Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Comment la gauche est-elle devenue un mode d'identification politique et avec quels contenus aux différentes périodes ?

le 17 juin 2010

La gauche sur laquelle on a écrit des dizaines de livres (parmi les plus récents : Histoire des Gauches en France, paru en 2005) est une réalité très difficile à cerner et je ne prétends pas vous apporter des vérités définitives sur ce point, mais plutôt examiner les problèmes que pose cette notion de gauche, et peut-être aussi permettre de situer la politique actuelle du PCF dans ce domaine dans le contexte d'une histoire plus longue.

IMG/jpg/huard.jpg Deux remarques préalables. Il y a une ambiguïté concernant le terme de gauche. Depuis plus d'un demi siècle, les observateurs de la vie politique ont classé empiriquement et de façon pédagogique, les forces politiques françaises en droite, centre, gauche auxquels on peut ajouter des subdivisions – extrême droite ou extrême gauche, centre droit ou centre gauche – ceci en fonction de ce qui leur paraissait le degré de conservatisme ou d'esprit réactionnaire ou le degré de progressisme de ces forces. Mais ces appellations ne correspondent pas le plus souvent aux noms des partis ou formations politiques. Les partis dits de droite ne contiennent pas dans leur nom le terme de droite, ni les partis de gauche, celui de gauche (en particulier les plus grands partis). La création d'un « Parti de gauche » est toute récente. J'ajoute que ce classement, déjà ancien et assez spécifiquement français, n'est pas vraiment applicable à la répartition des forces politiques dans d'autres pays européens comme l'Angleterre, l'Allemagne ou bien aux Etats-Unis, même si on l'utilise parfois (cf. un numéro récent du Débat) et qu'en France aujourd'hui, il pose problème : où caser les Verts par exemple ? Mais il est tout de même très répandu. En même temps, et précisément en ce qui concerne la gauche, le terme de gauche au singulier ou au pluriel et parfois avec une majuscule, a été utilisé, cette fois historiquement, en désignant des formes d'alliance (sous divers noms Bloc, Front, Union) entre formations politiques de gauche et a désigné aussi, parallèlement, la partie de l'opinion qui adhérait à ces alliances et manifestait donc une certaine convergence d'opinion. Souvent quand on parle de la gauche, les deux désignations que j'ai indiquées sont implicitement confondues, ce qui peut créer une ambiguïté fâcheuse. Donc je précise que c'est la Gauche au second sens dont je parlerai, en mettant en garde cependant contre cette confusion possible. Donc pour en venir à la Gauche au sens que j'ai défini, Claude Gindin qui m'a sollicité pour cet exposé m'avait suggéré de partir de la résolution générale de notre dernier congrès, en me rappelant qu'elle faisait mention de façon répétée du terme de gauche (j'en ai repéré trente mentions) sur différents plans, ce qui peut être un bon moyen de faire apparaître quelques problèmes. Je ne vais pas citer les textes eux-mêmes, ce qui serait trop long, mais indiquer seulement comment apparaît la gauche dans ce texte, faisant un peu le travail – si possible rigoureux – que pourrait faire un historien dans cinquante ans, à partir de ce texte, pour savoir ce que le PCF pensait de la gauche. Il pourrait dire ceci, je crois : pour le PCF, il existe Une Gauche qui a une histoire longue et qui peut être renouvelée. Il existe des valeurs de gauche, valeurs traditionnelles, progressistes mais non figées, en évolution, qui peuvent être même revivifiées. Cette Gauche est composée de forces politiques distinctes, les forces de gauche, diverses et ayant même sur certains points des options opposées. Elle est donc divisée à la fois, de fait, en différentes forces politiques, et sur le plan des options, mais elle a tout de même des références communes. Donc il existe à la fois une Gauche et des forces de gauche, qui n'ont pas exactement le même statut politique. Ces forces, malgré leurs divisions, sont néanmoins susceptibles de se regrouper