Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’Europe décroche

L’Union européenne est profondé ment en crise. Les estimations succ essiv es le confirment, la croissa nce européenne a décroché de celle du reste du monde. Elle est devenue une zone de chômage de mass e, durable, de précarité omniprésente. Cet échec avéré appelle l’invention d’un modè le européen de progrès social. Pourtant, confits dans leur dogmatisme, les dirigeants européens souhaitent pérenniser la logique du Traité de Maastricht dans une Constitution. La politique de «l’euro fort», attractif pour les capitaux, perpétue la domination des marchés financiers avec les effets dévastateurs contre l’emploi, les salaires, les qualifications et la maîtrise des nouvelles techn ologies.

 

Lors des dernières élections européennes , les résu ltats dans les différents Etats-membr es avaient révélé l’ampleur de la défiance des populations vis-à-vis des inst itut ions eur opéennes .

Cette crise de légitimité est désorma is reconnue par J. Barr oso , Président de la Commission eur opéenne (CE), pour qui une «partie significative de la population européenne considère que l’Europe ne va peut-être pas dans la bonne direction» en raison de la «morosité économique, [du] sentiment d’insécurité économique et personne lle, [de] la crainte de perdre son identité, [du] fossé entre ce qui se passe à Bruxelles et la vie quotidienne».

La CE propose de relever ce défi vital avec un «partenariat pour le renouveau européen » (1). L’am bition de «renou veau» est un aveu du marasme actue l. L’id ée de «par tenar iat» s’explique par la volonté des dirigeants eur opéens d’inté grer les élus nat ionau x, les syndicats et les assoc iations à des objectifs inchangés. En lieu et place de «renou veau», il s’agit d’une relance du processus de Lisbonne . Lancé en 2000, celui-ci préten dait faire de l’Union eur opéenne (UE) «l’écono mie de la connaissance la plus compétitive» du monde et réaliser le «plein-emploi» d’ici à 2010. C’est un fiasco retent issant , reconnu par tous !

Il s’agit pour tant d’aller encor e plus loin dans ce qui a échoué. Encoura gé par un projet de Traité const itut ionne l intr oduisant la notion «d’économ ie hautement com pétitive», fut-elle «sociale de mar ché», J.-C. Junker, Premier ministr e luxem bourgeois et actue l Président du Conse il eur opéen, a fixé les deux lignes d’act ion : «renforcer la compétitivité et mettre un terme à l’atonie de la croissance»(2). Ainsi, un des principaux objectifs du «par tenariat» est d’améliorer la com pétitivité des groupes, c’està-dire de leur permettr e de disposer d’une main-d’oeuvre qualifiée, à bas coût salarial de l’emploi. Ce «par tenar iat», confor té par les recomman dations de l’OCDE, incite : à la précar isat ion des contrats de tra vail, à la baisse des cot isat ions sociales patr onales, à l’augmentat ion de la prise en charge des dépenses de santé par les seuls salariés, à l’accé lérat ion des privatisations, à l’ouver tur e à la concur rence des ser vices publics locau x, incitant aux délocalisat ions intra -eur opéennes .

Gravité de la crise de l’UE.

Le deuxième élément révélateur de la gravité de la crise fut le débat, au sommet , pour tenter de réaména ger les règles du Pacte de Stab ilité sans toucher aux objectifs de l’Union économ ique et monéta ire (UEM). Sa trans gress ion quasi permanente par 3 pays sur 12 de la zone eur o et 9 pays sur 25 de l’UE démontr e à l’évidence son caractèr e intenable et contra dictoire avec les besoins sociaux et de croissance de chacun des Etats-membr es. Cette querelle marque auss i une nou velle éta pe dans les dissens ions intra -eur opéennes . Toutefois, le Conse il eur opéen du 22 et 23 mars devait êtr e l’occas ion d’un com promis plutôt favora ble à l’Allema gne. Mais ces amen dements marginaux ne peuvent masquer la volonté des dirigeants européens de poursu ivre coûte que coûte afin de mainten ir la cré dibilité de l’UEM dans la guerr e pour att irer les capitaux.

