajouter l'indispensable résorption des inégalités énergétiques mondiales qui sont devenues insupportables puisque, en moyenne, un Africain consomme 13 fois moins d'énergie qu'un Américain. L'accroissement de la demande de la Chine et de l'Inde constaté actuellement, n'est probablement que le début d'un réajustement énergétique planétaire qui risque de bouleverser la prévision de doublement de la consommation d'énergie élaborée schématiquement sur la base de la seule augmentation de la démographie mondiale. Cette irruption des grands pays en voie de développement (à forte croissance) aura d'autant plus d'impact sur la demande énergétique que leur culture technique entraîne un «recouplage» entre énergie et croissance au niveau mondial. Si l'urbanisation continue de croître dans tous les pays comme on peut le constater, l'électricité étant la forme d'énergie la mieux adaptée pour les villes, la demande électrique pourra augmenter beaucoup plus rapidement que l'ensemble des demandes des autres vecteurs énergétiques.
Comme l'eau, l'énergie est indispensable à la vie. Tous les hommes y ont droit. C'est un enjeu planétaire qu'il convient d'assurer par un coût bas de l'énergie et la prise en compte des cultures de chaque peuple.

Une mutation énergétique s'impose

 

On constate aujourd'hui que la consommation des ressources naturelles des 40 dernières années dépasse celles cumulées par toutes les générations qui ont vécu depuis les origines de l'Homme. Force est d'admettre qu'un certain équilibre entre l'Homme et son environnement terrestre a atteint ses limites. Un autre développement s'impose.
Devant la triple conjoncture de réchauffement climatique, d'épuisement des hydrocarbures, et d'une demande croissante géopolitiquement transformée, un changement de système énergétique des sociétés s'impose. Il s'agit d'une mutation gigantesque qui sera d'autant mieux maîtrisée, qu'elle sera anticipée avec des options de court, de moyen et de long terme et qu'elle aura l'accord des populations. Tous les peuples de la Terre ont intérêt à être solidaires et à coopérer pour que chacun d'entre eux maîtrise sa demande énergétique en fonction de ses besoins et de la réponse qu'il y apporte. La crise énergétique qui se profile à l'horizon est mondiale. Il n'existe pas de solution pacifique qui pourrait être strictement nationale, quel que soit le pays. Un des enjeux de la situation actuelle réside dans la capacité qu'aura la communauté internationale d'y faire face avec une maîtrise suffisante pour préserver la paix, car la pénurie énergétique est le risque le plus important que l'Humanité pourrait avoir à affronter.

Comment en sortir ? .....

Pour surmonter cette impasse planétaire, l'Humanité doit aujourd'hui trouver d'autres solutions. L'effort de recherche pour accroître l'efficacité et la diversité énergétique ainsi que le mode de régulation de l'énergie sont au cœur de la réponse.
aller vers un autre mode de développement avec l'effort de recherche ...
Pour sortir progressivement de l'âge des hydrocarbures, nous devons mener dès maintenant une politique de recherche courageuse et volontariste dans tous les domaines de la production, de la conversion et de l'utilisation de l'énergie ainsi que des modes de vie, pour ne pas nous retrouver dans 20 ans devant une situation devenue ingérable.
La période 2006-2020, pour laquelle la démographie est prévisible et où les procédés d'exploitation et de conversion d'énergie sont connus, nous amène à rechercher des gains de consommation énergétiques en rapport avec l'état des technologies énergétiques utilisées actuellement et dans l'organisation des transports.
Des gains substantiels sont envisageables si un effort de recherche est engagé dans tous les domaines concernés par les chaînes de transformation de l'énergie.
Toutefois, l'enjeu principal concerne le domaine des transports. Un premier élément de réponse est donné par la priorité qui pourrait être donnée aux transports collectifs : c'est une question politique en rapport avec le choix du type de société que nous voulons et qui devrait privilégier le transport par rails avec les investissements nécessaires à l'intermodalité. Dans ce contexte d'économie d'énergie, la filière maritime devrait elle aussi relever d'un renouveau de la volonté politique.
La véritable révolution du système énergétique est celle des transports routiers. L'usage quasi exclusif des dérivés pétroliers n'est plus acceptable. L'électricité, comme vecteur de substitution, nécessite, pour déboucher sur une réelle efficacité, un effort de recherche important sur le stockage de cette énergie. A plus long terme, la recherche en direction de la filière hydrogène pourrait représenter une perspective plus robuste.
Pour le plus long terme, après la période du court terme examinée précédemment nous devons préparer les conditions d'un changement plus radical de notre système énergétique. C'est un aspect du changement de civilisation dans lequel nous sommes déjà engagés. Il est possible de considérer qu'il se développera approximativement au court de deux périodes successives.

