Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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SPD : la logique de l’alignement libéral jusqu’au bout

En dépit de l’apparent unanimisme lors du récent congrès de Karlsruhe qui a consacré l’alliance avec la droite chrétienne démocrate, la crise identitaire du plus grand parti social-démocrate européen couve à la base de façon de plus en plus lancinante et promet de ressurgir rapidement.

La direction du parti social-démocrate allemand (SPD) est parvenue, lors de son congrès de Karlsruhe (du 14 au 16 novembre dernier) à resserrer quelque peu les rangs au sein d’un parti désemparé et miné, depuis des mois, par sa crise la plus grave de l’après-guerre. Même s’il réalise l’un des plus bas scores de son histoire (34,2% et moins 4%) le chancelier Schröder et son entourage ont été crédités, sans enthousiasme, par une majorité de militants de leur avoir évité le pire (les sondages ont promis très longtemps une véritable débâcle au SPD le plaçant à moins de 30% des voix). Les «schrödériens» ont pu in extremis «sauver les meubles» grâce aux surenchères libérales de la droite (proposition d’introduire une «flat -tax», de torpiller définitivement les contrats tarifaires de branche pour les remplacer par des «accords maison» ou de financer l’assurance maladie par une prime forfaitaire prélevée sur tous les revenus).

Ces perspectives ont agi en effet comme un repoussoir pour la masse des électeurs, déjà sonnés par les réformes libérales du gouvernement sortant SPD -Verts. Elles ont permis à Gerhard Schröder de renouer in extremis avec l’argument du «moindre mal», totalement «décrédibilisé» par l’ampleur des attaques anti-sociales du pouvoir sortant. La suite est connue : la CDU affiche, elle aussi, un score en sensible recul, ne devance le SPD que d’un petit point et ne peut former la coalition de droite majoritaire espérée avec le parti libéral (FDP). Des négociations sont lancées entre les deux grands partis qui aboutissent à la formation d’une «grande coalition», elle même présentée par la direction du SPD comme la «moins mauvaise solution», de toute manière «inévitable» (même si l’arithmétique électorale donne une majorité aux trois partis de gauche SPD -Verts et Linkspartei-PDS). L’ «Union sacrée» est explicitement justifiée comme le moyen de «poursuivre les réformes» entamées par l’équipe Schröder tout en se préservant des débordements de la droite.

La belle unité de façade affichée à Karlsruhe et le score brejnévien réalisé par le nouveau président du parti, le très schröderien Mathias Platzeck (99% des voix du congrès) qui conduit lui même une «grande coalition» dans le Land du Brandebourg, ne saurait toutefois faire illusion. Les lézardes apparues ces derniers mois sont si profondes et la stratégie d’alliance avec la droite, orchestrée dans l’urgence par la direction du SPD, est si problématique, que la crise promet de ressurgir rapidement. D’autant que, sous l’harmonie apparente, ses symptômes continuent de se manifester. Ne serait ce que cette sorte de vraie fausse révolution de palais, quinze jours précisément avant le congrès de Karlsruhe avec l’élection surprise (et très provisoire) d’Andrea Nahles, réputée appartenir à l’aile gauche du parti, au poste de secrétaire général.

Les réformes sociales inscrites à l’agenda 2010 et la politique économique de l’ex chancelier sont à l’origine de ce formidable malaise identitaire. Et c’est, il faut le rappeler, la série de débâcles électorales régionales, ininterrompues depuis trois ans - avec en apothéose la lourde défaite concédée dans le fief par excellence du parti en Rhénanie du nord Westphalie en mai dernier -, qui a conduit la direction du SPD à convoquer des législatives anticipées. Dans cette période tout le modèle rhénan a été ébranlé. Les écarts de revenus entre la tranche la plus riche et la plus pauvre de la population qui étaient les plus faibles du monde occidental, ont explosé. La précarité extrême avec la possibilité de recourir à un système de «jobs à un euro», la dégringolade du pouvoir d’achat du plus grand nombre avec l’orchestration, de fait, de la déflation salariale, les coupes dans les prestations sociales, la sous-indemnisation des chômeurs de longue durée réduits à l’aide sociale (350 euros par mois) et leur mise sous surveillance bureaucratique (la tristement célèbre loi Harz IV) - à l’origine du retour des «manifs du lundi» durant l’été 2004 - ont alimenté le rejet des électeurs et la crise de confiance de la base syndicale. D’autant que le discours officiel présentant depuis 1999, les réformes comme un moyen incontournable de relancer la compétitivité et donc à terme l’emploi et la croissance, est de plus en plus démenti par l’expérience des citoyens.

Le «moindre mal» pour freiner les ardeurs du partenaire gouvernemental invoqué aujourd’hui, ne devrait pas non plus faire illusion très longtemps. Car la direction schröderienne du parti, convaincue du bien fondé du programme de réformes libérales, a trouvé un contrat commun de gouvernement avec la CDU avec d’autant moins de difficultés que les options retenues s’inscrivent dans une vraie continuité avec l’agenda 2010. Angela Merkel l’a reconnu et même souligné de façon appuyée dans sa déclaration de politique générale devant le Bundestag fin novembre, conforté sans cesse sur ce thème par Franz Müntefering, son vice chancelier SPD. Et les décisions les plus dures de ce point de vue, comme celles destinées à concrétiser le programme d’austérité annoncé, seront portées par le ministre des finances social-démocrate, Peer Steinbrück.

Dans ces conditions la traditionnelle courroie de transmission avec les syndicats pourrait bien se gripper encore davantage. Jürgen Peters le président du syndicat IG Metall qui possède pourtant toujours sa carte au SPD, n’a pas hésité à franchir une sorte de Rubicon en appelant en septembre à mots à peine couverts à voter pour le Linkspartei.PDS. D’où le succès de la dissidence de la Wahlalternative (WASG) emmenée par Oskar Lafontaine qui ne peut sans doute que se renforcer.

L’émergence d’une formation sur la gauche du SPD, porteuse d’alternatives transformatrices ne s’annonce pas pour autant comme une simple formalité. Le processus de fusion entre le Linkspartei.PDS et le WASG est plus difficile que prévu. Pour certains militants des deux partis la tentation est forte de constituer maintenant «un vrai SPD», l’existant ayant trahi ses engagements et s’étant éloigné de son identité d’origine. Au risque d’être récupérés, dans le jeu de prochaines alliances électorales, par le courant social-libéral, estiment d’autres militants qui pointent le besoin de vraies transformations pour sortir de la crise. Là aussi, en marge du SPD en crise, un débat âpre et existentiel est ouvert.

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