Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le projet pour l’École de l’UMP au service de choix de société basés sur l’injustice (1ère partie)

Quasi-absente lors des élections de 2002, la question de l’éducation est au cœur des débats des campagnes présidentielle et législative de 2007 et (par voie de conséquence des transferts de responsabilité aux collectivités locales) des futures élections cantonales et municipales. Et pour cause, comme en témoignent les luttes depuis plusieurs années, ce que confirment les sondages encore récemment (1), l’éducation est un souci prioritaire des français, juste derrière l’emploi.

Les réductions budgétaires sont un des effets de la politique de droite, souvent dénoncés à juste titre : nombre d’enseignants, moyens accordés à l’Éducation Prioritaire, transfert des responsabilités vers les collectivités locales entraînant des inégalités de moyens, réduction des heures de formateurs d’enseignants…

La logique de rentabilité à court terme du capitalisme actuel pousse à cette réduction des investissements dans l’éducation. Mais il serait réducteur de penser que le seul objectif de la droite est de limiter les coûts de formation : elle est contrainte par les évolutions de société, par les aspirations qui grandissent, par les acquis démocratiques antérieurs comme par la crise économique, à proposer des réformes scolaires pour maintenir les injustices et éviter une réelle transformation progressiste de l’École et de la société.

L’UMP porte ainsi un projet de société d’ensemble qui a ses traductions sur la définition des missions de l’École, sur la pédagogie, sur la conception des rapports sociaux et de l’individu. La droite n’est plus, comme elle l’a été pendant des décennies, en position défensive en matière d’éducation : elle cherche même à conquérir l’électorat enseignant, parent et jeune. Elle a déjà beaucoup avancé depuis 2002. L’analyse de ses projets (2) est ainsi un bon filtre pour comprendre les contradictions qui pèsent sur l’École et élaborer un projet réellement alternatif.

Revaloriser les enseignants en encourageant le partage plutôt que la concurrence

Après des années de discours anti-enseignant, la droite à rectifié sa stratégie : reprendre des aspirations légitimes pour mieux les dévoyer.

Face aux mobilisations des professeurs sur leur pouvoir d’achat (3), les discours du ministre Robien, comme ceux du candidat Sarkozy se font écho de la difficulté d’exercice du métier enseignant et parlent de le revaloriser, notamment financièrement. Mais leurs propositions sont régressives à différents niveaux.

Il s’agirait de payer davantage les enseignants qui veulent « travailler plus », s’investir dans d’autres tâches que l’enseignement des savoirs dans le cadre normal de la classe : accompagnement individualisé hors des cours, études dirigées, « bivalence » dans le secondaire (4), etc. On voit déjà la non « valorisation » (5) de l’activité même d’enseignement et de la réflexion pédagogique sur la préparation des cours pour que tous les élèves réussissent dans le cadre du cours « normal ». C’est en fait un premier renoncement à l’idée qu’il est possible d’enseigner à tous les enfants un programme égal défini dans la scolarité unique comme ce qui est nécessaire à chaque futur citoyen et travailleur.

Mais il y a aussi les menaces sur le statut de professeur et le blocage des salaires normaux. Outre l’incitation aux heures supplémentaires, la progression de carrière des enseignants se ferait désormais selon leur « performance » : « nous évaluerons les enseignants sur les progrès de leurs élèves et non pas sur les méthodes utilisées ». L’UMP, se démarquant ainsi en apparence des prescriptions autoritaristes de Robien sur les méthodes de lecture, renvoie en fait le balancier en mettant la culpabilité sur les enseignants, en les mettant en concurrence entre eux. Les enseignants des zones où les difficultés sont concentrées seraient ainsi poussés à voir les élèves de milieux populaires comme un obstacle à leur progression de carrière (même si la droite propose une prime pour l’enseignement en Éducation Prioritaire).

À en croire la droite, une politique publique n’aurait que deux choix

Soit contraindre les professeurs à obéir à un pouvoir délégataire en les dessaisissant de l’élaboration de solutions pédagogiques, comme le fait Robien avec l’édiction de méthodes officielles a priori (6) dans le primaire, et avec la mise en place d’un système de caporalisation pédagogique par établissement dans le secondaire. Soit « laisser faire » chaque enseignant en l’obligeant à trouver seul les solutions pédagogiques aux contradictions qui travaillent tout le système et l’« évaluer » ensuite. Malheureusement, la droite n’a qu’à suivre les discours successifs des ministres socialistes, quand Allègre et Royal d’abord rendaient les professeurs de collège seuls coupables de l’échec scolaire et quand Lang ensuite pour détendre l’atmosphère avant les élections de 2002 encourageait les enseignants à innover, chacun dans leur coin, sans qu’une politique globale d’innovation permette de dégager les conditions d’évaluation constructive et de généralisation possible de ce qui a été innové dans des contextes locaux. Les décideurs dessaisissent ainsi l’institution scolaire de sa responsabilité à faire acquérir par chaque élève les savoirs du programme, en transférant la « responsabilité » à chaque enseignant peu armé et pas aidé : on le pousse à se culpabiliser.

Car dans le même temps, la droite réduit le temps de formation des enseignants (lui préférant une formation « sur le tas » par imitation de ce qui se fait déjà, alors que les pratiques actuelles ne résorbent pas les inégalités de réussite scolaire), réduction en temps et en moyen pour la formation (7) comme pour la recherche en éducation.

L’argument droitier à la « performance » pédagogique culpabilise les individus car il découle des logiques de marchandisation des sphères non économiques de la société pour y appliquer aussi la recherche de profit maximal qui est au cœur du capitalisme. Mais inversement, certains discours qui s’y opposent sont tout aussi démagogiques voire irresponsables quand ils méprisent la question d’un retour réflexif sur les effets des pratiques d’enseignement, sur l’exploration de méthodes plus égalitaires.

Car l’École ne peut pas rester dans le statu quo actuel, au milieu du gué, entre démocratisation et conservation sociale, entre développement intellectuel et limitation, entre poursuite d’études ouvertes à tous et élimination des milieux populaires par l’échec scolaire et l’orientation. Les enseignants, nous le montrerons plus loin, sont écartelés entre ces contradictions. Si la défense du service public d’éducation nationale est indispensable face aux attaques, se contenter de « défendre » serait suicidaire : on laisserait en friche les possibilités bien réelles de dépasser ces contradictions sociales. Pour dépasser l’opposition performance individuelle / fatalisme face aux inégalités, il y a nécessité à imposer une réflexion collective sur l’amélioration des pratiques.

