Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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France : stagnation économique et réveil des luttes

Dans une zone euro qui s’extirpe avec difficulté de la récession que, seule région au monde, elle a connue en 2012-2013, la France fait figure de maillon faible. F. Hollande, on s’en souvient, affirmait pouvoir inverser la courbe du chômage fin  2013 et répétait à qui voulait entendre que « la crise est derrière nous ».

Chômage : de mal en pis

Pourtant, en mai dernier, notre pays a enregistré sa septième hausse consécutive du chômage, Pôle emploi ayant recensé 24 800 chômeurs supplémentaires de catégorie « A » (n’ayant pas du tout travaillé dans le mois), pour atteindre le niveau record de 3,388 millions en métropole.

Depuis le début de l’année, le nombre de ces chômeurs-là a crû de 81 000. Autrement dit, la France aura enregistré, tout le long du mois de mai, plus de 500 chômeurs supplémentaires par jour, week-ends compris.

Le tableau est encore plus sombre si, comme il se doit, on ajoute aux chômeurs de catégorie « A », ceux classés dans les catégories « B » et « C » pour avoir travaillé un peu dans le mois (plus ou moins 78 heures).

On décompte alors 34 300 privés d’emploi supplémentaires en mai et la barrière des 5 millions de chômeurs en France métropolitaine est dépassée (5 020 200). Si l’on ajoute les DOM, ce que souvent les grands médias et le gouvernement lui-même omettent de faire, on recense officiellement 5,32 millions de chômeurs dans le pays.

Le bond est spectaculaire chez les jeunes (+0,4 %), mais il est, à proprement parler, effrayant chez les seniors (+0,8 %).

Ces résultats catastrophiques ne donnent, en réalité, qu’un aperçu incomplet de la situation extrêmement dégradée du marché du travail en France.

En effet, en mai dernier, on décomptait 481 600 demandeurs d’emploi inscrits depuis deux à trois ans à Pôle emploi (+13,9 %) et 636 600 inscrits depuis 3 ans au moins (+17,7 %). Simultanément, les offres d’emploi collectées ont diminué de 13,8 % sur un mois et de 4,3 % sur un an.

Enfin, en mai, seul 19,7 % des sorties de Pôle emploi étaient expliquées par des reprises d’emploi déclarées. Mais 43,7 % avaient pour motif des « cessations d’inscription par défaut d’actualisation ». En fait, le nombre de chômeurs découragés de rechercher un emploi s’est envolé.

Le ministre du Travail, F. Rebsamen, a été contraint de réviser en baisse le niveau des promesses d’État : désormais l’objectif n’est plus d’inverser la courbe du chômage mais de stabiliser son taux, en métropole, sous la barre des 10 %, contre 9,7 % actuellement.

Pourtant, aussi modeste soit cette nouvelle promesse, rien, en l’état, ne permet d’assurer qu’elle pourra être tenue. En effet, l’INSEE, dans sa dernière note de conjoncture (1) estime que le nombre total d’emplois créés cette année (54 000) serait inférieur à celui de 2013 (55 000).

Le Fonds monétaire international (FMI), dans ses prévisions du 3 juillet pour la France, n’attend pas, lui, de décrue «notable» du chômage avant 2016. Le taux devrait selon lui être stable à 10,3 % cette année, puis 10,2 % en 2015, 10 % en 2016.

Croissance en berne

Le climat des affaires, qui a cessé de s’améliorer depuis 9 mois, reste à un niveau inférieur à son niveau moyen de longue période. Et l’INSEE prévoit que, malgré une consolidation au second semestre 2014, la croissance du PIB demeurerait très anémique (+0,3 % par trimestre).

Au total, il croîtrait de 0,7 % seulement, en moyenne sur l’année, après 0,4 % en 2012 et 2013. On serait donc assez loin de l’hypothèse de 1 % retenue, contre vents et marées, par le gouvernement Valls pour le budget de l’État 2014.

Pourtant, au premier trimestre, l’activité a stagné en France (0,0 %), alors que l’INSEE avait anticipé, dans sa précédente note de conjoncture, une croissance de 0,1 %.

La faute en revient, d’abord, à la demande intérieure dont l’extrême faiblesse aura coûté 0,4 point de croissance au pays.

Asphyxiée par le chômage et l’insuffisance des revenus du travail, la consommation des ménages a chuté de 0,5 % (de 0,7 % pour la consommation de produits manufacturés).