Le vice-président de la Bun des bank, J.Star k (3), a clairement rappe lé l’utilité du Pacte de Stab ilité : «à long terme, il n’est pas possible pour une banque centrale de maintenir le niveau des prix stable si les finances publiques ne sont pas saines. Les règles budgétaires communautaires apportent ainsi un support à la politique monétaire menée au sein de l’Union monétaire européenne ». J.-C. Trichet (4), président de la BCE, a menacé à plusieurs reprises les chefs d’Etat d’une réact ion violente des marchés financ iers et d’un relèvement des taux directeurs de la BCE en cas de laxisme budgétaire. J.-C Junker a réaffirmé «les principes du traité : le dépassement du seuil de 3% doit être minime et temporaire (…) , jamais une réforme du Pacte ne doit menacer la stabilité de la monnaie».

De fait, à aucun moment , les dirigeants frança is et allemands n’ont remis en cause leurs engagements à revenir, dès 2005, sous la barr e des 3%. Fon damenta lement , le rat ionnement des dépenses publiques de santé , d’éducation, d’emploi…doit se poursu ivre et la politique monétaire de la BCE ne doit pas changer d’un iota . Celle-ci oriente mass ivement le cré dit vers les placements financiers , le financement des OPA et favorise les expor tat ions de capitaux vers les Etats unis et les pays émer gents . Or, cette politique est for tement nocive pour la croissance et l’em ploi.

Rechute de la croissance après une reprise molle et sans emploi.

En effet, en 2002 et 2003, sous le poids des politiques d’austér ité et d’expor tat ion des capitaux, la croissance de la zone eur o s’est effon dr ée. A par tir de la mi-2003, la reprise, malgré sa faiblesse , avait susc ité l’es poir des dirigeants européens . Mais, depuis le pic à l’été 2004, l’act ivité ralentit dans toute l’UE, y com pris les nouveaux membr es, contra ignant la BCE à raba isser ses prévisions pour 2005 et 2006. La croissance alleman de conna ît une évolution similaire mais à un niveau inférieur. Les experts du gouvernement alleman d ont eux auss i du revoir leurs prévisions dans ce sens pour 2005. Quant à l’Italie, elle demeur e en queue de peloton de la croissance eur opéenne .

Par ailleurs , contra irement à ce qu’affirmaient les promoteurs de l’eur o, la Direction de la prévision a récemment confirmé que les divergences économ iques et sociales entr e les Etats -membr es se sont élargies alors que la monna ie commune devait favoriser leur con vergences

Le taux de chômage est repar ti à la hausse pour l’ensemb le de la zone eur o. Aucune baisse n’est envisagée dans la prochaine période. En Allema gne, le chômage a explosé pour atte indre 5,2 millions de chômeurs , niveau iné dit apr ès-guerr e. Le traumat isme est tel outr e-Rhin que Schr öder en app elle à l’union sacrée pour lutter contr e le chômage. Il oublie la responsa bilité de la réforme dite Har tz IV qui flexibilise le mar ché du tra vail alleman d ; Mais son plan d’urgence se limite à de nou velles baisses d’impôts sur les sociétés , déres ponsa bilisant encor e plus les grou pes par rappor t à l’em ploi.

En Italie, le tau x de chôma ge recu le à 8% malgré la faiblesse de la croissance et des créat ions d’emplois. Il faut s’interr oger sur la fiabilité de la récente réforme des stat istiques de chômage italiennes . Celles-ci ne prennent que marginalement en com pte le sous-em ploi et le tra vail au noir. Or, les politiques de flexibilisat ion mises en ?uvre depuis le Sommet de Lisbonne ont entra îné une explosion des contrats précaires : la par t des CDD dans l’emploi est passée de 35% en 1995 à 42% en 2003.

Le tau x de chôma ge harmon isé de la zone eur o ne prenant qu’incidemment en com pte le sous-em ploi, cela permet une quasi-stab ilité de cet indicateur , à un niveau proche du taux de chômage de plein-em ploi, défini par l’EFN (6) à 8,5% pour la zone eur o.

Décrochage de l’Europe et approfondissement des difficultés.

Mais le plus inquiétant est le véritab le décr ochage dont est victime la zone eur o. Ainsi, entr e 1999 et 2005, la zone euro a subi un déficit de croissance de 7 points par rappor t aux Etats -Unis. Cet écar t s’est creusé au cours des 3 dern ières années . De 1999 à 2002, il éta it d’environ 1 point, de 2003 à 2005, il sera de 6 points. Entre 1995 et 2001, le rythme de croissance de la productivité globale des facteurs en Europe est demeuré 50% inférieur à celui des Etats -Unis. Enfin, en 2003, la propor tion des dépenses de R/D par rappor t au Pib en Europe est , elle auss i, pres que de 50% inférieur e à celle des Etats -Unis.

