Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Pétrole il n'y a pas que les actionnaires de Total qui ...trinquent

Si l’impact récessif de la hausse des prix pétroliers sur la croissance française semble moins important que lors des chocs pétroliers des années soixante-dix et quatre-vingt, les conséquences économiques ne sont pas négligeables : alourdissement du coût énergétique et dégradation du commerce extérieur, impact sur les prix à la consommation et sur le niveau de vie, transferts de richesses entre ménages et secteurs économiques, tension fiscales. Surtout le renchérissement du prix du pétrole cristallise les difficultés économiques sous-jacentes liées à la financiarisation de la société, à la mise en concurrence exacerbée des travailleurs entre eux pour baisser le coût du travail. Il rend plus aigus les revendications et mouvements sociaux et révèle les contradictions du discours gouvernemental sur le pouvoir d’achat, sur le respect des dogmes libéraux des finances publiques.

Une évolution des prix pétroliers en trompe-l’œil Entre fin 2006 et fin 2007, le prix du pétrole est passé de 54 $ par baril à 96 $/bl. C’est donc une très forte hausse (+78% (1)). Celle-ci est la conséquence de plusieurs phénomènes conjugués. Il s’agit tout d’abord des incertitudes qui ont pesé sur l’approvisionnement : tensions entre les Etats-Unis, l’Europe et l’Iran mais aussi troubles politiques au Nigéria ou encore affrontements à la frontière turquo-irakienne. Ce sont des éléments technico-économiques : baisse des stocks américains, difficultés climatiques Outre-atlantique, faiblesse des investissements des compagnies pétrolières, pression de la demande ou encore afflux des capitaux financiers à la recherche de surprofits après le krach des « subprimes ».
Cependant, en moyenne annuelle, la progression des prix pétroliers est bien moins impressionnante. Ils sont passés de 65 $/bl en 2006 à 72 $/bl en 2007 (+11%). Et, pour la zone euro, les niveaux de prix sont similaires à ceux de 2006. En effet, avec la dépréciation du dollar (-8%), le prix du pétrole en euros progresse peu (de 51,9 d’euros/bl à 52,5 d’euros/bl, +1%).

Pour la France : une facture énergétique au plus haut depuis 1985

Pour la France, la situation pourrait apparaître comme satisfaisante. La facture énergétique diminue sous l’effet de moindres volumes importés. En quantité, le solde global des importations pétrolières est nettement en baisse (-3%), compte tenu d’une réduction de la consommation des automobilistes et de conditions climatiques favorables (2).
En valeur, la facture pétrolière diminue de 3% (-1,1 Md d’euros), soit 36 Mds d’euros. Pour l’ensemble des énergies (le prix des autres énergies suit la hausse du pétrole), le coût des importations nettes est de 45 Mds d’euros (-3,5%). Outre, le recul du volume, l’hexagone bénéficie de la baisse du dollar. La facture demeure considérable puisque le déficit commercial total est de 39 Mds d’euros (3) .
Cette facture énergétique représente 2,4% du PIB après 2,6% en 2006. Ce sont les niveaux les plus élevés depuis 1985, même si l’on est encore loin du record de 1981 (5% du PIB (4)). Cette facture représente 5,5 jours de travail pour l’ensemble des Français. C’est un des premiers effets récessifs sur la croissance économique.

Une ponction sévère sur les salariés et leur famille Ce sont les ménages qui souffrent le plus de cette augmentation. Les dépenses moyennes par ménage étaient de 1 400 euros en 2006 pour l’énergie domestique (fioul, gaz, électricité …) et 1 300 euros pour les carburants. Cela représentait 7,3% de leur budget. Au total, la ponction s’est élevée à 72 Mds d’euros en 2006. C’est en 2007 et 2008 que la hausse des prix est particulièrement sévère. En avril 2008, les prix du carburant augmentent de 15% sur un an, ceux des «combustibles et liquides» pour le logement explosent (+37%). La seule manière pour les salariés et leur famille de limiter un tant soit peu la hausse de ce poste de dépenses est de réduire leur consommation énergétique. Par exemple, l’an dernier, la consommation de fioul domestique et de GPL a reculé de 5%. Mais l’élévation des dépenses énergétiques se fait surtout au détriment d’autres postes du budget des ménages. Cette perte de pouvoir d’achat est d’autant plus sensible qu’elle se cumule avec la hausse des prix alimentaires. Cela contribue à un réel appauvrissement d’une partie de la population d’autant plus que les salaires ne suivent pas. Par contrecoup, la consommation globale des ménages recule. Or, c’est le principal moteur de la croissance.