Le projet communiste pour l’école (8) propose ainsi que dans le temps de travail soit compris un moment pour que les enseignants puissent se retrouver dans des conseils scientifiques et pédagogiques (9) qui soient un espace d’entraide, de partage d’expérience, d’informations et d’analyse, de formation et d’échange, entre enseignants, mais aussi avec des formateurs (dégagés des fonctions de contrôle) et des chercheurs en éducation. Le but est de considérer comme partie prenante du métier enseignant d’être associé à l’inter-créativité pédagogique, d’être responsabilisé sans être culpabilisé, avec une aide, une formation et des moyens pour l’assumer, en ayant des retours constructifs sur les effets des pratiques.

Contre la mise en concurrence des établissements et contre le transfert des responsabilités politiques

Les logiques de mise en concurrence se retrouvent entre établissements. Au nom de l’autonomie et des projets spécifiques, il s’agit de rogner de fait l’idée de scolarité unique, garante de l’appropriation égale par chaque enfant de ce qui lui sera indispensable dans la vie. Nous y reviendrons dans la 2ème partie, la droite ne veut pas d’une inégalité absolue en affirmant un « minimum commun ». Mais au-delà de ce minimum défini à la baisse, elle développe une politique inégalitaire où l’offre de formation serait différente selon les établissements (notre propos porte ici sur la scolarité unique, la question est différente après celle-ci).

Ici encore, la droite dévoie l’aspiration légitime à ce que les acteurs des établissements scolaires (personnels, parents, élèves) soient partie prenante de la définition de la scolarité. Comme si l’aspect délégataire et uniforme de directives décrétées centralement par des « experts » et avec peu de concertation, ne pouvait être contrebalancée que par des prises de décisions différentes dans chaque établissement et par la délégation locale à des chefs d’établissement mués en petits patrons d’entreprises concurrentielles. Comme si le pouvoir d’intervention des personnels, des parents et des élèves sur les scolarités résidait dans les performances individuelles ou le supposé « choix » sur un marché.

Si chacun des acteurs de l’école doit être associé, c’est à la définition des missions que l’école doit remplir sur l’ensemble du territoire national, pour offrir un service public égal, créer une culture commune.

C’est une mystification de laisser penser que les « performances » d’un établissement dépendraient des seuls individus, comme si les politiques publiques n’y étaient pour rien.

C’est pourtant ce qu’avance le projet de législature UMP :

« Chaque établissement scolaire sera évalué par une instance indépendante dont les résultats seront rendus publics. C’est la contrepartie de l’autonomie. » Mais d’abord, quel est le critère de « performance » ? Il n’est pas neutre ! S’agit-il d’être performant pour éliminer les élèves de milieux populaires, sachant (cf. 2ème partie) que l’école a aussi, dans notre société capitaliste, pour fonction cachée d’éliminer, de préparer la division entre exploiteurs et exploités, entre les plus cultivés et les « instruits à a minima » ? S’agit-il au contraire de faire en sorte que tous les élèves s’approprient les savoirs ? Mais alors les pouvoirs publics se laveraient les mains de leur responsabilité en la matière : formation des enseignants, aide à tous les établissements, etc.

Les belles phrases ne doivent pas tromper : « Un établissement qui aurait des résultats insuffisants recevrait immédiatement une aide de son académie et, le cas échéant, des moyens supplémentaires. » Le projet de législature  UMP entend par là des petites compensations pour quelques établissements les plus en détresse et pas du tout la création des moyens pour permettre la réussite intellectuelle des élèves de tous les élèves dans tous les établissements. La politique du gouvernement Villepin l’a montré : globalement les crédits affectés à l’éducation prioritaire ont diminué même si une poignée d’établissements aux situations les plus explosives les ont vu légèrement augmenter. Diviser pour mieux régner. Ne pas assurer les conditions de l’égalité mais faire un peu de caritatif sur l’urgence auprès des souffrances les plus visibles. Telle est la logique politique d’« autonomie des établissements » de la droite, à laquelle font écho les propositions du PS même si celui-ci promet de mettre davantage de moyens.

La polémique sur la carte scolaire va dans ce sens. Sarkozy et Royal se sont sensiblement accordés récemment sur leur volonté d’affaiblir la politique de carte scolaire. Ils partent d’une aspiration légitime : chaque parent veut pour ses enfants de bonnes conditions d’études. Mais ici encore, plutôt qu’une politique de régulation ils encouragent la concurrence. C’est un fait, la carte scolaire dans son état actuel est devenue insatisfaisante. À l’origine elle avait pour première mission d’obliger l’établissement à accueillir les enfants du secteur. Cet aspect primordial a été gommé de la polémique. Si la carte scolaire est supprimée ou floue, comment garantir une école à chaque jeune et une distance école / domicile raisonnable ? Ensuite, la politique de carte scolaire a, avec le temps, acquis une dimension de régulation de la composition sociale des établissements : comment croire que des établissements mis en concurrence et évalués sur leurs « performances » résisteront à la tentation de recruter des populations favorisées pour augmenter leurs « scores » ? Seuls les établissements perdants dans la compétition scolaire accueilleront les autres élèves. Comment croire que les élèves seront à égalité pour faire valoir leurs « qualités » auprès des recruteurs de chaque établissement ? Le « piston » et le carnet d’adresse des parents, d’une existence réelle mais limitée et honteuse, deviennent officiels et valorisés. Ce débat est au cœur du combat de classe sur l’accès aux savoirs et aux informations, leur maîtrise, la possibilité de se les approprier pour devenir créateur à son tour. Si la carte scolaire actuelle ne crée pas une réelle mixité sociale dans les établissements, cela tient à l’homogénéisation sociale grandissante des zones d’habitat et à l’affaiblissement depuis des années de cette carte scolaire quand l’acceptation des dérogations se multiplie plutôt que de créer les conditions d’un enseignement de qualité dans chaque établissement. Plutôt que de l’affaiblir encore, il faut reprendre cette politique en la transformant.

Une vision et un projet d’ensemble qui répondent aux contradictions du capitalisme

Quand la politique de la droite met en concurrence les enseignants et les établissements, c’est bien sûr dans une optique d’économiser ce qu’elle considère comme des « coûts » plutôt que des investissements sur l’avenir. Mais c’est un projet d’ensemble de la société qui se cache derrière avec la mise en concurrence des élèves pour l’appropriation inégale des savoirs et le développement inégal des capacités de réflexion comme pour les débouchés des jeunes dans le monde du travail et leur place dans la société. C’est toute une conception d’ensemble de ce que sont la personne humaine et la vie en société, qui est à l’œuvre dans les choix pour l’école, les contenus de savoir et les méthodes d’enseignement. Seul un projet alternatif d’ensemble peut répondre à ce projet d’ensemble de la droite.