L’investissement total, quant à lui, a reculé de 0,9 % et même de 1,8 % s’agissant de la construction, plongée dans un profond marasme.

Pour le reste de l’année, l’INSEE parie sur une faiblesse maintenue de l’inflation et de moindres augmentations d’impôts directs pour anticiper, malgré un recul des prestations sociales, une reprise du pouvoir d’achat du revenu disponible de tous les ménages (2) (+0,7 % en 2014 après 0,0 % en 2013 et -0,9 % en 2012).

Pour autant, malgré la faiblesse de l’inflation, le salaire réel par tête reculerait à nouveau de 0,7 % en 2014 (-0,5 % en 2013 et -0,2 % en 2012) pour les personnes employées par les sociétés non financières, alors même que les intérêts et dividendes nets perçus par l’ensemble des ménages progresseraient, eux, de 1,7 % (3).

Tout cela ne doit pas faire perdre de vue que la faiblesse de l’inflation fait écho à celle de l’activité économique, à la sous-utilisation persistante des capacités de production et à l’intensité de la concurrence sur un marché intérieur déprimé.

En réalité, la France, écrasée par le chômage et la politique d’austérité du gouvernement, contribue activement à alimenter les risques de déflation en zone euro.

D’ailleurs, le FMI a abaissé, le 3 juillet, ses prévisions économiques pour la France. Il estime la croissance cette année à 0,7 %, contre 1 % lors de sa précédente prévision en avril. Il attend 1,4 % en 2015 et 1,7 %.

Nous sommes donc très loin du « retournement économique » prophétisé, début mai, par F. Hollande. Au demeurant, les dernières données PMI flash sur le secteur privé n’indiquent aucun signe de retournement de tendance en fin de trimestre.

À l’Élysée, comme à Matignon, on continue imperturbablement de parier, cependant, sur le fait que, grâce au « pacte de responsabilité » qui fait reculer le « coût du travail », l’économie française va pouvoir se faire tirer les marrons du feu de la reprise internationale grâce à une relance des exportations et à un marché intérieur suffisamment déprimé par la baisse des dépenses publiques pour contenir les importations de produits étrangers.

Cette stratégie de parasite de la croissance mondiale, qui rappelle le tristement célèbre « j’irai chercher la croissance avec les dents » de N. Sarkozy (4), risque de revenir dans les dents des Français beaucoup plus violemment encore que sous le précédent quinquennat.

Au demeurant, la très mauvaise performance du premier trimestre 2014 s’explique aussi par une contribution négative (0,2 point) du commerce extérieur à la croissance du PIB, du fait du ralentissement des exportations (+0,3 % après +1,6 %).

Il est vrai que le commerce mondial s’est encore contracté au premier trimestre (-0,8 %).

Mais la France continue de perdre des parts de marché du fait de l’insuffisante efficacité de son outil de production et des carences des entreprises françaises en matière de recherche-développement et de formation qualifiante. Autant de facteurs déprimant la compétitivité hors « coût du travail » qui conduisent à enfermer l’appareil productif français dans une spécialisation de gammes de produits très sensibles à la concurrence par les prix et, donc, vulnérables avec un taux de change élevé de l’euro, à la différence de l’Allemagne.

Cette médiocrité de la compétitivité hors « coût du travail » contribue à la faiblesse des marges de nombreuses entreprises, de PME notamment, soumises à une intense concurrence et pousse de façon obsessionnelle la recherche de compétitivité par la baisse du « coût du travail ».

Le crédit bancaire, loin de permettre un desserrement de ces contraintes, les accentue. Si en avril 2014, les encours de crédits mobilisés ont augmenté sur 12 mois de 8,5 % pour les holdings et de 3,2 % pour les activités immobilières, ils ont diminué de 4,4 % pour l’industrie manufacturière (5).

Tout pour la finance

Cela tend à enfermer l’économie française dans un cercle vicieux dépressif, accentuant l’insuffisance de la demande solvable, tandis que s’alourdissent les coûts du capital avec, notamment, des prélèvements financiers colossaux sur la valeur ajoutée produite, via les intérêts et dividendes payés (6). L’ensemble pèse alors lourdement sur l’investissement réel, accentuant l’inefficacité de l’offre avec l’obsolescence des équipements.

Dans ce contexte, les grandes entreprises préfèrent se constituer, en France, de confortables trésoreries, en attente d’une embellie et d’occasions d’acquisitions : fin 2013, les 36 sociétés non financières du CAC-40 détenaient 159 milliards d’euros (7) sous forme liquide.

