Le mardi 13 mai 2008, le Quotidien du Médecin donnait un article sur la création de l’Institut de données de santé prévu par la loi Douste-Blazy de 2004 et dont nous avions déjà dénoncé les enjeux (2) lors de la publication de cette loi. «L'heure du grand partage est arrivée», selon ce journal.
Pour que le marché assurantiel soit rentable, il faut que les risques soient sélectionnés et donc maîtrisés. Pour qu’ils soient maîtrisés il faut qu’ils soient connus. Le problème dans le domaine sanitaire est que le risque n’était pas connu jusqu’à maintenant. Pour quelle raison ? C’est simple : la sécurité sociale avait l’obligation de prendre en charge tout le monde; elle n’avait donc pas à sélectionner les risques et ne dégageait pas de profits. Ce n’était pas son objet. Elle ne s’était donc pas dotée d’outils de connaissance des risques. Ajoutez à cela la tradition française de ne pas penser la santé en termes de population mais de rester dans le domaine curatif de niveau individuel. Les mutuelles étaient également dans une tradition ancienne et solidaire de non sélection des risques. Elles ne s’étaient pas non plus dotées de tels outils.
Pour que le marché soit rentable, il faut éliminer les complémentaires solidaires selon les lois de la «concurrence libre et non faussée». La réorganisation des mutuelles qui restent à ce jour le principal opérateur sur le marché de la complémentarité, a donc été un objectif stratégique pour la finance : le nouveau code des mutuelles en application des directives européennes a rempli ce rôle et a largement vidé les mutuelles de leur culture solidaire. Ce second principe est maintenant atteint et gageons que le temps n’est pas loin où, par le jeu de la concurrence féroce les assurances santé, appuyées par l’ensemble du système assurantiel (maison, automobile, entreprise etc..), les compagnies d’assurance pourront mettre la main sur le système mutualiste.
Revenons au premier principe : la loi prévoit donc de mettre en place un institut de données (IDS) accessibles aux membres de l’Unocam (3). Ce n’est pas simple parce que la loi française protège les données individuelles, que seule la Sécurité sociale a ces données et que la tradition médicale française est jalouse du secret médical. Il fallait donc agir en douceur, prendre le temps d’impliquer tout le monde et se donner les moyens matériels (à financement public bien sûr !) d’organiser l’affaire : c’est fait ! Certes les données ne seront pas individuelles mais une classification fine des populations permettra une sélection des risques suffisamment précises pour ouvrir la porte de la rentabilité – d’autant que les recoupements avec d’autres données assurantielles détenues par les seules compagnies privées seront possibles.
Ainsi s’approche le moment où les assurances pourront ouvrir leurs contrats à des couvertures maladie complètes dès le premier euro, entrant en concurrence non seulement avec les mutuelles mais surtout avec la Sécurité sociale elle-même. Elles mettront la main sur ce pactole qui les fait rêver depuis le début des années 90 : le budget de l’assurance maladie (4). Elles offriront des prises en charge complète à tarif compétitif (dans un premier temps). Elles rejetteront les maladies graves vers le financement public, elles sélectionneront les catégories sociales solvables et les classes d’âges. La crise de l’Assurance maladie, privée de ses ressources solidaires, deviendra alors plus dramatique que jamais.
Qu’importe pour les contempteurs de la main invisible du marché !
L’Institut de données de santé (5) est en train d'organiser le partage des données produites par tous les systèmes d'information de ses membres. Un partage bientôt élargi par arrêté aux syndicats de professionnels libéraux et aux familles de complémentaires. Cette transparence aboutira, à terme, à un pilotage plus fin du système de soins nous dit-on ! La droite et les socialistes argumentent sur le fait que le système de santé a longtemps été piloté au jugé – à qui la faute ? – faute de données précises sur la consommation globale de soins en France : les temps changeraient, grâce à la création de l'Institut des données de santé…
Depuis 3 ans, ce GIP-IDS a mis en place progressivement le partage des données de santé anonymisées entre les différents acteurs du secteur, à l'exception notable des entreprises ou d'organismes à but lucratif comme les laboratoires pharmaceutiques ou les assureurs. D'où un éclairage nouveau en perspective aboutissant, à terme, selon certains à un pilotage plus fin du système de soins.