Le projet actuel du PS ne répond pas non plus à cette nécessité, il se contente de perpétuer les non-choix qui ont prouvé leur impuissance dans la crise de l’école, et la candidate Royal mixe ces propositions avec d’autres qui s’alignent sur la droite. Au-delà de quelques propositions consensuelles dans le mouvement antilibéral, il est besoin d’un projet d’ensemble pour l’école qui soit en cohérence avec un projet d’ensemble pour la société. Le projet communiste pour l’école (déjà cité), sans être un produit fini, a cette ambition, il met ses analyses et propositions au service des luttes et des campagnes électorales à venir.

Car le fait d’identifier la globalité du projet de la droite pourrait rendre fataliste. Au contraire, il y a des possibilités et une nécessité à transformer l’école et la société. Si la droite a du élaborer ce projet, s’intéresser à l’école qu’elle dédaignait pendant des décennies, c’est que le capitalisme connaît d’énormes contradictions, non seulement dans son propre développement, condamné à trouver sans cesse les moyens d’augmenter les profits, mais aussi dans la mission qu’il assigne à l’école dans ce cadre. D’un côté il met en concurrence pour réduire les investissements dans la formation des capacités intellectuelles, de l’autre la formation de ces capacités lui est indispensable pour surmonter sa crise. Surtout quand grandissent des aspirations dans la société à ce que chacun maîtrise mieux sa vie, ses choix, sa réflexion personnelle donc les outils intellectuels pour ce faire.

C’est de tout cela qu’il sera question dans la 2ème partie de cet article, à paraître dans le prochain numéro d’Économie & Politique.

  1. Sondage paru dans Le Parisien le 10.01.2007.
  2. Nous fondons notre analyse sur plusieurs documents consultables :les grilles de pensée diffusées par la « fondation pour l’innovation politique » de l’UMP : http://www.fondapol.org/projet-education-culture-recherche.jsp *le discours de Sarkozy à Angers le 01/12/06 : http://www.u-mp.org/site/index.php/ump/s_informer/discours/reunion_publique_angers_vendredi_1er_ decembrele projet  de  législature 2007-2012  de  l’UMP, pages  31-36  : http://viphttp.yacast.net/ump/projet-ump2007.pdfla « Convention pour la France d’après » de Robien : http://www.u-mp.org/site/index.php/ump/debattre/dossiers/education/education_le_devoir_de_reussite
  3. Si le salaire moyen avait augmenté pour les enseignants du primaire dans les années 1990 grâce à la création du corps « professeurs des écoles » à bac+3 et à la diminution des statuts autres que CAPES et Agrégation dans le secondaire (source : Note d’information 06.28 Le coût de l’éducation sur www.education.gouv.fr), les salaires des métiers de l’enseignement subissent un décrochage par rapport aux autres salariés du privé et du public à niveau de qualification comparable (source : Supplément « Promotions 2007 » L’Université Syndicale. Hebdomadaire du SNES n° 645 du 11 décembre 2006.) « En 2006, le salaire brut d’un certifié débutant représente 1,25 fois le SMIC pour 2,07 fois le SMIC en 1981 ». Il faudrait également tenir compte de la proportion à nouveau croissante de contractuels palliant l’embauche de titulaires.
  4. Enseignement d’une seconde matière pour laquelle le professeur n’est pas formé.
  5. Dans le prochain numéro d’Économie & Politique, nous reviendrons sur ce que cela implique pour « l’ambition » d’enseigner à tous les élèves.
  6. C’est-à-dire sans réel programme de recherche d’ampleur sur les effets des méthodes pour faciliter l’égalité d’appropriation des savoirs enseignés.
  7. En ne comptant que l’IUFM de Créteil, pour les seuls étudiants en première année de formation initiale des professeurs des écoles (préparant au concours), ce sont 1.400 heures de salaire de formateurs qui ont été supprimés en 2006-2007. Chaque stagiaire reçoit par an 74h de cours en amphi contre 32h l’année précédente, sacrifiant ainsi les TD en petits groupes.
  8. « pour une école de l’égalité, de la justice et de la réussite pour tous » : http://www.pcf.fr/spip.php?article747
  9. Robien a repris postérieurement une formulation proche pour son dispositif caporaliste, mais l’objectif est opposé.

Quasi-absente lors des élections de 2002, la question de l’éducation est au cœur des débats des campagnes présidentielle et législative de 2007 et (par voie de conséquence des transferts de responsabilité aux collectivités locales) des futures élections cantonales et municipales. Et pour cause, comme en témoignent les luttes depuis plusieurs années, ce que confirment les sondages encore récemment (1), l’éducation est un souci prioritaire des français, juste derrière l’emploi.

Les réductions budgétaires sont un des effets de la politique de droite, souvent dénoncés à juste titre : nombre d’enseignants, moyens accordés à l’Éducation Prioritaire, transfert des responsabilités vers les collectivités locales entraînant des inégalités de moyens, réduction des heures de formateurs d’enseignants…

La logique de rentabilité à court terme du capitalisme actuel pousse à cette réduction des investissements dans l’éducation. Mais il serait réducteur de penser que le seul objectif de la droite est de limiter les coûts de formation : elle est contrainte par les évolutions de société, par les aspirations qui grandissent, par les acquis démocratiques antérieurs comme par la crise économique, à proposer des réformes scolaires pour maintenir les injustices et éviter une réelle transformation progressiste de l’École et de la société.

L’UMP porte ainsi un projet de société d’ensemble qui a ses traductions sur la définition des missions de l’École, sur la pédagogie, sur la conception des rapports sociaux et de l’individu. La droite n’est plus, comme elle l’a été pendant des décennies, en position défensive en matière d’éducation : elle cherche même à conquérir l’électorat enseignant, parent et jeune. Elle a déjà beaucoup avancé depuis 2002. L’analyse de ses projets (2) est ainsi un bon filtre pour comprendre les contradictions qui pèsent sur l’École et élaborer un projet réellement alternatif.

Revaloriser les enseignants en encourageant le partage plutôt que la concurrence

Après des années de discours anti-enseignant, la droite à rectifié sa stratégie : reprendre des aspirations légitimes pour mieux les dévoyer.

Face aux mobilisations des professeurs sur leur pouvoir d’achat (3), les discours du ministre Robien, comme ceux du candidat Sarkozy se font écho de la difficulté d’exercice du métier enseignant et parlent de le revaloriser, notamment financièrement. Mais leurs propositions sont régressives à différents niveaux.