Avec la faiblesse de la croissance réelle en France et la force de l’euro, nombre d’entreprises résidentes font faillite : l’assureur-crédit COFACE prévoit encore plus de 63 000 défaillances cette année, malgré le petit réveil de la croissance.

Mais, nombre d’entreprises résidentes investissent aussi à l’étranger pour y chercher la croissance.

Alors qu’en 2012 le stock d’investissements directs français à l’étranger était de 958 milliards d’euros, il atteignait 1 120 milliards d’euros en 2013. L’excédent des capitaux sortis de France sur les capitaux entrés est passé de 417 milliards d’euros en 2012 à 486 milliards d’euros l’année suivante (8).

Simultanément, les placements financiers dans l’Hexagone s’envolent : le CAC-40 est passé de l’indice 1214 au 27 décembre 2013 à l’indice 1 317,1 au 27 juin 2014 (+8,49 %). Et, selon Thomson Reuters, sur les six premiers mois de l’année 2014, ce sont 130 milliards d’euros d’acquisitions de sociétés qui ont été réalisés, soit 7 fois plus qu’en 2013. En effet, les groupes étrangers, souvent américains en possession de liquidités gigantesques (9), viennent faire leurs emplettes sur un marché où nos fleurons, grevés de dettes et pillés par les actionnaires, comme Alstom avec Bouygues, leur sont cédés !

En même temps, les profits réalisés en France alimentent largement les placements financiers à l’étranger : en 2013, le stock d’investissements de portefeuille constitué par des résidents français en titres étrangers a atteint 2 095 milliards d’euros, en croissance de 5,22 % sur un an (10).

La politique budgétaire du gouvernement a un impact nettement récessif. La rapporteure générale du budget (PS) Valérie Rabault a chiffré, avec les services de Bercy, que le plan de 50 milliards d’euros d’économies d’ici à 2017 « aurait un impact négatif sur le PIB de 0,7 % par an en moyenne entre 2015 et 2017 et pourrait entraîner la suppression de 250 000 emplois à l’horizon 2017 ».

Elle s’est inquiétée aussi de « l’essoufflement » de la consommation. Le gel du point d’indice des fonctionnaires et de certaines prestations sociales retireraient « plusieurs milliards d’euros » qui « manqueront » à la consommation et que « ne viendront pas totalement compenser les mesures de bas de barème de l’impôt sur le revenu » (11).

Le gouvernement allègue pouvoir équilibrer ces effets récessifs par la réduction de cotisations sociales patronales et d’impôts sur les sociétés censée stimuler l’offre.

Cela va, en réalité, déprimer offre et demande ensemble avec, au cœur, le recul des services publics dont la relance, au contraire, permettrait, tout à la fois, de ranimer la demande, soutenir la productivité globale et répondre aux besoins populaires.

Les choix de F. Hollande et M. Valls conduisent, en fait, à perpétuer déficits et dette publics du fait du rationnement de la dépense publique et sociale qui freine la croissance, ce qui pèse alors sur les rentrées d’impôts et de cotisations sociales.

Alors que l’exécutif s’est fixé pour objectif de ramener le déficit public à 3,8 % du PIB cette année, celui-ci a atteint 4,4 % du PIB au premier trimestre 2014, contre 4,2 % au quatrième trimestre 2013.

La Cour des comptes dans son rapport du 17 juin 2014 sur la situation et les perspectives des finances publiques, pense que le déficit public serait de l’ordre de 4 % du PIB, voire plus si la prévision de croissance du PIB de 1 % ne se réalise pas.

Le Haut Conseil des finances publiques, dans un avis du 5 juin 2014 prévoit que le déficit structurel (12) risque « d’être supérieur à la prévision de 2,3 % du PIB ».

Le FMI, quant à lui, prévoit que le déficit public serait de 4 % du produit intérieur brut cette année, puis 3,4 % l’an prochain. En avril, il estimait que ce déficit pourrait être contenu à 3 % dès l’an prochain.

Au total, alors que la politique gouvernementale est censée faire reculer la dette publique, celle-ci ne cesse de croître.

L’illusion d’une relance européenne pour l’emploi

C’est dire, donc, si la France va demeurer sous la surveillance étroite de Bruxelles. D’ailleurs elle continue, elle et dix autre pays, de faire l’objet d’une procédure pour déficit excessif.

