Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Tous patrons ? Tous exploités !

Diminuer encore et encore le coût du travail est l’obsession constante des capitalistes. Toujours moins pour les salaires, toujours plus pour les profits. Cette course aux profits exacerbée par l’accumulation gigantesque des capitaux qui exigent leurs 15 % minimum de rendement conduit l’économie mondiale dans de très graves difficultés mais la crise financière ne sert aucunement de leçon. Au contraire, plus le système s’enfonce dans la crise, plus ses dirigeants économiques et politiques s’entêtent à vouloir baisser les revenus salariaux.

Pour y parvenir tout est bon :
Casse des acquis sociaux contenus dans le Code du travail.
Mise en concurrence des travailleurs en Europe grâce aux traités, aggravée par l’interprétation des textes par la Cour de justice européenne qui piétine les législations nationales en autorisant des prestations de services transnationales avec des salaires moitié moindres que les minima conventionnels.
Mise en concurrence des travailleurs au niveau mondial avec toutes les facilités données pour les délocalisations et l’importation de marchandises produites avec des salaires de misère et le travail des enfants ;
Maintien à tout prix d’un fort taux de chômage les 5 % du prétendu plein emploiafin de peser à la baisse sur les salaires et toutes les conditions de travail.
Pressions accrues sur les travailleurs privés d’emploi pour leur faire accepter du travail bien moins payé que leur précédent emploi.
Destruction programmée des statuts de la Fonction publique afin que nul n’échappe au dumping social et que ces statuts cessent de servir de bon exemple aux travailleurs du secteur privé.
Exonérations accrues des cotisations de sécurité sociale, exonérations inutiles pour l’emploi comme le relève d’ailleurs la Cour des Comptes.
Externalisations massives des activités vers la sous-traitance où les salaires sont plus bas, sous-traitances souvent illégales mais encouragées.
Développement de toutes les formes de précarité qui pèsent sur les conditions d’emploi : CDD, intérim, temps partiels, licenciements facilités par la rupture contractuelle.
A cet impressionnant catalogue des politiques antisociales suivies depuis 25 ans par les gouvernements successifs s’ajoute une méthode bien particulière :
Puisqu’on ne peut pas casser tout le Code du travail et les conventions collectives il s’agit de sortir un maximum de travailleurs du statut de salarié pour les habiller du statut de travailleur indépendant.
Ainsi travestis en «indépendant», en «entrepreneur», en «créateur de micro entreprise», des salariés perdent tous leurs droits : plus de Smic, plus de conventions collectives, plus de congés payés, plus de limites à la durée du travail, plus de règles de sécurité, plus de règles sur le licenciement, plus d’allocations en cas de perte d’emploi
… Pourtant ces travailleurs restent des salariés puisqu’ils ne possèdent que leur force de travail et aucun capital, hormis la caisse à outil, ils sont soumis au marché du travail, ils dépendent de la volonté des donneurs d’ordres, souvent d’ailleurs d’un seul donneur d’ordres. Ils possèdent parfois un petit capital comme les outils informatiques et de communication ou un véhicule de transport ; ce capital est complètement dévalorisé, ses frais de financement venant en déduction des rémunérations que leurs octroient les donneurs d’ordre.