Il s’agirait de payer davantage les enseignants qui veulent « travailler plus », s’investir dans d’autres tâches que l’enseignement des savoirs dans le cadre normal de la classe : accompagnement individualisé hors des cours, études dirigées, « bivalence » dans le secondaire (4), etc. On voit déjà la non « valorisation » (5) de l’activité même d’enseignement et de la réflexion pédagogique sur la préparation des cours pour que tous les élèves réussissent dans le cadre du cours « normal ». C’est en fait un premier renoncement à l’idée qu’il est possible d’enseigner à tous les enfants un programme égal défini dans la scolarité unique comme ce qui est nécessaire à chaque futur citoyen et travailleur.

Mais il y a aussi les menaces sur le statut de professeur et le blocage des salaires normaux. Outre l’incitation aux heures supplémentaires, la progression de carrière des enseignants se ferait désormais selon leur « performance » : « nous évaluerons les enseignants sur les progrès de leurs élèves et non pas sur les méthodes utilisées ». L’UMP, se démarquant ainsi en apparence des prescriptions autoritaristes de Robien sur les méthodes de lecture, renvoie en fait le balancier en mettant la culpabilité sur les enseignants, en les mettant en concurrence entre eux. Les enseignants des zones où les difficultés sont concentrées seraient ainsi poussés à voir les élèves de milieux populaires comme un obstacle à leur progression de carrière (même si la droite propose une prime pour l’enseignement en Éducation Prioritaire).

À en croire la droite, une politique publique n’aurait que deux choix

Soit contraindre les professeurs à obéir à un pouvoir délégataire en les dessaisissant de l’élaboration de solutions pédagogiques, comme le fait Robien avec l’édiction de méthodes officielles a priori (6) dans le primaire, et avec la mise en place d’un système de caporalisation pédagogique par établissement dans le secondaire. Soit « laisser faire » chaque enseignant en l’obligeant à trouver seul les solutions pédagogiques aux contradictions qui travaillent tout le système et l’« évaluer » ensuite. Malheureusement, la droite n’a qu’à suivre les discours successifs des ministres socialistes, quand Allègre et Royal d’abord rendaient les professeurs de collège seuls coupables de l’échec scolaire et quand Lang ensuite pour détendre l’atmosphère avant les élections de 2002 encourageait les enseignants à innover, chacun dans leur coin, sans qu’une politique globale d’innovation permette de dégager les conditions d’évaluation constructive et de généralisation possible de ce qui a été innové dans des contextes locaux. Les décideurs dessaisissent ainsi l’institution scolaire de sa responsabilité à faire acquérir par chaque élève les savoirs du programme, en transférant la « responsabilité » à chaque enseignant peu armé et pas aidé : on le pousse à se culpabiliser.

Car dans le même temps, la droite réduit le temps de formation des enseignants (lui préférant une formation « sur le tas » par imitation de ce qui se fait déjà, alors que les pratiques actuelles ne résorbent pas les inégalités de réussite scolaire), réduction en temps et en moyen pour la formation (7) comme pour la recherche en éducation.

L’argument droitier à la « performance » pédagogique culpabilise les individus car il découle des logiques de marchandisation des sphères non économiques de la société pour y appliquer aussi la recherche de profit maximal qui est au cœur du capitalisme. Mais inversement, certains discours qui s’y opposent sont tout aussi démagogiques voire irresponsables quand ils méprisent la question d’un retour réflexif sur les effets des pratiques d’enseignement, sur l’exploration de méthodes plus égalitaires.

Car l’École ne peut pas rester dans le statu quo actuel, au milieu du gué, entre démocratisation et conservation sociale, entre développement intellectuel et limitation, entre poursuite d’études ouvertes à tous et élimination des milieux populaires par l’échec scolaire et l’orientation. Les enseignants, nous le montrerons plus loin, sont écartelés entre ces contradictions. Si la défense du service public d’éducation nationale est indispensable face aux attaques, se contenter de « défendre » serait suicidaire : on laisserait en friche les possibilités bien réelles de dépasser ces contradictions sociales. Pour dépasser l’opposition performance individuelle / fatalisme face aux inégalités, il y a nécessité à imposer une réflexion collective sur l’amélioration des pratiques.

Le projet communiste pour l’école (8) propose ainsi que dans le temps de travail soit compris un moment pour que les enseignants puissent se retrouver dans des conseils scientifiques et pédagogiques (9) qui soient un espace d’entraide, de partage d’expérience, d’informations et d’analyse, de formation et d’échange, entre enseignants, mais aussi avec des formateurs (dégagés des fonctions de contrôle) et des chercheurs en éducation. Le but est de considérer comme partie prenante du métier enseignant d’être associé à l’inter-créativité pédagogique, d’être responsabilisé sans être culpabilisé, avec une aide, une formation et des moyens pour l’assumer, en ayant des retours constructifs sur les effets des pratiques.

Contre la mise en concurrence des établissements et contre le transfert des responsabilités politiques

Les logiques de mise en concurrence se retrouvent entre établissements. Au nom de l’autonomie et des projets spécifiques, il s’agit de rogner de fait l’idée de scolarité unique, garante de l’appropriation égale par chaque enfant de ce qui lui sera indispensable dans la vie. Nous y reviendrons dans la 2ème partie, la droite ne veut pas d’une inégalité absolue en affirmant un « minimum commun ». Mais au-delà de ce minimum défini à la baisse, elle développe une politique inégalitaire où l’offre de formation serait différente selon les établissements (notre propos porte ici sur la scolarité unique, la question est différente après celle-ci).

Ici encore, la droite dévoie l’aspiration légitime à ce que les acteurs des établissements scolaires (personnels, parents, élèves) soient partie prenante de la définition de la scolarité. Comme si l’aspect délégataire et uniforme de directives décrétées centralement par des « experts » et avec peu de concertation, ne pouvait être contrebalancée que par des prises de décisions différentes dans chaque établissement et par la délégation locale à des chefs d’établissement mués en petits patrons d’entreprises concurrentielles. Comme si le pouvoir d’intervention des personnels, des parents et des élèves sur les scolarités résidait dans les performances individuelles ou le supposé « choix » sur un marché.

Si chacun des acteurs de l’école doit être associé, c’est à la définition des missions que l’école doit remplir sur l’ensemble du territoire national, pour offrir un service public égal, créer une culture commune.

C’est une mystification de laisser penser que les « performances » d’un établissement dépendraient des seuls individus, comme si les politiques publiques n’y étaient pour rien.

