Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Yves Saint-Jours, Éloge du droit social, La Dispute, 2013 (Note de lecture)

C’est un bel éloge que propose Yves Saint-Jours des règles juridiques et institutions dédiées à la protection des personnes afin qu’elles puissent, dans toutes les circonstances de la vie, faire face à la satisfaction de leurs besoins personnels et familiaux : droit du travail dans ses aspects individuels et collectifs, assurances sociales et prévoyance, aide et action sociale et familiale, santé, éducation, logement, associations, mutualité, coopératives, services publics et statuts des fonctionnaires, etc.

Le droit social est à l’exploitation et à la bourgeoisie financière autocratique ce que la libéralisation a été au pouvoir féodal : l’auteur appelle de ses vœux la substitution du droit social, comme fondement de la société humaine, au droit de propriété concentré entre les mains de quelques groupes financiers internationaux.

Pour nous convaincre mieux de cette impérieuse nécessité et de son évidente possibilité, le récit de son évolution commence par sa fin, en un plaidoyer contre l’inacceptable régression des droits sociaux, face à laquelle se dresse une contre-offensive des luttes sociales qui doit être encouragée par cette leçon d’histoire : la dynamique historique de la promotion du droit social, dont la population constitue la force motrice, montre que le combat est ardu mais l’issue gratifiante.

L’ouvrage narre les étapes saillantes de l’évolution du droit social dans ses différentes composantes, son mouvement de flux et de reflux, de promesses en progrès ou en rendez-vous ratés, en le situant toujours dans son contexte économique, social et idéologique. On y suit son émergence historique, qui donne à voir ses formes primitives dès le xviie siècle et sa construction sur la base de l’idéal de 1789 d’une société démocratique et égalitaire, sacrifié sur l’autel des intérêts de classe de la bourgeoisie qui la portaient plutôt vers l’option capitaliste fondée sur le droit de propriété et la liberté du commerce et de l’industrie. On parcourt ensuite sa formation initiale au cours des différentes phases du xixe siècle, de glaciation en révoltes, de révoltes en répressions, de répressions en résurgence, de résurgence en essor et d’essor en consolidation. Le récit nous emmène, enfin, à son ascension contrastée au xxe siècle, celui de toutes les fureurs d’un capitalisme en quête de son hégémonie planétaire. Ce destin capitaliste brièvement suspendu par l’épisode communiste russe et les promesses d’après-guerre ne tardera pas à laisser la place à un édifice social miné par le capitalisme financier qui, depuis le début du xxie siècle, plonge le monde dans les affres d’une crise financière généralisée porteuse de tous les dangers.

Le projet de fonder la condition humaine sur la primauté et la créativité du droit social offre néanmoins de multiples perspectives, parmi lesquelles la paix universelle ; la reconstruction de l’activité économique mondiale vers la satisfaction des besoins sociaux en s’appuyant sur toute forme opposée à l’appropriation individuelle du capital et à l’exploitation du travail d’autrui (économie sociale, coopératives, etc.) ; la réactivation de l’émancipation humaine par l’enseignement public et la formation permanente et culturelle, la démocratisation des entreprises et la garantie des carrières par des droits attachés à la personne et non au contrat, l’extension de l’égalité des sexes ; une Sécurité sociale vecteur et garante du droit à la santé permettant à toute personne du monde d’accéder à des soins de qualité et gratuits, assortie de différentes propositions de financement.

Enfin, la démonstration s’achève en mettant en exergue la créativité caractéristique des modalités de mise en œuvre du droit social conformément à sa finalité. On peut ainsi explorer d’autres perspectives de progrès dans l’extension des institutions sociales démocratiques qui servent les prestations à l’ensemble de la population et à d’autres activités de santé afin de les soustraire à l’économie de marché et à la spéculation, dans le développement et la réorientation des contrôles de son effectivité (inspection du travail, contrôle médical de la Sécurité sociale) ainsi que dans l’unification des juridictions spécialisées assurant son interprétation téléologique au sein d’un ordre juridictionnel social qui transcenderait l’habituelle distinction entre droit public et droit privé.

Dans le contexte d’un monde devenu multipolaire, l’émergence de voies différentes et la convergence des luttes sociales rendent plausible de faire du droit social le fondement de toute la société humaine. Cela nécessite une résistance opiniâtre de toutes les forces syndicales, associatives et politiques mais aussi un grand dessein politique prospectif pour l’avènement d’une VIe République, avec toutes les forces sociales susceptibles de s’y reconnaître, et plus largement le combat des peuples contre toutes les formes d’exploitation afin de pouvoir enfin accéder à la dignité, la liberté et la paix. n

 

Aurianne Cothenet,

juriste en droit social

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