F. Hollande, cependant, maintient le pari que la croissance va bientôt prendre un envol tel en zone euro que l’activité économique en France en sera stimulée malgré la politique d’austérité aggravée.

Il est vrai qu’en zone euro une reprise s’est confirmée au premier trimestre 2014, au contraire de la stagnation française. Le PIB y a augmenté de 0,2 % par rapport au trimestre précédent. Mais son profil ne s’annonce guère dynamique. Au demeurant, le PMI composite de la zone s’est établi à 52,8 en juin, après 53,5 en mai, selon les estimations du cabinet Markit qui souligne « des signes d’essoufflement ».

Le taux de chômage est toujours à deux chiffres en moyenne dans la zone, l’Allemagne connaissant de très loin la meilleurs situation (5,2 % en avril), et demeure proche de ses records dans plusieurs pays, en Europe du Sud particulièrement.

Par ailleurs, le crédit continue de se contracter. L’essentiel des agents économiques continuent d’essayer de se désendetter, confrontés à une demande atone et à une inflation faible qui rendent d’autant plus difficile ce désendettement.

En effet, depuis le point haut de l’été 2012, l’inflation en zone euro a perdu 2 points de pourcentage, à 0,5 % en mai.

Tout cela renvoie à l’extrême insuffisance de la demande intérieure, aux nombreuses capacités de production rendues excédentaires et que le faible taux de croissance du PIB de la zone n’est pas prêt de résorber.

Cette situation a fait craindre un risque de déflation, d’autant plus que, dans ces circonstances, l’euro a tendance à s’apprécier par rapport au dollar, accentuant l’asphyxie des appareils productifs nationaux les plus sensibles au niveau du taux de change.

Est-ce cette crainte qui a conduit la BCE à décider, le 5 juin, d’un nouveau paquet de mesures visant à détendre les conditions monétaires ?

Elle a porté son taux de refinancement (le refi) de 0,25 % à 0,15 %, nouveau plancher historique. Elle a aussi placé en territoire négatif le taux auquel elle rémunère les dépôts effectués auprès d’elle par les banques ordinaires (-0,10 %) espérant ainsi, a-t-on affirmé, les inciter à faire crédit aux entreprises.

Ces mesures visent surtout à faire baisser le plancher de l’Eonia, c’est-à-dire le taux d’intérêt interbancaire au jour le jour en zone euro, et détendre le change euro/dollar.

Surtout, elle a décidé de lancer deux opérations de refinancement à long terme ciblées (T-LTRO) en septembre et décembre 2014, puis six autres, conduites chaque trimestre à compter du 1er trimestre 2015.

En pratique, les banques européennes pourront commencer par emprunter en deux fois 400 milliards d’euros à la BCE au taux très favorable de 0,25 %.

Ces mesures sont présentées comme ciblées. Pourtant, les deux premiers apports ne seront assortis d’aucune condition. Par contre, les banques ne pourront bénéficier des six autres que si leur encours de crédit net au secteur privé (hors prêts immobiliers) aura progressé entre le 1er mai 2014 et le 30 avril 2016. Dans le cas contraire, elles devront rembourser leurs emprunts en septembre 2016.

En d’autres termes, les banques devront se contenter de promettre de faire plus de prêts aux entreprises sur la période et ce n’est qu’au terme de celle-ci qu’elles rembourseraient si la promesse n’a pas été tenue.

Bref, il n’y a pas de sanctions véritables et les banques qui auront abusé de ces facilités, pour spéculer par exemple, pourront conserver les profits ainsi réalisés.

La mesure retient cependant l’attention, confirmant que la BCE est sans cesse poussée plus loin aux limites de ses missions. L’idée de sélectivité des facilités qu’elle accorde aux banques tend à grandir.

Mais, en l’espèce, les contreparties demandées ne consistent qu’à obtenir des banques ainsi aidées qu’elles promettent d’accorder plus de crédits aux entreprises, lesquelles pourront les utiliser pour investir contre l’emploi, délocaliser, faire des placements financiers, spéculer… dans une conjoncture où, les énormes économies de moyens de la révolution informationnelle aidant, les investissements réalisés par les entreprises pour la rentabilité financière tendent à diminuer le débouché solvable en accroissant le chômage.

En réalité, c’est une transformation radicale des critères de refinancement des banques par la BCE qui serait nécessaire, avec une modulation du taux favorisant d’autant plus les crédits pour les investissements matériels et de recherche des entreprises que ceux-ci programmeraient plus d’emplois et de formations correctement rémunérés.

