Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’arnaque de l’offre «raisonnable» d’emploi

Le projet de loi «relatif aux droits et devoirs des demandeurs d’emploi», qui pourrait être débattu au Parlement avant la fin de la session d’été, le 14 juillet, énonce pour l’essentiel des devoirs accrus pour les privés d’emploi et des sanctions plus lourdes en cas de refus d’offre d’emploi. Ce projet entend modifier, en effet, la définition de l’offre valable d’emploi qui conditionne le risque pour un demandeur d’emploi d’être radié des listes de l’ANPE s’il refuse les propositions qui lui sont faites par le service de placement.
Aujourd’hui, l’article L.5412-1 du Code du travail indique qu’un demandeur d’emploi peut être radié s’il refuse une offre d’emploi compatible avec sa spécialité, sa formation, ses «possibilités de mobilité géographique compte tenu de sa situation personnelle et familiale», et «rétribué à un taux de salaire normalement pratiqué dans la profession et la région».
Selon le projet de loi, un chômeur serait radié au bout de deux refus d’une «offre raisonnable d’emploi ». Celle-ci serait définie conjointement avec le service de placement dans un «projet personnalisé d’accès à l’emploi» (PPAE). Celui-ci «tient compte», seulement, de la formation du chômeur, de ses qualifications, de son expérience, de sa situation personnelle et familiale, de la situation du marché du travail local. Ce PPAE, «actualisé au moins tous les trois mois», précise « la zone géographique privilégiée et le niveau de salaire attendu».
Au-delà de trois mois de recherche, sera considéré comme ne pouvant être refusé par l’intéressé un emploi «rémunéré au moins 95% du salaire antérieur». Au-delà de six mois, ce ne sera plus que 85%, et l’emploi offert pourra être situé jusqu’à une heure de transport en commun ou à moins de 30 kilomètres du domicile de l’intéressé. Au-delà d’un an, sera considéré «comme raisonnable l’offre d’un emploi rémunéré au moins à hauteur» des allocations perçues.

La fable du «chômage volontaire»

Ce projet de loi part du principe que le chômeur est responsable de sa situation, parce qu’est postulée l’existence d’un « chômage volontaire » et de faux chômeurs. Il doit donc s’adapter, par le salaire et la spatialisation de son emploi, aux offres disponibles sur le marché du travail, faute de quoi il doit être sanctionné.
En réalité, une enquête récente de la DARES conduite auprès des personnes âgées de 23 à 55 ans qui percevaient, en 2005, des revenus d’activité inférieurs à 1,5 Smic net (Premières Synthèses, juin 2008-N° 24.1) tord le cou à cette fable. Seuls 2% des chômeurs y ont déclaré ne pas souhaiter travailler à l’avenir,  "essentiellement pour des raisons de santé». Et le principal «frein au retour à l’emploi» réside dans «le manque d’offre d’emploi ou l’inadéquation de la formation ou de l’expérience des personnes concernées».
En fait, Sarkozy entend ainsi accélérer son entreprise de réduction des dépenses publiques et sociales (en l’occurrence ici les dépenses d’indemnisation du chômage et de retour à l’emploi), et donc des prélèvements nécessaires pour les financer, afin de libérer chaque année plus de valeur ajoutée nationale au profit des prélèvements financiers du capital (intérêts payés aux créanciers, y compris extérieurs, dividendes versés aux actionnaires, y compris étrangers…).
Il cherche aussi à prévenir le risque de pénurie de main d’œuvre qui ne cesse de croître avec les départs massifs en retraite des générations du « baby boom » et l’insuffisance récurrente de formation et d’efforts pour changer les emplois et les métiers, particulièrement ceux qui, comme dans le bâtiment ou la restauration, sont peu attractifs. En obligeant les chômeurs à se résigner à ce type d’emploi, en abaissant le coût salarial des emplois réputés «acceptables» par les chômeurs, le gouvernement entend peser sur le taux de salaire moyen en France.
Ces dispositions ultra-réactionnaires sur les chômeurs se conjuguent avec celles qui ont été adoptées sur la «modernisation du marché du travail» avec, notamment, la facilitation des licenciements et la reconnaissance d’une possible «séparation à l’amiable» (sic). Elles font partie de toute la panoplie mise en œuvre par Sarkozy, et recommandée par la Commission de Bruxelles au nom de la «flexicurité», pour revenir au «plein emploi» d’ici à 2012, comme le revendiquent aussi les dirigeants sociaux-libéraux du PS, ce qui signifie un taux de chômage officiel de 5% et non pas l’éradication du chômage.

