Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le rendez-vous des retraites de 2013

Le rendez-vous de 2013 a été inscrit à la demande de la CFDT à l’article 16 de la réforme du 9 novembre 2010. Il a donc un caractère légal incontournable que l’adoption du « traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance » vient de renforcer.

La conférence sociale et le cadre légal du rendez-vous

La conférence sociale n’a pas changé l’esprit de l’article 10.

Il s’agit d’un rendez-vous beaucoup plus lourd de conséquences que tous ceux qui l’ont précédé depuis 1993 car il s’agit de faire des choix définitifs, qu’il ne sera plus question de rediscuter à l’avenir.

La démarche est inspirée de ce que les responsables politiques suédois, essentiellement les sociaux-démocrates mais de concert avec les conservateurs, ont fait dans les années 1990. Elle participe de la volonté de mettre en place un système qui, pour citer un responsable politique suédois de premier plan à l’origine de la réforme, « va durer jusqu’à la prochaine ère glaciaire ».

Il s’agit d’en finir avec des réformes paramétriques pour opérer une refonte définitive du système. Un nouveau système que le Parlement suédois a adopté en 1998 par 80 % des voix.

Les conditions sont réunies pour que ce consensus à la suédoise s’opère également en France, car pour les partis de gouvernements, d’inspiration socio-démocrate ou de droite, ainsi que pour la CFDT et le Medef, il faut en finir avec les réformes paramétriques :

– Les réformes dites paramétriques agissent sur les 3 leviers qui permettent d’équilibrer un régime de retraite :

  1.  L’âge de départ en retraite et son corollaire la durée de cotisation ;
  2. Le niveau des pensions ;
  3. Les ressources ;

– Toutes les réformes intervenues depuis la loi dite Balladur ont agi sur les deux premiers leviers en organisant et planifiant un décrochage progressif mais à terme drastique des taux de remplacement. Elles ont suscité à chaque fois des mobilisations sociales parmi les plus fortes observées ces 20 dernières années. Les organisations syndicales qui ont soutenu ces réformes l’ont également chèrement payé : souvenons-nous des bataillons de militants qui ont quitté la CFDT en 2003.

Il y a donc un intérêt objectif entre partis appelés à exercer des fonctions gouvernementales et CFDT à abandonner les réformes paramétriques au profit d’une réforme systémique.

L’objet du rendez-vous

Cette réforme systémique est précisément l’objet du rendez-vous de 2013.

Loi portant réforme des retraites du 9 novembre 2010

Article16

I. À compter du premier semestre 2013, le Comité de pilotage des régimes de retraite organise une réflexion nationale sur les objectifs et les caractéristiques d’une réforme systémique de la prise en charge collective du risque vieillesse.

Parmi les thèmes de cette réflexion, figurent :

1° Les conditions d’une plus grande équité entre les régimes de retraite légalement obligatoires ;

2° Les conditions de mise en place d’un régime universel par points ou en comptes notionnels, dans le respect du principe de répartition au cœur du pacte social qui unit les générations ;

3° Les moyens de faciliter le libre choix par les assurés du moment et des conditions de leur cessation d’activité.

La proposition est donc celle d’un régime unique fusionnant tous les régimes du public et du privé existants actuellement pour fonctionner selon le système des comptes notionnels suédois. Le Medef propose une variante avec un régime universel de base et un régime universel complémentaire fonctionnant l’un et l’autre comme les comptes notionnels.

Que sont les comptes notionnels suédois ? Et d’abord que signifie « notionnel » ? « Notionnel » veut dire virtuel.

Premier point important : les comptes notionnels suédois fonctionnent en répartition. L’argent des cotisations est immédiatement redistribué sous forme de pension.

Deuxième idée clef : les comptes notionnels fonctionnent à ressources constantes. Le taux de cotisation est fixé une fois pour toute, en l’occurrence, en Suède, à 16 % du salaire. Il ne peut pas être augmenté, quelles que soient les circonstances économiques, il est strictement intangible. C’est cette caractéristique qui a déterminé le soutien du patronat et des libéraux suédois à ce nouveau système.

Concrètement, l’agence suédoise de Sécurité sociale enregistre, année après année, sur le compte individuel de chaque salarié le montant de sa cotisation. Le salarié se constitue ainsi un capital, virtuel, puisqu’on est en répartition. Lorsque le salarié veut liquider sa pension, à partir de 61 ans, l’Agence additionne, après les avoir revalorisés, tous les montants cotisés puis les divise par l’espérance de vie de la génération concernée.

