Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Une autre approche des entreprises et de la gestion pour valoriser le travail et l’emploi

Lorsqu’il est question de négociation sociale autour de la flexibilité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi, le cadre général de ce dialogue s’inscrit lui-même toujours au sein d’une logique économique et institutionnelle défavorable au travail et à l’emploi. La finalité de l’entreprise est axée sur la recherche du profit et les instruments de gestion restent tournés vers l’obtention d’un optimum financier. Cette finalité n’a pas été maintenue et entretenue par hasard. Elle est le résultat d’un rapport de force favorable aux détenteurs de capitaux qui ont traduit celui-ci en un rapport de sens.

Mais la négociation et la lutte ne peuvent plus rester circonscrites au rapport capital/travail car ce rapport relève d’une pensée binaire qui fait l’impasse sur l’entreprise comme forme institutionnelle non réductible au capital. Il faut donc aller au-delà des formes phénoménales et trouver des points d’appui opérationnels susceptibles de changer des règles qui ne bénéficient qu’à un groupe d’agents, les détenteurs de capitaux et leurs alliés. L’enjeu est donc de transformer le regard qui a été imposé sur l’état de la réalité sociale pour tenter de changer cette réalité.

Lorsqu’il est question de négociation sociale autour de la flexibilité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi, le cadre général de ce dialogue s’inscrit lui-même toujours au sein d’une logique économique et institutionnelle défavorable au travail et à l’emploi. La finalité de l’entreprise est axée sur la recherche du profit et les instruments de gestion restent tournés vers l’obtention d’un optimum financier. Cette finalité n’a pas été maintenue et entretenue par hasard. Elle est le résultat d’un rapport de force favorable aux détenteurs de capitaux qui ont traduit celui-ci en un rapport de sens. Mais la négociation et la lutte ne peuvent plus restées circonscrites au rapport capital/travail car ce rapport relève d’une pensée binaire qui fait l’impasse sur l’entreprise comme forme institutionnelle non réductible au capital. Plus grave encore, si cette lutte s’enferme dans un affrontement direct capital/travail, elle ne sera pas en mesure de permettre un dépassement des formes actuelles d’exploitation et de domination puisqu’elle présuppose dans son immédiateté la reproduction sans fin de ce rapport. Il faut donc aller au-delà des formes phénoménales et trouver des points d’appui opérationnels susceptibles de changer des règles qui ne bénéficient qu’à un groupe d’agents, les détenteurs de capitaux et leurs alliés. L’enjeu est donc de transformer le regard qui a été imposé sur l’état de la réalité sociale pour tenter de changer cette réalité. Pour changer le monde, écrivait Pierre Bourdieu, il convient d’abord de changer les manières de faire le monde.

Ainsi, pourquoi un accord présenté par certains observateurs comme historique, sur la sécurisation de l’emploi, risque-t-il au contraire de sécuriser la flexibilité, la précarité et le licenciement ? La mise en place de nouvelles règles du jeu susceptibles de refonder les instruments de gestion est donc indispensable pour que les syndicats soient en capacité de mieux faire valoir l’intérêt du travail et de l’entreprise sur le long terme. Cela suppose de bien clarifier la grille de lecture mais surtout de changer les représentations et les façons de compter.

Les instruments de gestion qui permettent d’évaluer la performance des organisations productives sont des éléments décisifs de la structuration du réel. Ils ont pour objectif de coordonner des activités et de choisir des investissements. Ils régissent les rapports entre les hommes et les groupes sociaux. Ils matérialisent également les modalités d’exercice du pouvoir ainsi que les formes de domination et de coopération dans le travail. En France, certains auteurs venant d’horizons intellectuels et politiques différents tels Michel Berry, Paul Boccara, Michel Capron, Jacques-Henri Jacot, Pierre Mévellec ou Philippe Lorino ont su, chacun à leur manière, comprendre les enjeux de ces instruments pour le pilotage des entreprises. Il convient de mettre en évidence le poids décisif de ces critères ou indicateurs de gestion qui sont présents dans les travaux des chercheurs et praticiens les plus novateurs, en particulier ceux précurseurs de Paul Boccara (2) et ceux plus récents de Paul-Louis Brodier (3), directement opératoires pour réorienter la finalité des entreprises.

Ainsi, les modes d’évaluation de la productivité et de la rentabilité doivent-ils être mis en rapport avec les finalités assignées à l’entreprise.

La relation qui définit ce qu’est la productivité est en général présentée comme le rapport entre la production et les ressources mises en œuvre :

Productivité =  Production / Ressources mises en œuvre

Production, dénommée aussi outpout, désigne les biens et/ou les services produits.