On peut espérer voir disparaître d'importantes pertes énergétiques dans le chauffage des locaux des secteurs résidentiel et tertiaire. Mais, leur mise en œuvre dans le bâtiment est lente. Elle ne pourrait avoir un effet plus rapide sur la consommation d'énergie que si un service public du logement social engageait un programme conséquent de logements qui intégrerait des évolutions notables dans les modes de chauffage. Les énergies renouvelables, dont la biomasse et le solaire, devraient y jouer un rôle important renforcée par une isolation plus efficace.
• 2020-2050 - La demande globale d'énergie qui devrait être le double de celle d'aujourd'hui sera freinée par la nécessité de piéger et de stocker une part importante des gaz à effet de serre et par le rythme de développement de l'énergie solaire. Les études relatives à la Génération IV des réacteurs nucléaires permettront probablement la réalisation de plusieurs prototypes avant 2050. On saura alors si ces réacteurs seront capables de produire de grandes quantités d'hydrogène et si les recherches sur la fusion débouchent sur de réelles perspectives. Cette période devra être mobilisée par l'effort de recherche dans tous les domaines. Elle ne débouchera positivement que si les efforts accrus de recherches démarrent maintenant.
● 2050-2100 - La demande continuera de croître et les tensions sur les hydrocarbures atteindront leur maximum du fait de l'épuisement des ressources en gaz et en pétrole. A cette échéance, les transports pourront certainement utiliser d'autres vecteurs énergétiques comme l'électricité et/ou l'hydrogène. Les changements climatiques entraîneront probablement des évolutions de la demande d'énergie pour le conditionnement de l'air et le dessalement de l'eau de mer. L'électricité pourrait, dans cette conjoncture, être une énergie dominante si les nouvelles filières nucléaires et la maîtrise des coûts de l'énergie solaire pouvaient fournir une réponse à cette demande accrue.

..... et un autre mode de régulation de l'énergie

Face à l'épuisement des ressources fossiles, les économistes libéraux nous expliquent que la demande croissante concomitante avec une ressource progressivement raréfiée, entraînera une augmentation des prix dans des proportions suffisantes pour permettre des ajustements. Les prix comprimeront la demande et financeront le développement de ressources alternatives. La «magie» des prix et celle de la technique permettrait de surmonter les contraintes ! ... Or, les échelles de temps dans lesquelles agissent les prix et les développements techniques ne sont pas les mêmes. Les prix interagissent en temps réel, les développements scientifiques et technologiques se comptent en décennies. Le coût social et politique des logiques du marché est aujourd'hui inacceptable. La réalité et le retour d'expérience de la déréglementation mondiale sont déjà suffisamment éloquents.