Moins d’efficacité de la production nationale et plus de déprime de la demande

En réalité, l’offre «raisonnable» d’emploi va accentuer la «déraison» et l’irresponsabilité sociale, territoriale, nationale des entreprises au plan de l’emploi, de la formation et des salaires. Elle va encourager les comportements de gestion les plus réactionnaires, avec la recherche du profit par la baisse du « coût salarial », contre les exigences de sécurisation, de qualification et de motivation des salariés avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Ces mesures vont jouer un rôle extrêmement néfaste de contre-incitation à l’élévation des qualifications et à la formation, mais aussi à la modernisation des emplois, des métiers et des filières, les employeurs sachant pouvoir licencier facilement et puiser à volonté dans un volant accru de chômeurs contraints d’accepter n’importe quel type d’emploi. Elles vont donc contribuer à accentuer le retard français en matière de révolution informationnelle.
Elles vont contribuer, inséparablement, à déprimer plus encore la demande globale en France et en Europe, alors qu’il faudrait au contraire la soutenir. Le cas de l’Allemagne est parlant en ce domaine. Avec le plan Hartz IV, y a été instaurée l’obligation pour chaque chômeur de répondre positivement à toute offre de travail «acceptable», même inférieure à son niveau de qualification ou à ses exigences salariales, sous peine de perdre le bénéfice de ses allocations selon un rythme dégressif : –30% au premier refus ; –40% au deuxième refus en l’espace d’un an ; –100% au troisième refus.
La mise en œuvre de ce dispositif s’est accompagnée d’une explosion du nombre de travailleurs pauvres : selon la DIW, la proportion de la population qui perçoit outre-Rhin moins de 70% du revenu moyen (16 000 euros par an) a cru de 18,9% en 2000 à 25,4% en 2006.

                                              

            Chômage : l’autosatisfaction n’est pas de mise !

A l’Elysée et à Matignon, sur le chômage, c’est toujours l’autosatisfaction ! L’INSEE a rendu publique une estimation du taux de chômage, au sens du BIT, pour le premier trimestre 2008 qui marque, pour la France métropolitaine, un recul de 0,2 points, à 7,2%, par rapport aux données révisées du 4ème trimestre 2007. Selon Laurent Wauquiez, secrétaire d’Etat à l’emploi il s’agirait des «meilleurs chiffres depuis le début des années 80». Or, selon l’INSEE lui-même, ce taux, «provisoire», résulte d’une estimation «à plus ou moins 0,4 points». Surtout, le mode de comptage du nombre des chômeurs a été énormément trafiqué depuis vingt ans !

En réalité, la baisse du chômage est largement artificielle.

Pour une part importante, elle tient aux évolutions démographiques avec les départs massifs en retraite des générations du «baby boom». La population active ne croît plus, en France, que de 50 000 personnes par an. Il faut donc beaucoup moins de création d’emplois qu’à la fin des années 1990 pour stabiliser le chômage officiel.
Autres raisons de la baisse : les radiations des listes de l’ANPE et le développement accéléré de la précarité avec la chasse aux chômeurs et l’obligation, pour nombre d’entre eux, d’accepter n’importe quel type d’emploi à très bas «coût salarial». Au premier trimestre 2008, on dénombrait 1,18 million de personnes en emploi à temps partiel contraint ou au chômage technique désireuses de travailler plus.
Les réformes ultra-réactionnaires de Sarkozy («flexicurité» et facilitation des licenciements, «offre raisonnable d’emploi», fusion ANPE-UNEDIC, exonérations de cotisations sociales patronales...), sont au cœur de cette décélération qui, selon Sarkozy, permettrait à la France d’être «au plein emploi» en 2012, c’est à dire d’afficher un taux de chômage de 5% !
En fait, cette politique, loin de prémunir la France contre le ralentissement de l’économie mondiale, va accentuer les facteurs de difficulté. D’ailleurs, le chômage demeure de très loin, avec le pouvoir d’achat, la principale préoccupation des français-ses, alors que le rythme de création d’emploi décélère et affiche, pour le premier trimestre 2008, son plus faible niveau depuis 2006 !
Ces évolutions confirment que la visée de «plein-emploi» est réactionnaire. A gauche, il faut choisir la visée alternative de «sécurisation de l’emploi et de la formation» : recul effectif du chômage et de la précarité avec création forte d’emplois inscrite dans une nouvelle politique industrielle et de services, transformation d’emplois précaires en emplois stables et correctement rémunérés, essor considérable de la formation tout au long de la vie de chacun… Cela exige des pouvoirs de décision des salariés sur l’emploi, les qualifications, les choix d’investissements et une autre utilisation des fonds publics de l’emploi pour réorienter le crédit à l’investissement des entreprises et baisser, en fonction des emplois créés, les charges financières qui pèsent sur elles, au lieu de baisser les «charges sociales».

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