dans des alliances de formes et à vocations diverses dont certaines sont mentionnées (Union de la gauche, gauche plurielle). D'autre part, la gauche est une réalité politique, distincte du mouvement social, distincte même de mouvements politiques qui transcendent les partis politiques proprement dits comme le rassemblement antilibéral, ce qui ne veut pas dire qu'elle soit indépendante de ce mouvement social. Il y a aussi ce qu'on pourrait appeler un positionnement à gauche, ou de gauche, qui peut être celui d'individus nombreux. Il existe « un peuple de gauche ». Enfin, actuellement, cette gauche est profondément divisée, elle est en crise (je ne développe pas les raisons de cette crise). A la situation actuelle de notre pays, il faut apporter « des réponses de gauche progressistes », des « solutions de gauche à la crise », « une politique de gauche porteuse de grandes réformes alternatives au capitalisme » et pour cela il faut un « rassemblement de la gauche sur un projet transformateur », un « rassemblement majoritaire des forces de gauche » et, pour le créer, est proposé un processus original, l'ambition étant celle de la construction d'un front progressiste et citoyen liant le développement de la dynamique citoyenne et l'objectif d'une union de forces politiques de gauche. Je voudrais questionner ces différents points, ce qui ne veut pas dire les remettre en question, à la fois à partir de l'histoire et du vocabulaire particulièrement complexe, il faut le dire, qui concerne la gauche. 1) D'abord la gauche réalité ancienne ayant une histoire Oui assurément, et c'est même un fait très remarquable que, malgré les formidables bouleversements qui ont marqué la société française depuis un siècle, on assiste à cette permanence de la notion de gauche. Mais attention à ne pas projeter cette notion sur des époques qui ne l'ont pas connue. Certes le mot apparaît très tôt, dès l'époque de la Révolution dans un sens strictement parlementaire, et certes aussi le terme est employé de façon assez restreinte dans les deux premiers tiers du XIXe siècle pour désigner certaines forces politiques également essentiellement parlementaires, « gauche dynastique » sous la Monarchie de Juillet (ceux qui acceptent le régime mais veulent un autre fonctionnement du pouvoir), « gauche ouverte » et « gauche fermée » à la fin du Second Empire (ceux qui accepteraient de coopérer avec le régime s'il évolue et les irréconciliables avec Gambetta ). Mais jusqu'en 1870, les désignations politiques les plus fréquentes caractérisant les forces politiques progressistes de cette période ne font pas appel à cette notion de gauche. Ce sont les libéraux sous la Restauration, les radicaux (terme employé, faute de pouvoir se dire républicains) sous la Monarchie de Juillet, les démocrates socialistes ou la Montagne de 1849. Et si on emploie le terme de gauche à la fin du second Empire, c'est aussi parce qu'on ne peut pas se proclamer républicain et le terme de gauche sert de substitut à ce terme de républicain. Mais il est vrai aussi que c'est dans ces années 1869-70 que le terme de gauche se diffuse plus largement dans l'opinion, que le terme « homme de gauche » apparaît, le mot de gauche étant associé à celui d'opposition (comme l'indique le Littré pour qui la gauche est « le parti d'opposition dans les chambres françaises »). Cependant on peut revenir un peu sur l'époque de la Seconde République entre 1849 et 1851 parce que, pour la première fois dans une République, et dans une république dominée par les conservateurs, on voit se former par une alliance des démocrates et des socialistes pour les élections de 1849, une sorte d'union de la gauche, susceptible de rallier un large secteur de l'opinion, et de s'opposer frontalement à la droite, elle aussi unie dans le parti de l'Ordre. Donc c'est une sorte de gauche, mais sans le nom, qui apparaît. Dans toute la période suivante jusqu'à la consolidation de la République, vers 1880, c'est le terme « républicain », par opposition aux monarchistes, qui désigne les