C’est pourtant ce qu’avance le projet de législature UMP :

« Chaque établissement scolaire sera évalué par une instance indépendante dont les résultats seront rendus publics. C’est la contrepartie de l’autonomie. » Mais d’abord, quel est le critère de « performance » ? Il n’est pas neutre ! S’agit-il d’être performant pour éliminer les élèves de milieux populaires, sachant (cf. 2ème partie) que l’école a aussi, dans notre société capitaliste, pour fonction cachée d’éliminer, de préparer la division entre exploiteurs et exploités, entre les plus cultivés et les « instruits à a minima » ? S’agit-il au contraire de faire en sorte que tous les élèves s’approprient les savoirs ? Mais alors les pouvoirs publics se laveraient les mains de leur responsabilité en la matière : formation des enseignants, aide à tous les établissements, etc.

Les belles phrases ne doivent pas tromper : « Un établissement qui aurait des résultats insuffisants recevrait immédiatement une aide de son académie et, le cas échéant, des moyens supplémentaires. » Le projet de législature  UMP entend par là des petites compensations pour quelques établissements les plus en détresse et pas du tout la création des moyens pour permettre la réussite intellectuelle des élèves de tous les élèves dans tous les établissements. La politique du gouvernement Villepin l’a montré : globalement les crédits affectés à l’éducation prioritaire ont diminué même si une poignée d’établissements aux situations les plus explosives les ont vu légèrement augmenter. Diviser pour mieux régner. Ne pas assurer les conditions de l’égalité mais faire un peu de caritatif sur l’urgence auprès des souffrances les plus visibles. Telle est la logique politique d’« autonomie des établissements » de la droite, à laquelle font écho les propositions du PS même si celui-ci promet de mettre davantage de moyens.

La polémique sur la carte scolaire va dans ce sens. Sarkozy et Royal se sont sensiblement accordés récemment sur leur volonté d’affaiblir la politique de carte scolaire. Ils partent d’une aspiration légitime : chaque parent veut pour ses enfants de bonnes conditions d’études. Mais ici encore, plutôt qu’une politique de régulation ils encouragent la concurrence. C’est un fait, la carte scolaire dans son état actuel est devenue insatisfaisante. À l’origine elle avait pour première mission d’obliger l’établissement à accueillir les enfants du secteur. Cet aspect primordial a été gommé de la polémique. Si la carte scolaire est supprimée ou floue, comment garantir une école à chaque jeune et une distance école / domicile raisonnable ? Ensuite, la politique de carte scolaire a, avec le temps, acquis une dimension de régulation de la composition sociale des établissements : comment croire que des établissements mis en concurrence et évalués sur leurs « performances » résisteront à la tentation de recruter des populations favorisées pour augmenter leurs « scores » ? Seuls les établissements perdants dans la compétition scolaire accueilleront les autres élèves. Comment croire que les élèves seront à égalité pour faire valoir leurs « qualités » auprès des recruteurs de chaque établissement ? Le « piston » et le carnet d’adresse des parents, d’une existence réelle mais limitée et honteuse, deviennent officiels et valorisés. Ce débat est au cœur du combat de classe sur l’accès aux savoirs et aux informations, leur maîtrise, la possibilité de se les approprier pour devenir créateur à son tour. Si la carte scolaire actuelle ne crée pas une réelle mixité sociale dans les établissements, cela tient à l’homogénéisation sociale grandissante des zones d’habitat et à l’affaiblissement depuis des années de cette carte scolaire quand l’acceptation des dérogations se multiplie plutôt que de créer les conditions d’un enseignement de qualité dans chaque établissement. Plutôt que de l’affaiblir encore, il faut reprendre cette politique en la transformant.

Une vision et un projet d’ensemble qui répondent aux contradictions du capitalisme

Quand la politique de la droite met en concurrence les enseignants et les établissements, c’est bien sûr dans une optique d’économiser ce qu’elle considère comme des « coûts » plutôt que des investissements sur l’avenir. Mais c’est un projet d’ensemble de la société qui se cache derrière avec la mise en concurrence des élèves pour l’appropriation inégale des savoirs et le développement inégal des capacités de réflexion comme pour les débouchés des jeunes dans le monde du travail et leur place dans la société. C’est toute une conception d’ensemble de ce que sont la personne humaine et la vie en société, qui est à l’œuvre dans les choix pour l’école, les contenus de savoir et les méthodes d’enseignement. Seul un projet alternatif d’ensemble peut répondre à ce projet d’ensemble de la droite.

Le projet actuel du PS ne répond pas non plus à cette nécessité, il se contente de perpétuer les non-choix qui ont prouvé leur impuissance dans la crise de l’école, et la candidate Royal mixe ces propositions avec d’autres qui s’alignent sur la droite. Au-delà de quelques propositions consensuelles dans le mouvement antilibéral, il est besoin d’un projet d’ensemble pour l’école qui soit en cohérence avec un projet d’ensemble pour la société. Le projet communiste pour l’école (déjà cité), sans être un produit fini, a cette ambition, il met ses analyses et propositions au service des luttes et des campagnes électorales à venir.

Car le fait d’identifier la globalité du projet de la droite pourrait rendre fataliste. Au contraire, il y a des possibilités et une nécessité à transformer l’école et la société. Si la droite a du élaborer ce projet, s’intéresser à l’école qu’elle dédaignait pendant des décennies, c’est que le capitalisme connaît d’énormes contradictions, non seulement dans son propre développement, condamné à trouver sans cesse les moyens d’augmenter les profits, mais aussi dans la mission qu’il assigne à l’école dans ce cadre. D’un côté il met en concurrence pour réduire les investissements dans la formation des capacités intellectuelles, de l’autre la formation de ces capacités lui est indispensable pour surmonter sa crise. Surtout quand grandissent des aspirations dans la société à ce que chacun maîtrise mieux sa vie, ses choix, sa réflexion personnelle donc les outils intellectuels pour ce faire.

C’est de tout cela qu’il sera question dans la 2ème partie de cet article, à paraître dans le prochain numéro d’Économie & Politique.