La BCE impute les difficultés de l’act ivité, d’une par t, à la faiblesse du tau x de change du dollar, ou bliant au passa ge la par t de res ponsa bilité de sa politique dans les mou vements errat iques de l’eur o depuis sa créat ion, et, d’autr e par t, au renc hérissement du prix du pétr ole.

L’Inst itut de Francfor t peut ainsi affirmer que les con ditions sont réun ies pour une «accé lérat ion de la croissance et le renforcement de son autonom ie» sauf mauvaise surpr ise du côté taux de change et du pétr ole. Les exportat ions de la zone eur o bénéficieraient encor e du dynamisme de la deman de mond iale malgré son ralent issement . La consommat ion des ména ges se redressera it légèrement mais à un faible niveau. Elle est ime qu’elle devrait évoluer en ligne avec le revenu réel dispon ible des ména ges en raison d’une amé liorat ion des créat ions d’emplois, de la montée en régime de l’intér essement pour les salariés et du ralent issement de l’inflation.

En fait, cet optimisme paraît exagéré. Il ne prend pas en com pte la montée de l’inquiétu de des ména ges eur opéens concernant leur situat ion financ ière en raison de la crainte de la per te d’em ploi, du gel des salaires, de l’ant icipation de la baisse des pens ions de retra ite et de l’augmentat ion du coût des prestat ions de santé . Tous ces éléments poussent à l’augmentat ion du taux d’épargne des ména ges.

L’Inst itut d’émission signale que les con ditions de financement de l’économ ie sont favora bles. Ce qui permet tra it un démarra ge des investissements des entr eprises en 2005 qui restera it à un bas niveau. Bien sûr, les résu ltats nets des grou pes sont par tout à la hausse . En février 2005, les bénéfices nets des entr eprises du DJ Eurosto xx 50 (7) ont progressé à un taux annue l de 35%.

Par rappor t à leur moyenne histor ique, les taux d’intérêt nominaux sont effectivement bas ainsi que les taux d’intérêt réels (8). Les taux d’intérêt réel à cour t terme sont même inférieurs à la croissance de l’act ivité. Cependant, les taux d’intérêt réel à long terme demeur ent égaux voire supér ieurs au rythme de l’activité, particulièrement en Allema gne et en Italie. De plus cette appr éciation doit êtr e modérée en ce qui concerne le com por tement des banques vis-à-vis des PME. Les taux d’intérêt banca ires à long terme pratiqués pour les prêts inférieurs à 1 million d’eur os demeur ent bien supér ieurs à celui de la croissance .

Cela a perm is une accé lérat ion du montant des cré dits banca ires au secteur privé, notamment le cré dit aux entr eprises , mais sur tout les prêts immob iliers .

Là auss i, l’optimisme paraît exagéré. La res ponsa bilité des grou pes et des ban ques et le poids de la domination des mar chés financ iers dans la crise actue lle sont tota lement évacués .

Or, le taux d’utilisation des capacités productives reste proche de sa moyenne histor ique et sous press ion de la renta bilité financ ièr e les pr ojets d’invest issements devraient viser à accr oître la productivité app arente du tra vail comme en atteste sa récente accé lérat ion.

Cepen dant, rien n’indique que les grou pes changeront leur com por tement . En 2004, ils ont profité des bas taux d’intérêt pour : se désen detter mass ivement (le rat io dette/ fon ds pr opr es a chuté à 27% en dessous de la moyenne histor ique de 35%) ; accr oître les dividen des versés aux act ionna ires ; racheter leurs propres act ions afin d’accr oître les ren dements financ iers .

Confrontés à la nou velle vague de fusions aux Etats Unis, les grou pes eur opéens pourra ient désorma is mob iliser leurs liquidités pour de nou velles opérat ions de rachat d’entr eprises.

La publicat ion de leurs com ptes annue ls a été l’occas ion pour ces multinationales d’annoncer la poursu ite de la réduct ion des coûts salariaux. Press ion contr e l’emploi et les salaires, qui en 2004, a con duit à la stagnation du coût salarial unitaire.