hommes et les formations qu'on qualifierait aujourd'hui de gauche parce que le débat politique est centré au premier chef sur la nature des institutions. Et quand on parle alors d'union, on parle d'union des républicains, ou des vrais républicains, pas de l'union de la gauche. C'est donc seulement à la fin du siècle qu'on voit apparaître vraiment la gauche d'abord au pluriel, et aussi la gauche rassemblée comme une réalité politique avec le Bloc des Gauches, en 1902, préparé à partir de 1899 par ce qu'on appelé la Défense républicaine contre l'agitation nationaliste engendrée par l'affaire Dreyfus. Pourquoi cette nouveauté ? Parce que désormais la République apparaît solidement installée, et que le débat sur la nature des institutions – République ou Monarchie ? – est donc pour l'essentiel terminé et qu'il est remplacé par un débat sur l'orientation de cette République, république conservatrice ou république démocratique ou république sociale. Et nous sommes aussi dans une phase nouvelle de développement du capitalisme, le passage d'un moment de crise à une nouvelle expansion. Et donc, en 1902 une coalition politique comprenant des républicains modérés (de gouvernement), mais fermes, des radicaux, une fraction des socialistes se forme pour s'opposer à l'agitation nationaliste et cléricale, et aussi réaliser des réformes attendues depuis longtemps par les républicains, comme la séparation des Églises et de l'État, en 1905, coalition qu'on appelle le Bloc des Gauches. Et ce Bloc des Gauches avec des hommes comme Combes, soutenu par une partie des socialistes avec Jaurès, a une audience populaire réelle. Mais ce Bloc des Gauches ne dure pas au-delà de 1905 et le fossé se creuse à la veille de 1906 entre socialistes désormais unifiés et radicaux. Donc « Bloc » : c'est l'alliance. Des Gauches : c'est la composition, bien que – et il faut le noter – dans les forces qui font partie de ce bloc, aucune ne porte le nom de gauche. Au départ ce sont essentiellement des fractions parlementaires, mais on est quand même au moment où les partis politiques modernes se forment et ces partis, à gauche, c'est le parti radical, ce sont deux partis socialistes, Parti socialiste français et Parti socialiste de France, c'est l'Alliance républicaine démocratique (Républicains de gouvernement), tous fondés au tout début des années 1900. Ce Bloc a suscité un réel appui de masse. Et, ce faisant, il a popularisé le terme de gauches au pluriel d'abord. Bien que modèle non reconnu en général, le Bloc des Gauches est pourtant fondateur parce que c'est une alliance de gauche qui a pour objectif de peser sur l'orientation que doit adopter la République. Il annonce les alliances ultérieures qui s'opèrent après la guerre : Cartel des Gauches en 1924 réduit il est vrai aux socialistes et aux radicaux, pâle résurrection du Bloc, le PCF étant désormais cantonné à l'extrême gauche, puis le Front populaire, en partie nouveau dans sa conception et qui n'utilise pas le terme de gauche, mais j'y reviendrai, puis le programme commun de la gauche (1972), l'union de la gauche (1981), « la gauche plurielle » (1997). Par ailleurs, il peut exister des regroupements limités qui se réclament de l'appellation gauche, par exemple la Fédération de la gauche démocrate et socialiste en 1967, mais qui ne regroupait que la gauche socialisante. Et l'on voit que, dans ce cas, il faut un adjectif supplémentaire qui délimite cette gauche. Et c'est aussi le cas pour ce qu'on a appelé la Nouvelle Gauche dans les années 60, ensemble de courants plus que parti institué, qui regroupait des gens qui se situaient un peu en dehors de la gauche traditionnelle. Où placer le Front de gauche dans cette constellation ? C'est pour l'instant lui aussi un regroupement limité qui vise cependant à s'élargir. Ces observations débouchent sur une autre question. 