  1. Sondage paru dans Le Parisien le 10.01.2007.
  2. Nous fondons notre analyse sur plusieurs documents consultables :les grilles de pensée diffusées par la « fondation pour l’innovation politique » de l’UMP : http://www.fondapol.org/projet-education-culture-recherche.jsp *le discours de Sarkozy à Angers le 01/12/06 : http://www.u-mp.org/site/index.php/ump/s_informer/discours/reunion_publique_angers_vendredi_1er_ decembrele projet  de  législature 2007-2012  de  l’UMP, pages  31-36  : http://viphttp.yacast.net/ump/projet-ump2007.pdfla « Convention pour la France d’après » de Robien : http://www.u-mp.org/site/index.php/ump/debattre/dossiers/education/education_le_devoir_de_reussite
  3. Si le salaire moyen avait augmenté pour les enseignants du primaire dans les années 1990 grâce à la création du corps « professeurs des écoles » à bac+3 et à la diminution des statuts autres que CAPES et Agrégation dans le secondaire (source : Note d’information 06.28 Le coût de l’éducation sur www.education.gouv.fr), les salaires des métiers de l’enseignement subissent un décrochage par rapport aux autres salariés du privé et du public à niveau de qualification comparable (source : Supplément « Promotions 2007 » L’Université Syndicale. Hebdomadaire du SNES n° 645 du 11 décembre 2006.) « En 2006, le salaire brut d’un certifié débutant représente 1,25 fois le SMIC pour 2,07 fois le SMIC en 1981 ». Il faudrait également tenir compte de la proportion à nouveau croissante de contractuels palliant l’embauche de titulaires.
  4. Enseignement d’une seconde matière pour laquelle le professeur n’est pas formé.
  5. Dans le prochain numéro d’Économie & Politique, nous reviendrons sur ce que cela implique pour « l’ambition » d’enseigner à tous les élèves.
  6. C’est-à-dire sans réel programme de recherche d’ampleur sur les effets des méthodes pour faciliter l’égalité d’appropriation des savoirs enseignés.
  7. En ne comptant que l’IUFM de Créteil, pour les seuls étudiants en première année de formation initiale des professeurs des écoles (préparant au concours), ce sont 1.400 heures de salaire de formateurs qui ont été supprimés en 2006-2007. Chaque stagiaire reçoit par an 74h de cours en amphi contre 32h l’année précédente, sacrifiant ainsi les TD en petits groupes.
  8. « pour une école de l’égalité, de la justice et de la réussite pour tous » : http://www.pcf.fr/spip.php?article747
  9. Robien a repris postérieurement une formulation proche pour son dispositif caporaliste, mais l’objectif est opposé.

Quasi-absente lors des élections de 2002, la question de l’éducation est au cœur des débats des campagnes présidentielle et législative de 2007 et (par voie de conséquence des transferts de responsabilité aux collectivités locales) des futures élections cantonales et municipales. Et pour cause, comme en témoignent les luttes depuis plusieurs années, ce que confirment les sondages encore récemment (1), l’éducation est un souci prioritaire des français, juste derrière l’emploi.

Les réductions budgétaires sont un des effets de la politique de droite, souvent dénoncés à juste titre : nombre d’enseignants, moyens accordés à l’Éducation Prioritaire, transfert des responsabilités vers les collectivités locales entraînant des inégalités de moyens, réduction des heures de formateurs d’enseignants…

La logique de rentabilité à court terme du capitalisme actuel pousse à cette réduction des investissements dans l’éducation. Mais il serait réducteur de penser que le seul objectif de la droite est de limiter les coûts de formation : elle est contrainte par les évolutions de société, par les aspirations qui grandissent, par les acquis démocratiques antérieurs comme par la crise économique, à proposer des réformes scolaires pour maintenir les injustices et éviter une réelle transformation progressiste de l’École et de la société.

L’UMP porte ainsi un projet de société d’ensemble qui a ses traductions sur la définition des missions de l’École, sur la pédagogie, sur la conception des rapports sociaux et de l’individu. La droite n’est plus, comme elle l’a été pendant des décennies, en position défensive en matière d’éducation : elle cherche même à conquérir l’électorat enseignant, parent et jeune. Elle a déjà beaucoup avancé depuis 2002. L’analyse de ses projets (2) est ainsi un bon filtre pour comprendre les contradictions qui pèsent sur l’École et élaborer un projet réellement alternatif.

Revaloriser les enseignants en encourageant le partage plutôt que la concurrence

Après des années de discours anti-enseignant, la droite à rectifié sa stratégie : reprendre des aspirations légitimes pour mieux les dévoyer.

Face aux mobilisations des professeurs sur leur pouvoir d’achat (3), les discours du ministre Robien, comme ceux du candidat Sarkozy se font écho de la difficulté d’exercice du métier enseignant et parlent de le revaloriser, notamment financièrement. Mais leurs propositions sont régressives à différents niveaux.

Il s’agirait de payer davantage les enseignants qui veulent « travailler plus », s’investir dans d’autres tâches que l’enseignement des savoirs dans le cadre normal de la classe : accompagnement individualisé hors des cours, études dirigées, « bivalence » dans le secondaire (4), etc. On voit déjà la non « valorisation » (5) de l’activité même d’enseignement et de la réflexion pédagogique sur la préparation des cours pour que tous les élèves réussissent dans le cadre du cours « normal ». C’est en fait un premier renoncement à l’idée qu’il est possible d’enseigner à tous les enfants un programme égal défini dans la scolarité unique comme ce qui est nécessaire à chaque futur citoyen et travailleur.

Mais il y a aussi les menaces sur le statut de professeur et le blocage des salaires normaux. Outre l’incitation aux heures supplémentaires, la progression de carrière des enseignants se ferait désormais selon leur « performance » : « nous évaluerons les enseignants sur les progrès de leurs élèves et non pas sur les méthodes utilisées ». L’UMP, se démarquant ainsi en apparence des prescriptions autoritaristes de Robien sur les méthodes de lecture, renvoie en fait le balancier en mettant la culpabilité sur les enseignants, en les mettant en concurrence entre eux. Les enseignants des zones où les difficultés sont concentrées seraient ainsi poussés à voir les élèves de milieux populaires comme un obstacle à leur progression de carrière (même si la droite propose une prime pour l’enseignement en Éducation Prioritaire).

À en croire la droite, une politique publique n’aurait que deux choix

Soit contraindre les professeurs à obéir à un pouvoir délégataire en les dessaisissant de l’élaboration de solutions pédagogiques, comme le fait Robien avec l’édiction de méthodes officielles a priori (6) dans le primaire, et avec la mise en place d’un système de caporalisation pédagogique par établissement dans le secondaire. Soit « laisser faire » chaque enseignant en l’obligeant à trouver seul les solutions pédagogiques aux contradictions qui travaillent tout le système et l’« évaluer » ensuite. Malheureusement, la droite n’a qu’à suivre les discours successifs des ministres socialistes, quand Allègre et Royal d’abord rendaient les professeurs de collège seuls coupables de l’échec scolaire et quand Lang ensuite pour détendre l’atmosphère avant les élections de 2002 encourageait les enseignants à innover, chacun dans leur coin, sans qu’une politique globale d’innovation permette de dégager les conditions d’évaluation constructive et de généralisation possible de ce qui a été innové dans des contextes locaux. Les décideurs dessaisissent ainsi l’institution scolaire de sa responsabilité à faire acquérir par chaque élève les savoirs du programme, en transférant la « responsabilité » à chaque enseignant peu armé et pas aidé : on le pousse à se culpabiliser.