Les logiques du marié et leurs conséquences politiques

L'énergie dans le monde est perçue de manière différente par trois groupes de pays. Les Etats-Unis ont, pour des raisons historiques et géographiques, un style de vie énergétique-ment dispendieux. L'Europe, fortement frappée par les précédents chocs pétroliers a déjà accumulée, grâce à ses services publics notamment, une expérience d'utilisation plus efficace de l'énergie. Les pays en voie de développement interviennent maintenant dans l'arène internationale de l'énergie pour y faire valoir leurs besoins qui sont énormes, notamment en direction des deux ressources les plus sensibles : les hydrocarbures et le nucléaire. Il ressort de cette tripolarisation des problématiques difficiles pour affronter le changement climatique, la gestion de l'épuisement des hydrocarbures et celles des risques nucléaires que les logiques libérales sont incapables de gérer dans l'intérêt des peuples.
Aujourd'hui la régulation planétaire de la réduction des gaz à effet de serre se trouve devant une impasse. Le protocole de Kyoto qui vise une stabilisation des émissions de GES par rapport à 1990, déjà insuffisant dès son élaboration, s'avère être un échec. La production de CO2 dans le monde a augmenté de 15 % entre 1992 et 2002 vient d'annoncer la Banque mondiale dans son Petit Livre vert de l'environnement. La communauté scientifique internationale est tombée d'accord pour proposer aux responsables politiques des pays de la planète un certain nombre d'objectifs, notamment celui qui vise à ne tolérer qu'une augmentation de température de 1,9°C en 2050 par rapport à 1990 : il faudrait pour cela que les pays industrialisés divisent leur émission de GES par 2 ce qui permettrait aux pays émergents de les multiplier par 2 et par 5 pour les pays les moins développés. Le constat est simple : il y a contradiction entre la régulation par le marché et une politique climatique responsable.
Face à la déplétion des hydrocarbures, plusieurs scénarios sont envisageables. Ils sont déterminés par les modes de régulation internationales de l'énergie et les politiques énergétiques de chaque pays. Dans le cadre d'une régulation de l'énergie par les logiques du marché, le prix du baril augmente et entraîne progressivement un essoufflement de l'activité économique. Les effets économiques de la déplétion pétrolière sont en «tôle ondulée», dans un contexte de crise économique durable du type de 1929. Nous entrons dans une phase de marasme économique. C'est le scénario le plus probable dans le cadre des orientations libérales de l'économie mondiale. Il peut même déboucher, s'il y a absence d'orientation pour réduire la consommation de pétrole, vers une crise majeure et l'extension des conflits armés pour sécuriser les approvisionnements pétroliers des pays développés.
L'énergie nucléaire paraît être la solution la plus robuste pour fournir de l'électricité aux populations urbaines de la planète, sans accroître les désordres climatiques. Tôt ou tard, les peuples encore réticents devant l'utilisation de cette énergie ne manqueront pas de mesurer les inconvénients qui résulteraient de son rejet. D'autres pays progressivement, bien que mal préparés à développer le nucléaire, seront contraints de s'y engager pour faire face au risque le plus grave, celui de pénurie d'énergie. Dans ces conditions, cette énergie potentiellement plus dangereuse que les autres, comporte des risques que la communauté internationale se doit de prévenir : la prolifération nucléaire et le risque d'accidents grave, de type Tchernobyl, dont on sait que leurs conséquences ignorent les frontières. Le conflit de l'Iran avec les Etats-Unis et l'Europe est au cœur de cette question. Les Etats-Unis et l'Europe cherchent à empêcher l'Iran d'être maître de la fabrication de son combustible nucléaire civil parce que les technologies utilisées permettrait la fabrication des armes nucléaires. L'Iran refuse en application du traité de non-prolifération (TNP) qu'il a signé et en soulignant que les puissances adverses, se taisent vis-à-vis d'Israël et collaborent avec l'Inde, deux pays qui possèdent l'arme atomique sans avoir signé le TNP. Ajoutons que l'Iran, dont on peut légitimement douter de ses intentions pacifiques, est situé dans un Moyen-Orient ravagé par les conflits armés qui est le premier réservoir des ressources en hydrocarbure de la planète. Ces questions sont politiques et ne peuvent pas relever des logiques du marché.
Si nous ajoutons à ces grandes questions les retours d'expériences de la déréglementation de l'électricité aux Etats-Unis, en Italie, Espagne et une augmentation généralisée des tarifs dont tout laisse penser qu'elle va se poursuivre (y compris en France qui produit son électricité avec un parc nucléaire), chacun peut comprendre que l'énergie doit sortir de l'économie concurrentielle.
La communauté internationale, celle des décideurs politiques, montre des faiblesses et des incapacités à bien percevoir les enjeux énergétiques planétaires de notre époque. Enfermée dans les règles de l'OMC, du marché et de la compétitivité, elle est myope sur les défis énergétiques à surmonter. Les modes de régulation de l'énergie qu'elle continue d'installer dans un ordre international déstabilisé, ne peuvent pas créer les conditions de la solidarité et de la coopération sans lesquelles il n'y a pas d'issue acceptable.
La satisfaction des besoins et les obstacles qu'il convient de surmonter
Soulager la dépendance pétrolière exige de créer des réseaux de fret ferrés, fluviaux et de cabotage maritime, de substituer des trains rapides aux lignes aériennes intérieures, de remplacer le fuel et l'essence pour le chauffage et les transports routiers. Cela implique de privilégier les transports publics dans les agglomérations. Ces futurs chantiers constituent des activités et des gisements d'emplois qualifiés très importants.
S'adapter aux inéluctables évolutions climatiques exige, de revoir la politique agricole et forestière, de privilégier les productions d'énergie qui ne sont pas émettrices de gaz à effet de serre, d'adapter les systèmes énergétiques à l’eau disponible, les bâtiments aux grandes chaleurs. Mais s'adapter, c'est aussi accepter d’entreprendre une réflexion sur la prévention des risques et la réparation des dommages pour les acteurs publics et privés et d’y consacrer une part financière plus importante. Une autre manière de réguler l'économie, anticipant le très long terme, s'imposera tôt ou tard. Il faut la mettre en œuvre dès maintenant pour moderniser l'économie. La régulation doit s'appuyer sur tous les besoins essentiels à satisfaire et pas seulement sur ceux qui sont solvables.