2) Une gauche ou plusieurs gauches ? Les historiens sont divisés. J'ai évoqué l'Histoire des gauches en France, mais Jean Touchard antérieurement avait écrit un livre intitulé La gauche en France. Tout dépend de l'optique qu'on adopte. C'est un fait qu'il existe différentes forces de gauche ayant des options qui ne sont pas forcément les mêmes. C'est un fait aussi qu'il existe, au moins à certains moments, des possibilités d'alliance entre ces forces. Donc, il y a à la fois division et une certaine unité. Les termes union de la Gauche ou rassemblement de la Gauche n'auraient aucun sens si on ne reconnaissait pas ce double état de fait. Par ailleurs et pour ajouter à la justification de l'emploi dans certains cas du terme de gauches au pluriel : d'abord, les coalitions dont j'ai parlé n'ont jamais regroupé tous ceux qui se situaient à gauche. Donc il restait un résidu souvent situé à ce qu'on a appelé longtemps l'extrême gauche, qui a pu comprendre le P.C. rangé dans cette rubrique par exemple entre 1920 et 1930 ou même après 1947. Les gauches peuvent donc dépasser en extension la gauche sous son acception traditionnelle (le problème se pose aujourd'hui pour le NPA), c'est-à-dire en somme les partis qui acceptent occasionnellement de s'allier. C'est pourquoi Maurice Agulhon a proposé, sans être suivi d'ailleurs, de ne pas retenir seulement la notion de gauche, mais de distinguer la gauche et les révolutionnaires, ce qui revient, au fond à la division gauche/extrême gauche. Une autre idée qui a été avancée aussi récemment, c'est celle de distinguer deux gauches et ici le critère, c'est la position par rapport au libéralisme ou au capitalisme, (en gros une gauche pactisant avec le libéralisme et une gauche le combattant). Mais si cette distinction (qui peut à certains égards rappeler la distinction ancienne réformistes / révolutionnaires, maintenant un peu dépassée), a quelque fondement sur le plan idéologique, elle en a beaucoup moins quand on regarde la vie politique pratique. Il faut d'ailleurs bien voir que la délimitation de l'extension de la gauche fait partie aussi des stratégies politiques. L'emploi du terme de gauche est un enjeu. Affirmer qu'il n'y a qu'une gauche ou qu'il y a deux gauches, c'est aussi vouloir qu'il n'y en ait qu'une ou qu'il y en ait deux. Même chose quand on restreint abusivement la notion de gauche : quand aujourd'hui dans les médias, ou dans des ouvrages, en parlant de la gauche, on ne fait référence qu'au seul parti socialiste et à ce qui gravite immédiatement autour de lui, cela n'est pas innocent. De même, classer le PCF à l'extrême gauche après 1947 et non à gauche, c'était l'exclure de la gauche. Remarquons que ce débat autour du singulier ou du pluriel existe aussi à propos de la droite. René Rémond avait écrit un volume intitulé La Droite en France dans les années 1950, ce qui ne l'empêchait pas de distinguer plusieurs droites et, plus récemment, Jean-François Sirinelli a dirigé un ensemble de volumes sur Les droites. Même la création de l'UMP n'a pas empêché d'autres forces de droite de subsister. Résumons nous : quand on parle de la Gauche, on comprend bien que cela englobe les principales forces de gauche, pas forcément toutes. Quand on parle des gauches, on met l'accent sur la différence entre les forces de gauche, mais il y a bien quelque chose qui les rapproche puisqu'on peut utiliser le même mot « gauches » pour les désigner. Donc dans un cas, la gauche, l'accent est mis sur les possibilités de rapprochement, dans l'autre, les gauches, sur les divisions bien réelles. Ce sont ces divisions qui expliquent que les périodes où les différentes forces de gauche se rapprochent soient peu nombreuses, souvent peu durables. 