La police des salaires en Europe pour attirer les capitaux

Les luttes sur les salaires reprennent de l’importance. Mais, le rapport de force sur le marché du travail, l’absence de mécanismes d’indexation des salaires sur les prix n’indiquent pas que les salariés soient en mesure d’arracher des augmentations de salaire pour compenser ces pertes de pouvoir d’achat. C’est un effet de la précarité des travailleurs.
Chaque niveau institutionnel tente d’empêcher la flambée des revendications salariales. Les mesures du gouvernement Sarkozy-Fillon vont toutes dans ce sens (5). La BCE joue le rôle de police des salaires (6). Elle multiplie les avertissements quant aux risques de dérapages inflationnistes (afin de protéger le niveau de rentabilité des capitaux et l’attractivité de la zone euro). Elle appelle à maintenir un haut niveau de concurrence des marchés du travail afin de maintenir la pression sur le coût du travail.
En effet, une des grandes craintes est un effet «second tour» sur les prix. C’est-à-dire que l’augmentation des prix pétroliers se répercute sur l’ensemble des prix par l’intermédiaire des relèvements des salaires. Ceux-ci seraient à leur tour répercutés dans les prix des entreprises tentant de maintenir leurs marges. Dans le même mouvement, l’Institut de Francfort maintient une politique monétaire restrictive (voir la hausse des taux directeurs en juillet 2008) malgré les risques de krach financier et/ou immobilier en Europe. Jusqu’à présent, l’impact du renchérissement du pétrole sur l’inflation est relativement faible : +0,2 point par an, en moyenne, sur la période 2002-2007 (7).
Mais comme nous avons pu le voir dans cette revue (8), il existe une profonde inégalité devant l’inflation au détriment des milieux populaires et d’une partie des classes moyennes.

Un transfert de richesse vers les groupes énergétiques.

Autres éléments négatifs pour la croissance, l’augmentation des prix du pétrole contribue à la hausse des coûts de production dans un certain nombre de secteurs économiques. Dans l’ensemble, ce sont les secteurs consommant moins de pétrole qui accroissent leur compétitivité (essentiellement les services). L’industrie, malgré les investissements réalisés pour réduire l’intensité énergétique, demeure sensible pour deux raisons : la hausse des prix des produits pétroliers a un effet direct sur les coûts industriels (consommation de carburants et d’énergie) et des effets indirects (prix des produits chimiques, des transports etc.). La capacité à répercuter cette augmentation des coûts dans les prix est décisive. Or, il existe des inégalités entre entreprises et entre secteurs.
Ainsi, les PME ont peu ou pas de marges de manœuvres face à leurs donneurs d’ordre (grands groupes industriels, grande distribution). Dans ces conditions, elles auront tendance à rechercher à économiser sur d’autres types de coûts : exigences d’exonérations fiscalo-sociales comme avec les transporteurs routiers, les marins pêcheurs, suppressions d’emplois, rigueur anti-salariale, intensification de la charge de travail. Cette pression est renforcée par la tendance à la hausse des coûts financiers (effet de la crise financière).
Les secteurs des biens intermédiaires (chimie, métallurgie, équipementiers automobile etc.) sont particulièrement sensibles à l’augmentation des prix de l’énergie mais c’est aussi le cas pour les biens d’équipement, l’agroalimentaire et bien entendu les transports (9). Cela se traduit là aussi par la recherche de bas coût salariaux (chantage à la délocalisation comme chez les fabricants de pneumatiques etc.) et d’économies sur la consommation d’énergies. Mais pour certains secteurs, les marges de manœuvre sont désormais fortement réduites.
De leurs côtés, les entreprises énergétiques enregistrent des bénéfices records. Entre 2005 et 2007, les bénéfices de GDF sont passés de 1,7 Mds d’euros à 2,5 Mds d’euros (+47%), de Suez de 2,5 Mds d’euros à 3,9 Mds d’euros (+56%). Ces deux groupes bénéficiant eux aussi de la hausse des prix des produits pétroliers. Le gouvernement a d’ailleurs permis au gazier français d’accroître ses tarifs à de nombreuses reprises en 2007 et 2008. EDF enregistre une progression non négligeable de son  bénéfice,  il  passe  de 2,5 Mds d’euros en 2005 à 5,6 Mds d’euros (x 2,2) en 2007. Enfin, TOTAL enregistre une quasi stagnation de son bénéfice en euros, passant de 12 Mds d’euros en 2005 à 12,2 Mds d’euros (+1,7%) en 2007 ; mais en dollars c’est une augmentation de +12%.
Il faudrait aussi pouvoir évaluer l’ampleur des positions prises par les Fonds d’investissement et du secteur financier sur les marchés pétroliers afin d’atteindre leurs objectifs de rentabilité.