Des «entrepreneurs-salariés» sans droit

Ces «entrepreneurs» demeurent en fait des salariés, mais des salariés sans aucun droit, comme ceux du 19ème siècle, comme ceux d’avant les premières lois sociales, des journaliers ou des salariés payés à la tâche. En échange de l’abandon de tous les droits ils ont gagné l’illusion d’être patrons. Seuls ceux qui peuvent intervenir en direct, hors de toute sous-traitance, sur le segment limité du marché des particuliers échappent à la surexploitation.
Il y a longtemps que la droite extrême, c'est-à-dire la plus libérale, cherche dans cette direction pour légaliser les pratiques d’entreprises qui normalement tombent sous le coup des textes qui depuis plus d’un siècle interdisent la surexploitation, la fausse sous-traitance, appelée juridiquement «marchandage» et «prêt de main d’œuvre» dans le Code du travail.
Ce fut d’abord l’amendement Madelin qui instituait une présomption de non salariat pour tout travailleur inscrit à la chambre des métiers. Sur proposition communiste cet amendement fut abrogé au moment des lois Aubry. Monsieur Fillon quand il était ministre du travail rétablit cet amendement en 2003.
D’autres mesures comme les emplois à temps partagé où le portage salarial imposé par le Medef lors de la négociation de 2007 sur le marché du travail vont dans le même sens.
Dans son rapport qui sert depuis plusieurs années de boîte à idées à la droite, Michel De Virville, éminence grise du patronat en matière sociale, préconisait que patrons et salariés puissent librement choisir le statut d’emploi : salarié ou indépendant. Nous y sommes.
Avec le projet de loi sur la modernisation de l’économie un pas de plus, mais un pas de géant, est franchi sur la voie de la transformation de nombreux salariés en travailleurs indépendants. Il semble bien d’ailleurs que de très hauts fonctionnaires du ministère des finances ont signalé ce risque au gouvernement qui évidemment fait la sourde oreille, puisque pour lui il ne s’agit pas d’un risque mais d’un objectif.
Le statut de micro entrepreneur (dans les limites d’un certain chiffre d’affaires), avec de faibles charges sociales, une fiscalité abaissée et la dispense de TVA est déjà très attractif, ce qui explique les très nombreuses créations d’ «entreprises» sous ce statut. Ces créations, en majorité éphémères, sont très souvent le fait de chômeurs ne trouvant plus d’autres solutions pour vivre que d’accepter cette manière de travailler sans aucun droit. Pour une entreprise il est déjà plus intéressant de s’adresser à ces travailleurs prétendument indépendants que de les embaucher.
Le projet du gouvernement va amplifier le phénomène. En effet pour une entreprise de services et jusqu’à 27 000 euros de chiffre d’affaires (chiffre pouvant être relevé par simple décret) il serait institué un prélèvement libératoire égal à 23 % du chiffre d’affaires (toutes charges sociales, impôts sur le revenu, CSG et TVA compris). Le gouvernement dit que cela permettrait de dégager un revenu d’appoint de 800 euros net par mois. Mais en réalité dans nombre d’activités de services le chiffre d’affaires c’est du revenu en intégralité ou presque (professions intellectuelles, services informatiques, travailleurs du bâtiment qui n’achètent pas les matériaux, nettoyage, services à domicile, techniciens de maintenance….en fait la plupart des activité de services hors le commerce). Un revenu brut annuel de 27 000 euros serait taxé à 23 % et laisserait un revenu net mensuel de 1732,50 euros c'est-à-dire plus que le salaire médian.
Autrement dit, pour une création de richesses générant un revenu net mensuel de 1 732 euros pour le producteur, le coût global du travail serait de 2 250 euros sous le statut de la micro entreprise. Alors que pour la même création de richesses, le coût global du travail est au moins de 4000 euros dans une entreprise (en comptant : salaire, congés payés, cotisations patronales, cotisations salariales, impôts sur le revenu et TVA). Pas loin du double. Et une différence plus grande encore si l’«indépendant» ne parvient pas à être payé au niveau de la convention collective où qu’il ne peut facturer tout son temps de travail.