3) Permanence ou pérennité de la gauche ? Une question connexe à la précédente et qui est importante. N'y a-t-il de gauche au singulier que quand il y a alliance, ou bien cette notion a-t-elle une valeur plus pérenne ? Cette question mérite une réponse nuancée. La tentation serait de répondre : oui, il faut qu'il y ait alliance pour qu'on parle de la gauche, car qu'est-ce qui pourrait caractériser une gauche quand elle est profondément divisée ? La réponse, je crois, doit être plus nuancée. Il faut prendre en compte la réalité concrète qui est plus complexe. D'une part, ces moments d'union sont caractérisés par un certain élan populaire. Ils laissent des traces, ce soutien populaire a permis de créer des liens qui subsistent. D'autre part, quand elles ne sont pas au gouvernement, les forces de gauche sont dans l'opposition et cette opposition donne lieu aussi à des formes de convergence, à des votes en commun, enfin, même s'il n'y a pas d'alliance en forme, il peut exister des solidarités, par exemple le désistement en faveur du candidat le plus favorisé lors d'une élection. Et donc tout cela fait que, même quand il y a division, il demeure une solidarité et que c'est cette solidarité qui crée le sentiment qu'il existe bien une gauche ayant une certaine permanence, indépendamment même des partis qui la représentent. C'est pourquoi aussi, au delà des partis, on parle parfois du « peuple de gauche », formule que le Parti communiste a employée et cette formule signifie que la gauche ne s'incarne pas seulement dans une idéologie ou un programme politique mais aussi en bas dans la population citoyenne. On pourrait dire qu'il existe une gauche à l'état latent en dehors des périodes d'alliance et une gauche à l'état actif pendant celles-ci. 4) Formes d'union de la gauche Revenons sur ces formes d'union de la gauche. Elles ont été marquées au cours du temps par des tâtonnements, des essais successifs. A l'époque du Bloc des gauches, à la suite des élections de 1902, il s'agit d'une majorité parlementaire classique constituée autour du ministère Combes. Il n'y a pas eu de programme unifié préalable. On est dans le cadre du scrutin d'arrondissement. Chaque député se présente devant les électeurs avec son propre programme, mais à la Chambre, une forme d'organisation originale a été créée, la Délégation des gauches, composée des représentants des groupes parlementaires favorables au ministère (délégation qui comprend par exemple le parti socialiste jauressien (Parti socialiste français, qui n'a pas de ministre au gouvernement) et c'est cette délégation qui est chargée de préparer au fond le travail parlementaire, d'arbitrer quand il y a différence de point de vue. Le système reste entièrement parlementaire. Avec le Front populaire apparaît une réalité nouvelle, celle d'un programme sur lequel se rassemblent les forces qui participent au Front populaire, programme bâti autour de trois thèmes, le pain, la paix, la liberté et qui est aussi largement popularisé dans le pays. Programme qui comprend un certain nombre de mesures précises (comme la réforme de la Banque de France par exemple). Cette nouveauté programmatique est importante. C'est la première fois qu'elle se manifeste. Jusqu'ici, on n'avait eu que des programmes de partis. Le succès électoral du Front populaire va lui conférer un prestige durable. La formule de la délégation des gauches sera également reprise lors du gouvernement de Front populaire. L'on retrouve la perspective programmatique dans le programme commun de la gauche de 1972, beaucoup plus ample et détaillé que le programme du Front populaire qui tenait en deux pages. Le programme commun succédant à une longue période de division de la gauche, suscitera lui aussi un grand intérêt. Mais on sait qu'il ne survit pas jusqu'aux élections de 1978 et qu'en 1981 on retombe dans la constitution d'un gouvernement appuyé sur une simple majorité parlementaire suivant elle-même l'élection présidentielle qui a vu chaque parti combattre pour son propre compte. En 1997, après la victoire inopinée de la gauche succédant à la dissolution opérée par Chirac, on revient à une simple majorité parlementaire avec en outre la difficulté d'une cohabitation avec un président de droite. La formule « gauche plurielle » employée alors indique bien qu'il y a à la fois unité relative mais aussi diversité de la gauche incluant cette fois une partie des Verts. L'arbitrage se fait au niveau du gouvernement et du parlement, des contacts entre directions de partis. Aujourd'hui le PCF tente de tirer