Car dans le même temps, la droite réduit le temps de formation des enseignants (lui préférant une formation « sur le tas » par imitation de ce qui se fait déjà, alors que les pratiques actuelles ne résorbent pas les inégalités de réussite scolaire), réduction en temps et en moyen pour la formation (7) comme pour la recherche en éducation.

L’argument droitier à la « performance » pédagogique culpabilise les individus car il découle des logiques de marchandisation des sphères non économiques de la société pour y appliquer aussi la recherche de profit maximal qui est au cœur du capitalisme. Mais inversement, certains discours qui s’y opposent sont tout aussi démagogiques voire irresponsables quand ils méprisent la question d’un retour réflexif sur les effets des pratiques d’enseignement, sur l’exploration de méthodes plus égalitaires.

Car l’École ne peut pas rester dans le statu quo actuel, au milieu du gué, entre démocratisation et conservation sociale, entre développement intellectuel et limitation, entre poursuite d’études ouvertes à tous et élimination des milieux populaires par l’échec scolaire et l’orientation. Les enseignants, nous le montrerons plus loin, sont écartelés entre ces contradictions. Si la défense du service public d’éducation nationale est indispensable face aux attaques, se contenter de « défendre » serait suicidaire : on laisserait en friche les possibilités bien réelles de dépasser ces contradictions sociales. Pour dépasser l’opposition performance individuelle / fatalisme face aux inégalités, il y a nécessité à imposer une réflexion collective sur l’amélioration des pratiques.

Le projet communiste pour l’école (8) propose ainsi que dans le temps de travail soit compris un moment pour que les enseignants puissent se retrouver dans des conseils scientifiques et pédagogiques (9) qui soient un espace d’entraide, de partage d’expérience, d’informations et d’analyse, de formation et d’échange, entre enseignants, mais aussi avec des formateurs (dégagés des fonctions de contrôle) et des chercheurs en éducation. Le but est de considérer comme partie prenante du métier enseignant d’être associé à l’inter-créativité pédagogique, d’être responsabilisé sans être culpabilisé, avec une aide, une formation et des moyens pour l’assumer, en ayant des retours constructifs sur les effets des pratiques.

Contre la mise en concurrence des établissements et contre le transfert des responsabilités politiques

Les logiques de mise en concurrence se retrouvent entre établissements. Au nom de l’autonomie et des projets spécifiques, il s’agit de rogner de fait l’idée de scolarité unique, garante de l’appropriation égale par chaque enfant de ce qui lui sera indispensable dans la vie. Nous y reviendrons dans la 2ème partie, la droite ne veut pas d’une inégalité absolue en affirmant un « minimum commun ». Mais au-delà de ce minimum défini à la baisse, elle développe une politique inégalitaire où l’offre de formation serait différente selon les établissements (notre propos porte ici sur la scolarité unique, la question est différente après celle-ci).

Ici encore, la droite dévoie l’aspiration légitime à ce que les acteurs des établissements scolaires (personnels, parents, élèves) soient partie prenante de la définition de la scolarité. Comme si l’aspect délégataire et uniforme de directives décrétées centralement par des « experts » et avec peu de concertation, ne pouvait être contrebalancée que par des prises de décisions différentes dans chaque établissement et par la délégation locale à des chefs d’établissement mués en petits patrons d’entreprises concurrentielles. Comme si le pouvoir d’intervention des personnels, des parents et des élèves sur les scolarités résidait dans les performances individuelles ou le supposé « choix » sur un marché.

Si chacun des acteurs de l’école doit être associé, c’est à la définition des missions que l’école doit remplir sur l’ensemble du territoire national, pour offrir un service public égal, créer une culture commune.

C’est une mystification de laisser penser que les « performances » d’un établissement dépendraient des seuls individus, comme si les politiques publiques n’y étaient pour rien.

C’est pourtant ce qu’avance le projet de législature UMP :

« Chaque établissement scolaire sera évalué par une instance indépendante dont les résultats seront rendus publics. C’est la contrepartie de l’autonomie. » Mais d’abord, quel est le critère de « performance » ? Il n’est pas neutre ! S’agit-il d’être performant pour éliminer les élèves de milieux populaires, sachant (cf. 2ème partie) que l’école a aussi, dans notre société capitaliste, pour fonction cachée d’éliminer, de préparer la division entre exploiteurs et exploités, entre les plus cultivés et les « instruits à a minima » ? S’agit-il au contraire de faire en sorte que tous les élèves s’approprient les savoirs ? Mais alors les pouvoirs publics se laveraient les mains de leur responsabilité en la matière : formation des enseignants, aide à tous les établissements, etc.

Les belles phrases ne doivent pas tromper : « Un établissement qui aurait des résultats insuffisants recevrait immédiatement une aide de son académie et, le cas échéant, des moyens supplémentaires. » Le projet de législature  UMP entend par là des petites compensations pour quelques établissements les plus en détresse et pas du tout la création des moyens pour permettre la réussite intellectuelle des élèves de tous les élèves dans tous les établissements. La politique du gouvernement Villepin l’a montré : globalement les crédits affectés à l’éducation prioritaire ont diminué même si une poignée d’établissements aux situations les plus explosives les ont vu légèrement augmenter. Diviser pour mieux régner. Ne pas assurer les conditions de l’égalité mais faire un peu de caritatif sur l’urgence auprès des souffrances les plus visibles. Telle est la logique politique d’« autonomie des établissements » de la droite, à laquelle font écho les propositions du PS même si celui-ci promet de mettre davantage de moyens.