L’Etat français : préserver les recettes fiscales

La fiscalité est un autre élément de l’impact de la hausse des prix des produits pétroliers. Le Président de la République a promis que les « surplus de recettes fiscales pétrolières » (par rapport aux prévisions budgétaires) seraient utilisés  pour financer des mesures conjoncturelles (marins pêcheurs, routiers, prime à la cuve pour le chauffage domestique). Il chiffrait même ce surplus à plusieurs centaines de millions d’euros. Or, la promesse devrait être sans lendemain. Ce surplus est une illusion. De 2005 à 2007, les recettes pétrolières constatées (TVA et TIPP) ont été inférieures aux recettes prévues (10). La hausse pétrolière est ambivalente sur la fiscalité : perte de dynamisme des recettes de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (recul des volumes de carburants consommés) ; fort dynamisme de la TVA (forte hausse des prix). Mais au total, l’impact est négatif.
Un des éléments pour aider les salariés et l’économie française serait donc de réduire le taux de TVA sur les produits pétroliers ou de rétablir la TIPP flottante. Cependant, outre les résistances à l’échelon européen, une telle mesure se heurte à la faiblesse des recettes fiscales globales amputées par les mesures en faveur des grands groupes et des ménages les plus riches. Dans ces conditions, les recettes fiscales pétrolières sont cruciales pour éviter un creusement du déficit public. Elles représentent 12% des recettes fiscales nettes de l’Etat (11).

L’impact global : la hausse cristallise les difficultés de la croissance

Globalement, selon l’Insee (12), l’économie française résisterait mieux aux chocs pétroliers qu’auparavant. L’institut de prévisions l’explique par la mise en place d’une politique énergétique et par une politique monétaire obsédée par l’inflation.
Cependant, cet effet serait beaucoup plus important en période de faible activité. Dans ce cas là, un accroissement de 100% du cours du brent entraînerait un ralentissement du PIB de -0,7 point de croissance au trimestre suivant. Toutefois, l’institution de la porte de Vanves note qu’en cas de niveaux records des prix des produits pétroliers, le comportement des acteurs économiques pourrait changer. Or, à prix et taux de change constant, le maximum historique de 1981 (85$ le baril) est désormais largement dépassé. Mais loin de nous l’idée d’affirmer que la crise pétrolière est à l’origine du ralentissement de la croissance. Elle y participe bien sûr, en France comme au niveau mondial. Plus sûrement, elle révèle, cristallise, accélère des difficultés plus fondamentales (suraccumulation des capitaux ; endettement des ménages, des entreprises, de l’Etats (13) etc.).

La crise pétrolière, en lien avec la maturation de la crise systémique, précipite le besoin de rompre en vue d’une croissance métamorphosée, visant le développement des populations. En ce qui concerne l’énergie cela nécessiterait sans aucun doute d’organiser une stabilisation des marchés afin d’atteindre un prix raisonnable mais suffisamment rémunérateur pour les pays producteurs. Il conviendrait également d’organiser les aides au développement pour que les pays producteurs ne soient pas dépendants des fluctuations des productions rentières. Il s’agit encore d’organiser des coopérations pour un développement des recherches et des technologies contre les tensions sur les coûts et les risques sur les ressources énergétiques.