L'Europe

Pour affronter le défi énergétique dans les meilleures conditions, l'Union européenne peut être l'acteur d'un grand programme mobilisateur dont les principaux objectifs seraient : la réduction de la dépendance énergétique, l'accroissement de l'efficacité et de la diversité des formes d'énergie, l'accès à l'énergie pour tous les Européens. Il mettrait en œuvre une coopération internationale active notamment en direction des pays en voie de développement. Ce programme pourrait être une composante d'un projet politique plus vaste qui consoliderait l'élargissement aux 25 Etats membres et éclairerait l'avenir de la communauté en lui donnant un sens autre que la rentabilité financière. Il serait autrement mobilisateur pour les peuples européens que les orientations libérales actuelles. L'importance des investissements à engager impose de mettre en cause le Pacte de Stabilité et de promouvoir un contrôle démocratique de tous les fonds publics. La mission primordiale de la Banque Centrale Européenne et celle des Etats membres de l'Union serait de soutenir les dépenses publiques de chaque pays affectées au développement de la maîtrise énergétique.
L'Europe a besoin de services publics efficaces et démocratiques qui soient responsables et conduisent la transition énergétique que les peuples vont devoir assumer. Ils devront assurer un droit d'accès égal pour tous à l'énergie, donner la maîtrise des services de l'énergie aux citoyens et promouvoir dans l'Europe un nouveau modèle d'entreprise avec des objectifs et des critères de gestion rénovés. Pour éviter le piège énergétique et climatique vers lequel nous nous dirigeons, l'Europe doit être autre chose qu'un grand marché. Inspirée par des objectifs de développement humain et écologique internationalement perçus, elle doit édifier les outils de sa responsabilité collective sur le continent et afficher une nouvelle solidarité entre les nations.

La France

Pour que notre pays assume dans les meilleures conditions sociales économiques et politiques les évolutions urgentes de son système énergétique rendues indispensables par l'épuisement des hydrocarbures et le réchauffement climatique, il doit se doter d'un outil qui permette d'assurer la conduite cohérente et socialement supportable de cette mutation dans la recherche d'un développement durable et solidaire : un pôle public de l'énergie.
Ce pôle public de l'énergie doit être doté de moyens importants lui permettant de peser sur les orientations des différents acteurs de la politique énergétique. Sa gouvernance doit être assurée pour permettre l'intervention directe des citoyens dans les choix stratégiques et l'élaboration des scénarios préfigurant les situations énergétiques du futur. Cette gouvernance doit réunir les représentants de l'Etat, des élus, ceux des salariés des différents acteurs de la politique énergétique et ceux des citoyens usagers. La transparence de sa gestion et de ses choix, sa gouvernance démocratique, le décloisonnement entre les différents acteurs de l'énergie, seraient les marques d'une véritable désétatisation des services publics.
Ce pôle garantirait la maîtrise publique et la cohérence de toutes les questions touchant à la politique énergétique. Ses activités seraient guidées par les objectifs suivants :
● Il privilégierait les choix stratégiques susceptibles d'assurer le droit à l'énergie pour chacun au travers d'un prix accessible par tous.
● Pour préserver les ressources de la planète, il veillerait à ce que les différentes formes d'énergie soient adaptées à chaque utilisation de manière à ce qu'elles soient complémentaires et non concurrentes.
● Il créerait les conditions pour que les choix stratégiques soient gouvernés par la maîtrise publique afin que le pays ne se trouve pas dans des situations de pénurie énergétique engendrée par une sous-estimation de l'effort de recherche et des investissements de long terme.
● Ce pôle public de l'énergie pourrait intervenir dans le domaine de l'aménagement du territoire en relation avec les collectivités territoriales. Il favoriserait la réduction des temps de transports en faisant reculer la politique de «zoning» qui éloigne toujours plus les espaces de travail de ceux de l’habitat. Il impulserait les programmes d’économie d’énergie au sein du logement.
● Il serait un acteur important de la politique de coopération de la France en Europe et dans le monde. La mondialisation le conduirait à réfléchir à l’articulation entre biens publics mondiaux et services publics locaux, au concept d’entreprise publique Européenne et à leur maîtrise sociale.