La polémique sur la carte scolaire va dans ce sens. Sarkozy et Royal se sont sensiblement accordés récemment sur leur volonté d’affaiblir la politique de carte scolaire. Ils partent d’une aspiration légitime : chaque parent veut pour ses enfants de bonnes conditions d’études. Mais ici encore, plutôt qu’une politique de régulation ils encouragent la concurrence. C’est un fait, la carte scolaire dans son état actuel est devenue insatisfaisante. À l’origine elle avait pour première mission d’obliger l’établissement à accueillir les enfants du secteur. Cet aspect primordial a été gommé de la polémique. Si la carte scolaire est supprimée ou floue, comment garantir une école à chaque jeune et une distance école / domicile raisonnable ? Ensuite, la politique de carte scolaire a, avec le temps, acquis une dimension de régulation de la composition sociale des établissements : comment croire que des établissements mis en concurrence et évalués sur leurs « performances » résisteront à la tentation de recruter des populations favorisées pour augmenter leurs « scores » ? Seuls les établissements perdants dans la compétition scolaire accueilleront les autres élèves. Comment croire que les élèves seront à égalité pour faire valoir leurs « qualités » auprès des recruteurs de chaque établissement ? Le « piston » et le carnet d’adresse des parents, d’une existence réelle mais limitée et honteuse, deviennent officiels et valorisés. Ce débat est au cœur du combat de classe sur l’accès aux savoirs et aux informations, leur maîtrise, la possibilité de se les approprier pour devenir créateur à son tour. Si la carte scolaire actuelle ne crée pas une réelle mixité sociale dans les établissements, cela tient à l’homogénéisation sociale grandissante des zones d’habitat et à l’affaiblissement depuis des années de cette carte scolaire quand l’acceptation des dérogations se multiplie plutôt que de créer les conditions d’un enseignement de qualité dans chaque établissement. Plutôt que de l’affaiblir encore, il faut reprendre cette politique en la transformant.

Une vision et un projet d’ensemble qui répondent aux contradictions du capitalisme

Quand la politique de la droite met en concurrence les enseignants et les établissements, c’est bien sûr dans une optique d’économiser ce qu’elle considère comme des « coûts » plutôt que des investissements sur l’avenir. Mais c’est un projet d’ensemble de la société qui se cache derrière avec la mise en concurrence des élèves pour l’appropriation inégale des savoirs et le développement inégal des capacités de réflexion comme pour les débouchés des jeunes dans le monde du travail et leur place dans la société. C’est toute une conception d’ensemble de ce que sont la personne humaine et la vie en société, qui est à l’œuvre dans les choix pour l’école, les contenus de savoir et les méthodes d’enseignement. Seul un projet alternatif d’ensemble peut répondre à ce projet d’ensemble de la droite.

Le projet actuel du PS ne répond pas non plus à cette nécessité, il se contente de perpétuer les non-choix qui ont prouvé leur impuissance dans la crise de l’école, et la candidate Royal mixe ces propositions avec d’autres qui s’alignent sur la droite. Au-delà de quelques propositions consensuelles dans le mouvement antilibéral, il est besoin d’un projet d’ensemble pour l’école qui soit en cohérence avec un projet d’ensemble pour la société. Le projet communiste pour l’école (déjà cité), sans être un produit fini, a cette ambition, il met ses analyses et propositions au service des luttes et des campagnes électorales à venir.

Car le fait d’identifier la globalité du projet de la droite pourrait rendre fataliste. Au contraire, il y a des possibilités et une nécessité à transformer l’école et la société. Si la droite a du élaborer ce projet, s’intéresser à l’école qu’elle dédaignait pendant des décennies, c’est que le capitalisme connaît d’énormes contradictions, non seulement dans son propre développement, condamné à trouver sans cesse les moyens d’augmenter les profits, mais aussi dans la mission qu’il assigne à l’école dans ce cadre. D’un côté il met en concurrence pour réduire les investissements dans la formation des capacités intellectuelles, de l’autre la formation de ces capacités lui est indispensable pour surmonter sa crise. Surtout quand grandissent des aspirations dans la société à ce que chacun maîtrise mieux sa vie, ses choix, sa réflexion personnelle donc les outils intellectuels pour ce faire.

C’est de tout cela qu’il sera question dans la 2ème partie de cet article, à paraître dans le prochain numéro d’Économie & Politique.

  1. Sondage paru dans Le Parisien le 10.01.2007.
  2. Nous fondons notre analyse sur plusieurs documents consultables :les grilles de pensée diffusées par la « fondation pour l’innovation politique » de l’UMP : http://www.fondapol.org/projet-education-culture-recherche.jsp *le discours de Sarkozy à Angers le 01/12/06 : http://www.u-mp.org/site/index.php/ump/s_informer/discours/reunion_publique_angers_vendredi_1er_ decembrele projet  de  législature 2007-2012  de  l’UMP, pages  31-36  : http://viphttp.yacast.net/ump/projet-ump2007.pdfla « Convention pour la France d’après » de Robien : http://www.u-mp.org/site/index.php/ump/debattre/dossiers/education/education_le_devoir_de_reussite
  3. Si le salaire moyen avait augmenté pour les enseignants du primaire dans les années 1990 grâce à la création du corps « professeurs des écoles » à bac+3 et à la diminution des statuts autres que CAPES et Agrégation dans le secondaire (source : Note d’information 06.28 Le coût de l’éducation sur www.education.gouv.fr), les salaires des métiers de l’enseignement subissent un décrochage par rapport aux autres salariés du privé et du public à niveau de qualification comparable (source : Supplément « Promotions 2007 » L’Université Syndicale. Hebdomadaire du SNES n° 645 du 11 décembre 2006.) « En 2006, le salaire brut d’un certifié débutant représente 1,25 fois le SMIC pour 2,07 fois le SMIC en 1981 ». Il faudrait également tenir compte de la proportion à nouveau croissante de contractuels palliant l’embauche de titulaires.
  4. Enseignement d’une seconde matière pour laquelle le professeur n’est pas formé.
  5. Dans le prochain numéro d’Économie & Politique, nous reviendrons sur ce que cela implique pour « l’ambition » d’enseigner à tous les élèves.
  6. C’est-à-dire sans réel programme de recherche d’ampleur sur les effets des méthodes pour faciliter l’égalité d’appropriation des savoirs enseignés.
  7. En ne comptant que l’IUFM de Créteil, pour les seuls étudiants en première année de formation initiale des professeurs des écoles (préparant au concours), ce sont 1.400 heures de salaire de formateurs qui ont été supprimés en 2006-2007. Chaque stagiaire reçoit par an 74h de cours en amphi contre 32h l’année précédente, sacrifiant ainsi les TD en petits groupes.
  8. « pour une école de l’égalité, de la justice et de la réussite pour tous » : http://www.pcf.fr/spip.php?article747
  9. Robien a repris postérieurement une formulation proche pour son dispositif caporaliste, mais l’objectif est opposé.
 

Par Bonnéry Stéphane , le 30 November 2006

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