Ressources mises en œuvre, dénommées aussi facteurs de production ou input, désigne le travail, le capital technique (installations, machines, outillages...), les capitaux engagés, les consommations intermédiaires (matières premières, énergie, transport...), ainsi que des facteurs moins faciles à appréhender bien qu’extrêmement importants, tels le savoir-faire capitalisé.

Mais la productivité étant par définition un rapport, le numérateur et le dénominateur ne sont pas les choses elles-mêmes mais les mesures qui en sont faites. Il serait donc plus pertinent d’écrire :

Mesure de la productivité = Mesure de la production / Mesure des ressources mises en œuvre

Paul-Louis Brodier souligne le redoutable problème qui se pose. Additionner des éléments de natures différentes n’a aucun sens. Or, la production est un ensemble de biens et/ou de services dont la diversité peut être fort grande. Et les ressources mises en œuvre constituent elles aussi un ensemble comprenant des éléments très divers : personnels de qualification différentes, machines, installations, outillages et consommations de toutes sortes, multiples types de savoir-faire, etc.

Rappelons que la production et les ressources mises en œuvre s’entendent en nature. Il devrait donc être exclu soit de les quantifier en valeur, soit de dénommer productivité le ratio obtenu. Le plus souvent, cette logique est loin d’être respectée.

On peut donc s’interroger sur les raisons qui ont conduit à faire, généralement, du rapport chiffre d’affaires/effectifs l’indicateur utilisé pour mesurer la productivité dans l’entreprise. D’une part le chiffre d’affaires ne mesure pas la richesse créée par l’entreprise (la richesse créée par l’entreprise n’est pas la production mais sa « contribution » à l’obtention de cette production, la valeur ajoutée en étant la mesure), d’autre part l’effectif du personnel n’est que l’une des ressources mises en œuvre. L’erreur vient de l’importance que « chiffre d’affaires » et « effectifs » ont pris au début du xxe siècle, quand se sont forgés les principes d’organisation et de gestion toujours en usage aujourd’hui. On perçoit immédiatement que l’amélioration de ce rapport peut conduire à des choix douloureux pour les salariés car si l’activité stagne, la réduction des effectifs sera très rapidement utilisée comme solution miracle. Ce qui est en cause, ce n’est pas la « productivité » en soi, mais de voir indûment nommer productivité un ratio de gestion dont les effets sont pervers non seulement pour l’analyse du travail mais aussi pour l’emploi.

En effet, si l’on reste prisonnier de la logique du « résultat » qui est propre à la comptabilité financière, l’objectif premier assigné à l’entreprise est le bénéfice, c’est-à-dire ce qui reste au propriétaire après avoir déduit, pour faire simple, les charges du chiffre d’affaires. La nécessité et la légitimité du bénéfice (ou du profit) ne sont pas en cause. Ce qui est en cause, c’est de priver l’entreprise de sa finalité et de ses objectifs propres. De ce fait, on la dote d’outils de gestion inadéquats quand ils ne sont pas illogiques.

L’objectif de la comptabilité de management par exemple, qui est conçue pour aider les dirigeants et ceux qui les entourent à prendre des décisions, est de servir à calculer les « coûts de revient ». Or, derrière les coûts de revient, c’est la notion de « marge » qui est prédominante.

Depuis toujours les commerçants s’intéressent à la marge commerciale qui est la différence entre le prix de vente et le prix d’achat d’une marchandise. Dans ce domaine, la marge totale est bien égale à la somme des marges unitaires. Au milieu du xixe et au début du xxe siècle le besoin de connaître ce que rapporte un service ou un bien dans les activités industrielles est de plus en plus manifeste. Le concept de marge est repris et le concept de « coût de revient » du service ou du bien remplace celui de prix d’achat de la marchandise. La logique de gestion qui préside à la mise en place de cette comptabilité des coûts de revient est la suivante : le résultat est égal à la somme des marges des produits ; une bonne connaissance des coûts de revient est indispensable pour déterminer les marges de rentabilité des produits, évaluée par le ratio marge/prix de vente ; les coûts de revient et les objectifs de marge sont des bases essentielles pour la fixation des prix. Finalement, le résultat et les marges structurent les comptes de l’entreprise. La logique devient alors implacable mais fausse : attendu que la finalité de l’entreprise est de faire des bénéfices, que le résultat d’exploitation est fonction des marges des produits et que les prix et les marges sont fonction des coûts de revient, alors un objectif premier de gestion est de réduire les coûts de revient.

