Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Faire reculer l’emprise des marchés financiers

Ce début d'année 2005 est marqué par les difficultés nouvelles de Chirac et Raffarin face à la conjonction du ralentissement de la croissance, des mauvais chiffres du chômage et d’une échéance politique majeure. Les renvendications pour l’emploi et les salaires sont avivées par l'annonc e de très bons profits des groupes et l’intransigeance du gouvernement à mener coûte que coûte les réformes pour libéralis er le marché du travail. Le NON au référendum sur la Constitution est, pour l’heure, portée par cette exaspération sociale. Toutefois, gouvernement et partisans du OUI tentent de déconne cter le débat référendaire des enjeux sociaux, de politique intérieure et de l’échec avéré désormais de l’actuelle construction européenne. Pour cela, ils cherchent à faire passer l’idée qu’aucune politique alternative est possibl e.

La «croissance molle» pèse comme jamais sur le débat de politique économ ique. Pour tous les conjonctur istes , la croissance frança ise aura bien du mal à excéder 1,9% en 2005 (après 2,3% en 2004 et +0,5% en 2003). Th. Breton a dû réviser les est imations (1) de la loi de Finances initiale même s’il s’est refusé à les abaisser en dessous de 2% (2). Cela laisse augurer de nouvelles désillusions . En effet, selon les premiers chiffres dispon ibles pour 2005, au 1er trimestr e 2005, la Banque de France annonce une croissance trimestr ielle de 0,3%. En rythme annue l, l’avance du Pib sera it seulement de 1,75%.

Cet automne , contra int, par les exigences sociales des salariés, d'afficher des ambitions de lutte contr e le chômage, J.-P. Raffarin avait promis d'abaisser le taux de chômage de 10% d’ici à fin 2005. Déjà peu réa liste à l’époque, le volontarisme gouvernementa l a été douc hé par l'Insee . L’inst itut a annoncé que le taux de chômage officiel était à 10% depuis 16 mois et qu’en janvier 2005 il avait atte int 10,1%. Cette reprise molle aura donc été très pauvre en emplois. Les créat ions nettes d’emplois ont été loin de com penser les per tes nettes inter venues en 2003. Par ailleurs , on peut douter d’une reprise des créat ions d’emplois et une baisse du chômage consé quente quan d les mesur es de protect ion des salariés sont atta quées les unes après les autr es (abrogation des mesur es anti-licenc iement adoptées à l’initiative des parlementa ires commun istes en 2001 et Loi Larcher facilitant les licenc iements , loi Borloo sur les 35 heur es, projet de loi sur la mise en place d’un contrat de tra vail précaire pour tous) .

Emplois et salaires laminés pour rétablir la rentabilité des groupes.

A contrar io, 2004 aura été un bon cru pour les profits des groupes du CAC 40. Ils ont progressé de 73% pour atte indre 59 milliards d’euros. Pour leurs actionnaires, l’année aura été exceptionne lle puisque les dividendes versés atte indront 22 milliar ds d’euros (+37%). Ces résu ltats ont été rendus possibles par la violence des gestions contr e l’emploi et les salaires. Bien qu’histor iquement faible, la par t des salaires dans la valeur ajoutée des entr eprises a baissé de 0,7 points à 64,2%. En 2004, le coût salarial manufactur ier a régressé de 2,7% après avoir chuté de 1,1% en 2003. Désorma is, la France a un des coûts salariaux de l’emploi les plus faibles des pays développés. Selon l’OCDE, les tra vailleurs frança is ont reçu des augmentat ions deux à trois fois inférieur es à celles de leurs collègues amér icains ou britann iques. Plus de la moitié des salariés aur ont été victimes de per tes impor tantes de pouvoir d’achat. En fait, sur 3 ans , le pouvoir d’achat des salaires a stagné. L’Etat patron n’aura pas été en reste . En 5 ans , le pouvoir d’achat des fonct ionna ires a d égringolé d e 5%. Ce sont bien ces com p or tements archaïques qui sont au cœur de la faiblesse de la croissance et du chômage de masse .

Cependant, gouvernement , experts libérau x et sociauxlibérau x, patronat tentent de juguler la montée des revendications salariales et pour les créat ions d’emplois. E.-A. Seillière, appuyé par Elie Cohen, explique que toute augmentation salariale d’ensem ble est imposs ible et qu’elle se ferait contr e l’emploi. Le ministre de l’Econom ie a proposé de reporter toutes négociations salariales après le référendum et propose une «prime d’intér essement exceptionne lle» pour répondr e aux pertes de pouvoir d’achat sans toucher aux salaires. Cette prime sera it financée par de nouvelles exonérations d’impôt sur les sociétés . Personne n’y croit. Une telle mesur e ne pourra pas inter venir pour les accor ds déjà signés , et, sur tout , la moitié des salariés ne sont pas concernés . Le surcroît de revenu sera donc bien faible, voire inexistant . Il ne remplacera en aucune façon la nécess ité d’augmentat ions de salaires et de créat ions d’emplois. De plus ce sont les salariés contr ibuables qui, pour une par t, paieront cet intér essement exceptionnel à la place des entr eprises. Enfin, intér essement et participations sont non seulement des rémunérat ions qui suppor tent plus le risque que les profits mais sur tout elles cons istent en des revenus différés destinés à la const itut ion d’une épargne et non pas à des revenus imméd iats dont les salariés ont le libre usage.

Le gouvernement tente ainsi de cantonner le débat à la répar tition des richesses afin que ne soit pas mis en cause la gestion pour la renta bilité financ ière des entr eprises ni la responsa bilité des politiques gouvernementa les incitant à la baisse du coût du tra vail.