Une trentaine de personnes seront formées en 2008 afin que des membres de l'IDS puissent techniquement interroger la plus grosse base de données de santé du monde: le Système national d'information inter régime de l'assurance-maladie ou SNIIRAM. Tandis que d'autres pays se contentent de travailler sur des échantillons de population, la Caisse nationale d'assurancemaladie (CNAM) entrepose dans son centre informatique d'Evreux toutes les données de remboursement de 65 millions de personnes (soit tous les assurés et leurs ayants droit, quel que soit leur régime d'affiliation, hors aide médicale d'État). Du beau travail ! Prévu par le législateur dès 1998 et mis en œuvre à compter de 2003, le SNIIRAM constitue maintenant une énorme mine d'informations médicalisées pour tout chercheur ou tout organisme s'intéressant à la consommation de soins. Tout d'abord, les données individuelles de remboursement y sont répertoriées depuis 2006 avec des données hospitalières du PMSI (programme de médicalisation des systèmes d'information), si bien que le SNIIRAM permet de retracer les trajectoires de soins des patients en médecine de ville et à l'hôpital, dans le secteur public ou privé. Les données de cette base gigantesque ont été aussi enrichies ces dernières années sur le plan médical grâce au codage (ALD, médicaments, bio¬logie, actes techniques...). Les données exhaustives du SNIIRAM peuvent être conservées pendant une durée de deux ans au-delà de l'année en cours. Pour l'étude de pathologies sur une plus longue période, l'assurance-maladie s'est dotée en 2005 d'un échantillon représentatif au 100ème, baptisé : Échantillon permanent inter-régime de bénéficiaires de l'assurance-maladie (ÉPIBAM). Cet EPIBAM stocke les données relatives à une population de 600 000 personnes pendant vingt ans pour suivre au fil du temps leur consommation médicale.
Depuis le ler février 2008, tous les membres du GIP-IDS ont théoriquement accès au SNIIRAM sur demande. Les fédérations hospitalières publiques et privées se sont mises d'accord pour mettre à disposition leurs données respectives.
Le système étant monté, un arrêté ministériel va autoriser aussi les membres des membres du GIP-IDS à accéder à ces précieuses statistiques. En clair, le cercle des initiés va s'ouvrir aux syndicats de praticiens libéraux fédérés par l'Union nationale des professions de santé (UNPS), aux associations de patients et d'usagers membres du CISS, et surtout aux composantes de l'Union nationale des organismes complémentaires d'assurancemaladie (UNOCAM), c'est-à-dire la Mutualité française, la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) et le Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP) : nous y voilà ! « On leur ouvre les données de santé agrégées de l'assurance-maladie et les données individuelles anonymisées des professionnels de santé, ce qui n'était pas prévu au départ », a déclaré Yvon Merlière, directeur adjoint à la direction de la stratégie, des études et de la statistique à la CNAM. Il est bien naïf.
Autre nouveauté : la Sécu va commencer à facturer « le temps machine » qu'elle consacre aux requêtes extérieures alors que ce service était gratuit jusqu'à présent. Cela montre bien que seuls ceux qui auront les moyens d’accéder à ces données y accèderont : des illusions vont tomber chez les professionnels de santé, les chercheurs et chez les représentants des usagers. On commence donc à s’interroger ici et là. En tant que leader du syndicat CSMF et président de l'UNPS, Michel Chassang espère obtenir des études statistiques utilisables comme « arguments de défense face au Conseil de la concurrence » ou comme éléments de négociation face aux caisses. Il trouve « légitime » que les professionnels de santé aient largement accès aux données qu'ils produisent collectivement. Mais, nuance le Dr Chassang, « nous ne sommes pas d'accord pour un large accès des organismes complémentaires ». Naïf ou hypocrite ?
Pour le directeur général de la Mutualité française, au contraire, le partage envisagé laisse un goût de trop peu. Daniel Lenoir juge « vexatoire » le fait d'interdire la consultation de l'ÉPIBAM aux familles de complémentaires. « Nous devons demain négocier le secteur optionnel, explique Daniel Lenoir. Mais on ne peut pas négocier dans un souterrain et prendre des engagements sur des dépenses que l'on ne connaît pas. » Effectivement la mise en place de HMO à la française sera conditionnée par cette mesure. En fait, le grand partage des statistiques sera total lorsque le SNNIIRAM ne sera plus la seule ressource exploitable. L'IDS travaille avec l'IRDES (Institut de recherche et documentation en économie de la santé) à la constitution d'un nouvel échantillon représentatif (6) de la population qui permettrait de croiser enfin les données de l'assurance-maladie avec celles des complémentaires (toujours de manière anonyme). L'IDS a en ligne de mire l'étude des dépassements d'honoraires et celle de la prise en charge de la dépendance. Agnès Bourgignon souligne dans l’article du quotidien que «ce sont là des thèmes très politiques au moment où le gouvernement veut à la fois créer un cinquième risque «dépendance » et faire bouger les lignes du financement de la santé entre les régimes obligatoires et les régimes complémentaires». CQFD !
Une véritable stratégie masquée est à l’œuvre pour transformer radicalement notre système de santé et de protection sociale. La financiarisation avance sans dire son nom.
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