Il ne faut donc pas attendre de ces mesures qu’elles contribuent à arracher la zone euro à la croissance lente, au chômage de masse et à l’inflation faible, ni d’ailleurs qu’elles permettent de diminuer la fragmentation de la zone euro.

Plus préoccupant encore, le Conseil des gouverneurs de la BCE a annoncé continuer à travailler activement à la préparation d’un programme de rachat d’actifs adossés à des prêts (ou ABS) (13). Cela signifie, en pratique, que l’on va chercher à développer la titrisation des créances c’est-à-dire cela même qui a conduit aux États-Unis en 2007 à l’explosion de la « crise des subprimes » puis à la crise financière mondiale de 2008 !

Cependant, F. Hollande, espère que Mme Merkel et Bruxelles vont se résoudre à accepter une détente du pacte de stabilité et à engager une relance par l’investissement en Europe. C’est en tout cas l’interprétation bienveillante que l’Élysée et les grands média français ont voulu donner aux conclusions du Conseil européen des 26 et 27 juin derniers. Ils attendent de la présidence italienne de l’Union européenne, avec M. Renzi, qu’elle pousse dans ce sens.

Pourtant, les conclusions du Conseil de juin commencent par souligner : « Nous respecterons le Pacte de stabilité et de croissance. Toutes nos économies doivent poursuivre leurs réformes structurelles ». Et M. Renzi, devant les eurodéputés, a déclaré qu’il ne veut « absolument pas changer les règles[...].Nous avons signé ensemble un pacte de stabilité et de croissance. »(14)

Il est vrai, cependant, que dans les conclusions du Conseil on peut lire qu’« il faut utiliser au mieux la flexibilité qu’offrent les règles actuelles du Pacte » (15). Autrement dit, il faut continuer de baisser les dépenses publiques et sociales, surtout en France où le déficit public est supérieur à 3 % du PIB, mais, au cas par cas, on continuera de jouer sur les délais, comme l’a déjà fait la Commission avec Paris en reportant à 2015 le respect de ce seuil.

Certes, au titre des priorités, il y est question d’« investir et préparer nos économies pour l’avenir », mais sans que ne soient prévus de nouveaux moyens de financement et sans que soit envisagé le conditionnement de ces investissements par des objectifs chiffrés d’emploi et de formation.

Par contre, la première priorité énoncée concerne la pleine exploitation du « potentiel du marché unique dans toutes ses dimensions, en achevant le marché intérieur des produits et des services ; en achevant le marché unique numérique d’ici 2015 » et donc en étendant le champ de la « concurrence libre et non faussée » (16). Quant à la deuxième priorité, elle vise à « promouvoir un climat favorable à l’esprit d’entreprise et à la création d’emploi » notamment en continuant d’alléger les cotisations sociales patronales et les impôts pesant sur les entreprises et en développant la « flexicurité » censée améliorer le « fonctionnement des marchés du travail » (17).

Un réveil des luttes

Malgré le désaveu cinglant des élections municipales et européennes, F. Hollande et M. Valls continuent donc leur fuite en avant désastreuse pour les travailleurs, la France et l’Europe.

Mais des voix discordantes commencent à se faire entendre jusque dans les rangs du PS, certes de façon encore mal assurée tant les contre-propositions que leurs auteurs entendent opposer aux choix de l’Élysée et de Matignon sont encore peu alternatives (18).

Cependant aussi peu alternative soit-elle pour l’heure, cette contestation commence à donner des sueurs froides au gouvernement qui ne cesse de multiplier les menaces à l’encontre des parlementaires concernés.

Cela témoigne surtout de l’immense malaise de l’électorat de gauche et de la colère sociale qui couve, malgré des efforts sans précédent pour essayer de faire entrer les salariés, leurs syndicats, les élus dans un « compromis historique » visant à mettre définitivement à bas le modèle social issu des conquêtes de la Libération et faire avancer un nouveau modèle « conjuguant compétitivité et  solidarité », selon les termes mêmes utilisés par J.-M. Ayrault pour la première Conférence sociale en juin 2012.

En atteste le développement d’importants conflits sociaux en ce début d’été avec, notamment, celui concernant la réforme réactionnaire du rail et les cheminots exigeant une autre réforme ou encore celui des intermittents du spectacle mettant en cause la nouvelle convention UNEDIC.