-  Entre janvier 2002 et juin 2008, le prix du baril de pétrole est passé de 19 $ à 134 $. Il a donc été multiplié par 7. Rappelons qu’entre janvier 1973 et décembre 1979, la baril était passé de 22 $ à 90 $ (en dollar de 2006), soit multiplié par 4. Exprimé en euros, le cours serait passé de 22 euros/bl à 86 euros/ bl, muliplié par 4 (la même appréciation que lors des deux premiers chocs pétroliers).

- Direction Générale de l’Energie et des matières premières. Observatoire de l’Energie. Facture énergétique de la France en 2007 et Bilan énergétique de la France pour 2007

- Il faut toutefois noter que le déficit commercial de la France n’est pas localisé sur les pays producteurs de pétrole. Ainsi, en 2006, alors que le déficit commercial total était de 41,1 Mds d’euros (le déficit énergétique était de 46 Mds d’euros), la balance était excédentaire avec les pays du Proche et Moyen-Orient (+1,3 Md d’euros), équilibré avec l’Afrique, déficitaire avec les pays de l’ex-Urss (-7 Mds d’euros). Par contre, la balance commerciale était nettement déficitaire avec l’Union européenne (surtout avec l’Allemagne et l’Italie), avec le Japon ou encore les pays émergents d’Asie. Il faudrait prendre en compte l’évolution des termes des l’échange vis-à-vis des pays producteurs de pétrole. Voir Teresa Ter-Minassian, Mark Allen, Simon Johnson. Food and Fuel prices-recent Developments, Macroeconomic Impact, and Policy Responses. FMI, 30/06/08.

- Si le niveau des prix pétroliers se stabilisait au niveau de juin 2008, ce coût dépasserait largement 3% du PIB, se rapprochant des plus hauts niveaux de la première moitié des années quatre-vingt. Rappelons que, dans les années quatre-vingt-dix, la facture était de 1% du PIB.

- Jean Oullins. Une « aumône » pour les salariés, de nouveaux cadeaux pour le patronat. Économie et Politique. Nov-déc. 07. pp.11-12.

- Voir éditorial du bulletin mensuel de la BCE : «Toute les parties concernées, dans le secteur public comme dans le secteur privé, doivent faire preuve d’un comportement responsable. La fixation des salaires doit tenir compte de l’évolution de la productivité, du niveau toujours élevé du chômage

- dans de nombreuses économies et de la situation en termes de compétitivité prix. La modération des hausses des coûts de la main d’œuvre est particulièrement nécessaire dans les pays dont la compétitivité prix s’est dégradée ces dernières années. Les effets de second tour généralisés découlant de l’incidence de la hausse des prix de l’énergie et des produits alimentaires sur les processus de fixation des salaires et des prix doivent être évités ». pp.6-7

- François Jamet. L’impact de la hausse des prix du pétrole sur la croissance de la zone euro. Fondation Robert Schuman. Question d’Europe n° 85.

- Jean Oullins. Idem.

- Hausse des prix de l’énergie importée : des conséquences modérées sur les prix industriels. Insee Première n° 1051-décembre 2005.

- Rapport de la Commission indépendante présidée par Bruno Durieux. Suivi de l’impact de la hausse des prix du pétrole sur l’exécution de la loi de Finances 2007. Février 2008. L’écart recettes prévues et réalisées est de
-212 M d’euros en 2005, -629 M. d’euros en 2006, -359 M. d’euros. La moinsvalue de recettes est de 1,1%.

- Depuis 2005, une partie de la TIPP est rétrocédée aux Régions, cellesci fixant une partie du taux. Désormais, les citoyens ne payent pas la même TIPP sur tout le territoire français.

- Muriel Barlet, Laure Crusson. Quel impact des variations du prix du pétrole sur la croissance française ? Document de travail de la direction des Etudes et Synthèse Economiques. Avril 2007. Selon cette étude un accroissement de 10% des prix du Brent entraîne un ralentissement de 0,7 point du Pib au trimestre suivant le choc.
Au niveau européen, la perte de croissance est évaluée entre 0,14 et 0,34 point de Pib par an entre 2002 et 2007. in J.-F. Jamet. L’impact…

- Paul Boccara. Maturation de la crise systémique et avancées possibles d’alternatives radicales. Pour une maîtrise et un début de dépassement des marchés et des délégations par des institutions de partage. Economie et Politique. mars-avril. 2008. pp.46-48.

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