Construire de nouveaux comptes de gestion pour toutes les entreprises

Les nouveaux comptes qu’il est indispensable de mettre en place devraient permettre d’assigner une autre finalité institutionnelle que le profit à toutes les entreprises. L’indicateur décisif ne serait plus le profit qui n’est qu’un solde ou un résultat mais la valeur ajoutée.

La valeur ajoutée de l’entreprise est définie, dans la comptabilité nationale, comme la différence entre la production et la consommation intermédiaire. Il est aussi précisé que la consommation intermédiaire correspond à deux types de biens et services : ceux « incorporés » dans les biens et services produits (telle la farine dans le pain) et ceux « détruits » par le fonctionnement de l’entreprise (tel le fioul consommé par le four de la boulangerie). Paul-Louis Brodier les a respectivement nommées consommation directe et consommation de fonctionnement. D’où la relation :

Consommation intermédiaire = Consommation directe + Consommation de fonctionnement

Il faut considérer que l’organisation qui produit des biens et des services est une structure qui réalise une transformation. Les ressources physiquement mises en œuvre dans la structure sont le personnel, l’équipement et les biens et services « détruits ». Les biens et les services « incorporés » sont l’entrée de la transformation réalisée par cette structure, les biens et les services produits en sont la sortie.

Paul-Louis Brodier a mis en évidence une grandeur économique ayant une importance majeure pour l’entreprise, qu’il a nommé, valeur ajoutée directe des ventes ou VAD. Il s’agit simplement de la différence entre le chiffre d’affaires et la consommation directe des ventes.

VAD des ventes = Chiffre d’affaires - Consommation directe des ventes

La production d’une entreprise est la somme de sa production vendue (le chiffre d’affaires), de sa production stockée (variation des stocks et encours) et de sa production immobilisée. Il faut noter que sur longue période :

– Le cumul des variations de stock et encours oscille autour de zéro ;

– Une production immobilisée est progressivement annulée par le cumul des amortissements.

En conséquence, sur longue période, l’entreprise ne vit que de la VAD de ses ventes. On peut donc considérer que, sur longue période :

Valeur ajoutée de l’entreprise = VAD des ventes - Consommation de fonctionnement

À chaque bien ou service vendu correspond un prix de vente unitaire et une consommation directe unitaire, la valeur des biens et services qui lui sont « incorporés » (matière, composants, sous-traitance de technicité, etc.). Il en résulte une grandeur économique très significative, la VAD unitaire :

VAD unitaire = Prix de vente unitaire - Consommation directe unitaire.

Ce qui entraîne :

VAD des ventes = sommes des VAD unitaires.

Il est ainsi mis en évidence un continuum économique entre les trois niveaux : les produits (VAD), les entreprises (VA) et la nation (PIB).

La valeur ajoutée est le véritable revenu de l’entreprise considérée en tant qu’institution (SA, Sarl, Scoop,¡K) créée dans la perspective de produire des biens et des services. Elle est à la source des revenus des ayants droit et une contribution au PIB (Brodier, 2013) (4).

La VAD des ventes est le revenu créé par l’entreprise considérée en tant qu’organisation ayant concrètement pour fonction de produire des biens et des services grâce aux ressources réunies et « mises en système » par l’institution : personnel, équipement, consommation de fonctionnement.

L’équilibre économique qui est un objectif vital est atteint lorsque la VAD des ventes couvre au moins le besoin de valeur ajoutée (somme des revenus contractuellement attendus par les ayants droits) et la consommation de fonctionnement.

La maîtrise des coûts reste ainsi une préoccupation permanente mais l’équilibre économique est recherché d’abord par la VAD des ventes, laquelle est fonction :

– De la quantité de produits vendus ;

– De la VAD unitaire apportée par chaque produit vendu.

Il existe ainsi deux façons de faire croître cette somme : par l’augmentation des quantités vendus et/ou par l’augmentation des VAD unitaires. L’augmentation des quantités vendues s’obtient généralement en choisissant la compétitivité prix. C’est ce type de compétitivité par les prix et par les coûts qui a été choisie depuis de nombreuses années en France. Mais il arrive toujours un moment où, inéluctablement, du fait de la saturation progressive des marchés, cette croissance quantitative des biens et des services ralentit et se stabilise. Continuer à viser la compétitivité prix se traduit alors, au niveau entreprise, par une baisse de la VAD des ventes, entraînant au niveau de la nation un ralentissement de la croissance du PIB.