la leçon de ces expériences et de privilégier des formes de rassemblement à la base, contribuant à construire la dynamique citoyenne désirée, de faire jouer de façon nouvelle la dialectique entre partis, mouvements d'opinion sans qu'un quelconque cartel chapeaute tout cela. Le passage par les forces politiques de gauche serait alors une résultante et non le moyen de commencer. Donc retenons cette diversité dans l'approche de ce qui peut faire tenir une coalition. Souci évidemment essentiel pour une action qui soit durable. Et cette question en appelle une autre, celle du lien entre la gauche et le mouvement social. 5) Gauche et mouvement social ou autres formes de mobilisation populaires On a vu que, dans les textes cités tout au début, il est fait référence aux rapports de la gauche et du mouvement social ou même d'autres formes de mobilisation populaire. Ce rapport a varié dans le temps. La gauche c'est une réalité fondamentalement politique. Mais évidemment cela ne lui interdit pas d'avoir des rapports avec les organisations qui animent le mouvement social ou d'autres formes de mobilisation. Dans le temps ces rapports ont varié. A l'époque du Bloc des gauches, il n'y a pas de rapport avec le mouvement syndical lequel est encore en voie d'organisation et soucieux de son autonomie par rapport aux forces politiques. En revanche, comme la question de la séparation de l'Église et de l'État était alors primordiale, il est bien évident que les forces politiques qui la défendaient avaient aussi l'appui, non institutionnalisé mais réel, de forces laïques comme la Ligue de l'Enseignement ou les sociétés de libre pensée, ou spirituelles comme la franc-maçonnerie. Le Front populaire introduit une nouveauté très importante mais non durable. Il associe à une alliance politique un rassemblement de très nombreuses organisations (90) sportives, culturelles, laïques, humanitaires, syndicales, etc. Cette coopération a été favorisée d'abord par le fait que les deux principales forces syndicales, la CGT et la CGTU étaient déjà très proches antérieurement de partis comme le PCF et la SFIO qui constitueront le Front populaire, et qu'il en était de même d'un certain nombre d'autres organisations. Et il faut ajouter aussi l'effet de la crainte de la part des républicains de voir la France tomber sous la coupe d'une sorte de fascisme à la française, ce qui assure au Front populaire une assise de masse exceptionnelle, mais cette mobilisation ne fait pas cependant bouger sensiblement les lignes au niveau de l'opinion (la majorité obtenue aux élections de 1936 est courte). Ensuite les choses sont plus complexes. Globalement le souci de l'indépendance syndicale par rapport aux forces politiques tend à l'emporter, ce qui n'a pas interdit des rapprochements limités (CGT /PCF, CFDT/ nouvelle gauche ou nouveau parti socialiste), mais même ceux-ci sont aujourd'hui très distendus. Quant aux nouveaux mouvements opposés au libéralisme, à la mondialisation sauvage etc. dont le mode d'organisation est d'ailleurs assez flou (Forums sociaux etc..), ils gardent leur autonomie. Donc aujourd'hui, il peut y avoir une certaine convergence des efforts mais pas d'alliance plus étroite entre la gauche et ces mouvements. C'est en tirant les leçons de cet état de fait que le PCF propose aujourd'hui de construire un Front progressiste et citoyen créant une dynamique citoyenne, aboutissant à un très large rassemblement beaucoup plus large qu'une simple alliance politique ou un front électoral ou même un front d'organisations plus variées, mais un rassemblement visant tout de même à permettre à la gauche politique – qui est aussi une réalité incontournable – de devenir majoritaire dans le pays. Ceci toutefois en dépassant l'écart entre construction du rassemblement et construction politique. 