Il en résulte une rente viagère : plus l’intéressé part tard, plus sa rente est élevée, plus il part tôt plus elle est modeste. Ce système satisfait donc à la revendication de retraite à la carte portée par la CFDT et le PS.

Mais la rente ainsi calculée n’est qu’un maximum : le système est en effet conçu pour régler définitivement la question de son équilibre financier en réconciliant en permanence le montant des pensions à verser avec le montant des ressources encaissées.

Concrètement, si le régime doit verser 100 euros de rente alors qu’il n’a perçu que 70 euros de cotisations (dont le taux, rappelons-le, ne peut, par construction, augmenter) eh bien, il applique à la pension un mécanisme d’équilibrage automatique qui prend la forme d’un coefficient en l’occurrence de 0,70.

0,70 x 100 € = 70 €

Ainsi, du jour au lendemain, là où un retraité percevait 100 euros de pension, il ne percevra plus que 70 euros.

Ce mécanisme a amené en 2010 une baisse de toutes les pensions liquidées de 3 % et en 2011 de 7 %. En cumul sur 5 ans, c’est une baisse de 40 % qui est anticipée. Là où un retraité percevait en 2009, 100 € de rente, il ne percevra plus en 2015 que 60 euros !!!

Il s’agit donc d’un système de retraite, certes par répartition, mais qui fonctionne «à cotisations définies» par opposition au système, également par répartition, que nous avons mis en place en 1945, qui lui a été conçu pour fonctionner «à prestations définies», c’est-à-dire pour garantir un taux de remplacement déterminé du salaire par la retraite. Ce taux avait été historiquement fixé à 75 % dans la Fonction publique et c’est cet objectif que les régimes du privé ont visé jusqu’à la réforme de 1993.

C’est le mécanisme d’équilibrage automatique qui séduit les partis de gouvernement, quels que soient leur bord, et qui a été mis en place pour (citation Karl Gustaf Scherman, ancien directeur de l’Agence suédoise de Sécurité sociale) décharger les hommes politiques « de la responsabilité de prendre les décisions difficiles et si sensibles qui consistent à suivre, contrôler et ajuster en permanence les paramètres du système des retraites ».

On voit que la bataille se pose en termes nouveaux : il ne s’agit plus, dans l’immédiat, de choisir entre répartition et capitalisation, mais entre répartition « à prestations définies » et répartition « à cotisations définies ». Ceci étant, la mise en œuvre d’un système « à cotisations définies » entraînera de telles baisses des taux de remplacement que les citoyens tenteront nécessairement l’aventure de l’épargne retraite pour essayer de compenser le manque à gagner. C’est d’ailleurs là tout le calcul du Medef et de la droite.

Pour éviter de faux débats, je souhaite insister sur le fait que la technique de matérialisation des droits à retraite est neutre au regard de l’enjeu «cotisations ou prestations définies». Les régimes par annuités comme les régimes par points, peuvent fonctionner « à cotisations définies » dès lors qu’on les dote d’un mécanisme d’équilibrage automatique. Les régimes par annuités et les régimes par points peuvent fonctionner « à prestations définies » dès lors qu’on leur assigne cet objectif politique en définissant un taux de remplacement déterminé du salaire par la pension de retraite.

Ainsi, le régime AGIRC, dont la création a été portée à bout de bras par Ambroise Croizat et la CGT (deux camarades résistants de la fédération de la chimie Andréjean et Pascré) a fonctionné « à prestations définies » jusqu’en 1994.

Même chose pour les régimes ARRCO. Relevons au passage que l’AGIRC et l’ARRCO, en dépit des accords signés entre 1993 et aujourd’hui, ne sont pas des régimes « à cotisations définies ». Il est toujours possible d’augmenter les cotisations, ce que les organisations syndicales de salariés ne manquent pas de revendiquer à chaque ouverture de négociation et il y est impossible de diminuer le montant des pensions liquidées, ce que le Medef a tenté de faire en 1994 et ce qui a été sanctionné par la Cour de cassation en 1999.

AGIRC et ARRCO rentrent donc dans la catégorie des régimes «à cotisations négociées».

Où se trouvent les promoteurs et les adversaires d’un système à cotisations définies

Les promoteurs :

  • à l’UMP, au Medef sans réserve ;
  • au gouvernement pour ceux qui partagent la sensibilité de Marisol Touraine ;
  • dans certains courants du parti socialiste tandis que d’autres y sont résolument opposés ;
  • Dans l’état-major de la CFDT, les militants éloignés du dossier des retraites ayant tendance à opérer par délégation de pouvoir envers leur direction confédérale sont pour un trop grand nombre d’entre eux dans l’ignorance des enjeux. Le travail d’information sera donc primordial.