En revanche, l’augmentation de la VAD apportée par chaque produit vendu s’obtient avec des produits dont les prix maintenus ou augmentés sont justifiés par ce qui fait leur valeur perçue par les clients (prescripteurs, acheteurs, utilisateurs), autrement dit leur compétitivité hors prix : qualité, fiabilité, durabilité, originalité, innovation, service avant-vente, service après-vente, image de sérieux de l’entreprise, etc. C’est la voie d’une croissance qualitative des biens et services, durable, soutenable, mais néanmoins favorable à croissance du PIB.

Nouvelle efficacité économique et rééquilibre des pouvoirs dans les grands groupes

Refonder l’entreprise implique comme préalable de lui assigner une finalité institutionnelle qui n’est plus le profit puis d’en tirer toutes les leçons en terme d’organisation des pouvoirs et de nouvelle efficacité économique et sociale. Cette nouvelle organisation concerne prioritairement les grands groupes dont la force d’impulsion est décisive pour l’ensemble du tissu industriel et donc pour les PME. Le pouvoir dans l’entreprise ne peut plus provenir de la seule propriété des titres de capital émis par les sociétés commerciales servant de support juridique aux entreprises. Autrement dit, changer de logique économique et sociale suppose de laisser les droits de propriété sur les actions à leur place : la rémunération du capital n’est pas la finalité de l’entreprise. C’est l’ensemble des coûts générés par les décisions qui doit être pris en compte, seule manière de décharger la collectivité du rôle qui lui est imposé aujourd’hui et auquel elle a du mal à faire face.

Il faut donc conduire juridiquement les dirigeants des grands groupes cotés en bourse à prendre en compte l’ensemble des intérêts qui vont être affectés par leur décision et non les seuls intérêts des actionnaires. L’objectif est de produire des biens et/ou des services en vue de dégager un revenu pour l’entreprise (valeur ajoutée). C’est la fonction première et « l’objet social » même de l’entreprise qui donne du sens à l’action du dirigeant. Ce dernier doit agir en respectant un certain nombre de contraintes (équilibre financier, économique et écologique, intérêts collectifs des parties prenantes, conditions de travail, etc.). L’article 1832 du Code civil indique que la « société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter ». Il faut changer cette formulation et souligner que l’objectif de la société n’est pas de maximiser le profit et de partager le bénéfice qui en résulte (ce qui n’intéresse que les détenteurs de capitaux) mais de maximiser la valeur ajoutée en vue de la partager de manière juste entre les différentes parties prenantes (personnel, banques, État, actionnaires, société).

Il est par conséquent plus que jamais indispensable d’assigner cette finalité à l’entreprise et de construire juridiquement, c’est-à-dire politiquement, de nouvelles règles qui tiennent compte de celle-ci si l’on souhaite rééquilibrer les pouvoirs concernant les décisions de production et de répartition des richesses.

La mise en avant de l’entité entreprise comme intérêt supérieur aux intérêts des parties en présence permettrait aux salariés de disposer de points d’appui pour s’assurer une meilleure représentativité dans les lieux où se joue le pouvoir (conseil d’administration et comité d’entreprise en particulier). Le choix du gouvernement actuel de ne retenir qu’un ou deux représentants des salariés dans les conseils d’administration des grands groupes est une évolution bien peu audacieuse (le rapport Gallois préconisait d’en introduire quatre).

Les comptes de valeur ajoutée ont une importance essentielle, car ils permettent d’impulser une logique totalement différente de celle dénoncée plus haut. Au lieu de forcer les esprits à raisonner en fonction de ce qui reste, et en conséquence à chercher avant tout à réduire les coûts, ils induisent comme priorité d’accroître la valeur ajoutée, tout en maîtrisant les coûts. En d’autres termes, ils poussent à « augmenter le numérateur » plutôt qu’à « diminuer le dénominateur ». Ils ont aussi la vertu de bien mieux impliquer les membres de l’entreprise dans la création des richesses, car la maximisation de la valeur ajoutée est un objectif bien plus séduisant que la recherche continuelle de la seule diminution des ressources.

Construire les liens entre l’entreprise, le travail, le développement et l’emploi

Si l’on adopte un vocabulaire plus familier faisant référence à un « gâteau » à produire et à partager, l’enjeu pour tous les citoyens et les consommateurs n’est-il pas de mieux produire puis de partager équitablement les parts de ce gâteau ?

Le PIB (la mesure de la richesse créée par la nation) est fréquemment comparé à un « gâteau » dont on commente le partage entre salaire et profit, autrement dit entre « revenu du capital » et « revenu du travail ». Deux erreurs sont fréquemment commises. L’une consiste à confondre la mesure, le PIB, avec la chose mesurée, les biens et services produits. L’autre à ne pas faire la distinction entre le profit et le bénéfice, les revenus respectifs de la société et des actionnaires.