6) L'impact des institutions sur la réalité de la gauche Quelques mots sur point souvent peu abordé. Peut-on dire que l'existence de la Gauche a été favorisée par certaines conditions politiques institutionnelles ou historiques et de ce fait que la disparition de ces conditions pourrait entraîner la disparition de la Gauche au sens où nous l'avons entendue, mais pas forcément de forces de gauche ? Envisageons deux cas, le rôle du mode de scrutin et plus récemment l'élection présidentielle. En France, le mode de scrutin a été pendant la majeure partie de son histoire depuis un siècle un mode de scrutin à deux tours qui permettait un large choix au premier tour, puis le désistement au second tour en faveur du candidat le plus favorisé. Avant même l'existence de la gauche, les républicains ont fait de ce désistement la règle d'or du parti républicain, sous le nom de discipline républicaine. La gauche a hérité de cette pratique, qui crée ainsi des solidarités. Les rares périodes où le mode de scrutin a été proportionnel (une proportionnelle d'ailleurs plus ou moins altérée) ont au contraire favorisé soit l'isolement des partis de gauche, soit des alliances plus restreintes comme en 1924 (Cartel des gauches) ou en 1956 (Front républicain). Sans doute, ce n'était pas la seule raison – il y avait aussi des raisons politiques importantes –, mais il est vrai aussi que là où un système proportionnel existe comme en Allemagne, le phénomène de la gauche au sens français n'existe pas non plus (die Linke étant un parti de gauche sans plus). Et c'est la même chose avec un scrutin à un tour comme en Angleterre (d'où le danger par exemple d'un scrutin à un tour proposé pour les régionales). De même, mais c'est plus connu, et je ne développerai pas, la présidentielle au suffrage universel, en poussant à la bipolarisation, favorise la prépondérance d'un parti hégémonique qui pourrait réduire ses partenaires au rôle de forces d'appoint gravitant par force autour de lui. Donc même si les institutions ne sont pas seules en cause, on ne peut pas négliger, à la fois dans l'apparition d'une Gauche et dans les menaces qui pèsent sur elle, l'effet des institutions qui exercent une pesée peut-être pas fatale, mais assez lourde. Nous avons envisagé jusqu'ici surtout les formes d'alliance à gauche, mais celles-ci reposent aussi sur des références idéologiques. 7) Les valeurs de la Gauche C'est une question très compliquée parce que la Gauche a hérité de valeurs définies avant elle, qu'elle en a mis elle-même en avant, que la société change et met en avant de nouvelles exigences et qu'en outre, il faut tenir compte de la diversité de la gauche, par conséquent, on ne peut pas parler d'un bloc de valeurs immuables qui persisteraient au cours du temps, ni même d'un bloc de valeurs communes à toute la gauche. On peut dire que la gauche a d'abord hérité des valeurs définies par la Révolution française et notamment par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. L'affirmation des grandes libertés, sécurité personnelle, liberté de pensée et d'expression, égalité en droit des individus, souveraineté du peuple ou de la nation, toutes valeurs qui, il faut le rappeler, ont été combattues longtemps par la droite et par l'Eglise catholique (rappelons le Syllabus du pape Pie IX, catalogue des erreurs modernes, en 1864). Un autre héritage de la Révolution, c'est l'idée qu'il faut que les citoyens soient instruits à la fois pour être à même de faire des choix politiques judicieux et libres et aussi pour améliorer autant que faire se peut leur situation matérielle. La gauche est l'héritière aussi de valeurs républicaines, dont une partie sont également apparues sous la Révolution, qui ont elles-mêmes évolué. Parmi ces valeurs, il y a l'idée de la République comme forme de la démocratie politique, mais pas de n'importe quelle République, une république fondée sur une citoyenneté active et libre, sur le respect rigoureux des institutions, sur l'importance de la discussion publique que ce soit dans les Assemblées ou dans le pays, sur un pouvoir collectif et non personnel, sur les libertés locales, sur l'indépendance de la justice, et aussi le refus, pas toujours nuancé, de tout communautarisme. Il y a l'idée de fraternité entre les