● Tout en respectant la spécificité de chacune des entreprises qui concourent en France aux activités énergétiques, la maîtrise publique doit non seulement être préservée pour celles qui en dépendent mais elle doit s'élargir à celles qui n'en bénéficient plus : TotalFinaElf et Alstom.

Conclusion

L'énergie était, depuis la Libération, avant tout, l'affaire de l'Etat en France. Elle est devenue maintenant celle de la société tout entière. L'impact des problèmes énergétiques sur l'économie et l'environnement a des conséquences directes sur la vie et le développement des sociétés. C'est donc aux citoyens de déterminer les objectifs, le calendrier, les moyens octroyés pour atteindre les résultats escomptés.
L'effort de recherche est au cœur de l'avenir énergétique de la planète si nous voulons maîtriser des mutations devenues indispensables. La tâche des scientifiques, des ingénieurs, des techniciens, n'est pas d'apporter une seule solution pour chaque usage énergétique. C'est bien au contraire d'en préparer plusieurs pour chaque usage afin que les citoyens aient le choix. Pour faire ce choix, il est nécessaire qu'ils disposent de critères de confiance, de sécurité, de qualité du service rendu, de tarification. Pour surmonter les difficultés qui nous attendent, le citoyen doit être au centre du système énergétique.
Mais l'indispensable confiance, la sécurité, la qualité du service rendu et la tarification en direction des citoyens dépendent de l'intervention de ceux qui produisent ces valeurs : les salariés à tous les niveaux de responsabilité. Ils sont plus que d'autres au cœur du processus de production. Ils doivent eux aussi donner leurs avis, avec les citoyens, sur les orientations stratégiques des entreprises. Leur présence dans les Conseils d'administration des entreprises de l'énergie est essentielle.

Face aux défis sans précédent des mutations technologiques et de l’accélération des connaissances qui marquera le futur énergétique, de l’exacerbation de la domination des marchés, des instabilités financières, des hauts et des bas de la croissance, de la crise des valeurs, nous devons répondre en premier lieu aux citoyens (qui sont aussi des salariés ou souhaitent le devenir) qui aspirent à ce que tout un chacun(e) puisse maîtriser sa vie. Le social ne peut pas être étranger aux valeurs énumérées ci-dessus. Il convient donc de s'engager vers une résorption du chômage grâce à un accès effectif pour chacun(e) à la formation tout au long de la vie et une sécurité d'activité professionnelle avec des revenus et des droits relevés. Il s'agit d'aller vers un système de «sécurité d'emploi ou de formation» (4). Ce système permettrait à chacun(e) une mobilité ascendante choisie entre emploi stable et correctement rémunéré et formation en vue d'une meilleure maîtrise des avancées technologiques. La société pourrait ainsi se moderniser, suivre les développements scientifiques, sans passer par le chômage.
Les services publics de l'énergie pourront ainsi, en s'engageant dans cette voie, montrer que développement social et développement technologique ne s'opposent pas mais se complètent pour sauver la planète et répondre aux besoins énergétiques des habitants de la Terre. C'est à cette condition que les sociétés n'auront plus peur du progrès. Le politique, l'économique, le social et la science doivent cheminer de concert ensemble. Cela ne peut être possible qu'avec des citoyens et des salariés informés, responsables et solidaires qui participent réellement aux choix sociétaux.
Cet article est un résumé de la brochure éditée par la Fondation Gabriel Péri en mars 2006 : «L'après -pétrole ? - Des enjeux pour le XXème siècle» de Claude Aufort.
«L'énergie au XXIème siècle – Une réflexion prospective» de G. Cognet, P. Hesto, J.- L. Houzelot, Ch. Rombaut, J. Taine, B. Tamain, janvier 2004, (ministère de la jeunesse éducation recherche).
On se reportera pour avoir plus de détails sur ces aspects, aux articles du dossier énergétiques du n° de septembre 2005 de la revue Economie et politique.
Voir le livre de Paul Boccara : «Une sécurité d'emploi ou de formation» aux éditions Espère et le Temps des Cerises, septembre 2002.

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