Nous entendons par « gâteau » tout ce qui relève de la production au sens physique de biens et de services et qui répond de préférence à des besoins sociaux définis et reconnus comme utiles.

Deux options sont alors ouvertes. Soit les actionnaires et les manageurs font croître leur propre part dans un jeu à somme nulle, en réduisant les salaires par exemple comme cela est pratiqué régulièrement. Soit les entreprises accroissent « qualitativement » la taille du gâteau (en offrant des biens et services répondant à des besoins sociaux jugés indispensables), ce que favorise le pilotage par la valeur ajoutée. On rappellera que les salaires, les profits, la croissance et l’emploi découlent de la valeur ajoutée. Le produit intérieur brut (PIB) qui mesure la croissance d’un pays est, rappelons-le également, la somme des valeurs ajoutées produites dans les entreprises.

Il y a donc deux thèmes présents dans cette analyse. D’une part celui de la nature des biens et des services produits, donc de la nature de la croissance. D’autre part, celui du partage du revenu de l’entreprise, la valeur ajoutée, entre ses parties prenantes, lequel influe sur la nature et le partage des biens et services produits et vendus (parts relatives des produits à faible ou à forte valeur ajoutée).

Le flux de richesse marchand et monétaire qui s’incarne dans le PIB est bien entendu indifférent à la répartition des richesses, aux inégalités, à la pauvreté ou à la sécurité économique. Il est donc problématique de le reprendre tel quel, sans interroger son mode de construction. Sa prise en compte dans un cadre renouvelé devra par conséquent être assortie d’objectifs plus diversifiés de développement.

En revanche, si le concept de valeur ajoutée n’est pas retenu, une conception de l’entreprise et de la production des richesses susceptible de résoudre les problèmes économiques et sociaux au-delà du rapport capital/travail se trouve verrouillée. Or le seul intérêt commun du capital et du travail au-delà de leurs divers antagonismes est bien l’obtention du « revenu » qu’est la valeur ajoutée.

La prise en compte de ce revenu ne signifie pas la soumission inconditionnelle à la maximisation de la croissance indéfinie de la valeur ajoutée afin d’augmenter coûte que coûte le PIB. Le bien-être des hommes et des femmes n’est pas synonyme d’accroissement illimité des quantités de marchandises produites, échangées et consommées sur le marché. Il ne s’agit donc pas d’orienter les ressources économiques et les activités vers la réparation des dégâts du productivisme afin de faire grossir le PIB. Il s’agit au contraire, dans un monde où l’énergie n’est pas inépuisable, d’économiser les ressources et de les rendre renouvelables dans le cadre de nouveaux modes de développement. À long terme, la réorientation de la production, des choix énergétiques, des modes de transport et des normes de consommation sera de toute façon inévitable. Cette réorientation supposera d’importants investissements dans la recherche, l’éducation, le remodelage des infrastructures. Elle impliquera une transformation décisive du contenu de la production qui devra se substituer à l’objectif de croître indéfiniment sans savoir ce qu’il est bon de faire croître.

Comme nous l’avons montré au début de cet article, la nécessité de faire exister l’entreprise à travers une nouvelle façon de compter mais aussi sous une forme à définir par le législateur est un impératif majeur qui devrait conduire nécessairement à renouveler les règles du jeu dans de multiples champs : juridique, économique, comptable, politique et syndical.

Cela permettra d’abord de ne plus appréhender le travail comme un coût car celui-ci est également une source de valeur et de développement. Les comptes de valeur ajoutée en particulier donneront de nouvelles possibilités pour favoriser la création de richesses et construire les ponts entre le niveau micro-économique de l’entreprise et le niveau plus large du système productif. Il en va du rythme, du contenu qualitatif de la croissance et de sa répartition si l’on veut promouvoir un autre mode de développement, plus soutenable écologiquement pour la planète et plus respectueux de la justice sociale pour les hommes et les femmes sans pour autant sacrifier l’efficacité. 

(1) Professeur à l’Université d’évry.

(2) Intervenir dans les gestions avec de nouveaux critères, Messidor/éditions sociales, 1985.

(3) La VAD, La valeur ajoutée directe, Une approche de la gestion fondée sur la distinction entre société et entreprise, Addival, 2001.

(4) Voir l’article intégral de Paul-Louis Brodier « Un autre modèle économique : la logique de la valeur ajoutée » sur son site Vadway : http://www.vadway.com/Pages/Autre.php

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