Un nouveau dispositif de mise en concurrence

Nous avons là un nouveau dispositif redoutable de mise en concurrence entre entreprises par le dumping social et au bout du compte un dispositif terrible de concurrence entre travailleurs. Le même type de concurrence sauvage que celle existant entre entreprises qui déclarent leurs salariés et paient leurs charges et celles qui ont recours au travail clandestin. Finalement ce nouveau dispositif gouvernemental légalise très largement le travail au black.
Plus grave encore, ce système d’exploitation ne concerne pas seulement des pseudos travailleurs indépendants à temps complet. Il vise aussi explicitement les salariés du privé, qu’ils soient à temps complet ou à temps partiel, les fonctionnaires, les retraités et les chômeurs.
L’entrée dans le système et sa gestion sont simplifiées à l’extrême : une déclaration au centre de formalités des entreprises, une comptabilité réduite à une colonne recettes pour les salaires, une colonne dépenses pour les 23 % de taxes libératoires et les frais de la voiture. Le tour est joué.
Votre trouvez votre salaire insuffisant ? explique t-on aux salariés du secteur privé, il existe une solution, devenez artisan le dimanche ou pendant vos congés ; comme indépendant c’est légal.
Les retraités qui se plaignent de la faiblesse de leurs pensions pourront, s’ils en ont la force, trouver à s’embaucher en indépendant, d’autant plus facilement que, considérant qu’ils ont déjà des ressources, ils pourraient présenter des exigences de rémunération abaissées. Arrondissez vos fins de mois ! dit-on aussi aux fonctionnaires. Verra t-on des policiers faire le vigile indépendant dans les discothèques le samedi soir ? Des inspecteurs des impôts conseillers fiscaux après 18 heures ? Peut-être pas, mais tous les fonctionnaires pourraient occuper pratiquement toutes sortes d’emplois privés. La règle du non cumul emploi public-emploi privé est une des règles qui garantit la qualité du service public grâce à des fonctionnaires qui se consacrent uniquement au service du public. Abîmer encore plus les services publics, les discréditer, permettrait de les détruire plus facilement.
C’est la précarisation généralisée qui est programmée Le ministre Hervé Novelli, ultra libéral depuis sa jeunesse passée à l’extrême droite, appelle tout cela «la version entrepreneuriale» du «travailler plus pour gagner plus» S’agissant de travailler plus il a raison. Quant à gagner plus c’est une autre histoire. Ou alors il omet de préciser que ceux qui travaillent plus et ceux qui gagnent plus ne sont pas les mêmes personnes. Hervé Novelli minimise d’autre part la portée du projet de loi en estimant à quelques dizaines de milliers le nombre de personnes qui pourraient être concernées.
Son compère Berlusconi a initié il y a quelques années diverses formules du même type dans le royaume européen de l’économie souterraine. Dans ce pays, le travail illégal a été blanchi sous diverses formes dont les CO.CO.PRO (contrat de collaboration sur projet). De tous les pays les plus développés, l’Italie détient le record du nombre de travailleurs dits indépendants avec un taux de 29 % de la population active, alors que ce taux est compris entre 9 % et 15 % dans tous les autres. On peut estimer à 3 millions de personnes le nombre de faux travailleurs indépendants chez Berlusconi et Prodi.
On connaît aussi l’exemple de certaines professions, comme les infographistes, très nombreux à exercer en indépendant. Attractif autrefois, l’exercice en free lance de ce métier devient à présent beaucoup moins intéressant, avec des revenus en baisse du fait d’une forte concurrence, de la pression des donneurs d’ordres et de l’absence de toute garantie salariale.
Ainsi, peu à peu, quand ils sont dans ce processus, ce n’est pas un meilleur statut, des revenus en hausse, une plus grande liberté, qui attendent les travailleurs, mais au contraire des salaires plus bas, des durées de travail illimitées, un isolement total et une dépendance étroite vis-à-vis des entreprises capitalistes qui les emploient. A des millions de salariés couverts par les conquêtes sociales du 20ème siècle, pourraient être rapidement substitués autant de travailleurs privés de tout droit social. Au lieu du nécessaire développement des sécurités c’est la précarisation généralisée qui est programmée.

Quel contraste insupportable entre, d’un côté, un capitalisme qui rêve d’une exploitation sans frein, qui revient à sa sauvagerie originelle et, de l’autre, le développement des forces productives à l’ère de l’ordinateur qui appelle une civilisation de partage et d’émancipation pour tous.

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