hommes, introduite en 1848, dont la mise en œuvre concrète est restée d'abord vague, mais qui a trouvé une incarnation dans le terme de solidarité. Il y a la Laïcité, apparue un peu plus tard, c'est-à-dire à la fois l'indépendance respective des églises et de l'État, mais aussi la laïcité de l'enseignement public. Ces valeurs républicaines ont eu aussi dès l'origine un aspect social. Très tôt on a pensé – un Robespierre par exemple – que la République ne pouvait pas subsister sans une large assise populaire et donc qu'il fallait qu'elle s'intéresse à la condition des citoyens les plus modestes. Donc dans la République, il y a une idée sociale. Dans l'idéologie républicaine classique, celle de la IIIe République, le problème social, au départ était plutôt centré sur la protection du travailleur par des mutuelles, des syndicats mais, avec le développement du socialisme, et aussi après que les principales conquêtes proprement politiques aient été réalisées, le problème social a pris de plus en plus d'importance dans la gauche et le débat a porté sur le système économique et social et non plus sur les institutions. Jaurès par exemple a développé très tôt l'idée que la démocratie politique n'était pas complète sans la démocratie sociale, c'est-à-dire la gestion démocratique par les producteurs des instruments de production. Parallèlement aussi, s'est affirmée la notion de services publics répondant aux besoins des citoyens et dirigés en fonction de l'intérêt général et non pas d'intérêts particuliers. Et tout cela repose au fond sur une idée simple, c'est que la domination pure et simple de l'argent a des effets pervers sur la politique et la société. D'autres caractéristiques des valeurs de gauche comme le pacifisme sont venues plus tard, d'abord avant la guerre de 1914 et encore bien plus après. Et également l'anticolonialisme, qui a pénétré tardivement et parfois incomplètement. Enfin, il y a des idées qui ont été intégrées encore plus tard et parfois difficilement comme le féminisme ou bien, par suite de l'évolution générale du monde, comme l'écologie que la gauche a intégré sans qu'elle soit spécifiquement à l'origine de cette préoccupation. Bien sûr, une partie de ces valeurs de gauche sont devenues des idées assez communes, et en un sens c'est un succès de la gauche, elles ont même été aussi revendiquées par la droite, mais on s'aperçoit, quand la droite est au pouvoir, que ces valeurs ou bien ne sont pas vraiment les siennes ou bien qu'elle en donne une version complètement altérée. Le combat pour la pénétration en profondeur de ces valeurs est très important, car c'est par là que peut se perpétuer « un peuple de gauche ». Ces valeurs doivent être harmonisées par les différentes forces de gauche avec les valeurs qui leur sont propres (par ex. la lutte des classes pour le P.C) et parfois cette harmonisation fait problème. Elles risquent aussi d'être minées et le sont d'ailleurs par l'évolution de la société et les idéologies dominantes, exaltation de l'individualisme et de la libre entreprise, dévalorisation de la politique réduite à une lutte de clans ou de personnes, « peopolisation » de la vie politique, propagation d'une conception entièrement délégatrice de l'exercice de la citoyenneté et de l'idée d'une impuissance des citoyens devant les forces économiques, et donc c'est un combat permanent qu'il faut mener pour les entretenir dans l'opinion. S'il faut conclure sur ce tour d'horizon, je poserai la question, la gauche au sens où nous l'avons entendue est-elle une réalité transitoire – même si cela a été une réalité de longue durée dans l'histoire politique de la France. Certains le pensent et même en rêvent, avec le souhait de revenir à une coalition centriste, mordant à la fois sur la gauche et sur le droite, proposition qui n'est pas une nouveauté (pensons à Giscard dans les années 1970) Naturellement, l'avenir de la Gauche dépend aussi de l'action des forces politiques dont la nôtre. Pour l'instant, cet avenir reste ouvert, même si des menaces pèsent sur lui.