Cette press ion ant i-salariale, ant i-em ploi est par ticulièrement vive dans les principaux pays de la zone. C’est par ticulièrement vrai en Allema gne où cette press ion est renforcée par la spéc ialisat ion de ses grou pes, un peu comme si la «bonne santé » des grou pes alleman ds se réalisait au détr iment de la vigueur de la croissance du pays.

Ainsi, l’Allema gne vient d’enr egistr er un excé dent commer cial recor d. Mais celui-ci s’est constru it sur la base d’une violente déflation salariale avec : les chantages à l’emploi, aux déloca lisat ions contr e l’augmentat ion de la durée du tra vail ou le gel des salaires, la multiplication des plans sociaux, les exigences des grou pes exportateurs de réduct ions des coûts de production de leurs fourn isseurs et sous-traitants , la concurr ence des sous-traitants des pays à bas salaires (cette press ion peut êtr e illustrée par l’explosion de la par t des impor tat ions dans les expor tat ions : 41% en 2003 contr e 27% en 1991), les délocalisations d’une par tie de l’act ivité des grou pes vers les nou veaux pays membr es de l’UE. Selon les en quêtes , ces ph énomènes devraient se poursu ivre en 2005.

En quelque sor te, la politique de la BCE, l’uniformité des taux d’intérêt quelque soit l’utilisat ion des liquidités par les grou pes et les ban ques , les incitent à utiliser ces ressour ces peu chères contr e l’emploi, contr e les salaires.

Les cré dits se déversent ainsi mass ivement sur le marché financ ier et sur le mar ché immob ilier. Fin février 2005, l’eur osto xx avait repris 42% par rappor t à son point bas de mars 2003 (le DAX 30 (9) : +79%). Simultanément , malgré un taux de change élevé de l’eur o, les capitaux sor tent toujours auss i mass ivement de la zone eur o. Ce phénomène est par ticulièrement flagrant pour l’Allema gne. Selon le COE (10), les invest isseurs profitent du différentiel de croissance entr e l’Europe et les Etats-Unis et des bas tau x nom inau x pour utiliser le cré dit banca ire afin de financer des placements en act ifs libellés en dollars .

L’urgence d’un coup d’arrêt et de la construction d’une alternative.

Avec la pers pective de la Const itut ion, la concurr ence fisca le, budgéta ire et sociale se renforce ainsi que les anta gonismes entr e capitalistes nat ionau x : sur enc hère dans les allégements d’impôts sur les sociétés ; poursu ite des baisses d’impôts pour les ména ges les plus riches; augmentat ion de la fisca lité indirecte ; restr iction des d é p enses d e pr otect ion soc iale et d es d é p enses d e personne l; baisse des cot isat ions sociales patr onales etc . C’est dire le beso in de mettr e un cou p d’arrêt à cette fuite en avant. Un non majoritaire pourra it ouvrir les voies d’une trans format ion sociale rad icale en France , point d’app ui pour une réor ientat ion de la construct ion eur opéenne . Il s’agit de contr ibuer à une mob ilisat ion pour changer l’Union eur opéenne en proposant des réponses aux besoins d’emploi, de format ion, de pouvoir d’achat, de ser vices publics, de réduct ion du temps de tra vail, de productions efficaces , de démocrat ie par ticipative, de solidarité et de paix, de co-développ ement . Ÿ

  1. Communication de J. Barroso. Objectifs stratégiques 2005-2009. Europe 2010 : un partenariat pour le renouveau européen. Prospérité, solidarité et sécurité. Bruxelles.26/01/2005. COM(2005) 12 final.

  2. Interview de Jean-Claude Junker, Le Figaro, 16/03/05.

  3. Jürgen Stark. Contre la réforme du pacte de stabilité. Le Monde 67/03/05.

(4) Les Echos, 15/03/05.

  1. Voir la note de conjoncture internationale de la DP de l’automne 2004.

  2. EFN : réseau d’institutions économiques européennes dont fait partie le CEPII.

  3. Indice boursier européen, équivalent au CAC 40 français.

  4. Taux d’intérêt réel = taux d’intérêt nominaux diminué du taux d’inflation

  5. Indice boursier allemand.

  6. Observatoire économique de la chambre de commerce et de l’industrie de Paris

 

 

 

 

 

 

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