Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Supprimer le quotient familial ? Une solution aux antipodes de la justice sociale

Dès la triple annonce du gouvernement d’une remise à plat de la fiscalité des entreprises, de la suppression de la cotisation sociale patronale de la branche famille et de la réduction des dépenses publiques et sociales, le débat sur le quotient familial présenté comme une source d’injustice sociale est remonté à la surface.

Débat récurrent lorsque la question du financement de la politique familiale est en jeu, il a donné lieu à un certain nombre de contre-vérités qu’il faut encore démasquer.

I- Le quotient familial présenté comme un instrument du familialisme en décalage avec les évolutions de la famille moderne

Il n’est pas inutile de rappeler à ceux qui considèrent le quotient familial comme tel, la façon dont Pierre Laroque, familialiste convaincu et directeur général de la Sécurité sociale quand Ambroize Croizat était ministre du Travail et de la Sécurité sociale en 1946, présenta au Parlement la mesure de création du quotient familial dans la loi de finance du 31 décembre 1945 : « A la différence des mesures fiscales du code de la famille, qui visaient à inciter les familles à avoir 3 enfants ou plus, comme à dissuader les célibataires de le rester et les couples de ne pas avoir d’enfants, le quotient familial répond à un souci de justice distributive. Il s’agit de rendre l’impôt sur le revenu aussi neutre que possible par rapport aux capacités de consommation des familles, suivant leurs charges inégales ». Nombre de détracteurs du quotient familial seraient bien avisés de méditer ces quelques lignes…

à l’instar de l’esprit guidant la création de la sécurité sociale deux mois plus tôt, qui garantissait à chacun « qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes », le quotient familial répondait à une volonté de justice pour les ménages d’un nouveau type. En éliminant « autant que possible » le poids de l’éducation d’enfants dans le revenu des ménages, le quotient familial contribuerait à restaurer le niveau de pouvoir d’achat des ménages défini par leurs revenus salariaux. En aucun cas, il n’aurait pour objectif de résorber les différentiels de revenus entre les ménages.

Il s’agit là d’une novation majeure. Car le quotient familial est alors bien en ce sens l’instrument d’une justice distributive et non d’une justice re-distributive palliant les inégalités salariales. Outil fiscal de neutralisation du coût de l’enfant dans le revenu des ménages, il ne relève donc pas des politiques sociales traditionnelles de correction des inégalités salariales, pas plus d’ailleurs qu’il n’est l’instrument des politiques familialistes puisqu’il n’est pas incitatif à l’enfantement.

Enfin, il est à noter que par sa conception, il donne une place prépondérante à la lutte dans l’entreprise pour l’augmentation des salaires, et non à l’État pour rééquilibrer à posteriori les inégalités salariales. Ce qui, sur un plan strictement politique, n’est pas la moindre de ses portées…

II- Selon certains détracteurs le quotient familial privilégierait les familles aisées alors qu’on devrait concentrer les efforts sur les familles pauvres

à l’évidence, les sommes dont bénéficient les ménages par le quotient familial ne sont pas égales et croissent avec les revenus salariaux des ménages. Les ménages aux revenus les plus élevés bénéficient de montant plus élevés de réduction fiscale que les ménages aux revenus faibles ou modestes. Et pour cause, le quotient familial ne vise pas à résorber les inégalités salariales mais à neutraliser par l’impôt sur le revenu les effets sur les revenus familiaux des charges liées aux enfants.

Mais il n’est en aucun cas l’instrument d’un transfert de ressources à l’avantage des familles les plus aisées. Selon les éléments du ministère des Finances lui-même, l’étude des effets du quotient familial par décile de population montre au contraire une réduction égale et régulière de l’ordre de 3 % à 4 % par décile de l'impôt sur le revenu des ménages qui le composent !

Ainsi, au premier décile, la réduction d’impôt occasionnée se situe entre 0 et 438 euros, soit 2,7 % de la borne supérieure du revenu fiscal de référence.

Au second, elle s’élève à 810 euros en moyenne, soit 4,1 % de la valeur de la borne. Cela concerne un revenu de référence compris entre 16 226 et 19 760 euros annuels, soit l’équivalent de revenus imposables mensuels compris entre 1 500 et 1 830 euros.

Puis on passe à 736 euros environ, soit 3,1 % de la valeur de la borne du troisième décile.

Ensuite, nous sommes à nouveau à 813 euros pour le décile suivant, soit 2,9 % de la valeur du revenu de référence placé à la borne.

Au cinquième décile, nous passons à 1 066 euros, mais cela représente 3,3 % de la valeur supérieure de la borne.

Au sixième décile, nous atteignons 1 449 euros, ce qui constitue un taux de 3,9 % environ, pour des revenus mensuels imposables compris entre 3 000 et 3 500 euros. Revenus représentatifs dans un cas, d’un couple de fonctionnaires ayant un enfant et peu d’ancienneté dans sa profession, et dans l’autre, de la rémunération de deux professeurs de collège certifiés avec deux ans d’ancienneté…

Ceci jusqu’au neuvième décile, où les effets du quotient atteignent 2 648 euros, mais pour un taux de 3,6 % au regard de la borne supérieure du décile.

Au total, il s’avère que le quotient familial remplit correctement l’objectif qui lui est assigné, même s’il est perfectible.

En revanche, sa suppression prônée par certains aurait des effets nuisibles identifiables. N’oublions pas, d’une part, que 16,5 millions de foyers sont éligibles au quotient familial, dont 41 % sont imposables et 50 % non imposables, pour un montant global de réduction fiscale sur l’impôt sur le revenu de l’ordre de 14 milliards d’euros. Et que 75 % des foyers bénéficiaires ont des revenus fiscaux compris entre 0,00 euro et 70 000 euros annuels. Soit pour l’essentiel, les couches pauvres et moyennes de la population. Sa suppression aurait de lourdes conséquences pour elles.

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