Enfin un certain nombre de cercles de réflexion (think tank) et de groupes de pression font un gros travail de lobbying. Le Siècle, l’Institut Montaigne, Terra Nova, l’iFRAP, l’UMR…

Où sont les adversaires des systèmes « à cotisations définies ». Ils sont à la CGT, à la CFE-CGC, du côté de Solidaires ; mais aussi, au moins pour le moment, du côté de FO et de la CFTC sachant que le passé a montré que leurs positions sont susceptibles d’évoluer.

Comment s’opère la promotion de la refonte du système en France

Elle passe par un changement « de paradigme » c’est-à-dire par un changement du vocabulaire pour décrire les besoins et les attentes vis-à-vis du système retraite.

Ce changement s’observe tant dans la rédaction de l’article 16 de la réforme de novembre 2010 que dans la feuille de route issue de la conférence sociale des 9 et 10 juillet.

Très emblématique de ce renouveau lexical est la notion d’équité qui tend à se substituer à la notion de solidarité ; notion largement utilisée en 2006 (colloque du COR). Elle participe de l’idée qu’il est équitable que chaque génération récupère au cour de la retraite le total des cotisations versées et rien de plus. Une rente viagère est donc équitable. Une pension de retraite pensée comme la continuité du salaire pour garantir la continuité du niveau de vie n’est pas équitable. Les mécanismes de solidarité ne le sont pas non plus.

La pérennisation de la répartition n’est pas non plus un objectif en soi : les comptes notionnels pérennisent la répartition en organisant un effondrement des taux de remplacement.

L’idéologie du gagnant et du perdant, sauf qu’il n’ y a que des perdants ; Thomas Piketty et Antoine Bozzio développent une argumentation douteuse en ce qu’elle joue sur la division du salariat, qui tend à dire que leur système favoriserait les carrières « planes » c’est-à-dire les carrières les plus modestes. L’affirmation est assortie d’une démonstration qui s’avère totalement inconsistante.

La stigmatisation de groupes sociaux que les tenants de la refonte du système s’ingénient à opposer les uns aux autres sur la base de considérants erronés.

La disparition de la notion de taux de remplacement du salaire par la retraite, qui devient un objectif explicite revendiqué par exemple par le think-tank Economies et Générations, selon le propos même de l’un de ses membres Antoine Delarue : il faut tester la généralisation d’une retraite par points « qui ferait disparaître les sacro-saintes notions de taux plein et de taux de remplacement ».

Les grandes manœuvres ont commencé

C’est tout le battage médiatique, organisé par le Medef, autour de l’épuisement des réserves de précaution des régimes AGIRC et ARRCO qui préfigurerait la faillite des régimes complémentaires. Il s’agit d’abord de préparer les esprits à des reculs majeurs sur le niveau des droits à retraite liquidés ou en cours de constitution sous prétexte de sauvegarder la retraite complémentaire.

Il s’agit ensuite de fusionner AGIRC et ARRCO pour mettre en place un régime complémentaire unique qui fonctionnerait « à cotisations définies ».

Le Medef voit autour de cette opération l’occasion d’en finir avec le statut cadre et l’un de ses piliers, l’AGIRC qui est aujourd’hui la seule reconnaissance interprofessionnelle et opposable du statut cadre.

L’enjeu à terme est de faire exercer aux cadres et assimilés leurs responsabilités tout en les rémunérant comme des employés ce qui permettra de payer les ouvriers et employés comme des précaires. Toutes les grilles conventionnelles de salaire s’en trouveraient remaniées.

De surcroît, l’encadrement se verrait renvoyer à la capitalisation pour se financer un espoir de revenu à la retraite… La disparition de l’AGIRC, comme l’a été sa création, est tout sauf une affaire catégorielle. Derrière sa disparition, il y a un effet domino très largement sous-estimé.

Conclusion

Le modèle suédois est en train de s’effondrer. La ligne de clivage entre sociaux-démocrates et conservateurs passe aujourd’hui en Suède par la question des retraites. Conscients de cela, les partisans des systèmes à cotisations définies font de moins en moins référence à la Suède pour se référer plus volontiers à nos systèmes par points. Ils oublient de dire que AGIRC et ARRCO sont construits pour fonctionner à prestations définies et que ce n’est surtout pas ce qu’ils ont l’intention de faire puisque leur modèle c’est en vérité le RAFP (retraite additionnelle de la fonction publique créée en 2003).

Nous nous devons de dire au grand public ce qu’est un système à cotisations définies et  nous pourrons gagner la bataille de 2013 si nous faisons une campagne de communication efficace. n

 

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