Face à ce réveil des luttes le Medef donne de la voix, mettant en cause une prétendue indécision du gouvernement Valls, alors que celui-ci ne cesse d’accorder des libéralités au patronat, à commencer par le « pacte de responsabilité ».

La menace que le Medef boude la conférence sociale des 7 et 8 juillet fait tellement peur au gouvernement qu’il multiplie les concessions de dernière minute comme, par exemple, le report partiel du « Compte pénibilité », ce qui a fait dire à Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO, « Il suffit que le patronat éternue pour que le gouvernement apporte la boîte de mouchoirs ».

Mais le gouvernement a besoin de réussir ce grand raout pour continuer d’avancer sur la voie de l’intégration des salariés et de leurs syndicats à sa politique au service du grand patronat. D’ailleurs M. Valls a insisté sur la nécessité de poursuivre le « dialogue social » qui doit rester, a-t-il précisé, « dans le cap fixé par le Président de la République ».

On mesure le champ de l’ambition en prenant connaissance des sujets qui devraient être abordés dans sept tables rondes à la Conférence sociale : le retour de la croissance par l’investissement, l’Europe, les services publics et la réforme territoriale, la santé au travail, le pouvoir d’achat et les rémunérations, l’école et l’insertion des jeunes, l’emploi.

C’est dire l’importance d’une forte relance des luttes sociales à la rentrée et l’avancée vers un Front large d’opposition et de contre-proposition à gauche, alternative à la politique Hollande-Valls. n

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(1) juin 2014.

(2) Le revenu disponible brut des ménages comprend les revenus d’activité (salaires, traitements…), les revenus du patrimoine (dividendes, intérêts, loyers), les transferts (indemnités d’assurance nette des primes…) et les prestations sociales, nets des impôts directs.

(3) INSEE, Note de conjoncture, juin 2014, p. 138-139.

(4) En 2007 en pleine campagne présidentielle, Sarkozy avait déclaré aux cheminots de Seine-St-Denis : « La croissance, j’irai la chercher avec les dents ! »

(5) Banque de France, Statinfo, 6 juin 2014.

(6) L’INSEE, dans sa dernière note de conjoncture, prévoit que la charge nette des intérêts et dividendes payés par les sociétés non financières recommencerait à progresser au quatrième trimestre 2014 (+0,2 %) pour la première fois depuis le deuxième trimestre 2012. Rappelons que cette année-là, selon les Comptes de la Nation, les intérêts et dividendes payés par les sociétés non financières se chiffraient à 298,6 milliards d’euros et absorbaient 29 % de leur valeur ajoutée, alors que les cotisations sociales employeur (élément du « coût du travail » le plus stigmatisé par les gestions patronales et la politique gouvernementale) ne représentaient que 157,9 milliards d’euros et n’absorbaient que 16 % de la valeur ajoutée de ces entreprises. Cf. Boccara F. : « Lutter contre le coût du capital pour des dépenses d’expansion sociale et permettant une efficacité nouvelle. De quoi s’agit-il ? Quelle campagne ? Quel contenu ? », Économie et Politique, novembre-décembre 2013.

(7) Bfinance, 30/04/2014.

(8) Banque de France : La balance de paiements et la position extérieure de la France. Rapport annuel 2013. p. 35.

(9) Les 2 300 plus grosses entreprises non financières américaines auraient accumulé pour plus de 2000 milliards de dollars (1 443 milliards d’euros) de liquidités ces dernières années (Le Monde, 29/04/2014).

(10) Ibid., p. 38.

(11) Dans la loi de finances rectificative pour 2014, une réduction d’impôt est accordée aux ménages dont le revenu fiscal de référence est inférieur aux plafonds suivants : 14 145 € pour les contribuables célibataires, divorcés ou veufs ; 28 290 € pour les couples soumis à imposition commune ; plus 3 536 € pour chaque demi-part additionnelle.

(12) Un déficit structurel correspond à un solde négatif des finances publiques sans tenir compte de l’impact de la conjoncture sur la situation des finances publiques.

(13) Un ABS (Asset Backed Security) est une valeur mobilière dont les flux sont basés sur ceux d’un actif ou d’un portefeuille d’actifs. La titrisation est le principal vecteur de création de ces actifs.

(14) Le Monde, vendredi 4 juilet 2014.

(15) EUCO 79/14.

(16) Ibid.

(17) Ibid.

(18) Ce que confirme leur vote en faveur du projet de loi de finance rectificative 2014, mise à part une abstention.

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