Dans ces con ditions, on com prend mieux la rechute de la croissance après la reprise sur venue du second semestr e 2003 au second semestr e 2004. Ce rebond avait d’ailleurs essent iellement été soutenu par les com portements de stockage des entr eprises.

La consommat ion des ménages qui était restée dynamique en 2004 (+4,4%), soutenue en par tie par le déblocage de l’épargne salariale, a commencé à ralentir en février (+3,3% en rythme annue l) sous le poids du chômage, de la modération salariale mais auss i de l’ant icipation de la baisse des pensions de retra ite qui incite les ména ges à épargner.

Après une année 2004 médiocre (2,4%), les invest issements des entr eprises ne devraient pas accé lérer. Sur les premiers mois de 2005, le déstoc kage devrait jouer négativement sur les investissements productifs dans les entr eprises. Les dernières enquêtes auprès des industr iels confirmeraient cette tendance . Le Crédit Agricole n’anticipe pas de reprise de l’invest issement mais une poursu ite du désendettement .

La rentabilité des groupes contre les salariés et les PME.

Par ailleurs , fin 2004, les con ditions de financement du cré dit bancaire se sont resserrées . C’est particulièrement vrai pour les PME dont les frais financ iers , le coût des consom mations intermé diaires dégradent sérieusement les résu ltats . Leur situat ion est d’autant plus difficile que les groupes ont accru leur press ion sur leurs sous-traitants pour que ceuxci diminuent leurs coûts . Dans ces con ditions, leur résu ltat d’exploitation s’est dégradé .

Simultanément , les multinationales ont utilisé mass ivement le cré dit banca ire et leur profit non seulement pour se désen detter mais auss i pour poursu ivre le rachat leurs propres actions et ainsi en augmenter le rendement . Certes, le volume d’argent en jeu est moindre qu’en 2001 mais demeur e très élevé. Selon la Commission des opérat ions bours ières (COB) entr e 2000 et 2003, les ressour ces utilisées à cette fin représentent 56 milliar ds d'euros dont la moitié se concentr e sur dix groupes du CAC 40 (Total, France Télécom , Vivendi Universa l, Danone , Sanofi etc.). Ainsi, Total a consacré 15 milliards d'euros entr e 2000 et 2004 aux rachats de ses d'actions. De telles opérat ions permettent mécan iquement de faire croître le bénéfice net par action (BNPA) tout simplement en rédu isant le nom bre d’actions. Cela permet de verser des dividendes plus impor tants aux actionnaires en ligne avec les exigences de ces derniers. De plus, confronté à une prise de contrô le grand issante par les investisseurs inst itut ionne ls anglo-saxons , cela permet d’assur er un plus grand contrô le sur le capital de l'entr eprise. Ces com por tements ont été encoura gés par la multiplicat ion des baisses d’impôt (impôt sur les sociétés , taxe professionne lle), des exonérat ions de cotisations sociales patronales (loi sur “l’assou pplissement ” des 35 heures etc.).

Un décalage impor tant se met en place entr e les groupes et le reste de l’économ ie. Les très grandes entr eprises gonflent leur prof›ts, les dividendes et se désen dettent . L'ajustement se fait sur les salaires, l'emploi, les PME et les f›nances publiques .

Cette politique de bas salaires met la France en difficulté par rappor t aux pays développés sur les produits de haute techno logie mais auss i par rappor t aux pays émer gents sur les produits industr iels bana lisés . On peut faire l’hypothèse que c’est une des causes expliquant le déficit commer cial (5,5 milliar ds d’euros) en 2004 sous l’impact d’une rapide augmentat ion des impor tat ions (+7,4%) expliquée selon la Banque de France par les impor tations de biens de consom mation. Les exportations ont cru deux fois moins vite (+3,2%), victimes de la faible croissance alleman de mais auss i de la per te de par t de mar ché en Europe même (2002 : 17%; 2004 : 15,7%). Rien n’indique que cette situat ion doive se modifier à cour t terme .

Ces difficultés se tradu isent auss i par la poursu ite des sor ties nettes de capitaux de 25 milliar ds d’euros en 2004 pour les invest issements directs à l’étran ger (9 milliar ds d’euros en 2003) et de 26 milliar ds d’euros pour les investissements de portefeuille (cont re des entrées nettes de 6 milliards d’euros en 2003). Au tota l, ce sont donc 51 milliards d’eur os de capitaux qui ont fuit le terr itoire 17 fois plus qu’en 2003.

L’urgence est donc de faire reculer l’emprise des marchés financiers en trans formant les relations entr e banques et entr eprises, entr e donneurs d’ordre et PME sous tra itantes . Mais il ne peut s’agir de plus de financement public pour les grands groupes visant avant tout à maximiser la renta bilité financ ière de leurs capitaux comme le propose le rappor t Beffa. Lenjeu paraît bien êtr e, au contra ire, celui d’un autr e cré dit bancaire, émanc ipé du marché financier, jusqu’à la BCE réor ientée sous le contrô le des parlements eur opéen et nationau x, de façon à sélectionner et promou voir, par le financement , les invest issements et les coo pérat ions programmant le plus de créat ions d’emplois et de mises en format ion, simultanément à un partage nécessa ire des coûts et résu ltats de recherche. Ÿ

  1. Conférence de presse du Ministre des Finances du 16/03/05.

  2. Les nouvelles prévisions sont comprises dans une fourchette de 2% a 2,5% pour 2005 et de 2,25 a 2,75% pour 2006.Une croissance supérieure à 2%, il n’y a que Bercy pour y croire.

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Par Ganet Sébastien, le 31 janvier 2005

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